Avis aux chercheurs, aux professeurs, aux ingénieurs (dix thèses sur la technoscience) & Appel aux étudiants… – Groupe Grothendieck

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Le texte sur le site du groupe Grothendieck

AVIS AUX CHERCHEURS, AUX PROFESSEURS, AUX INGÉNIEURS
(DIX THÈSES SUR LA TECHNOSCIENCE)

«La masse des hommes se laisse mener par des impératifs techniques qui sont vécus comme parole respectable mais étrangère, dans laquelle on ne se reconnaît pas. Cette parole se donne comme vraie et la vérité qui la ga­rantit se trouve ailleurs, notamment dans les temples secrets de la science et de la technique. Lorsque c’est cette parole qui domine, il en résulte un délire technologique où la vie des hommes se trouve capturée, empêtrée dans les nécessités productivistes, hiérarchiques, techniques et dans le sa­voir dominant. C’est ainsi que la vie elle-même se trouve menacée et que la nature entre les mains des experts est transformée en débris. Et comble de cynisme, cette même technique, aux mains des mêmes gens, se pointe à nouveau pour résoudre les problèmes qu’elle a elle-même posées, par son pouvoir absolu. »

Denis Guedj et Daniel Sibony,

« Discours de la méthode ou discours de la vie ? » in Survivre et Vivre n°10 octobre-décembre 1971.

I – À l’apparence de calme élégiaque des universités et campus, où bour­geonnent sur l’arbre de la connaissance les cerveaux de demain, corres­pond en réalité une machinerie infernale pompant nerfs, force de travail et ressources terrestres, avec rigueur et discipline, dans des laboratoires et des instituts où l’on transforme et désagrège plus que l’on étudie.

Ces nouveaux temples, où les prêtres-experts propagent les mantras de la Vérité sous le nom de « connaissance scientifique », sont en liaison avec les autres arcanes du pouvoir que sont les militaires et les industriels et tout ceci forme la religion de notre époque. Cette religion, c’est la technos-cience.

Même si ce Triangle de Fer (science-armée-industrie) mit plus de deux siècles à se constituer, son hégémonie — technoscience arrogante, forces ar­mées sur-puissantes, industries tentaculaires — ne fût écrasante qu’avec la « 3e révolution industrielle », celle de l’atome et de l’informatique. Cette révolution débutant en 1945 sous les auspices annonciateurs de la mort nu­cléaire dont les noms d’Hiroshima et de Nagasaki sonnent comme le renoncement suprême. L’effort surhumain à produire une énergie inhumaine n’a pu être réalisé qu’en combinant le savoir et la méthode du scientifique, avec le génie pratique des ingénieurs militaires et l’appui manufacturier des grandes industries américaines. Tous trois disciplinés et managés dans un appareillage militaro-étatique et plateformés par l’outil informatique en cours d’élaboration. La science nucléaire et la cybernétique sont les deux disciplines d’où découle la plupart des sciences modernes.

II – En France, sous l’ère gaulliste, de véritables structures militaro-scientifico-industrielles se mettent en place afin de produire la bombe atomique, l’énergie nucléaire, l’outil informatique et la force de frappe qui va avec. La concentration se cristallisa autour du Commissariat à l’énergie atomique (CEA, 1945) et de l’Office national d’études et de recherches aéronau­tiques (ONERA, 1946) et fût plus tard coordonnée au sein de la Direction générale de l’Armement (DGA, 1961). Ces instituts en retour, permirent le renforcement des pouvoirs du « monarque présidentiel » et de sa cohorte gouvernementale.

Au niveau mondial, il se mit en place à cette époque un état de guerre per­manent en temps de paix dont les États-Unis ont été et sont encore les chefs d’orchestre. En effet, le Victory Program (1942) qui permit aux Al­liés de remporter la guerre, et sa suite le Manhattan Project (1943) qui per­mit d’en commencer une autre alors que la précédente n’était pas encore terminée (Guerre froide), initièrent un changement d’échelle dans la concentration et la dépense d’énergie.

C’est le début de ce que Alvin Weinberg, un chercheur du Manhattan Pro-ject nomma la « Big Science » : « Quand l’histoire se penchera sur le Xr siècle, elle verra la science et la technologie comme le thème du siècle. Elle verra dans les monuments de la Big Science — les énormes fusées, les accélérateurs de haute énergie, les réacteurs nucléaires de recherche — les symboles de notre époque tout aussi sûrement qu’elle trouve que la cathé­drale Notre-Dame de Paris est un symbole du Moyen Âge. […] Nous construisons nos monuments au nom de la vérité scientifique, les gens du Moyen Âge ont construit les leurs au nom de la vérité religieuse ; nous construisons pour satisfaire ce que l’ex-président Eisenhower a appelé une nouvelle caste dominante scientifique, ils ont construit pour plaire aux prêtres d’Isis et d’Osiris. »

La technoscience ou son équivalent américain de « Big Science » se réalise à l’origine dans le domaine nucléaire comme science technologisée et étati­sée à l’extrême. Elle s’opère dans les Grands Programmes nationaux se chiffrant en milliards de dollars et matérialisés par d’énormes dispositifs bureaucratiques et industriels comme les accélérateurs de particules ou les villes nouvelles peuplées de scientifiques et de techniciens (Oak Rides par exemple). Ces complexes appelaient « technostructures » sont gérés le plus souvent par l’élite militaire mue par la doctrine à cette époque de la « paix armée » (« Peace through strength »). Le programme Apollo (1961), le Hu-man Genome Project, (1988) et plus récemment le programme spatial Google-Space X, en sont la continuité et montrent qu’il ne s’agit pas seule­ment d’un ensemble de programmes militaro-scientifiques visant la créa­tion de nouvelles technologies, mais beaucoup plus d’un projet global de civilisation donnant le ton de l’époque, des États industrialisés à l’extrême au tempérament guerrier imposant la suprématie technologique et la guerre économique. Aujourd’hui labos, capitaux, industries, territoires immenses, masse de travailleurs, sont agrégés et coordonnés non plus par des mili­taires mais par des cadres administratifs et des managers, mais la pensée guerrière est toujours là. La séparation entre le producteur (chercheur) et le produit finit (connaissance et publication) y est plus que présente, déshu­manisante ; le militaire et l’industriel maintenant invisibles, se trouvant plus en aval, passant commande et récoltant les fruits d’une recherche diri­gée bien souvent sans que le chercheur ne s’en rende compte : une nouvelle équation sur la résistance des matériaux peut permettre la miniaturisation du blindage d’un tank, la découverte d’un gène de la fatigue, le clonage du travailleur de demain. Il n’y a plus de différence (y en a-t-il eu un jour ?) entre recherche théorique et appliquée, l’une désintéressée et inoffensive, l’autre mercantile et mortifère. La pratique de la recherche professionnelle et les productions qui en résultent sont imbriquées dans ce réseau d’inter­dépendances avec les capitaux, les hiérarchies, les pressions des comman­ditaires et les applications futures. Le chercheur — humain séparé, réifié et aliéné — se situe à un maillon essentiel, celui du cerveau-de-la-bande qui sans lui rien ne peut se faire. D’où la justification de ses hauts-revenus et de son prestige social dans notre société.

