Abolir la police – A sa place, instaurons l’égalité sociale, économique et politique pleine et entière.

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Texte de la brochure :

Il y a quelques semaines, il y a eu une fusillade dans mon immeuble. Cinq coups sont partis au total, ne faisant heureusement aucun.e blessé.e. J’étais chez moi lorsque cela s’est produit, mais j’habite au troisième, loin de la cible du tireur. Les jeunes d’en-bas, qui traînent dans le couloir presque tous les jours pour boire, fumer, raconter de la merde et vendre de l’herbe ont été suivi.es jusqu’à chez eulles par une de leurs embrouilles. Ce soir-là, je me souviens d’avoir entendu l’un d’eux crier « Iels m’ont eu, bro ! » – mais il semble que cela ait été dû au choc de la fusillade et à l’explosion de porte vitrée de l’immeuble qui lui ont fait croire qu’il était touché. Cela faisait peur.

Cependant, ce qui fait davantage peur encore, c’est le fait que presque tous les soirs depuis la fusillade il y a eu soit une voiture de police, garée de l’autre côté de la rue avec les lumières des gyrophares allumées, soit 2 flics de garde devant mon immeuble, juste devant les marches. C’est cette mesure qui est censé prévenir d’autres actes de violence, mais la présence de la police m’effraie davantage que les jeunes qui vendent de la drogue et les coups de fusil.

Un jour, en rentrant dans mon immeuble, en évitant de croiser le regard des deux agent.es, j’ai entendu l’un.e d’eulles dire à l’autre : « Tu veux faire une verticale ? » alors que je mettais mes clefs dans la serrure l’entrée. Une ‘verticale’, c’est quand la police entre dans un immeuble et vont de haut en bas, à la recherche de toute activité potentiellement criminelle. Je me souviens que c’est dans ces circonstances qu’est mort Akai Gurley.

Un autre soir, j’allais à l’épicerie du coin acheter de la glace et dès que j’ai atteint le bas des marches, alors qu’il me restait à descendre le couloir jusqu’à la porte d’entrée, les agent.es m’ont fixé du regard et ne m’ont pas lâché jusqu’à ce que je sois plusieurs pâtés de maisons plus loin. Je considère avoir eu énormément de chance, surtout quelques jours plus tard quand est apparue la vidéo de Walter Scott, descendu alors qu’il s’enfuyait du policier Michael Slager en Caroline du Sud.

Slager avait d’abord stoppé Scott pour avoir conduit avec un feu arrière cassé. Scott s’est enfui, peut-être de peur d’être arrêté pour les paiements de pension alimentaire qu’il devait, et Slater l’a poursuivi. La vidéo ne montre pas le moment où il a sorti son Taser, mais cette interaction a escaladé et Slager a utilisé son Taser sur Scott, qui a réussi à s’enfuir, Slager sort alors son flingue et tire sur Scott à 8 reprises, l’atteignant 5 fois. Si ce n’était pour la vidéo filmée par un passant du quartier, le récit de Slager des événements – que Scott s’était emparé du Taser et que, sentant que sa vie était en danger, Slager n’avait eu d’autre choix que de lui tirer dessus – aurait été le seul récit disponible. Slager a été renvoyé et inculpé de meurtre.

Et voilà. C’est ça que demandait le mouvement ? C’est à ça que ressemble la justice, non ? Nous avons appris des erreurs de quand Darren Wilson a tué Michael Brown et que Daniel Pantaleo a tué Eric Garner, non ? Nous allons commencer à demander à la police de rendre des comptes.

Je l’ai déjà dit : il n’y a pas de justice là où il y a des personnes noires mortes. Je continuerai de le dire, parce que si nous nous satisfaisons d’inculpations et de possibles peines de prison, nous sommes passé.es à côté de tout ce qui est au coeur de #BlackLivesMatter. Il ne s’agit pas d’obtenir une « meilleure » police, qui exerce de la retenue dans l’usage de la force, mais d’arrêter d’avoir « besoin » de toute forme de police.

En 1966, James Baldwin écrit dans The Nation : « …les forces de police sont simplement les ennemies salariées de cette population. Elles sont là pour garder les Noir.es à leur place et pour protéger les intérêts des entreprises blanches, et elles n’ont pas d’autre fonction. » Cela reste aussi vrai aujourd’hui qu’en 1966, seulement, aujourd’hui, nous avons complètement accepté le mythe de la police qui « sert et protège ». Que faire d’une institution sont la fonction principale et de contrôler et d’éliminer spécifiquement les personnes noir.es, et plus largement les personnes racisées et pauvres ?

