Islamo-gauchisme, histoire d’un glissement sémantique – Corinne Torrekens

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Face au tollé déclenché par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche Frédérique Vidal annonçant son intention de demander une enquête sur « l’islamo-gauchisme » à l’université, le CNRS a rappelé dans un communiqué que ce terme ne correspondait à aucune réalité scientifique. S’il reste difficile de remonter à l’origine exacte de l’expression, il semble que la lecture tronquée d’un texte publié par le leader d’un mouvement trotskiste anglais en constitue la première étape. Une seconde étape a été l’apparition de glissements sémantiques qui, d’une part, font des musulmans le nouveau prolétariat et, d’autre part, associent toute structure en lien avec l’islam à de l’islamisme. Continuer la lecture de Islamo-gauchisme, histoire d’un glissement sémantique – Corinne Torrekens

Vous avez dit skinhead ? – Olivier Pironet

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Vieux de plus d’un demi-siècle, le mouvement skinhead souffre d’une mauvaise réputation. Ne l’assimile-t-on pas, spontanément, au racisme ou à l’ultraviolence ? Son vrai visage, inséparable de la musique jamaïquaine et du punk, est pourtant bien différent de l’image qui lui colle à la peau. Celle-ci s’explique à la fois par les récupérations de l’extrême droite et par les fantasmes des grands médias.

L’été 1967 ne fut pas forcément pour tout le monde la saison de l’amour et de la communion collective (Summer of love) chère aux hippies. Cette année-là, en marge de la vague psychédélique qui secoue les États-Unis puis l’Europe, sous le signe du Flower Power, le phénomène skinhead fait son apparition au Royaume-Uni[1]. Ce nouveau mouvement est le fruit de la rencontre entre deux communautés, celle des hard mods (« mods radicaux ») et des rude boys (ou rudies, « mauvais garçons »). Les premiers, enfants d’ouvriers, représentent la frange prolétaire des modernistes (mods), un courant culturel né à la fin des années 1950 parmi la petite classe moyenne britannique férue de musiques afro-américaines ; les seconds, issus des ghettos, sont de jeunes immigrés jamaïquains habitués des sound systems à la sauce caribéenne, que fréquentent également les hard mods. Peu politisés, les skinheads ont en commun la passion du ska, du rocksteady et du early reggae inventés à Kingston[2], l’attachement aux valeurs ouvrières, le goût des rixes et le rejet de la contre-culture hippie, qu’ils jugent trop bourgeoise, loin de leur univers empreint de violence sociale. Continuer la lecture de Vous avez dit skinhead ? – Olivier Pironet

Invisible pénibilité du travail féminin – Cécile Andrzejewski

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Texte et photos sur le site du monde diplomatique

Texte de la brochure :

Quand elle a appris qu’elle devait arrêter de travailler, Mme Béatrice Boulanger, aide à domicile, en a pleuré : « Je les aimais bien, mes mamies et mes papys », explique-t-elle en souriant. En ce samedi matin ensoleillé, dans le Pas-de-Calais, elle a d’abord pris le temps de servir le thé, qu’elle touille en énumérant ses soucis : une prothèse d’épaule, de l’omarthrose (usure du cartilage de l’articulation de l’épaule), un rétrécissement du rachis cervical, de l’arthrose cervicale et une rhizarthrose (arthrose de la base du pouce). « Tous mes problèmes de santé viennent des charges que j’ai dû soulever, c’est le chirurgien qui me l’a dit. » Le praticien lui a également confié qu’elle avait « un corps de vieillard », à 52 ans. Continuer la lecture de Invisible pénibilité du travail féminin – Cécile Andrzejewski

Voyage au bout de l’indépendance – Benoît Godin

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Lire le texte sur le site de CQFD

Texte de la brochure :

Bien que située aux antipodes de l’Hexagone, la Nouvelle-Calédonie demeure une « possession » française, pour reprendre le terme officiel de 1853. Mais pour combien de temps encore ? Fin 2018, un premier référendum a montré que la revendication indépendantiste était toujours bien vivante, portée par l’immense majorité des Kanak, peuple premier de l’archipel, mais aussi par une part grandissante des autres communautés. En France métropolitaine, leur combat peine à retrouver visibilité et soutien, alors même qu’un second vote se tiendra en septembre. Et que l’indépendance paraît plus accessible que jamais. Analyse (anticoloniale) de situation, nourrie d’échanges avec le sociologue kanak Jone Passa. Continuer la lecture de Voyage au bout de l’indépendance – Benoît Godin

Abolir la police – A sa place, instaurons l’égalité sociale, économique et politique pleine et entière.