III – La science partant de l’énoncé de base que la nature (phusis) est constituée de briques élémentaires qui interagissent entre elles pour créer des « formes », cherche désespérément à unifier ce qui est en quelque chose qui se trouverait très simple et élégant (kosmos). La technoscience utilisant ses propres axiomes pour interpréter et transformer la nature suivant les exigences du capital et du pouvoir, fabrique elle-même ces objets-abstraits bien-que-réel, se rapprochant de son idéal-type et de « l’élégance » comp­table (dite « élégance mathématique »). C’est ce que les experts nomment la convergence des technologies nano, bio, info, cognition (NBIC), la réifi­cation totale de la nature via sa réduction infinitésimale en des monades appelées bits, gènes, quarks, nombres, quanta. Vision mesquine et utilita­riste de ce qu’est la nature et la vie humaine qu’elle contient. Ainsi par exemple, le réseau Internet, les bits, et l’information sont vu comme « la mémoire du monde » ou « un monde » en-soi, mais en réalité ils ne sont que des ersatz de monde, abstrait et sans consistance. Par contre la matéria­lité du système technique qui supporte ce réseau, est-elle bien réelle, non élégante, colossalement énergivore et hors de portée dans son intégralité car d’une complexité inouïe. Le projet technoscientifique ne serait-il pas 1 ‘exfiltration de l’homme du monde pour l’incarcérer dans une bulle tech­nique qui nous raconterait de « belles histoires » ?

IV – Le projet technoscientifique prend forme au moment où les deux grands ré­cits occidentaux sont défaits : Le premier récit est celui de l’émancipation politique par le progrès scientifique. Démarré chez les savants modernes (Galilée, Copernic, Newton…), idéologisé sous les Lumières (Diderot, d’Alembert), mise en pratique par les socialistes utopistes (Fourier, Owen), cette idée fut mise à mal par la Grande Guerre Industrielle (1914-1945) dont l’apothéose, si l’on ose dire, se situe le 6 août 1945 lorsque 70 000 ja­ponais furent pulvérisées instantanément par le déchaînement des forces du progrès (atomique).

Le récit sur le progrès a depuis lors changé en formule et perdu en consis­tance. Son but ne serait plus l’émancipation des hommes-libres mais l’as­surance de la santé et du bien-être du citoyen-consommateur, quand ce n’est pas — depuis la prise de conscience écologique — la simple sauvegarde de l’existant. Défait ainsi, il ne s’agit plus d’un idéal-type à atteindre, mais bien d’une rengaine publicitaire qui, à défaut de stimuler les masses, ne galvanise épisodiquement que quelques ingénieurs et autres hackers perdus dans la techno-béatitude.

Le second grand récit mis à mal est celui de la réalisation de l’Esprit Uni­versel, le Sujet Éclairé & Uni par la connaissance. Cette flamme mysté­rieuse entretenue par les humanistes puis les encyclopédistes et enseignée dans les foyers universitaires dont le modèle allemand du XIX’ a été le plus abouti. La multiplication des universités et la masse considérable de connaissances acquises par les humains n’ont pas suffi à faire disparaître la mort et la misère des capitales européenne du Grand Vingtième. La flamme ravivée par les pays se tournant vers un socialisme « scientifique » et plani­fié (URSS puis la Chine) fût vite éteinte après que le voile de mensonge soit tombé. La pensée moderne finit de sombrer dans un profond désespoir suivi d’un nihilisme rampant. Les philosophes français dans les années 80­90, à la suite de Lyotard, nommèrent cette période la « post-modernité ». Et l’Internet, enfin démocratisé, ranima pendant quelques décennies, ce récit sous les traits du «village planétaire ». L’écran remplaça l’amphithéâtre comme lieu où se crée le récit et la fondation de ce qui fait société, celle-ci ayant rompu avec tous idéaux-types. Les néo-encyclopédistes et autres « hu­manistes-numériques» se prirent d’amour pour Wikipédia et les « MOOCs » pendant que sur les marchés (« market place »), les « opéra­teurs » vendaient de la donnée au Kilo-bit.

V – La technoscience n’est pas un surplus de science ou une partie de la science. Elle est la science de notre époque, cependant qu’elle n’a rien à voir avec ce que les Grecs anciens appelaient « épistémê » et les latins « scientia », ni avec ce que les « savants » des XVIIp-XIXe siècles appe­laient « philosophie naturelle ». Elle appartient plutôt à un certain « art pra­tique » (tecknê) de gouvernement (kubernétikê) par domination totale. La technoscience est le discours idéologique matérialisée de la technique (te-cknê+logos) à l’aune de l’hégémonie de la véracité scientifique.

Il n’y a plus de visée humaine (morale, philosophique et éthique), la science cherche avant tout des moyens, c’est-à-dire des techniques en vue d’améliorer des problèmes techniques. Les buts finaux se sont perdus dans la chaîne des dépendances techniques. C’est pour cette raison qu’il y a de plus en plus d’artefacts techniques et de marchandises, de routes, de câbles et de machines. Le « pourquoi ? » a été balayé par le « comment ? » Et les sacrifices humains qu’il a fallu consentir pour l’augmentation des moyens de production n’ont même pas pour but de suppléer aux tourments humains nécessaires à l’obtention d’une telle croissance, mais seulement d’accroître la masse de capitaux et de pouvoirs pour les capitalistes. L’humain est la variable ajustable. La paix économique occidentale est la continuation de la guerre faite aux humains sur d’autres continents et par d’autres moyens. La condition post-moderne de l’homme sans avenir, est un sacrifice consenti, sans salut ni rédemption : « Tout se passe comme si la promotion de l’autonomie de la personne n’avait été qu’un miroir aux alouettes, un « argument de vente » pour faire consentir les êtres à une certaine forme de développement le temps que ce développement soit devenu suffisamment important pour que la personne à lui aliénée n’ait plus d’autre idéal que son propre reshaping afin de s’insérer harmonieusement dans le fonction­nement de la machine globale et se résorber dans ses flux. » (Olivier Rey, Une question de taille, 2014).

VI – Le réseau mondial des techno-scientifiques n’est pas une communauté du Savoir liée par le lien fraternel et la camaraderie, mais un vaste marché concurrentiel en réseau. Les universités en sont un des nœuds centraux (In-ternet fut d’abord un outil de diffusion des connaissances scientifiques entre les universités) permettant, avec les revues et les banques de données, de mobiliser des ressources intellectuelles dans le monde entier. Cette flui­dité du réseau permet une compétition internationale acharnée afin d’amas­ser richesse et de fabriquer en premier les armes et les usines du futur. Bien que chaque État détienne une partie du monopole sur les découvertes et les innovations de son pays, c’est au niveau international que se joue les avan­cées du projet technoscientifique. Celle-ci se fait en pillant en permanence les richesses adverses et en nouant des collaborations intrigantes afin de ti­rer la couverture de son côté. Une seule règle prévaut : garder l’apparence de cordialité et de neutralité des recherches, quand dans les faits, chaque État dominant a fait de cette « guerre pour l’innovation », une de ses fonctions régalienne.

