Sportive de haut niveau et mère – Chloé Ripert

Lien vers la brochue en pdf : Sportive de haut niveau et mère

Lien vers la tribune sur Le monde

Texte de la brochure :

La gestion de la maternité, avant, pendant et après, reste souvent un sujet de frictions. En témoignent les tests de grossesse pratiqués par un club de handball sans le consentement des joueuses.

« Quand j’ai annoncé ma grossesse, on m’a dit « Ah bon, tu arrêtes ta carrière ? » J’expliquais que non, je faisais une parenthèse, mais on m’a fait comprendre que je ne reviendrai jamais. » Mélina Robert-Michon, lanceuse de disque, vice-championne olympique en 2016, a eu son premier enfant en 2010 à 31 ans. Elle avait prévu de reprendre la compétition ensuite. Son récit témoigne d’un préjugé bien ancré, selon lequel la grossesse serait synonyme de fin de carrière.

« Quand tu annonçais que tu étais enceinte, c’était la voie de garage, atteste Maryse Ewanje-Epée, ancienne sauteuse en hauteur française dans les années 1980-1990. Mon directeur technique m’avait dit “C’est terminé pour toi”. »

Témoignages anciens ? Epoque révolue ? Certes, aujourd’hui, les athlètes hésitent moins à devenir mères en cours de carrière – après Rio, 7 médaillées olympiques françaises sur 13 ont fait ce choix. Mais la maternité ne va pas encore de soi dans le monde sportif.

Pour preuve, la récente « affaire » des tests de grossesse au club de handball de Nantes, qui évolue en première division féminine. Le 13 février, l’Association des joueuses et joueurs professionnels de handball (AJPH) a révélé que des tests de grossesse avaient été pratiqués sans le consentement des joueuses à l’occasion d’examens médicaux.

« Une grossesse était une faute professionnelle »

« A mon époque, quand une femme tombait enceinte, on lui reprochait de l’avoir caché… alors que c’est sa vie privée ! », s’indigne Maryse Ewanje-Epée. Elle qui a donné naissance à sa première fille en 1991 y avait laissé des plumes : les 3 000 francs mensuels versés par sa fédération et ses sponsors s’étaient arrêtés nets.

« Une grossesse était considérée comme une faute professionnelle que les employeurs n’hésitaient pas à sanctionner », analyse Badou Sambague, avocat en droit du sport. Envisagée ainsi, la grossesse entraînait la rupture de contrat, que ce soit avec un club, une fédération ou encore un sponsor.

Trente ans plus tard, les choses n’ont pas tant changé. En mai 2019, la sextuple championne olympique américaine d’athlétisme Allyson Felix racontait au New York Times que son sponsor Nike lui avait mis la pression pour qu’elle revienne aussi vite que possible, malgré une grossesse compliquée, tout en voulant par ailleurs révisé à la baisse (- 70 %) son contrat.

Tous les sponsors n’agissent pas ainsi. Sarah Ourahmoune, boxeuse française vice-championne olympique en 2016, se souvient avoir été « tellement émue qu’[elle a] failli en pleurer ! » après que son équipementier Reebok a prolongé leur partenariat.

Pour les sports amateurs, comme la boxe, ces revenus sont indispensables pour vivre, et plus encore pour envisager une maternité. En France, le statut de sportif de haut niveau est supposé permettre de s’affranchir de ces soucis.

Depuis 2015, le code du sport (Article R221-8) permet en effet aux sportives, « pour des raisons liées à la maternité », de rester inscrites sur les listes de haut niveau pendant un an supplémentaire sur avis du directeur technique national (DTN), leur permettant de continuer de percevoir des aides financières, primes et de bénéficier de couverture en cas d’accident du travail ou de maladies professionnelles.

« Mais que fait celle qui n’est ni licenciée dans un club, ni n’a ce statut et qui veut être maman ? », déplore Mélina Robert-Michon, rémunérée par son club Lyon Athlétisme jusqu’à son congé maternité.