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Lire le texte original (anglais) sur TransformHarm.org

Texte de la brochure :

Il y a quelques semaines, il y a eu une fusillade dans mon immeuble. Cinq coups sont partis au total, ne faisant heureusement aucun.e blessé.e. J’étais chez moi lorsque cela s’est produit, mais j’habite au troisième, loin de la cible du tireur. Les jeunes d’en-bas, qui traînent dans le couloir presque tous les jours pour boire, fumer, raconter de la merde et vendre de l’herbe ont été suivi.es jusqu’à chez eulles par une de leurs embrouilles. Ce soir-là, je me souviens d’avoir entendu l’un d’eux crier « Iels m’ont eu, bro ! » – mais il semble que cela ait été dû au choc de la fusillade et à l’explosion de porte vitrée de l’immeuble qui lui ont fait croire qu’il était touché. Cela faisait peur.

Cependant, ce qui fait davantage peur encore, c’est le fait que presque tous les soirs depuis la fusillade il y a eu soit une voiture de police, garée de l’autre côté de la rue avec les lumières des gyrophares allumées, soit 2 flics de garde devant mon immeuble, juste devant les marches. C’est cette mesure qui est censé prévenir d’autres actes de violence, mais la présence de la police m’effraie davantage que les jeunes qui vendent de la drogue et les coups de fusil.

Un jour, en rentrant dans mon immeuble, en évitant de croiser le regard des deux agent.es, j’ai entendu l’un.e d’eulles dire à l’autre : « Tu veux faire une verticale ? » alors que je mettais mes clefs dans la serrure l’entrée. Une ‘verticale’, c’est quand la police entre dans un immeuble et vont de haut en bas, à la recherche de toute activité potentiellement criminelle. Je me souviens que c’est dans ces circonstances qu’est mort Akai Gurley.

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Les ouvrières de la mode, entre luxe et blouse – Giulia Mensitieri

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Texte de la brochure :

Les couturières, les « petites mains » de la mode, passent habituellement inaperçues, cachées derrière le faste des images du luxe. Elles ont été révélées en pleine crise sanitaire, quand certains soignants devaient porter des sacs-poubelles en guise de blouse. La notion de « confection » de vêtements a alors repris tout son sens et son importance symbolique, comme une invitation à repenser notre rapport à la mode, ce secteur si important dans l’économie et l’imaginaire français.

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Que vous apparteniez à la catégorie de celles et ceux qui pendant le confinement n’ont négligé aucun élément de leur accoutrement, ou alors que vous n’ayez pas quitté pendant plusieurs semaines vos vêtements de sport, vous aurez probablement constaté que vous avez beaucoup trop d’habits.

L’industrie de la mode est en France plus puissante que celles de l’automobile et de l’aéronautique. En 2016, elle représentait 150 millions d’euros de chiffre d’affaire direct, 2,7 du PIB et 580 000 emplois directs. Cette économie de la richesse va de pair avec une économie du gaspillage et de la pollution : 30 % des habits achetés par les Français ne sont jamais portés et s’entassent dans les 600 000 tonnes de textile qui sont jetées chaque année.

Les habits sont une affaire sérieuse en France, et ils occupent une place importante dans les consommations, les métiers, les désirs, les villes, les rues et les espaces de rangement des Français·e·s. Fermez les yeux un instant, et essayez de vous figurer tous les vêtements qui depuis le début du confinement attendaient dans les magasins de votre ville. Parcourez-les, ces rues marchandes, ces grands magasins, ces centres commerciaux, ces rayons, ces étagères, ces cintres, et multipliez-les à l’échelle de la nation. C’est vertigineux. Continuer la lecture de Les ouvrières de la mode, entre luxe et blouse – Giulia Mensitieri

Le «male gaze», bad fiction – Cécile Daumas

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Texte de la brochure :

Jamais le terme n’a été autant employé pour mettre au jour, dans les films, les séries, les arts, ce regard masculin qui fait des femmes un objet de désir et de plaisir. Retour sur un concept clé des études féministes sur le cinéma.