VII – La technoscience est plus qu’une religion. Elle a dépassé le fait religieux, car l’adhésion à ses préceptes et dogmes est reconnue en sus et place de la transcendance traditionnelle de chaque culture prise dans les filets de l’ère industrielle. La technoscience est l’univers mental au sein duquel tout dé­bat, toute pensée a lieu, même celle de la transcendance. Husserl parlait au début du XIX’ siècle du « vêtement d’idées » que la science a étendu sur le monde. Parmi les stances de vérité proclamée, la vérité scientifique tient une place particulière en ce qu’elle est la vérité inégalée en efficacité et prédictibilité dans un monde technifié au plus haut point, où seul le critère d’efficacité a bâti ce monde et y est éligible. Elle dit que : « seul ce que je vois de mes yeux mathématiques existe et m’appartient en droit ». La tech-noscience n’est pas un paradigme mais la pensée en paradigme, sens de la véracité qui englobe aujourd’hui tous les faits, tout ce qui advient dans ce bas monde technique.

VIII – La technoscience ne vit que pour le futur, ne vit que dans le futur. En tant que projet, elle est « prospectiviste » et chaque jour qui apporte son nou­veau lot d’innovations et de connaissances, met au rebut tout le vieux-monde-présent. Ce nettoyage à sec du présent s’accompagne d’un discours lancinant et prophétique sur l’Avenir, vu comme un monde toujours plus beau, où les dégâts causés par le système se résoudront par ce même sys­tème. Il permet la justification de l’injustifiable, l’attente interminable vers les contrées fleuries et l’avènement du meilleur des mondes, bien qu’ici et maintenant la boue et le sang crottent les bottes de nos prégnants.

L’économie capitaliste qui doit renouveler sans cesse les moyens de pro­duction et les rapports qui en découlent, développe sans cesse des nou­velles technologies qui sont, avant d’être des marchandises, les véritables moyens de production. L’installation de la fibre optique et bientôt de la 5G sont avant tout des actes de renforcement du maillage technologique afin d’optimiser et d’intensifier la production. Les connaissances thésaurisées et archivées dans les revues et les disques durs, forment un pouvoir dor­mant (le « general intellect» de Marx) pour le renouvellement des moyens de production en vu de la domination économique et géopolitique. Chaque jour la loi de Gabor ou « impératif technicien » qui énonce que « Tout ce qui est techniquement faisable, possible, sera fait un jour, tôt ou tard, sans freins moraux ou économique », est vérifiée parce qu’elle est la consé­quence de cette locomotive technoscientifique, dont le combustible à brû­ler sans relâche est la « connaissance scientifique », la part de la phusis réductible à des « données ».

IX – L’espèce humaine a acquit culturellement il y a plusieurs millénaires, la ca­pacité de s’auto-construire dans un temps court que l’on nomme le temps historique ou plus simplement «l’histoire ». Son développement en nombre & force via la création d’outils puis de machine (la Technique) a pris de plus en plus le pas sur ses autres formes de « constructions » histo­riques (spirituelle, philosophique, démocratiques, etc.). Autrement dit, c’est le primat de l’efficacité qui devint au cours des siècles, le moteur de l’his­toire de certains peuples qui purent, grâce à cela, dominer et étendre leur «point de vue » sur de vastes territoires et peuples (empire gréco-latin ou empire chinois).

L’histoire, qui à notre époque, est l’histoire du développement des forces productives, est régie par ce but d’efficacité optimal et ce, grâce au sys­tème technique. Cette assise technologique ayant démultiplié de façon dis­proportionnée la capacité de « développement » de l’espèce humaine (le fa­meux progrès), il en résulte une hégémonie incontestée dans la domination et la soumission sur la majorité des autres espèces et sur la nature vue comme « ce-qui-nous-échappe ». La prise de conscience de ce massacre de masse — dont les volontés remontent pourtant à l’Ancien Testament : « croisez et multipliez vous » — n’ont émergé qu’à partir du moment où les effets devenaient embêtants pour le développement lui-même, c’est-à-dire dans les années 1970. Bien trop tard s’il en faut, la catastrophe principale sont les effets irréversibles de l’empreinte du système technique sur nos vies, sur celle de la nature et de la possibilité d’un futur hors du paradigme du développement. La locomotive du Progrès roule à toute allure est n’est pas près de s’arrêter.

X – Bien qu’aujourd’hui le projet technoscientifique insuffle ses directives et sa façon de voir le monde dans nombre de catégorie de l’activité humaine, son coeur, sa capacité à agir, se trouve principalement dans la recherche scientifique et plus précisément dans les mastodontes des instituts de re­cherche dits «publics ». En France ce sont surtout le CNRS et le CEA qui agrègent la plupart des forces pour la bataille technoscientifique. La déci­sion d’arrêter au plus vite la recherche et de fermer ces instituts est une priorité sociale et politique. Nous ne pouvons nous réapproprier ces « moyens de production » qui ne sont pas faits pour le peuple mais contre lui. Les pseudo-bienfaits obtenus par la consommation des sous-produits du système ne compense ni ne règle les méfaits et les nui­sances de ce même système. La satisfaction n’engendre pas automati­quement la liberté.

Cette décision d’arrêter, elle ne peut venir que d’en bas, des ingénieurs, chercheurs, professeurs, techniciens, c’est-à-dire des personnes qui font réellement tourner la machine, l’entretiennent, la perpétuent et propagent son idéologie. Ni un salaire, ni un statut, ni la jubilation d’une découverte ne peuvent justifier la perpétuation d’une telle barbarie. Voyons ce projet comme quelque chose de massif avec ses routines étatiques et son cheptel humain. Les gestes individuels du « si tout le monde faisait comme moi » n’y changeront pas grand-chose parce qu’ils agissent à un niveau inférieur au politique. C’est-à-dire au niveau de l’éthique et cela n’est pas suffisant, pour enrayer le processus d’expansion. C’est au niveau de la communauté des humains, de la société, qu’il faut agir. Les combats se situent donc sur le terrain de l’action effective, des luttes d’idées et de l’organisation en groupes, collectifs, où toutes autres structures ouvertes, combatives et dé­terminées. Si nous agissons, personne ne peut prédire des issues des com­bats à venir.

 

APPEL AUX ÉTUDIANTS & PROFESSEURS
POUR LA CRÉATION DE COLLECTIFS
AUTONOMES UNIVERSITAIRES

« Amis ! Quittez au plus vite ce monde condamné à la destruction. Quittez ces universités, ces académies, ces écoles dont on vous chasse maintenant, et dans lesquelles on n’a jamais cherché qu’à vous séparer du peuple. Al­lez dans le peuple. Là doit être votre carrière, votre vie, votre science. […j Et rappelez-vous bien, frères, que la jeunesse lettrée ne doit être ni le maître, ni le protecteur, ni le bienfaiteur, ni le dictateur du peuple, mais seulement l’accoucheur de son émancipation spontanée, l’unisseur et l’or­ganisateur des efforts et de toutes les forces populaires. Ne vous souciez pas en ce moment de la science au nom de laquelle on voudrait vous lier, vous châtier. Cette science officielle doit périr avec le monde qu’elle ex­prime et qu’elle sert ; et à sa place, une science nouvelle, rationnelle et vi­vante, surgira, après la victoire du peuple, des profondeurs mêmes de la vie populaire déchaînée. » Mikhaïl Bakounine, « Quelques paroles à mes jeunes frères en Russie », (mai 1869 — in Le socialisme libertaire, Denoël, 1972, pp. 210-211)

«Survivre, mouvement ouvert à tous, se veut un instrument pour la lutte en commun des scientifiques avec les masses, pour notre survie […j Il semble que Survivre soit le premier effort systématique fait pour rapprocher, dans un combat commun, les scientifiques des couches les plus variées de la po­pulation » Marc Atteia, Alexandre Grothendieck, Daniel Lautié, Jérôme Manuceau, Michel Mendès-France et Patrick Wucher. Extrait de « Pourquoi encore un autre mouvement » in Survivre n° 2/3 septembre-octobre 1970.