Mères et médaillées olympiques

Si la prise en compte (et en charge) de la maternité, avant et pendant, ne reste pas simple, la gestion de l’après demeure aussi encore très souvent un sujet de frictions. Quand, une fois la grossesse passée, ces sportives reprennent souvent du service, le sexisme revient au galop.

Sarah Ourahmoune se remémore avoir entendu des phrases comme « On a déjà laissé les femmes monter sur un ring, on ne va pas laisser monter les mamans » ou « Tu devrais être avec tes enfants, pas sur un ring », la cantonnant à un « rôle » de mère cliché.

Ces premiers plâtres essuyés, c’est le parcours du combattant pour recouvrer la forme – et perdre des kilos. « J’en ai chié !, s’exclame en riant Maryse Ewanje-Epee. Je crois que je n’ai jamais autant bouffé de carottes de ma vie ! »

Les clubs doivent adapter les entraînements pendant et après la grossesse. « Je me suis entraînée jusqu’au septième mois, raconte Floria Gueï, coureuse spécialiste du 400 mètres, qui a accouché en avril 2019. Le premier semestre, je faisais les mêmes séances que tout le monde, ensuite on a remplacé la piste par du yoga et de la natation. »

Mélina Robert-Michon reconnaît avoir eu « un DTN très compréhensif », qui lui avait « promis de l’accompagner ». « Tu peux revenir, si tu es bien entourée », complète-t-elle. Mais la reprise s’avère longue et éprouvante. « Je suis sortie en pleurant de ma première séance post-grossesse », se souvient la lanceuse.

Mélina Robert-Michon a montré qu’un retour à la compétition après une grossesse était possible : elle est devenue vice-championne du monde en 2013, trois ans après la naissance de son premier enfant. « Je suis revenue plus forte » assène-t-elle. Tout comme Sarah Ourahmoune, médaillée d’argent à Rio, moins de trois ans après la naissance de sa fille.

Une prise de conscience à pas feutrés

Ces sportives ont brisé les codes et permis une première prise de conscience. Dans le club de Metz Handball (première division féminine), deux joueuses ont récemment été enceintes, Laura Glauser et Jusrwailly Luciano. Elles ont conservé leur salaire, leur logement et leur voiture de fonction. Elles bénéficient aussi de contrats de trois ans.

« La première année, elles jouent, la deuxième est consacrée à la grossesse, la troisième à leur retour au sein de l’équipe », confie Thierry Weizman, président du club et médecin du sport. Un joker médical est alors appelé et la remplaçante sait dès le début qu’elle cédera sa place une fois que la titulaire reviendra.

Ailleurs, dans les sports individuels, on s’adapte au cas par cas. Marie-Françoise Potereau, DTN adjointe à la Fédération française de cyclisme (FFC), a remplacé son entraîneuse du groupe sprint Clara Sanchez par d’autres coachs, le temps de la grossesse de celle-ci. « Elle est venue me voir, paniquée, me disant, “C’est l’année des Jeux, comment je vais faire ?”. Je lui ai assuré que ce serait bien elle qui irait à Tokyo avec son groupe », raconte la DTN.

Si des avancées sont visibles, cette question laisse encore des trous béants dans certains sports. A commencer par le football, où, comme dans tous les sports collectifs, ce sont les clubs, et non les fédérations qui rémunèrent les joueuses.

« A ma connaissance, aucun club ne l’a pris en compte », regrette Frédérique Jossinet, directrice du football féminin à la Fédération française (FFF). Les joueuses attendent en général la fin de leur carrière pour avoir un enfant. « Ce qui est terrible, car l’horloge biologique et passée par là et elles ne le peuvent pas toujours », poursuit la cadre.

Cette brochure et d’autres sont disponibles sur le site tarage.noblogs.org.

La loi laisse aussi un certain vide juridique : « Il faudrait des clauses pour les sportives qui veulent revenir afin d’empêcher toute réduction de salaire », préconise Maître Sambague. Aujourd’hui, encore, certaines sportives font les frais de discriminations dues à leur grossesse. « J’ai connu, récemment, des athlètes à qui on a dit, “Tu as fait ton choix, alors dégage”, regrette Mélina Robert-Michon. La question avance. Mais on part de tellement loin. »