On l’abolit. En 1964, Malcolm X dit devant des étudiants d’Oxford : « Vous vivez une période d’extrémisme, une période révolutionnaire, une période où les choses doivent changer. Les gens au pouvoir en ont fait mauvais usage et cela doit changer et il faut construire un monde meilleur. Et le seul moyen de le construire, c’est avec des méthodes extrêmes. » Abolir la police est une méthode extrême, mais en tant que mesure pour la justice, cela doit être notre objectif final.

On ne considère pas l’abolition de la police comme étant une posture viable parce que l’on croit que c’est la seule barrière entre les bon.nes citoyen.nes et la violence des désaxé.es. On a peur de se faire attaquer dans la rue, que l’on tire sur nos maisons et de se retrouver sans moyen de rétribution aussi violente. Mais cela veut-il dire que l’on veut la police, ou la sécurité ? La sécurité est un concept, qui ne peut jamais être atteint complètement, et la police est une institution qui a prouvé qu’elle n’était capable que de fournir l’illusion de la sécurité à une minorité privilégiée. L’essentiel de leur travail n’a rien avoir avec la prévention de la violence. Iels passent l’essentiel de leur temps à faire ce que faisait Slager quand il est entré en contact avec Scott – arrêter des gens pour des feux arrières défectueux. Dans Gawker, David Graeber écrit :

« La police passe très peu de temps à s’occuper de criminel.les violent.es – en effet, les sociologues qui étudient la police disent que seulement 10 % du temps de travail d’un agent de police moyen est accordé à toutes les questions criminelles confondues. La plupart des 90 % restants se passent à s’occuper des infractions à différentes régulations administratives : toutes ces règles sur comment et où on peut manger, fumer, vendre, s’asseoir, marcher et conduire. Si deux personnes se battent à coups de poing ou de couteau, il est peut probable que la police intervienne. Si l’on conduit sans plaque d’immatriculation, par contre, les autorités arriveront tout de suite, menaçant de tout type de conséquence si l’on ne fait pas exactement ce qu’elles disent. »

La police, c’est donc essentiellement une bureaucratie armée. Leur rôle principal dans la société est d’amener la menace de la force physique – voire de la mort – dans des situations dans lesquelles elles n’auraient jamais été invoquées sinon, telles que le respect de réglementations sur la vente de tabac sans licence.

90 % du temps de travail d’un agent n’est pas dédié à notre sécurité, mais plutôt a des choses considérées comme des nuisances (ou, dans le cas des cigarettes de contrebande, qui créent un marché noir de biens de consommation qui menace les bénéfices d’entreprises), tout en ajoutant la possibilité de la violence là où il n’y en a pas besoin. Et lorsqu’il s’agit de prévenir les actes de violence délibérés contre les personnes que tout le monde devrait condamner (ou de mettre leurs perpétrateur.trices devant leurs responsabilités), comme la violence conjugale ou les agressions sexuelles, la police est globalement inefficace.

La police ne sert pas à ce que l’on dit qu’elle sert, et il y a des moyens réels d’obtenir un monde moins violent où la police n’a pas sa place. Nous n’avons tout simplement pas essayé. Tant que nous n’investissons pas dans l’emploi pour tou.tes, la couverture santé universelle qui inclut les soins de santé mentale, l’éducation gratuite à tout âge, l’éducation sexuelle complète qui nous apprend le consentement et l’autonomie corporelle, la décriminalisation des drogues et la lutte contre la stigmatisation de l’usage de drogues, le logement décent et abordable, l’élimination de l’homophobie et de la transphobie – ces choses qui réduisent réellement le niveau de violence autour de nous – je ne veux pas entendre que la police est nécessaire. Elle est seulement nécessaire parce que nous ne sommes que trop prêt.es à nous cacher derrière notre lâcheté pour ne pas faire les efforts de faire naître un monde meilleur. C’est trop extrême.

Quand je dis « Abolition de la police », on me demande souvent par quoi je voudrais qu’on la remplace. Ma réponse est toujours l’égalité sociale, économique et politique pleine et entière, mais ce n’est pas ce qu’on me demande vraiment. Ce que les gens veulent dire, c’est « qui va nous protéger ? » Qui nous protège aujourd’hui ? Si vous êtes blanc.he et riche, peut-être la police vous protège. Le reste d’entre nous, pas tant que ça. A quoi me sert une institution qui tue souvent des gens qui me ressemblent et qui font que j’ai peur de sortir de chez moi ?

Si je réponds sincèrement, je dirais que je ne sais pas à quoi ressemble un monde sans police. Tout ce que je sais c’est qu’il y aurait moins de personnes noires qui meurent. Je sais qu’un monde sans police, c’est un monde avec une institution de moins dédiée à garder en place l’inégalité et la suprématie blanche. C’est un monde qui vaut la peine qu’on l’invente.