Considérant l’hégémonie prise par la technoscience dans l’ensemble de la société industrielle dans les domaines du savoir/pouvoir et sa fâcheuse ten­dance à développer des applications technologiques mortifères (modifica­tion du vivant, nanotechnologies, ville « intelligente », smart-bidule, nu­cléaire, etc.) et des dispositifs politiques de contrôle/contrainte (reconnais – sances faciales, drones, fichage généralisé, etc.)

Considérant que c’est au sein de l’Enseignement Supérieur et de la Re­cherche (ESR), dans les universités, les écoles d’ingénieurs, les instituts de recherche comme le CEA et le CNRS, qu’est née et se développe actuelle­ment cette technoscience.

Considérant alors la responsabilité des chercheurs, professeurs et ingé­nieurs ainsi que des experts, techniciens et cadres administratifs dans cette avalanche de désastres technoscientifiques.

Considérant que, depuis la fin des années 70 et la restructuration de l’éco­nomie capitaliste vers le « pouvoir dormant du savoir scientifique » (gene-ral intellect), la technoscience en tant que cadre de pensée et de production du savoir est intriquée de fait au capitalisme dans une structure triangulaire (science-industrie-armée), et qu’il convient alors de parler de « technocapi-talisme ».

Considérant ce qu’il faut bien appeler à partir des années 90 une « révolu­tion informatique » dans la production capitaliste, puis dans la production de la vie quotidienne réifiée.

Et considérant que cette « révolution » est l’un des domaines-socles de la technoscience.

Considérant le virage techno-totalitaire des États du capitalisme de som­met (Chine, USA, Europe) ces cinq dernières années comme matérialisa­tion concrète et politique d’un des sous-domaines de la technoscience : la cybernétique.

Considérant que les « régimes d’exceptions » institutionnalisés et imposés successivement ne sont réalisables qu’à l’aide de cette science.

Considérant la politique opportuniste médiatico-virale ou médiatico-terro-riste de l’État pour imposer, dans un laps de temps long, des privations de liberté permettant de dissoudre les foyers de contestations des classes inter­médiaires et pauvres tout en ayant le rôle du « sauveur ».

Enfin considérant la fermeture totale des universités comme résultante de cette politique anti-subversive (les prépas, le Secondaire et les Grandes Écoles restant ouvertes).

Nous lançons un appel à la formation, dans les universités et en leurs pourtours, de collectifs combatifs et autonomes des instances universi­taires, à vocation d’émancipation, de critique sociale et d’organisation sur le long-terme. Ceci étant dit, voici quelques propositions donnant corps à l’appel.

I – Croyez-vous que les nouveaux déserts silencieux et bétonnés, places fortes des « humanités numériques » et du suicide en vie digitale, nommés encore abusivement «Universités », puissent un jour redevenir des foyers de contestations, vivants et révolutionnaires ?

Nous vivons paradoxalement une séquence historique à ne pas manquer pour qui souhaite revoir fleurir des foyers de contestations radicales et de pensées critiques chez la petite bourgeoisie universitaire. En effet, sans être nostalgiques du mai de l’année 1968 ou de la séquence de révoltes étu­diantes entre 2006-2010, mais en envisageant froidement et structurelle­ment ces espaces où la jeunesse-qui-a-le-temps-et-les-moyens réfléchit à sa condition et à la société qui la produit, les universités pourraient rapide­ment devenir des lieux remettant en cause l’ordre qu’elles génèrent.

II – On pourrait penser que le gouvernement Macron a fait ce que tout bon anarchiste souhaiterait réaliser : fermer ce haut lieu de « la reproduction so­ciale des élites » qu’est l’Université. Cette vision, du reste assez périmée, relève d’une grande méprise : nonobstant son rôle mineur pour la forma­tion des élites (prenez plutôt l’ENA, l’X, l’ENS, l’HEC… et Science Po Paris à la rigueur, si vous voulez voir des élites), la fermeture complète des facs en plein mouvement combo en mars 2020 (réforme des retraites & LPPR) n’est absolument pas « la fin de l’Université ». Cette période signe plutôt l’achèvement de sa mutation profonde en Université-entreprise. La stratégie gouvernementale française, suivant les processus néolibéraux eu­ropéens amorcés en 2002 par la normalisation des diplômes (système LMD et ECTS), est la mise en place de la fac comme « grande marque », capable de vendre et de se faire vendre à l’export’. Une Université concurrentielle pratiquant le toyotisme (pas de stockage d’étudiants), le numérique en plus. Le «processus de Bologne » permet à la France de finir le travail de sape de normalisation de « l’usine automatisée à cerveau » amorcé dans les an­nées 60-70 par le pouvoir gaulliste-pompidouiste (notamment avec le prin­cipe d’autonomisation évoqué au colloque de Caen en 1966, la Loi Faure en 1968 et l’apparition du DEUG en 1973, ainsi que la création, à cette époque, des IUT, DUT, BTS). Cette refonte globale, basée sur le modèle des facs américaines, s’agrémente aujourd’hui d’un management tout bruxellois. Le modèle de l’Université Nouvelle ne doit plus s’embarrasser des étudiants « surnuméraires », de celles et ceux venus sur les vertes pe­louses du Savoir pour goûter aux délices du questionnement philosophique ou pour s’initier aux rudes catégories de la sociologie politique avant de fi­nir dans une fm de parcours de psycho (et potentiellement, le cas échéant, sur une ZAD ou dans un squat). Efficacité, sélection et transfert des cer­veaux, pardon « recrutement sur le marché du travail », sont les maîtres mots, dans un flux tendu où il ne s’agit plus de passer son DEUG en 4 ans et sa thèse en 6 ! Pas besoin ici de retracer la séquence complète de la néo-libéralisation de l’ESR, d’autres textes le font très bien (voir les matériaux en fin de texte).

