L’argent des femmes – Jeanne Lazarus

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L’argent fait l’objet de soupçons. Il corrompt, avilit, souille les sentiments, les choses ou les personnes qu’il achète, notamment la vertu des femmes. Si les femmes vénales sont supposées dangereuses, sinon sulfureuses, le fait même que les femmes soient propriétaires d’argent et l’utilisent selon leur bon vouloir inquiète le corps social. Même après que les restrictions juridiques ont disparu, les femmes possèdent moins d’argent que les hommes et s’en sentent des propriétaires moins légitimes[1]. Construit au fil du temps, en particulier par l’exégèse chrétienne de l’argent, le soupçon de la mise en équivalence des femmes, de leur corps, de leur travail et même de leur esprit, avec l’argent, laisse des traces sociales. Ces soupçons reposent sur une série de postulats : d’abord celui d’une pureté originelle des rapports sociaux sans échanges marchands ; ensuite celui d’un argent deus ex machina qui imposerait une rationalité calculatrice et marchande ; enfin celui d’une passivité de la sexualité féminine et d’une propriété sociale du corps des femmes.

Lorsque les femmes ne sont pas jugées impures si elles possèdent de l’argent, elles sont supposées incompétentes, frivoles et dépensières, ou affectées par le manque, pauvres et dépendantes. La pauvreté des femmes n’a pas la noblesse reconnue au geste des riches qui, au Moyen Âge, abandonnaient leur fortune pour rencontrer Dieu[2], elle est misère, tient à la passivité prêtée au sexe féminin, découle de l’absence de protection d’un mari ou de la collectivité.

Ces trois types de suspicions sont liés par la difficulté à penser les femmes comme propriétaires de leur argent. Qu’elles soient épouses, mères ou filles, l’argent dont elles disposent est celui qui leur est donné ou pas par les hommes du foyer, qui, de ce fait, en acquièrent un droit de regard et de jugement sur leurs pratiques. Si elles le gagnent elles-mêmes, c’est qu’elles n’ont pas de protec­tion, et l’ombre de la prostitution mine perpétuellement la légitimité de leur participation au monde marchand.

Les liens entre femmes et argent dans les sociétés contemporaines héritent de ces soupçons d’impureté, d’incompétence et de dépendance qui se sont largement solidifiés au XIXe siècle, au cours de la grande séparation entre le privé et le marchand[3]. Il en résulte une répartition inégale de l’argent entre hommes et femmes : inégalités de salaires, inégalités de patrimoine et de surcroît, une invisibilisation des contributions économiques des femmes, également présente dans les archives[4].

Dès qu’elle concerne les femmes, la question de l’argent, pourtant essentielle à leur émancipation dans une société monétarisée et capitaliste, rencontre celle, plus classique, des limites que les sociétés doivent mettre à l’hégémonie de l’argent. L’argent est traditionnellement dénoncé comme colonisateur d’espaces qui devraient rester incommensurables, préservés de toute mise en équivalence monétaire qui est nivellement, et partant, dégradation. Norbert Elias l’avait déjà montré en comparant les modes de dépense des aristocrates à ceux des bourgeois[5]. Georges Bataille dénonce la « mesquinerie universelle » de la vision bourgeoise de l’argent à la suite de tant d’autres qui, depuis Aristote, ont dénoncé la perversion de l’argent qui prend la place de toute autre valeur et devient le bien le plus désiré alors qu’il est vide de sens[6]. Presque toujours, l’une des preuves avancées que l’argent corrompt est le fait qu’il achète l’amour et « les plus belles femmes », comme le dit Marx dans les Manuscrits de 44. Ainsi, une femme qui accepte de l’argent se fait agent de la corruption des hommes[7]. En général, elle n’est pas décrite comme un sujet agissant, elle est l’objet de la perversion, les deux sujets étant l’homme qui l’achète et l’argent auquel des pouvoirs sont conférés.

Les femmes ne peuvent accéder au statut de sujet qu’en se débarrassant du soupçon qui naît dès qu’elles semblent trop proches de l’argent. L’appropriation de leur corps est intimement liée à leur appropriation de l’argent, afin que l’argent ne soit plus défini comme un instrument masculin de perversion du corps supposément sacré des femmes. Si les corps et les désirs féminins étaient pensés à égalité avec ceux des hommes, l’idée même de corruption par l’argent disparaîtrait. À l’inverse, si l’accès à l’argent et au marché était équivalent entre hommes et femmes, la nécessité de la marchandisation du corps des femmes diminuerait. Le paradoxe est que lorsque les femmes sont exclues des espaces marchands — ou reléguées dans leurs zones les moins favorables — leur accès à l’argent n’est possible que par l’intermédiaire des hommes, et les condamne aux échanges économico-sexuels, depuis le mariage jusqu’à la prostitution. C’est une certaine forme de sacralisation du corps des femmes qui conduit à ce que leur corps demeure leur instrument d’accès à l’argent.

L’intérêt des sciences sociales pour l’argent ne date pas de la dernière décennie ; toutefois, les travaux sur le sujet se sont récemment multipliés, autour de deux thèmes principaux : les inégalités monétaires et la financiarisation. La mise au jour d’une croissance massive des inégalités monétaires, notamment par Thomas Piketty, a conduit, en effet, à reconsidérer le capital économique qui avait été longtemps tenu à l’écart de la sociologie française[8]. L’autre grand sujet de recherche autour de l’argent est celui de la financiarisation — des échanges, des entreprises et aussi de la vie quotidienne. Ces trois processus ont profondément changé le marché du travail, comme l’organisation de l’argent domestique. La première ambition de cet article étant d’analyser la façon dont ces questions posées à l’argent de façon générale s’appliquent aux femmes, nous traiterons d’abord des inégalités, puis des effets spécifiques de la financiarisation sur les femmes, comme de la façon dont les politiques publiques tentent d’y pallier. Toutefois, les féministes n’ont pas attendu ces travaux pour s’emparer de la question de l’argent. Nous montrerons alors la place que le sujet occupe aux différentes époques de ce mouvement aux multiples figures. Enfin, nous nous intéresserons aux espoirs de transformations induits par la prise en compte de l’argent des femmes dans les politiques publiques.

Au bout du compte, les questions économiques et les questions liées au corps, à l’identité ou à la sexualité sont intrinsèquement liées. Qu’il s’agisse d’argent, de corps, de sexualité ou de subjectivité, l’enjeu essentiel est la possibilité de l’appropriation. Ainsi, parler des femmes et de l’argent, c’est parler de propriété, que l’on se fonde sur des statistiques montrant des inégalités salariales, sur des textes féministes ou sur des projets de comptabilité qui prennent en compte le genre. L’accès à l’égalité monétaire nécessite un détour par une réflexion plus profonde, anthropologique, sur la définition du masculin et du féminin et de leur légitimité différenciée à être propriétaire des choses, d’eux-mêmes ou des autres.