Le grand Tarantino, père de l’invincible Kill Bill, serait-il pris en flagrant délit de «male gaze», ce regard masculin dominateur qui ordonne le monde et la fiction ? Si Once Upon a Time… in Hollywood, sorti mi-août, cartonne en France – près de 2,5 millions d’entrées -, il est aussi objet d’une polémique déclenchée par des féministes. Le film se passe en 1969, année de la mort de Sharon Tate, compagne d’alors du réalisateur Roman Polanski[1]. Maximum de gros plans sur le physique ondulant de l’actrice, répliques résumées à une poignée de mots. Sharon Tate, jouée par Margot Robbie, est objet du regard quand les héros – Brad Pitt et Leonardo DiCaprio – sont moteurs de la fiction. «Que Tarantino réussisse à réduire Tate – une actrice talentueuse, une victime de meurtre de masse, l’épouse d’un homme qui plaiderait plus tard coupable de relations sexuelles illégales avec une mineure – à une poupée sans vie et perpétuellement joyeuse est un exploit du plus triste genre, écrit Clémence Michallon dans The Independent. Le male gaze de Tarantino n’est pas seulement insultant, il est terriblement ennuyeux.» Pour la philosophe Sandra Laugier, au contraire, le film de Tarantino se joue des regards féminins et masculins avec notamment la scène ardente d’un Brad Pitt torse nu sur un toit ! Même si Sharon Tate est quasi muette, l’intrigue du film est en définitive «le plus bel hommage d’un grand cinéaste à l’actrice assassinée il y a cinquante ans», écrit la philosophe dans sa chronique parue dans Libération le 6 septembre [2019]. Continuer la lecture de Le «male gaze», bad fiction – Cécile Daumas

Peut-on « séparer la femme de l’artiste » ? – Aurore Turbiau

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Texte de la brochure :

On entend beaucoup dire en ce moment, en sinistre contexte, qu’il faut « séparer l’homme de l’artiste » : par là, on entend en principe défendre l’idée que les œuvres d’art ou les productions culturelles doivent être appréciées indépendamment du jugement que l’on porte sur leurs auteurs, afin de garantir à notre évaluation esthétique son impartialité et son objectivité. On demande alors de juger l’œuvre, surtout pas l’homme qui l’a produite, et celui-là est censé disparaître derrière sa réalisation – quand bien même il aurait été le premier à s’y être comparé[1] et même si c’est bien à lui qu’on donne des récompenses ensuite[2].

En littérature, le débat court depuis longtemps : sur ce site-même on en reparlait récemment à travers l’analyse des idées de Saint-Beuve[3]. C’est un grand classique de la critique littéraire que de se demander si on doit ou non s’intéresser aux biographies des écrivain·es pour juger leurs textes – Sainte-Beuve jugeait que oui et le mettait largement en pratique, Proust en réponse prônait la distinction entre le « moi social » et le « moi profond » de la personne qui écrit. Cette opposition, en réalité ne recouvre pas exactement celle qui propose de « séparer l’homme de l’artiste » mais a souvent été comprise ainsi. Vieilles idées, vieux débats sans fin : la réalité est toujours trop complexe pour être réduite à des schémas binaires.

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Splendeurs et misères de la collapsologie – Pierre Charbonnier

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Texte de la brochure :

Les thèses sur l’effondrement prochain de la civilisation industrielle connaissent actuellement une spectaculaire audience. De succès éditoriaux en conférences publiques bondées, leurs promoteurs ont imposé dans le débat un argumentaire choc relayé par d’efficaces vidéos virales diffusées sur les réseaux sociaux. S’appuyant sur des peurs bien réelles et légitimes, ils instillent innocemment un discours survivaliste d’où la politique est absente. Et qui postule que celles et ceux qui s’en sortiront seront les plus adaptés à la condition post-technologique. Une promotion de l’effondrement purificateur à l’attention de communautés averties.

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Au cœur de la « campagne » en faveur de la prise de conscience de l’effondrement en cours, dont Pablo Servigne est, en France, le principal représentant, se loge un argument simple : l’accumulation des crises écologiques et la pression sur les ressources induite par nos modes de vie conduiront tôt ou tard à l’écroulement des systèmes d’approvisionnement énergétiques et alimentaires, et avec eux, des structures politiques (relativement) stables et pacifiques dont nous jouissons pour l’instant. Une convergence d’indices scientifiques dont les « collapsologues[1] »  prétendent dresser le bilan permet ainsi de confronter la civilisation industrielle à sa fin imminente, laissant derrière elle une nature exsangue et une population traumatisée.

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Les logiques nouvelles des médias viraux – Tony D. Sampson et Jussi Parikka

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Texte de la brochure :

Jusqu’à récemment, le concept de viralité universelle n’occupait qu’une place marginale dans la théorie des médias. Au début des années 2000, lorsque nous avons commencé à publier des articles sur la contagion, l’immunologie, l’épidémiologie et les réseaux viraux dans le domaine numérique, nous n’étions pas surpris que ce sujet, dont l’universalité constitue pourtant un aspect essentiel, demeure une préoccupation secondaire de la théorie des médias. Après tout, l’étude des médias et de la communication sont censées établir du lien, pas le contraire !

On nous demandait aussi constamment pourquoi cette « métaphore virale », et ce qu’elle signifiait dans le cadre du développement d’un nouveau modèle de médias numériques. Et l’attention démesurée accordée au « marketing viral » n’a pas facilité notre tâche consistant à affirmer que des niveaux matériels de viralité plus profonds et plus urgents existaient.

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