Ce qui est important de noter toutefois, c’est que cette dernière phase de modernisation que l’on observe depuis une décennie, est un double mouve­ment de digitalisation radicale (1) de l’Enseignement Supérieur (notam­ment avec le programme France Universités Numériques) permettant une précarisation immédiate des salariés et une future réduction drastique de la masse salariale (le confinement des universitaires est une fenêtre de tir in­ouïe pour parfaire cette stratégie). En même temps cette phase est la struc­turation finale de ce que les technocrates nomment le New Public Manage­ment (2) : un réaménagement total des instances universitaires, leur rappro­chement des marchés et des industrielles permettant de nouvelles sources de financements (fondations, partenariats-public-privé, masters privés) et une fluidité des capitaux, la fusion-concentration des directions, la forma­tion de pôles spécifiques de recherche via les emprunts IDEX I et IDEX II, et leur mise en compétition. Cette phase de digitalisation/concentration (1) + (2), permet de diluer le nouveau «principe d’université » (si cher à Pli-nio Prado) fondamentalement technocratique dans sa forme et technoscien-tifique dans son fond, dans tout le Réseau Technologique global (à la fois l’Internet et le « market place ») : ainsi va de la « déterritorialisation » de l’enseignement via les annexes pauvres des facs, disséminées en villes moyennes mais sous tutorat des grands pôles, et du télétravail, pardon « distanciel », comme but ultime de l’apprentissage ; ainsi va de la fin an­noncée des UFR ; ainsi va de la fm des livres et des BU ; ainsi va de la fin de ce service public remplacé comme tous les autres par des annexes du Grand Serveur qu’est « l’État-réseau » (Temps Critiques) avec ses termi­naux de PC conviviaux… Il faut voir cette restructuration de l’ESR comme une guerre. Une guerre commerciale, rien à voir avec celle des tranchées, statique et déclarée mais plutôt comme une guerre froide où par exemple les nanotechnologies grenobloises de Minatec doivent battre les nanos de Palo Alto, avec l’aide de brevet indien ; où la robotique toulousaine du LAAS, alliée à tel géant de l’aéronautique doit surpasser la robotique de tel institut chinois, etc.

Cette mutation des universités n’a rien d’étonnante à qui s’intéresse de près aux mutations à l’oeuvre dans l’ensemble des pays du sommet capitaliste, ce que Temps Critiques nomme « société capitalisée » (État-réseaux, fluidi­té des infrastructures capitalistes grâce à l’outil informatique, globalisation des rapports de production…) Pour les séides de cette « révolution du capi­tal », il était urgent de mettre les bouchées doubles sur les universités qui accusées un retard « réactionnaire » par rapport aux autres structures d’en­seignement vues comme modèles de formation à la française (Grandes Écoles, Polytech, prépa). Il faut dire qu’il y reste encore des foyers de contestations en sociologie, en histoire et en philosophie, où la séparation n’est pas encore bien aboutie et où l’on a pu voir des étudiants mettrent en pratique sur des barricades et dans des occup’, les leçons apprissent la veille. Gageons que le « distanciel », imposant de fait la séparation avec la vie réelle, finira le sale boulot.

III – En éclaircissant ce que ce « libéralisme autoritaire » (Chamayou) produit sur les universités, il est à remarquer deux types de mutations complémen­taires : une mutation économique issue des directives néolibérales euro­péenne et un accroissement fulgurant du sécuritaire universitaire, c’est-à-dire une pensée politique de l’« anti-subversion ».

Sans y voir un calque à une échelle plus petite, des modèles de contre-in­surrection visant à imposer le « marché-libre » en Amérique latine, ce que Naomie Klein nomme « Stratégie du choc » mais que les militaires de l’époque nommaient « doctrine de la sécurité nationale », les doublets ma-cronistes lois néolibérales/lois sécuritaires en période de guerre sanitaire en ont tout de même l’accent. L’augmentation de la puissance policière de notre « sécurité globale » et la judiciarisation à outrance des formes radi­cales de confrontation en plein état d’urgence, n’est pas fortuit (même si le cheval de Troie de la LPPR sur la criminalisation des perturbations de CA de fac et des occup’ n’est pas passé, l’intention est là, et ce type de mesures passera tôt ou tard si rien n’est fait). Un certain opportunisme guide nos di­rigeants qui craignent de voir poindre un petit mouvement de derrière les fagots qui pourrait allier le Jaune des classes paupérisées au Noir de la pe­tite bourgeoisie rageuse, qui sait ?

Cette montée aiguë du sécuritaire fait suite, dans les facs, à une augmenta­tion constante du sécuritaire universitaire depuis plus d’une dizaine d’an­nées : annulation de la fameuse « franchise universitaire » et entrée mas­sive des flics dans les facs, vigiles en nombre, caméras et sas de détection, biométrie, fermetures administratives préventives, judiciarisation des ac­tions étudiantes, attaques des syndicats étudiants et des collectifs auto­nomes, etc.

Ces mesures sont à mettre en parallèle de la complète ouverture des univer­sités aux marchés : loi d’homogénéisation européenne (LMD, 2004), mise en place des appels à projets pour la recherche publique (ANR, 2005), loi de concentration et de concurrence des pôles universitaires (LRU, exami­née « à la hussarde » à l’été 2008 et c’est une première à l’époque), loi de dérégulation du marché du travail (loi Travail 2016, resucée du CPE), loi de sélection, vieux rêve gaulliste (Parcours Sup, 2018) et loi managériale (LPPR, 2020). Ce double volet, maintenant assez classique en politique ca­pitaliste, permet d’enserrer de plus en plus la jeunesse qui y étudie dans des noeuds économico-répressifs ultra ténus, sans possibilité de sortie du cadre, ni de se rebeller, la précarisation en plus.

III bis – Se surajoute à la solution « chocale » (état d’urgence) et brutale (sécurité globale), la tactique rampante de l’école néolibérale britannique des « mi-cropolitics ». Pas celles des intellos deuleuzien, non, l’expression est re­prise aux philosophes français par l’économiste écossais Madsen Pirie et son groupe de Saint Andrews, comme une série de méthodes « douces » vi­sant à « […] générer des circonstances dans lesquelles les individus seront motivés à préférer et à embrasser l’alternative de l’offre privée, et dans la­quelle les gens prendront individuellement et volontairement des décisions dont l’effet cumulatif sera de faire advenir l’état de chose désirée. » (Dis-manting the State: The Theory and Practice of Privatisation, traduit par Grégoire Chamayou dans La société ingouvernable, 2019).

On se doute bien qu’ici, le but recherché, n’est pas la Commune Libre, mais plutôt une sorte de dystopie orwellienne libérale où dans celle-ci, a contrario des dictatures classiques, ce n’est pas la liberté et l’autonomie politique en tant que telles qui sont attaquées et dissoutes, mais les cadres de légitimité et de mise en place où celles-ci s’exercent. Par un jeu de gri­gnotage de certains verrous législatifs, coutumiers, et moraux, grignotages vus comme « bataille-cliquet » (école autrichienne ultra-libérale Hayek, Higgs) subrepticement gagnés et propres à chaque « secteur » de l’activité humaine, se réalise le remplissage des énergies dissolvantes du capital dans toutes les stances de la vie quotidienne. Toute remise en question a poste­riori est jugée vaine puisque « irréaliste » et «plus d’actualité ». De plus en plus de nouveaux choix, dans le monde de l’entreprise ou de la vie quoti­dienne, sont plébiscités comme «nouvelles libertés» alors qu’ils sont la dissolution parfaite du choix politique dans le régime de la consommation-citoyenneté. Pour exemple de cette « technologie politique », on peut citer les nouveaux régimes de retraites où le choix est laissé individuellement au travailleur de partir avant le nouvel âge légal et de cotiser dans des fonds de pension s’il souhaite toucher plus d’argent. À l’université, les micropo-litics se traduisent par exemple dans le faux choix entre « des formations d’excellences favorisant l’interdisciplinarité et les pédagogies inno­vantes » (Pub de l’UGA) et les filières massacrées des anciennes humanités non récupérables pour le capital (Latin, Grecs…). Où bien encore on peut citer la promotion de « l’autonomie » des facultés (LRU) alors que, depuis 20 ans, le processus de Bologne pousse à l’inverse.