Inégalités et invisibilités

Les inégalités monétaires entre hommes et femmes sont régulièrement documentées. Même si elles diminuent, elles restent massives. Ainsi, en 2017, en moyenne, les femmes salariées dans le secteur privé recevaient, toutes choses égales par ailleurs, un salaire inférieur de 16,8% à celui des hommes. Toutefois, comme les choses ne sont pas égales par ailleurs, le salaire réellement perçu est inférieur de 28,5% à celui des hommes, car les femmes travaillent bien plus souvent à temps partiel. Les écarts se creusent vers le haut de la distribution : les femmes diplômées, celles qui ont les plus hauts revenus et la plus longue expérience professionnelle connaissent les plus grandes disparités avec leurs homologues masculins. En outre, les femmes, qui sont pourtant meilleures élèves tout au long de leur scolarité que les hommes, choisissent les filières universitaires les moins compétitives et les moins rentables sur le marché du travail. La gamme des métiers qu’elles occupent est plus restreinte que celle des hommes et globalement moins rémunérée. Accéder aux 3% d’emplois les mieux rémunérés est deux fois moins probable pour les femmes que pour les hommes. Enfin, la présence d’enfants désavantage les femmes, quand elle avantage les hommes. Ainsi, l’accès des femmes sans enfants au 1% des emplois les mieux rémunérés est 30% inférieur à celui des hommes sans enfants. Le taux est de 60% lorsque l’on compare les mères et les pères[9].

Ces quelques mesures indiquent que la répartition des rôles familiaux classique en anthropologie — les femmes s’occupent de l’intérieur, des enjeux domestiques et les hommes sont tournés vers l’extérieur — irrigue toujours les représentations et les pratiques de la vie économique contemporaine, en sorte que le travail rémunéré continue à être moins favorable aux femmes.

Le patrimoine est lui aussi inégalement réparti. Les données sur le sujet sont plus difficiles à collecter car les statistiques prennent souvent le ménage comme unité de mesure. Toutefois, quelques enquêtes existent. Certaines comparent les patrimoines des hommes et des femmes célibataires, comme Mariko Chang qui montre qu’aux États-Unis le capital moyen détenu par les femmes célibataires n’atteint que 36 % de celui des hommes célibataires[10]. Il est à noter que les célibataires, quel que soit leur sexe, ont systématiquement des patrimoines inférieurs aux couples, et plus encore aux couples mariés. Quelques enquêtes tentent d’indivi­dualiser les patrimoines des membres d’un même ménage et montrent que là aussi, les femmes sont désavantagées. Ainsi, l’écart de patrimoine entre hommes et femmes était en France de 38 % en 2004 et de 37 % en 2010[11].

Quel que soit le pays étudié, les femmes ont des patrimoines inférieurs à ceux des hommes, ce qui est paradoxal car elles vivent plus longtemps et épousent des hommes plus âgés. Les explications avancées sont les suivantes : les revenus inférieurs des femmes sur le marché du travail ralentissent leur accumula­tion d’épargne ; les femmes seraient plus adverses au risque, de sorte qu’elles feraient moins fructifier leur patrimoine (toutefois, cette aversion au risque est sujette à débat, de même que ses conséquences, car elle protège aussi des pertes boursières) ; enfin, les femmes héritent moins que les hommes[12]. Le travail de Céline Bessière et Sibylle Gollac montre en effet le caractère inégal des partages lors des successions et lors des divorces, en particulier lorsque des biens professionnels sont en jeu[13].

Cette répartition inégale de l’argent est une cause et une conséquence du soupçon que génère le gain d’argent par les femmes comme de l’invisibilisation de leurs contributions économiques. La juste rémunération du travail est loin d’être facile à définir, pour les femmes comme pour les hommes. Toutefois, le désir même de reconnaissance financière est inégalement réparti entre hommes et femmes. Ainsi, elles sont plus souvent satisfaites de leur salaire que les hommes, bien que leur rémunération soit inférieure de 25%[14] : leurs dispositions sociales semblent les mener à chercher dans le travail d’autres satisfactions que sa seule compensation monétaire. De ce point de vue, la composition familiale a un effet majeur : si les célibataires hommes et femmes ont des attentes relativement semblables, les hommes en couple ont des attentes bien supérieures à celles des célibataires, quand les femmes en couple ont les mêmes que celles des femmes célibataires. La vieille notion de « salaire d’appoint » pour qualifier le salaire des femmes semble ainsi intériorisée par les représentants des deux sexes[15]. Le salaire des femmes est perçu comme symbolique, son montant importe peu. L’enquête de Christian Baudelot et Delphine Serre prouve que les femmes s’attachent bien davantage que les hommes aux enjeux pratiques du travail, à l’intérêt et à la reconnaissance qu’elles y trouvent, ainsi qu’à l’émancipation qu’il leur procure[16]. Les hommes en revanche perçoivent le travail comme un lieu de pouvoir et d’argent. En outre, les femmes se comparent aux femmes moins payées qu’elles, quand les hommes se comparent à ceux qui gagnent davantage.

Les enseignements de cette enquête font écho aux nombreux travaux qui documentent la sous-reconnaissance du travail du care, c’est-à-dire ces activités de soin aux autres, qu’il s’agisse de soin en tant que tel, aux enfants, aux personnes âgés ou aux malades, ou des qualités d’attention nécessaires à la réalisation de tâches de coordination ou d’assistance. Dans tous les cas, le care et l’attention aux autres ont la double caractéristique d’être avant tout le fait des femmes, et de n’être pas considérés comme des activités à part entière qui mériteraient reconnaissance, encore moins reconnaissance économique. Les concepts de « mondes hostiles » et de « sphères séparées » de Viviana Zelizer sont particulièrement utiles ici : la sociologue américaine décrit la façon dont l’avènement du capitalisme a conduit à ce que la sphère économique s’autonomise en même temps que se construisait une vision de l’espace domestique comme relevant de l’intimité et des sentiments[17]. Paradoxalement, c’est à l’époque où l’argent est devenu de plus en plus présent et nécessaire du fait de la monétarisation des sociétés, que la dimension économique de la famille a été construite comme une pollution de celle-ci. L’idée qu’il ne fallait pas de sentiments dans les affaires, et réciproquement pas de calculs en famille, s’est imposée comme une évidence. La reconnaissance économique du travail des femmes en a été profondément affectée : les tâches domestiques accomplies au sein de la famille n’ont pas été valorisées sur le plan économique, tandis que les femmes recevaient des injonctions de plus en plus pressantes à prendre soin de leur famille devenue « relationnelle » selon les mots d’Émile Durkheim, et imposant de nouvelles normes d’éducation et de couple[18]. L’attention aux autres est le plus souvent perçue comme une qualité naturelle des femmes, et non comme une compétence technique et apprise, encore moins comme un travail. Les demandes de compensation économique pour ce travail sont dès lors objet de soupçon : soupçon de froideur lorsque les femmes délèguent ce travail en payant pour cela d’autres femmes (le plus souvent) ou des institutions ; soupçon de vénalité lorsqu’elles demandent à valoriser financièrement ce qui devrait relever des purs sentiments et d’un don de soi désintéressé.

Il en découle que les emplois liés au care, pourtant très nombreux, sont souvent dédaignés. Ils sont parmi les moins rémunérés et les moins protégés : les personnes qui les occupent sont très souvent à temps partiel, en horaires décalés, multipliant les interventions et soumises à des employeurs qui ne respectent pas toujours leurs droits.

L’invisibilisation de l’apport économique des femmes n’est pas circonscrite aux activités du care. Dans le monde professionnel, elles semblent initialement moins exigeantes que les hommes sur leurs niveaux de rémunération. En parallèle, les hommes signalent davantage leur apport que les femmes, et sont donc en moyenne mieux évalués que leurs collègues féminines, source d’augmentations salariales plus conséquentes et de carrières souvent plus rapides. Ainsi, Karen Ho, dans son travail sur Wall Street a montré comment les jeunes analystes hommes se font davantage valoir auprès des supérieurs hiérarchiques et gravissent plus rapidement les échelons[19]. La littérature sur le sujet évoque souvent des femmes peu enclines à se mettre en avant, à demander des promotions ou des augmentations de salaire, et attribue finalement leur absence de promotion à leur autocensure et leur réticence à prendre des risques. Les chercheurs et chercheuses ajoutent en général que cette autocensure est le fruit de leur éducation[20]. Si ces explications éclairent les processus à l’œuvre, elles n’interrogent que rarement le rapport à l’argent différencié entre hommes et femmes, et l’illégitimité des femmes à avoir leur propre argent, sans oublier, nous dit Laurence Bachmann à la suite de Virginia Woolf, les obstacles qu’elles rencontrent pour s’autoriser à développer une subjectivité propre et la maîtrise de leur destin social[21].

Analyser l’inégalité monétaire avec une perspective féministe ne consiste pas simplement à énoncer des différences chiffrées. Celles-ci prouvent les inégalités, mais ne renseignent pas sur l’inégal sentiment de propriété de l’argent ni sur les usages comme les significations qui accompagnent la possession d’argent. Si ces disparités sont un indice du plus faible accès des femmes au marché et au pouvoir sous toutes leurs formes, elles ne suffisent pas à expliquer l’invisibilisation du travail domestique, du travail du care et du travail émotionnel, ni l’absence de considération de leur valeur économique. La gageure de l’approche féministe est d’utiliser cette description chiffrée sans pour autant endosser des cadres comptables simplificateurs, qui en outre sont binaires. Il s’agit donc d’intégrer la question de la subjectivation, du sens symbolique donné à l’argent, tout en liant ces enjeux à ceux du pouvoir et des rapports de force sociaux, ainsi qu’aux représentations des identités féminines et masculines.

La financiarisation et les nouveaux risques

Pour complexifier encore l’enjeu des inégalités monétaires, il faut les resituer dans l’espace de l’argent contemporain où les logiques de la finance ont pris une place croissante dans le fonctionnement des marchés : la finance est devenue la première source de profit, elle a transformé le monde du travail ainsi que les pratiques budgétaires des ménages, réalité recouverte par l’expression « financiarisation de la vie quotidienne[22] ». La notion de « risk shift » développée par le politiste états-unien Jacob Hacker décrit les multiples déstabilisations que rencontrent les ménages contemporains[23] : le marché du travail est devenu plus instable, les assurances collectives ont été remplacées par des assurances individuelles, l’épargne placée sur des supports financiers est soumise à d’importants risques, quand l’avenir des enfants nécessite des investissements toujours plus importants dans leurs études. Pour le chercheur britannique Paul Langley, ces évolutions conduisent à la constitution d’un « financial subject », c’est-à-dire d’individus dont la subjectivité a été transformée par l’obligation de se mouvoir dans cet espace financiarisé, qui deviennent des entrepreneurs d’eux-mêmes, et acceptent l’instabilité imposée par la domination du secteur financier dans l’économie et la politique comme allant de soi et devant être affrontée individuellement[24].

La financiarisation a eu trois types d’effets sur les femmes, particulièrement visibles lors des crises, celle de 2007 comme les précédentes, qui ont eu sur elles des effets plus graves[25] : aux États-Unis, en effet, elles ont perdu leurs emplois en moyenne plus vite que les hommes. Elles étaient également surreprésentées parmi les détenteurs de crédit subprime, les femmes noires particulièrement. Les réponses publiques à la crise, quand elles prennent la forme de l’austérité et de diminution des aides publiques, pénalisent d’abord les femmes. À l’inverse, lorsque des aides publiques sont apportées en soutien à l’économie, elles sont davantage dirigées vers les secteurs industriels, plus masculins, et moins vers les domaines sanitaires et de l’enseignement par exemple. Le deuxième effet négatif de la financiarisation est une virilisation des pratiques : les normes de la finance sont hypermasculines et également endossées par les femmes qui travaillent dans cet espace[26]. Enfin, la financiarisation de la vie quotidienne fait entrer ces logiques dans les foyers mêmes, et en particulier celles de l’instabilité.

Pour Lisa Adkins, la financiarisation a transformé les risques qui pèsent sur les femmes. À ses yeux, l’enjeu n’est plus tant l’inégalité salariale. La nouvelle ligne d’inégalités est l’instabilité[27]. Il ne faut pas regarder les enjeux d’argent sous la forme de stock et de flux, mais en termes de stabilité et de risques encourus. Pour elle, les femmes souffrent de deux grands maux : les dettes dans lesquelles elles se débattent et qu’elles porteront toute leur vie faute de pouvoir les rembourser, et la moindre capacité qu’elles ont de pouvoir mettre en mouvement [set in motion] leur argent. L’argent des femmes est mis en risque sans qu’il ne puisse profiter des potentialités de gains de la financiarisation. Les travaux d’économistes montrent que les femmes sont plus nombreuses à posséder des dettes de la vie courante, à des taux d’intérêt très élevés, qu’elles ont le plus grand mal à rembourser et portent ainsi indéfiniment leurs créances. À l’inverse, les hommes sont davantage endettés pour des crédits d’investissement, pour des entreprises ou pour de l’immobilier, crédits dont le remboursement est planifié et qui ne déséquilibrent pas les budgets : mieux, ils permettent à terme d’accumuler un patrimoine. Les crédits de la vie courante non seulement ne créent pas de richesse mais portent le risque de mettre en péril les équilibres socio-économiques dans des pays comme les États-Unis où le credit score est essentiel pour accéder au logement, à l’emploi et globalement assurer une insertion sociale[28].

La financiarisation de la vie quotidienne menace parfois la possibilité même de construire un foyer et d’assurer la continuité de sa famille. Les chapitres réunis par Petra Rodik et Marek Mikuš dans leur livre sur la financiarisation des ménages dans les pays d’Europe qu’ils nomment « semi-périphériques », montrent les effets de la libéralisation économique sur les ménages : non seulement les protections collectives ont largement diminué, mais la consommation et l’endettement devenus possibles grâce à la déréglementation bancaire ont conduit les ménages à prendre d’importants risques financiers. Une partie d’entre eux fut acculée à la catastrophe après la crise de 2007-2008, par exemple en Espagne où les familles ne parvenant plus à payer leurs traites étaient expulsées de leurs logements dont la valeur s’était effondrée, tout en restant redevables de leurs dettes faramineuses et impossibles à effacer[29].

Ici encore, traiter de ces questions par une approche féministe conduit à mettre en lumière des processus économiques insuffisamment décrits, alors qu’ils permettent de comprendre la situation spécifique des femmes, par exemple leur endettement supérieur à celui des hommes et leurs protections plus faibles. Mais il s’agit également d’interroger autrement les questions économiques et financières, en tenant compte notamment de l’enjeu reproductif, qui n’est que rarement économicisé, tant il semble lié à l’espace de l’intime, du corps et doit être préservé de la salissure de l’argent. Pourtant, c’est un domaine social traversé d’enjeux économiques et monétaires. En ne le mettant pas en lumière, les politiques mises en œuvre font reposer sur les familles, mais essentiellement sur les femmes du fait de la division sexuelle des tâches, le soin d’assurer les tâches reproductives dans des conditions financières périlleuses. Toutefois, une telle approche risque d’engendrer une réponse uniquement économique, quand la demande féministe est plus large, car elle implique une transformation des rapports de genre. Ces débats traversent fortement le féminisme, qui depuis son origine s’interroge sur l’argent, source conjuguée de libération et d’aliénation, comme Simmel l’a brillamment démontré[30].