IV – Cet achèvement époquale est aussi, comme toute mutation structurelle, un moment de fragilité du statu quo démocratique et donc, un moment délicat pour les structures politico-économiques. En reprenant la métaphore de l’insecte chère à l’économiste libéral Walter Rostow évoquant les muta­tions économico-politiques d’ampleurs des sociétés capitalisées, c’est au moment des « mues », quand toute l’énergie est dirigée vers le changement de forme, que l’organisme est le plus vulnérable.

En ce qui concerne le monde universitaire, la jeunesse-qui-s’oublie dans ces clapiers de 9m2 ou rentrée chez papa-maman pour télétravailler, en tout cas seule devant un écran, peut maintenant prendre le temps de se poser les questions métaphysiques du sens de la vie et des études. Elle bouillonne ! elle fulmine ! cette jeunesse, à tourner en rond dans sa cage écranique en attendant que ses lieux d’études — nonobstant qu’ils sont aussi ses lieux de socialisation — ne réouvrent. Et si ça tarde trop le gouvernement sera content de leur trouver d’autres occupations forcément « éthiques » et « so­lidaires » en « servant la France » par exemple dans des travaux forcés dit « d’intérêt général » (allez nettoyer notre merde sur les plages ou ailleurs, ça vous passera l’envie de vous rebeller !) Ou alors le gouvernement tente le coup en traître de l’endormissement à peu de frais. Le genre de promesses mesquines des quelques miettes pécuniaires de la « revalorisation du pouvoir d’achat» des bourses, etc., et dont cette saloperie condescen­dante du 1€ la soupe au RU en est le summum… espérons juste, qu’après tout cela, la petite pilule bleu (#Youtube,#Netflix) n’achève pas l’élan vi­tal.

« Lasciate ogni autonomia voi che entrate ! »

Mais la Puissance, prise de cours et mettant toute l’énergie dans sa « mue » (les câbles et les antennes à relier, les programmes à formater, les failles du consensus à reboucher, etc.), la jeunesse dispose encore de quelques marges de manoeuvre avant que son énergie soit pokeballisée de nouveau : voyez, les manifs qui reprennent de plus belle, avec les soirées interlopes et les free party, ces mouvements se mélangeant allègrement dans des lieux impromptus — parcs, hangars, terrains vagues —, sortes de « trous positifs » (Bureau d’urbanisme unitaire) où la négativité d’un rejet total de la société (se terminant souvent par de la confrontation avec les forces de l’ordre) voisine avec des pratiques créatrices : cantines populaires et vins chauds, spectacles de feu, pantomimes & clowneries, tracts, affiches, banderoles. Et là aussi les questionnements et les débats vont bon train concernant le sens à donner à cette vie qui reste confinée aux exigences économiques. La vitalité ensauvagée de la jeunesse ne peut se laisser cloisonner, et les failles sont encore nombreuses où, face à ce mur sanitaire, les élans des lycéens, étudiants et précaires débordent les assommantes punitions de papa-État. Les technocrates n’ont bien sûr pas que ça a faire ! Rivés devant les courbes et les paroles d’experts (le pouvoir décomposé qui se fige dans ses propres prérogatives économiques et électoralistes), ils mènent le combat historique face aux virus et surtout face à l’opinion publique. Et pendant que les flics désespèrent dans leur rôle de pervenches sanitaires (en atten­dant la création de « brigade sanitaire citoyenne » sur le modèle des voisins vigilants), il y a tout un monde en ébullition qui trépigne sous le masque ci­vique du « sanitairement correct ». La société virale a beau être devant nous, les convulsions historiques ne sont pas près (encore) de s’arrêter.

V – Et c’est là que la question de la reprise en main des vies cloisonnées croise la critique acerbe de notre monde hautement technifié. Cela fait des années que certains collectifs crient au loup à tout-va à chaque saut technologique et sécuritaire. Sur ce, la mise en branle de collectifs et associations comme la Quadrature du Net ou Écran Total et la mise en mouvement d’idées technocritiques dans des manifs et des actions aussi diverses que contre les compteurs communicants ou le puçage des animaux, l’informatisation des bibliothèques et des CAF, permet un changement de paradigme dans la contestation vieillie portant sur « les moyens de production ».

L’art de la critique reprend de la vigueur dans de nombreux collectifs se permettant au passage d’éditer textes, brochures, tribunes et livres. Sans compter la critique en acte, sabotages populaires de symboles de la techno­cratie (antennes, transformateurs, véhicules…) qui ponctue, çà et là, le quotidien morose du citoyen propre & connecté, de quelques « coupures » salutaires lui rappelant ainsi la fragilité du Progrès dignement acquit.

C’est au croisement de toutes ces énergies aux potentialités révolution­naires nouvelles, dans un vide tellurique politique, qu’il est opportun de créer des contre-lieux à l’université et ailleurs, où puissent s’y retrouver (et s’y perdre) cette vitalité.

VI – Dans cette période bascule, qui projette l’entièreté des relations humaines vers les fils canoniques du réseau technologique, l’ouverture de lieux pi­rates, où le lien réel peut se faire librement, devient la plus haute des sub­versions. Qu’ils restent cachés à l’abri des regards ou magistralement expo­sés comme actes d’autonomies politiques (voyez cette prof de philo à Rennes qui donne des cours magistraux « interdits »), ces espaces-temps hors des temporalités virales du negotium contemporain (confinement / couvre-feu / état d’urgence / boulot / métro / chimio) sont des bases où les énergies subversives peuvent se rallier et se choyer. C’est avant tout ce genre d’initiative qu’il s’agit maintenant de renforcer ou de recréer de toute pièce, à l’intérieur des facs et sur leurs pourtours. Maintenant qu’il n’y a plus rien, c’est le moment opportun de tout faire !

Un local associatif moribond ?, un amphi sinistre ?, une salle de TD dont on détient la clé ? un hangar désaffecté ? Même un banc abrité… De la plus petite faille dans les murs du consensus, où l’on puisse se nicher à plu­sieurs, quelque chose de neuf, quelque chose de l’ordre de la décence hu­maine, peut reprendre vie et s’expandre. Sans mensonge ni tactique parti­sane, il y sera salutaire d’y faire naître quelques idées nobles, ici exposées sous forme de mots-clés, aux champs interprétatifs ouverts, afin que ni les puissants, ni la propagande, ni la scélératesse vision-du-monde-actuelle (Weltanschauung), n’y puissent dominer et ceci faisant, à l’occasion de rencontres, y faire mûrir des luttes, dans de multiples, divers et non-linéaires directions. Et sache, fantôme étudiant, qu’il existe tout un Inter-monde, entre la froidure de tes amphis servils et la chaleur bientôt suffo­cante des data centers qui remplissent en ce moment les écrans de ta vie, maintenant si souvent connectée.