Les féminismes et l’argent

Comment les femmes peuvent-elles accéder à l’argent et l’utiliser comme bon leur semble ? Les féministes de la fin du XIXe siècle soulevaient déjà le problème : alors que le modèle du breadwinner s’impose, selon lequel l’homme gagne de l’argent à l’extérieur du foyer quand son épouse s’occupe des tâches domestiques, avoir accès à l’argent gagné par son mari est une gageure. Viviana Zelizer cite les courriers des lectrices des magazines féminins de l’époque regorgeant de conseils sur les meilleurs moments et la meilleure façon de demander de l’argent à son mari. L’une des revendications est d’obtenir une allocation mensuelle, afin que les femmes n’aient pas à justifier chacune de leurs dépenses et à solliciter en permanence leurs époux dont elles sont dépendantes économiquement[31].

Il est socialement acquis, au XIXe siècle comme à l’époque contemporaine, que celui qui a gagné l’argent (le père ou le mari) en est propriétaire et peut le partager selon son bon vouloir. Des enquêtes menées ces dernières décennies montrent que lorsque les femmes ne reçoivent pas de salaires, elles utilisent peu l’argent mis à leur disposition pour leurs dépenses personnelles, alors que les hommes sont bien plus enclins à utiliser pour eux-mêmes « leur » argent, qui leur appartient car ils l’ont gagné sur le marché du travail[32]. Lorsque les femmes gagnent leur vie, l’écart s’estompe mais persiste[33].

Il est intéressant de comparer les usages et les sentiments vis-à-vis de l’argent des hommes et des femmes, y compris lorsque les femmes gagnent leur propre argent. L’autonomie est au cœur du lien féminin avec l’argent, bien avant le pouvoir : autonomie dans le fait d’en gagner, dans la façon de le dépenser et au-delà dans la possibilité de faire des choix personnels et professionnels. Laurence Bachmann, dans son ouvrage De l’argent à soi, indique un paradoxe intéressant : les injonctions de la psychologie au « souci de soi » et à l’épanouissement individuel estompent la domination masculine et les inégalités économiques[34].

Si l’on voulait tracer à grands traits la façon dont ce qu’il est convenu d’appeler les trois vagues du féminisme ont théorisé les liens entre les femmes et l’argent, on pourrait considérer que la première vague, qui s’étend de la fin du XIXe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale, s’est concentrée sur l’enjeu de l’accès même à l’argent et sur l’obtention de droits, comme la loi de 1907 qui autorise les femmes à disposer librement de leurs salaires[35] — il faudra toutefois attendre 1965 pour que les femmes mariées aient le droit d’exercer une activité professionnelle et d’ouvrir un compte en banque sans demander le consentement de leur époux. La période de la révolution industrielle et de la monétarisation a vu la séparation du domestique et de l’économique, et les femmes être cantonnées à la première « sphère[36] ». Les féministes d’alors luttent pour ne plus être écartées ni de la vie publique ni de la vie économique. En France, comme dans de nombreux pays où des luttes similaires ont été menées, les droits des femmes sont limités par le code civil de 1804 qui fait de la femme une mineure. Huber-tine Auclert est l’une des grandes figures de ce féminisme luttant contre la famille napoléonienne, notamment à travers les enjeux économiques. Ainsi, elle refusa de payer ses impôts en 1880, considérant que les hommes devaient avoir le privilège de payer les taxes qu’ils avaient le privilège de décider. Hubertine Auclert dénonçait la dépendance économique des femmes vis-à-vis de leurs maris, source de pauvreté pour celles-ci, mais également source de perversion pour les deux sexes : les hommes sont transformés en chasseurs de dot et les femmes achètent leurs maris[37]. Elle s’insurge contre l’impossibilité faite aux femmes de travailler, qui les oblige à trouver un « nourrisseur », dont elles sont dépendantes car leurs besognes domestiques ne sont pas payées : « les femmes célibataires et les veuves ont beau laver leur parquet et cirer leurs meubles, ça ne fait pas venir le pain à la maison[38] ». Les féministes de l’époque tracent un lien direct entre le statut juridique et civique inférieur des femmes et leur subordination économique. Comme le souligne Geneviève Fraisse, le XIXe siècle est un moment de disjonction profonde entre hommes et femmes, les premiers dénoncent l’asservissement par le travail quand les secondes expérimentent la liberté dans le travail salarié[39].

La seconde vague du féminisme, celle des années 1960 et 1970, qui voit en France la création du Mouvement de libération des femmes (MLF), a poursuivi la question de l’indépendance des femmes vis-à-vis des hommes, mais dans un contexte différent où les femmes étaient massivement entrées dans le salariat. Les féministes luttaient alors pour que les femmes disposent librement de leur corps. Du côté des enjeux économiques, l’inégalité entre hommes et femmes était réfléchie dans l’espace domestique comme dans celui du travail. Le féminisme matérialiste appliquait les cadres de la pensée marxiste aux rapports hommes-femmes et exposait les liens structurels entre les deux formes d’exploitation. Christine Delphy a montré l’alliance entre le patriarcat et le capitalisme[40] : les femmes sont d’abord exploitées dans l’univers domestique, où elles produisent un travail gratuit que le chef de famille s’approprie. Il ne s’agit pas d’une division du travail mais bien d’une « hiérarchie du travail ». Delphy insiste sur la nécessité de qualifier les activités domestiques de travail, elle soulignera plus tard que ce qu’elle a appelé le travail ménager n’avait pas été théorisé ainsi jusque-là[41]. L’exploitation des femmes est toutefois double, car à celle du travail domestique il faut ajouter celle du travail salarié. Les deux exploitations sont imbriquées : le meilleur traitement des hommes sur le marché du travail leur permet d’obtenir du travail gratuit à la maison au nom de la division des tâches, et à l’inverse, le travail domestique des femmes est un argument des employeurs pour les désavantager. L’une des solutions a consisté à économiciser le travail domestique, en cherchant à mesurer son coût s’il était accompli dans l’espace marchand. Il s’agit d’appliquer les normes dominantes dans un objectif d’émancipation. Ainsi, cette deuxième vague du féminisme exige l’égalité dans les tâches domestiques comme dans l’accès au marché du travail.