Critique radicale : La pensée critique n’est pas une sorte de posture de l’esprit, de méfiance et d’arrogance qu’il s’agirait de faire advenir dans la tête de l’étudiant et celles de ses cothurnes. C’est avant tout des méthodes et techniques théoriques et pratiques qu’il faut transmettre et (ré)apprendre à se servir (enquête critique, dialectique, historicisation, curiosité & préci­sions dans la théorie, matérialisme radical, démystification, irrévérence en­vers les lieux communs, les doxas et le politiquement correct, retours in­cessants entre la théorie et la pratique, critique en actes, confrontations, dialogue véritable et langage nouveau). « Et critiquer (avant de connoter quelque chose de négatif, le reproche ou le blâme), c’est d’abord cela : examiner, trier, nuancer (gr. tekhnè diakritikè : l’art de distinguer), passer au crible fin, en toute indépendance, telle ou telle opinion ou proposition ; rechercher les présuppositions qui s’y trouvent impliquées, y discerner ce qu’elle a de nécessaire ou légitime et ce qu’elle a d’arbitraire ». (Plinio Prado, Le principe d’université, pp. 14-15)

Ouverture : Ce genre de lieu, pour ne pas péricliter, doit faire preuve de la plus grande ouverture possible. Dans un double mouvement d’enrichisse­ment d’énergies les plus diverses possibles et de reflux vers d’autres sphères non-universitaires, cette respiration est un gage que la critique se surpasse en permanence. Cependant que l’ouverture ne signifie pas naïveté politique, à bon entendeur…

Communication : «La question de la communication d’une théorie en formation aux courants radicaux eux-mêmes en formation (communication qui ne saurait être unilatérale) tient à la fois de « l’expérience politique » (l’organisation, la répression) et de l’expression formelle du langage (de la critique du dictionnaire à l’emploi du livre, du tract, d’une revue, du ci­néma, et de la parole dans la vie quotidienne) » (extrait du «Rapport de Guy Debord à la VIF Conférence de VIS. à Paris », juillet 1966.)

Action : Il est peut-être d’une évidence toute folle aujourd’hui, dans cette ère de la passivité généralisée et de la mise en avant du « symbolique », de souligner que la critique n’est pas seulement la distinction des choses et le dévoilement de leurs inter-relations, mais bien plus leur combat dans ce qui paraît être la mise en acte d’une théorie, sa concrétion. Ainsi toute critique véritable contient en elle le sens de la négation.

Acratie : Critiquer le pouvoir comme sujet abstrait ne suffit pas. Il est né­cessaire pour que ces lieux ne dépérissent pas en groupuscules ultra-gau­chistes ou en vitrine subversive de l’institution (cf. Vincennes), qu’ils s’inscrivent dans le dénuement de puissance. En se mettant dans une op­tique de ne pas chercher les rapports de pouvoir (pas de hiérarchie, pas d’individualisation des tâches, pas de grosses structures et de financements conséquents), une attention particulière de tous les instants sera portée sur les savoirs/pouvoirs, concentrés et diffus, présents en ces lieux. Sur cette base, tout ce qui s’organise doit le plus possible négliger les fonctions et le fonctionnalisme, les spécialités, les rôles d’experts et dynamiser les formes tournantes de pratiques organisationnelles et politiques en intégrant de ma­nière simple (cf. Ouverture) les personnes qui ne sont pas du milieu univer­sitaire.

Autonomie : Il peut être important de souligner que c’est dans ce haut lieu aliénant, tant pour ses travailleurs que pour ces clients-usagers, qu’est l’Université moderne (et nonobstant sa production des moyens de l’aliéna­tion), qu’il est primordial de développer l’autonomie comme le sens aigu d’auto-formation de ses propres bases politiques et matérielles. Là est le socle de ce qui peut renverser radicalement, le rapport d’exploitation et de domination. Et cela ne peut advenir que par des mouvements réels et com­batifs de personnes se sentant en lien et formant des fronts de lutte ouverts. Ceci rejoint les points sus-cités.

Amitié : Si les sociologues ont inventé le « lien social » afin de l’étudier, il convient de ne rien inventer du tout et d’imaginer nos rencontres futures comme de potentielles amitiés fécondes.

VII – Au point où nous en sommes, il convient de ne pas oublier une chose im­portante : si la technoscience et ses thuriféraires sont nos ennemis déclarés, le but final de ces énergies que nous appelons à voir revenir dans les uni­versités, ne peut être voué à retomber dans les mêmes travers d’efficacité et de réification de l’homme que la technoscience propose. Bien au contraire, l’absence de visée, c’est-à-dire l’absence d’efficacité gestionnaire et tech­nique pour une supposée délirante « augmentation de la puissance » (qui si­gnifierait un surcroît dans la gouvernance autoritaire) ou encore pire d’« empouvoirement » (qui signifierait au final, qu’on le veuille ou non, un surcroît de pouvoir, c’est-à-dire dans le monde technifié, une amplification de la domination par des machines et des « technologies politiques »), doivent être au centre des attentions. Sans parler de récupération (aborder dans la proposition suivante), il faut se méfier des opportunistes et de la pensée mesquine entrepreneuriale, pressante aux encolures dans le milieu universitaire : aérosol macroniste imbibant l’air de notre temps, d’acquisi­tion de « compétences », de « skills », et de « plans de carrière ».

Cette pensée ne date pas de Jupiter et est l’une des marques de fabrique de la petite-bourgeoisie intellectuelle, cette couche sociale des petits agents spécialisés dans les divers emplois de ces « services » dont le système pro­ductif actuel a si impérieusement besoin : gestion, contrôle, entretien, re­cherche, enseignement, propagande, amusement et pseudo-critique. Au sein de la machine, cette classe a pour fonction la « reproduction » du capital via la maintenance et l’amélioration de la technostructure. Et ce sont pen­dant les moments de « flottements » de la machine, quand le programme central reboot et où les élans de jeunes étudiantes et étudiants encore non totalement encadrés, encastrés dans cette couche, parviennent à s’unir col­lectivement, qu’il peut se passer des choses intéressantes.

Et en même temps, il faudra en permanence se méfier de nous-même (auto­critique) dans la tendance à l’utilisation du savoir dans la société technique et gestionnaire qu’est la nôtre, c’est-à-dire sa transformation consubstan­tielle en pouvoir. L’hubris nous mène par le bout du nez et, il serait alors facile, pour une institution universitaire, de nous tendre la perche au mo­ment opportun, nous proposant une petite place dans l’ascenseur social universitaire (start-up, place administrative, business plan, subventions, sa­laires, BDE, CA, CVU, etc.)

VIII – Car la récupération est une pratique vivace à l’université, en recherche constante d’innovations et de trouvailles humaines. C’est sa fonction prin­cipale d’ailleurs, elle qui doit alimenter en chair humaine, brevets, et sa­voirs frais le ventre jamais repu du Moloch, il ne faudrait pas l’oublier. Tout le monde « récupère » à la fac : d’un chercheur récupérant les travaux d’un collègue sans citer sa source, d’un startupper piquant une découverte non-breveté, d’un techno essayant de faire fortune en fouillant dans les ar­rières-cours des découvertes passées, d’une administration pompant libre­ment l’énergie de ses jeunes vacataires, tout ça est le commerce normal d’une « communauté du crime » qui ne dit mot.