La troisième vague du féminisme, qui commence dans les années 1980, est sans doute la moins homogène. Elle semble parfois avoir délaissé les enjeux économiques, pour s’intéresser davantage aux enjeux normatifs et réfléchir à la façon dont le genre est performé : comment il peut être contrarié ou s’incarner dans des identités multiples[42]. Si l’accès à la subjectivité autonome était déjà réclamé dans la seconde vague du féminisme (que l’on pense au Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir qui, dès 1949, décrit par le menu la difficulté des femmes à se constituer comme sujet), cette demande est encore renforcée. Cette troisième vague a également dénoncé la précédente comme étant celle d’un féminisme blanc et bourgeois, et a rejeté l’idée d’un féminisme universel pour penser des situations spécifiques[43]. Pour autant, les enjeux économiques et l’argent ne sont pas absents de ces mouvements. D’abord parce que l’inégalité matérielle reste un fondement de multiples situations, et notamment celle des femmes non-blanches — dont l’exploitation est dénoncée, y compris lorsqu’elle vient de femmes de classe moyenne blanche. Mais au-delà, il est intéressant d’analyser la façon dont la subjectivation de genre s’applique à l’argent. Ainsi, les féministes ne demandent plus seulement l’égalité d’accès au marché du travail et des salaires égaux, mais revendiquent également des modalités d’organisation économique qui ne reproduisent pas les façons masculines de produire et de gagner de l’argent. Elles reprochent parfois aux féministes de la deuxième vague d’avoir encouragé les femmes à endosser les valeurs de compétition et d’appât du gain capitalistes, associées au masculin[44]. Le féminisme de la troisième vague s’attaque aussi à des formes de valorisation de l’« empowerment » des femmes qui peuvent conduire à faire de la féminité un objet et un sujet de consommation, en étudiant notamment la publicité, et la façon dont s’y incarne un « girl power » à travers des figures stéréotypées de jeunes femmes censées assumer leur liberté, leur féminité et leur sexualité, celles-ci faisant peser en réalité de nouvelles contraintes et devenant même une entrave au développement d’une subjectivité autonome[45]. Sophie Pochic quant à elle nomme « féminisme de marché » les initiatives des entreprises pour l’égalité entre hommes et femmes, comme la féminisation des conseils d’administration ou l’attention à l’égalité des carrières et des rémunérations. Il s’agit à ses yeux d’une néolibéralisation de la cause des femmes, qui ne porte aucune dimension critique sur le capitalisme ; en sélectionnant quelques élues, cette tendance reproduit les inégalités sociales de l’espace marchand, son élitisme, et ne concourt en rien à l’amélioration de la situation de l’ensemble des femmes[46].

Il s’agit désormais de penser des façons féminines d’organiser les liens économiques : l’objectif n’est pas de rester dans la même compétition en l’aménageant à la marge pour que plus de femmes en sortent victorieuses, mais de changer de modèle. C’est le cas de l’écoféminisme, terme et pensée forgés en 1974 par Françoise d’Eaubonne, qui a gagné en visibilité au début du XXIe siècle ; ce courant entend allier approches féministes et écologiques en luttant, par exemple, contre l’extractivisme et l’exploitation des richesses de la terre pour l’enrichissement infini de l’homme (entendu ici au sens masculin).

Ce découpage en vagues peut conduire à opposer des périodes. Si des différences sont réelles entre ces époques, certaines régularités sont cependant notables : les féministes dénoncent l’assignation des femmes à l’univers domestique. L’argent n’y est pas absent, mais il y est non-marchand, de sorte que pour y accéder, les femmes sont dépendantes des hommes (pères, maris, enfants), qui eux sont autorisés à accéder à l’argent de l’espace marchand et en acquièrent le droit de décider de sa répartition au sein de leur ménage. Qu’il s’agisse de dénoncer l’accès à l’argent, les inégalités ou les normes de genre que les usages et représentations de l’argent charrient, en souhaitant participer à l’espace marchand dominant ou au contraire en proposant d’autres modalités d’échanges économiques, dans tous les cas, il s’agit pour les femmes de s’émanciper et de se constituer comme des sujets autonomes ; à chaque époque, le lien avec l’argent fait partie du combat.

La lutte pour devenir propriétaire de son argent est profondément liée à la lutte pour la propriété de son corps et l’analyse de la prostitution est extrêmement importante pour comprendre le cadre social de l’argent des femmes. La prostitution est la figure de la dégradation des femmes par l’argent, tout en étant aussi l’unique solution des femmes privées à la fois de protecteur et d’accès au marché du travail. La prostitution porte aussi l’image négative de rapports sexuels entre un client et un ou une prestataire, par opposition à ceux considérés comme choisis entre personnes égales. Pourtant, toutes les recherches sur la sexualité montrent la complexité des rapports entre le pouvoir, l’argent et les rapports sexuels : l’inégalité économique entre les partenaires, y compris lorsqu’ils sont mariés, se transmue fréquemment en rapport de pouvoir sexuel. Gloria Gonzalez-Lopez relate par exemple les paroles d’une travailleuse mexicaine du sud des États-Unis, qui affirme que depuis qu’elle gagne son propre argent, elle peut refuser à son mari des rapports sexuels dont elle n’a pas envie[47]. Paola Tabet parle d’un continuum des échanges économico-sexuels pour signifier que tant que les femmes sont économiquement affaiblies, l’échange amoureux entre hommes et femmes ne peut être un échange entre égaux, qu’il soit officiellement tarifé ou sacralisé par les liens conjugaux[48]. La pleine participation à la vie économique, à l’égal de celle des hommes, est un préalable à la libération sexuelle des femmes et leur véritable liberté de choix.

Le partage de l’argent public

Si la demande d’argent à soi est constante, un autre thème, peut-être moins visible mais tout aussi présent du combat féministe, porte quant à lui sur le partage équitable de l’argent public entre hommes et femmes. La revendication de droits civiques au XIXe siècle avait une dimension économique : pouvoir voter et être élues signifiait participer aux choix de dépense de l’argent public.

Une première façon d’entrer dans les dépenses publiques a consisté à souligner les conceptions de genre incorporées dans les modèles d’États-providence. Les nombreux travaux menés depuis les années 1980 ont d’abord démontré que la plupart des État-providence sont fondés sur une conception genrée de la famille, avec un homme « gagne-pain », titulaire des droits sociaux et marié à une femme s’occupant du foyer et dont les droits sont dépendants de son lien conjugal. Il s’est agi également de prouver que les hommes bénéficient davantage de droits assurantiels quand les femmes sont souvent cantonnées à des prestations relevant de l’assistance, impliquant le regard normatif des institutions, l’interrogation récurrente sur leur mérite et également le risque de l’arbitraire dans l’accès aux droits.

De fait, l’organisation des prestations sociales dans l’État-providence renforce parfois la séparation genrée des rôles, faisant en sorte que l’ensemble des ressources économiques soient propriété du chef de ménage, concevant la famille comme un tout sans observer ce qui se passe réellement en son sein, et enfin, ne permettant pas la participation équivalente des femmes au marché du travail. Des travaux comparatistes sur l’État-providence ont cherché à mettre en évidence les différents modèles d’organisation du triptyque État, famille et marché en y intégrant des critères de genre[49]. En particulier, celui des possibilités d’accès des femmes au marché du travail. Nathalie Morel souligne que le travail des féministes a conduit à ce que même les auteurs les plus classiques, Gøsta Esping-Andersen[50] en tête, ne puissent plus écrire sur l’État-providence sans tenir compte des enjeux de genre, en considérant que les modes de garde et leur financement, comme les incitations aux partages des tâches, faisaient partie des critères d’analyse des modèles d’État-providence[51].

Une façon de dévoiler l’inégalité de genre dans les politiques publiques a été de s’intéresser aux bénéficiaires des dépenses de l’État. Par le concept d’« État-providence caché », Christopher Howard attire l’attention sur le fait que le débat public se concentre sur les dépenses sociales « visibles » quand il en existe d’invisibles, aux montants bien plus conséquents, qui passent non par des transferts d’argent mais par des exonérations fiscales[52]. Cela lui permet, dans le cas états-unien notamment, de mettre en regard le montant des prestations sociales, débattues, dont les récipiendaires font parfois l’objet de stigmatisations, et les exonérations fiscales consenties aux emprunteurs de crédit immobilier comme aux épargnants qui investissent pour leur retraite : de telles mesures n’apparaissant pas comme des aides, leurs bénéficiaires ne souffrent pas d’illégitimité. En 1995, lorsque la première édition de l’ouvrage paraît, les exonérations fiscales pour la retraite et les intérêts de crédits immobiliers s’élevaient à 120 milliards de dollars, quand l’addition des prestations versées aux familles pauvres avec enfants et de l’aide alimentaire atteignait 43 milliards. Or, ces différentes dépenses ne sont pas réparties équitablement entre hommes et femmes. Pour Mariko Chang, c’est l’une des raisons de l’inégalité de patrimoine entre hommes et femmes : la constitution du patrimoine des plus riches, davantage masculin, est subventionnée quand les plus pauvres, avant tout des femmes, sont stigmatisés et se voient imposer des contraintes toujours plus importantes pour recevoir les aides sociales[53].

Ces analyses ont conduit à la mise en place de chiffrages des budgets publics en termes de genre. La philosophie de ces chiffrages n’est donc pas de déconstruire le rôle de l’argent dans la société ni des rapports de genre. Elle suggère de prendre au sérieux les outils devenus les plus centraux du pilotage des politiques publiques tout comme la division sexuelle des rôles sociaux, l’accès inégal aux différents emplois ou les usages différenciés de l’espace public. Le gender budgeting est utilisé par les organisations internationales depuis le début du XXIe siècle, notamment le FMI et l’OCDE, et promu par le Conseil de l’Europe afin de faire avancer l’égalité entre les hommes et les femmes grâce au changement de regard sur les dépenses publiques. L’objectif est double : il s’agit de faire apparaître l’inégalité de genre dans les dépenses publiques, qui jusqu’alors étaient perçues comme neutres du point de vue du genre, et d’inciter les États à penser leurs dépenses en se souciant précisément d’améliorer l’égalité. C’est l’un des instruments envisagés pour atteindre le gender mainstreaming, que l’on traduit par « approche intégrée de l’égalité », prôné par les organisations internationales, et à laquelle les États membres de l’ONU se sont engagés à la 4e conférence mondiale des Nations unies sur les femmes en 1995[54]. Selon cet engagement, toute politique publique doit désormais intégrer les enjeux d’égalité des sexes. Il s’agit aussi, comme son nom l’indique, de faire en sorte que ces enjeux ne soient pas pris en compte seulement par les « spécialistes » de la question mais par l’ensemble des acteurs publics. L’égalité ne doit pas être seulement portée par des secrétariats d’État aux droits des femmes mais aussi par les divers ministères de l’Économie et des Finances, à la puissance financière incomparable.

En France, la charte pour l’égalité de 2004, puis la LOLF en 2006[55] indiquent que les politiques publiques doivent prendre en compte l’égalité entre hommes et femmes dans leur conception comme dans leur mise en œuvre. Les mesures restent souvent au stade de la sensibilisation, avec notamment une annexe budgétaire au projet de loi de finances depuis 2001, intitulée « Égalité entre les hommes et les femmes », qui décrit les actions menées par chaque ministère en faveur de l’égalité, qu’elles soient destinées aux femmes ou prenant la forme de formation ou de communication sur les enjeux d’égalité des sexes[56]. Il ne s’agit toutefois pas de gender budgeting car cette annexe ne vise pas à dé-neutraliser les dépenses publiques non spécifiquement perçues comme liées à la question du genre. Toutefois, l’engagement public en faveur des budgets « sensibles au genre » s’est un peu approfondi dans la décennie suivante.

Le centre Hubertine Auclert (l’organisme de la région Île-de-France qui promeut l’égalité hommes-femmes) a proposé un guide à usage des collectivités locales, destiné à mettre en place une budgétisation sensible au genre en s’interrogeant de façon concrète et située sur les effets de genre des politiques financières[57]. Par exemple, les terrains de football sont plus fréquentés par les hommes et les bibliothèques par les femmes. S’il faut travailler sur davantage de mixité dans les activités, il importe également tenir compte des pratiques effectives. La secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes a demandé en 2017 un rapport au Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes sur la budgétisation intégrant l’égalité femmes-hommes. Le rapport fait mention notamment d’une ville de Haute-Garonne qui s’est aperçue qu’elle subventionnait davantage les sports masculins que les sports féminins ; il pointe encore la surreprésentation des hommes parmi les bénéficiaires de la dotation jeunes agriculteurs (DJA). Le rapport propose une expérimentation pour réfléchir à l’égalité « au premier euro » et faire de l’égalité femmes-hommes un critère de validité des documents budgétaires. La direction du Trésor a publié, à son tour, une note sur la question en 2019, récapitulant les initiatives françaises : depuis 2010, un document sur les politiques d’égalité accompagne le projet de loi de finances ; depuis 2012, le droit des femmes doit être systématiquement pris en compte dans les projets de loi, mais la loi de 2014 est la plus avancée, puisqu’elle impose la prise en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes dans la mise en place des politiques publiques et des formes de gender budgeting aux collectivités locales. Les initiatives restent toutefois très limitées. Dans le projet de loi de finance 2020, deux indicateurs liés au genre ont été inclus : « la part des familles monoparentales allocataires du RSA sans emploi, qui reprennent une activité et accèdent à la prime d’activité » et « la part des femmes allocataires de la prime d’activité qui ouvre le droit à une bonification », façon timide de faire entrer les enjeux de genre, cantonnés en outre aux aides à apporter aux femmes, plutôt qu’à leur intégration dans le marché du travail par exemple, reprenant donc les dichotomies classiques.

En 2021, plusieurs municipalités nouvellement élues ont proposé des budgets genrés. La ville de Lyon, par exemple, a promis d’acheter autant de places pour les matchs de football de son équipe féminine que pour son équipe masculine. De même, les subventions devront être conditionnées à des engagements d’équilibre de genre. Plus globalement, l’espoir est que l’outil financier serve à faire avancer l’égalité, en la démontrant par des chiffres et des indicateurs.

Mettre en œuvre ces politiques implique de leur prêter une capacité de transformation. Le débat a été vif autour de la notion de gender mainstreaming, à qui il a été reproché des réalisations faibles, limitées à de la sensibilisation sur le sujet, mais aussi de se contenter d’ajouter un objectif louable d’égalité sans changer des structures socio-économiques masculines[58].

Les femmes sont souvent la cible de politiques publiques, notamment dans l’espace du développement. Il n’est donc pas étonnant que les organisations internationales comme l’OCDE ou le FMI soient les instigatrices du gender mainstreaming. Leurs logiques sont marchandes, et c’est au nom de celles-ci qu’elles soutiennent des politiques en faveur des femmes, en utilisant les arguments du capitalisme pour justifier de mener des politiques sociales. Par exemple, la notion de capital humain motive le développement de l’éducation, les politiques sanitaires voire une législation contre les violences faites aux femmes. En parallèle, pour ces organisations, la participation des femmes au marché est perçue comme un outil majeur de leur émancipation, elles ont notamment beaucoup encouragé le microcrédit, qui cible les femmes en priorité.

Le risque de cette approche par le marché est de se focaliser sur les manques des femmes et de ne pas chercher à transformer les structures socio-économiques. C’est notamment le cas des programmes d’éducation financière développés depuis une vingtaine d’années, sous l’égide notamment de l’OCDE, qui définissent des vulnérabilités issues de manques de compétences ou de pratiques monétaires à réformer. Leur pari est d’améliorer les situations financières des personnes non par des transferts d’argent mais par la transmission d’information et des outils comportementaux destinés à changer les comportements[59]. Les femmes constituent l’une des cibles importantes de ces programmes, selon des arguments qui ne reprennent pas le soupçon d’impureté mais combinent les deux caractéristiques de manque et d’incompétence, sans forcément les distinguer et en les liant parfois (l’incompétence financière devenant l’une des causes de la pauvreté des femmes).

L’aspect dépolitisé des politiques d’éducation financière fondées sur des approches comportementales permet de mesurer les limites des approches par l’empowerment qui renvoient à des compétences et des mérites individuels, faisant reposer l’amélioration des situations sur les personnes sans s’attacher à la transformation des structures.

Conclusion : économiciser le genre ?

Ce tour d’horizon des soupçons pesant sur les liens des femmes avec l’argent laisse entrevoir les liens entre les imputations d’impureté, d’incompétence et de manque. Le premier a conduit à tenir les femmes éloignées de l’argent, à les maintenir dans un état de dépendance et de pauvreté potentiel, tout en nourrissant un imaginaire selon lequel les femmes n’auraient pas les capacités pour gérer l’argent.

Les féministes ont mis en lumière ces processus pernicieux et cherché à lutter contre. Toutefois, faut-il utiliser l’outil de l’oppresseur ? Faut-il économiciser le genre ? La budgétisation par le genre et le gender mainstreaming sont des moyens de faire apparaître les enjeux économiques des politiques publiques et d’entraîner des changements. Ils risquent cependant d’invisibiliser les structures sociales qui portent ces différences et de se contenter de les aménager sans chercher à les transformer. En outre, ils risquent de réifier des dépenses et investissements qui seraient étiquetés comme masculins ou féminins. Ainsi, une bibliothèque doit-elle être toujours considérée comme un investissement à destination des femmes ?

La recherche sur ces sujets nécessite d’être poursuivie dans deux directions, au moins : d’abord, l’analyse des politiques publiques par le genre est un nouvel objet, et mériterait d’être étendue à de nombreuses questions. À l’heure actuelle, le budget de l’État français n’applique cette méthode que parcimonieusement et sur des questions relatives aux allocataires du RSA. Pour ne pas circonscrire la description du lien des femmes à l’argent au manque, il conviendrait d’étendre les budgétisations par le genre à l’ensemble des politiques publiques, qu’elles concernent les ministères de la Justice, de l’Éducation ou de la Transition écologique. Cet approfondissement du travail permettrait également d’interroger sous l’angle du genre des espaces sociaux où cette question n’est pas encore construite comme problème central.

La recherche doit également s’efforcer de mieux comprendre la façon dont l’émancipation des femmes est susceptible de transformer leurs liens à l’argent. Est-ce que les soupçons s’estompent ? Est-ce qu’ils sont réincarnés sous une apparence de souci des femmes, comme c’est le cas dans les politiques d’éducation financière (financial literacy) ? Dans quelle mesure ces soupçons persistent-ils dans les socialisations différenciées des hommes et des femmes, et à quel moment s’expriment-ils ?

Si l’argent se compte à travers des catégories comptables parfois trop simples et fermées, il s’inscrit dans une histoire longue, dans des représentations et des valeurs morales qui sans être figées irriguent nos conceptions contemporaines. Mettre au jour les inégalités monétaires entre hommes et femmes est indispensable mais c’est une première étape, car l’argent ne se réduit pas aux enjeux de flux. Les enquêtes existantes et dont la poursuite nous paraît essentielle montrent que les pratiques monétaires des femmes et des hommes comme leur sentiment de légitimité à posséder divergent, elles laissent deviner l’épaisseur sociale et anthropologique qui sous-tend ces différences et les entretient.

Continuer d’accumuler des connaissances sur cette histoire longue, sur les multiples pratiques monétaires, sur la façon dont les représentations genrées des rôles sociaux s’incarnent dans les flux d’argent implique avant tout que la recherche elle-même ne se fasse pas l’écho du soupçon d’impureté qui pèse sur les liens entre femmes et argent. La question pourra alors être abordée de front et il deviendra possible de mettre au jour ces soupçons, d’apprendre à les reconnaître lorsqu’ils effleurent afin de les mettre à l’écart de nos écrits comme de notre monde social.

 

[1] En France, les femmes ne peuvent travailler et ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de leur mari que depuis 1965.

[2] Giacomo Todeschini, La Richesse franciscaine. De la pauvreté volontaire à la société de marché, Paris, Verdier, 2008.

[3] Viviana Zelizer, The Purchase of Intimacy, Princeton et Oxford, Princeton University Press, 2005.

[4] Sylvie Schweitzer, Les Femmes ont toujours travaillé. Une histoire du travail des femmes aux XIXe et XXe siècles, Odile Jacob, 2002.

[5] Norbert Elias, La Société de cour, Paris, Flammarion, 2008.

[6] Georges Bataille, « La notion de dépense », La critique sociale, n° 7, 1933, p. 7-15

[7] Karl Marx, Manuscrits de 1844, Paris, Flammarion, 1999.

[8] Damien de Blic et Jeanne Lazarus, Sociologie de l’argent, La Découverte, 2021 ; Jeanne Lazarus, « Les pauvres et la consommation », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 91, 3, 2006.

[9] Toutes les données présentées dari_ ce paragraphe sont issues de « Écarts de rémunération femmes-hommes : surtout l’effet du temps de travail et de l’emploi occupé », Insee Première, n° 1803, juin 2020.

[10] Mariko Chang, Shortchanged: Why Women Have Less Wealth and What Can Be Done About It, nouvelle édition, New York, Oxford, Oxford University Press, 2012

[11] Carole Bonnet, Alice Keogh et Benoît Rapoport, « Quels facteurs pour expliquer les écarts de patrimoine entre hommes et femmes en France ? », Économie et Statistique, n° 472-473, 2014.

 

[12] ibid.

[13] Céline Bessière et Sibylle Gollac, Le Genre du capital, La Découverte, 2020.

[14] Christian Baudelot et Delphine Serre, « Les paradoxes d’une satisfaction », Travail, genre et sociétés, n° 15,1, 2006.

[15] Laura Lee Downs, « Salaires et valeur du travail », Travail, genre et sociétés, n° 15,1, 2006.

[16] Baudelot et Serre, « Les paradoxes d’une satisfaction », art. cit.

[17] Zelizer, The Purchase of Intimacy, op. cit.

[18] Le terme de « famille relationnelle » signifie que priment les liens entre les personnes plutôt que les liens « qui dérivaient des choses ».

« Nous ne sommes attachés à notre famille que parce que nous sommes attachés à la personne de notre père, de notre mère, de notre femme, de nos enfants. Il en était tout autrement autrefois où les liens qui dérivaient des choses primaient au contraire ceux qui venaient des personnes, où toute l’organisation familiale avait avant tout pour objet de maintenir dans la famille les biens domestiques, et où toutes les considérations personnelles paraissaient secondaires à côté de celle-là. »

Émile Durkheim, « La famille conjugale », cours de 1892, Revue philosophique, 1921, repris dans Émile Durkheim, Textes III, Éditions de Minuit, Paris, 1975.

[19] Karen Ho, Liquidated: An Ethnography of Wall Street, Durham, Duke University Press, 2009.

[20] Bonnet, Keogh et Rapoport, « Quels facteurs », art. cité.

[21] Ibid.

[22] Natascha van der Zwan, «  Making sense of financialization », Socio-Economic Review, n°12-1, 2014, p. 99-129.

[23] Jacob S. Hacker, The Great Risk Shift: The New Economic Insecurity and the Decline of the American Dream, Oxford, Oxford University Press, 2006.

[24] Paul Langley, The Everyday Life of Global Finance: Saving and Borrowing in Anglo-America, Oxford, Oxford University Press, 2008.

[25] Pour une analyse détaillée, voir Signe Predmore, « Feminist and Gender Studies Approaches to Financialization », in Philip Mader, Daniel Mertens et Natascha van der Zwan, The Routledge International Handbook of Financialization, Londres, New York, Routledge, 2020.

[26] Pour une description des normes viriles dans le monde de la finance, voir Horacio Ortiz, Valeur financière et vérité. Enquête d’anthropologie politique sur l’évaluation des entreprises cotées en bourse, Paris, Presses de Sciences Po, 2014.

[27] Lisa Adkins, « What Can Money do? Feminist Theory in Austere Times », Feminist Review, n°109-1, 2015, p. 31-48.

[28] Marion Fourcade et Kieran Healy, « Classification situations: Life-chances in the neoliberal era », Accounting, Organizations and Society, n° 38-8, 2013, p. 559-572 ; Barbara Kiviat, « The art of deciding with data: evidence from how employers translate credit reports into hiring decisions », Socio-Economic Review, n°17-2, 2019, p. 283-309.

[29] Petra Rodik et Marek Mikuš (dir.), Households and Financialization in Europe: Mapping Variegated Patterns in Semi-Peripheries, Londres, Routledge, 2021.

[30] Georg Simmel, Philosophie de l’argent, Paris, PUF, 2014.

[31] Viviana Zelizer, La Signification sociale de l’argent, Paris, Seuil, 2016.

[32] Gail Wilson, Money in the Family: Financial Organisation and Women’s Responsibility, Avebury, Gower Publishing 1987 ; Carole B. Burgoyne, « Money in Marriage: How Patterns of Allocation Both Reflect and Conceal Power », The Sociological Review, n° 38, 4, 1990 ; Vivienne Elizabeth, « Managing Money, Managing Coupledom: A Critical Examination of Cohabitants Money Management Practices », The Sociological Review, n° 49, 3, 2001; Carolyn Vogler, Clare Lyonette, et Richard D. Wiggins, « Money, Power and Spending Decisions in Intimate Relationships », The Sociological Review, n° 56,1, 2008.

[33] Sara Cantillon, «  Measuring Differences in Living Standards Within Households  », Journal of Marriage & Family, n° 75-3, 2013, p. 598-610.

[34] Laurence Bachmann, De l’argent à soi. Les préoccupations sociales des femmes à travers leur rapport à l’argent, Rennes, PUR, 2009.

[35] Florence Rochefort, « À propos de la libre-disposition du salaire de la femme mariée, les ambiguïtés d’une loi (1907) », Clio. Femmes, Genre, Histoire, n° 7,1998.

[36] Zelizer, The Purchase of Intimacy, op. cit.

[37] Nous renvoyons à trois textes d’Hubertine Auclert sur l’argent publiés dans son journal La Citoyenne en 1881 et reproduits dans Damien de Blic et Jeanne Lazarus, Contre l’argent fou. Une anthologie, Paris, Le Monde (Les Rebelles), 2012.

[38] Hubertine Auclert, « La situation économique des femmes », La Citoyenne, n° 24, 24 juillet 1881.

[39] Geneviève Fraisse. « Des conditions de l’égalité économique », Travail, genre et sociétés, vol. 1, n°1,1999, p. 147-155.

[40] Christine Delphy, « L’ennemi principal », Partisans, n°. 54-55, juill.-oct.1970, p.157-172.

[41] Christine Delphy, « Par où attaquer le « partage inégal » du « travail ménager » ? », Nouvelles Questions Féministes, vol. 22-3, 2003, p. 47-71.

[42] Judith Butler, Trouble dans le genre, Paris, La Découverte, 2006.

[43] Hazel Carby, « White Woman Listen! Black Feminism and the Boundaries of Sisterhood », CCCS Selected Working Papers, Londres, Routledge, 2007, p. 753-774.

[44] Adkins, « What Can Money do? », art. cit.

[45] Ellen Riordan, « Commodified Agents and Empowered Girls: Consuming and Producing Feminism », Journal of Communication Inquiry, n° 25-3, 2001, p. 279-297.

[46] Sophie Pochic, « Féminisme de marché et égalité élitiste ? », in Margaret Maruani (dir.), Je travaille, donc je suis. Perspectives féministes, Paris, La Découverte, 2018, p. 42-52.

[47] Gloria Gonzalez-Lopez, Erotic Journeys: Mexican Immigrants and Their Sex Lives, Berkeley, University of California Press, 2005.

[48] Paola Tabet, La Grande Arnaque : Sexualité des femmes et échange économico-sexuel, Paris, L’Harmattan, 2004.

[49] Ann Shola Orloff, « Gender and the Social Rights of Citizenship: The Comparative Analysis of Gender Relations and Welfare States », American Sociological Review, n° 58, 3, 1993 ; Diane Sainsbury (dir.)., Gender and Welfare State Regimes, Oxford, Oxfort University Press, 1999.

[50] Sociologue danois spécialiste des inégalités sociales et des États-providence.

[51] Gøsta Esping-Andersen, The Three Worlds of Welfare Capitalism, Cambridge, Polity Press, 1989 ; Nathalie Morel, « Le genre des politiques sociales. L’apport théorique des « gender studies » à l’analyse des politiques sociales », Sociologie du travail, vol. 49-n°3, 2007.

[52] Christopher Howard, The Hidden Welfare State: Tax Expenditures and Social Policy in the United States, Princeton, Princeton University Press, 1999.

[53] Chang, Shortchanged, op. cit

[54] Sandrine Dauphin and Réjane Sénac, « Gender mainstreaming : analyse des enjeux d’un « concept-méthode », Cahiers du Genre, n°44,1, 2008.

[55] La loi organique relative aux lois de finance (LOLF) établit les règles des lois de finance. Elle réforme en profondeur les règles de la gestion publique, en instaurant notamment une budgétisation axée sur la performance, une gestion par indicateurs de performance qui ont aussi pour objectif d’améliorer la transparence des dépenses et de l’action de l’État. Cette loi de 2006 est considérée comme l’un des grands leviers du passage de la France au « nouveau management public » (voir Philippe Bezes, « Le renouveau du contrôle des bureaucraties », Informations sociales, n°126-6, 2005, p. 26-37).

[56] Sandrine Dauphin, « Promotion de l’égalité des sexes en France : continuité et rupture », Cahiers du Genre, n°44,1, 2008.

[57] Centre Hubertine Auclert, La budgétisation sensible au genre, guide pratique, Paris, Centre Hubertine Auclert, 2015.

[58] Voir par exemple Diane Sainsbury et Christina Bergqvist, « Gender mainstreaming « à la suédoise » », Cahiers du Genre, n° 44,1, 2008.

[59] Jeanne Lazarus, « Gouverner les conduites par l’éducation financière : l’ascension de la financial literacy », in Sophie Dubuisson-Quellier (dir.), Gouverner les conduites, Paris, Presses de Sciences Po, 2016, p. 93-125.