Les syndicats et partis politiques eux aussi en sont de la partie, toujours aux aguets pour renflouer les caisses et enrégimenter — en jouant sur la corde sensible de la « solidarité » et en agrémentant leurs tracts de termes à la mode appris hier de leurs aïeux sociologues pompeux et bien en chaire —quelques étudiants de bonne volonté voulant mettre leur rage, leur énergie et leur dégoût de la société dans une organisation qu’il juge libératrice. Et puis c’est comme chez papa-maman, on nous apprend des choses, on nous donne des ordres, il y a un cadre, des règles, des punitions et des récom­penses, on nous donne un nouveau corpus de légitimité et en avant la troupe, drapeau et pancarte au vent !

Et force est de constater que, depuis 2016, le désert politique croît sur les campus, malgré quelques actes téméraires relevant de la bravoure, la pen­sée de l’autonomie politique a pratiquement disparue des débats en AG. Ce désert est tout encadré et propagé d’un côté par la gauche réformiste issue en grande partie des syndicats d’enseignants, aux méthodes corpo et pater­nalistes, qui ne se bougent les fesses qu’une fois l’an, quand une loi vient chatouiller d’un peu de trop près leur bagne climatisé pour en modifier la température de quelques degrés Celsius ; et de l’autre par ce communisme de caserne, à l’autoritarisme à peine caché, qui prend vraiment les étu­diants pour de la piétaille, qu’il faudrait abêtir par des slogans simples et redondants afin de provoquer mécaniquement ce qui s’appelle dans le jar­gon de l’« agitation » (mais pourquoi au fait ?). Bien entendu, les deux ten­dances faisant semblant de se haïr, tout en chérissant de tous leurs efforts et par pur intérêt ce consensus démocratique, qui permet un recrutement constant d’adhérents, des postes dans les conseils, un droit de parole illimi­té dans les AG et une mainmise en général sur les affaires universitaires. Les stratèges sont là, en position sur les parvis des BU, distribuant leurs tracts saupoudrés d’un verbiage adaptable aux clients potentiels. Il est dur dans ces conditions, même pour un esprit sain, d’y voir clair dans leur jeu de dupe. Au moins, à l’époque du GUD, il était plus facile de passer de la critique des mots à la barre de fer, maintenant cela passerait pour de « l’an-ti-démocratisme ».

IX – Au principe d’amélioration des conditions présentes dont la communauté universitaire se targue de porter comme une de ces valeurs première, il convient donc de substituer celui de négation et ses variantes sur la base du NON : non-compromission, non-construction, non-amélioration, non-légi-fération, non-travail. Dans les conditions présentes, la loi de Gabor jusque-là jamais démentie, il n’est en aucun cas possible de croire que la posture aristo du « savoir pour le savoir » peut viser à un quelconque débordement des institutions universitaires.

Dans le techno-capitalisme tout part du pouvoir et tout lui revient (en droit). La prétention à l’élévation humaniste et encyclopédiste a double­ment failli tout simplement parce que ses bases sont fausses : en séparant le savoir (gr. épistémê) vu comme universel, de la société particulière qui le produit, le chercheur à l’ère industrielle (gr. technê mekhanê) a toujours substitué la question du «Pourquoi ?» philosophique à celle du « Com­ment ? » ingénieuriale, poussé de toute part pour trouver « les moyens de… ». L’ « intellect général » est un des maillons essentiels au développement acharné des forces techno-capitalistes, et le « savoir » jamais neutre, se fructifiera tôt ou tard en pouvoir et puissance. La société qui produit en même temps les conditions d’un savoir hautement abouti techniquement et complexe, est aussi celle qui permettra son utilisation de manière morti­fère. Ou dit autrement, le savoir produit dans le cadre scientifique mo­derne, contient déjà en lui la propension à son utilisation capitaliste et tech­nologique. La recherche scientifique est un Janus mortifère qu’il faut main­tenant regarder en face !

Et donc, il ne s’agira pas ici, d’inculquer du savoir mais seulement de re­trouver le goût de vivre librement et de pratiquer la vie, la critique en actes, c’est-à-dire de trouver et retrouver ce qui actuellement et par le passé, per­met et a permis a tant de gens de sortir de l’ornière et de comment ils se sont organisés (ou pas) pour le faire.

La mise en pratique effective de ces « universités autonomes » est la vie collective qui se développe dans ce genre de lieu, ce que l’on a envie de voir pousser et effectivement, ça pousse de toutes parts ! Il est à parier que si ce genre de lieu arrive à vivre, les âmes re-ennoblies par les nouveaux liens amicaux et la poussée collective, se sentent vite à l’étroit dans les murs qui les enserrent et que se propagent — au moment où les regards se tournent ailleurs — des négativités fécondes sur les bancs (démontés) des amphis et les bureaux bordélisés des chercheurs.

X – Que cela soit clair, il n’est pas question de recréer ici des « techniques poli­tiques » de management, de formation ou de direction de « lutte émancipa­trice », ou bien encore de viser à un quelconque résultat en termes de « gain de puissance » ou de «bataille à gagner ». Le but de cet appel est de faire sortir de ses gonds la sinistrose universitaire sans en passer par le pouvoir ; d’arriver à proposer des pistes hors normes permettant des dépas­sements internes. Parce qu’on ne peut rester sur les acquis d’une supposée force motrice universitaire issue des mouvements passés, qu’elle s’appelle « université alternative », « fac autonome », « cours alternatifs », « espace autogérée » ou tout autres vocables de l’altérité.

Culturellement, cela passe par la démolition, une bonne fois pour toutes, de la culture élitiste, fille du mythe des « humanités libératrices » et de cet in­tellectualisme, un brin pédant, un Foucault dans une main et un iPod X dans l’autre, érigeant leur misère comme « style de vie ».

Et structurellement, contrairement à la ghettoïsation maintes fois opérée par les technocrates (cf. « le ghetto expérimental » de la fac de Vincennes), il est impérieux de ne jamais se faire déborder par la gauche par les insti­tutions de la marchandise intellectuelle. Si « ça marche », si l’appétit de l’alternative botte les colporteurs de l’Université moderne, c’est que la cri­tique s’est essoufflée et ne produit plus que le reflet d’elle-même, sa repré­sentation comme traduction du vivant en « concept » alors maintenant « masterisable » et pouvant se vendre comme bonne came dans des sémi­naires de sociologie ou de linguistique créative. « On reconnaît la théorie critique exacte en ce qu’elle fait apparaître ridicule toutes les autres » di­sait un jour un alcoolique notoire.

Au plus proche des réalités merdiques du monde, l’acte de la critique pour être vivant, doit faire coïncider dans un même mouvement, l’observation précise et sans compromission des mécanismes de la société, à la critique en actes, réelle et communicative, de ces mêmes mécanismes. Tâchons de ridiculiser ces universitaires ès luttes sociales en luttant dans leur cours, à la place de leur cours. Et s’ils ne font plus que du distanciel ? no matter, la lutte est de toute façon dans la vie réelle.

« Les résidus de la vieille idéologie de l’Université libérale bourgeoise se banalisent au moment où sa base sociale disparaît. L’Université a pu se prendre pour une puissance autonome à l’époque du capitalisme de libre-échange et de son État libéral qui lui laissait une certaine liberté margi­nale. Elle dépendait en fait étroitement des besoins de ce type de société : donner à la minorité privilégiée, qui faisait des études, la culture générale adéquate avant qu’elle ne rejoigne les rangs de la classe dirigeante dont elle était à peine sortie. D’où le ridicule de ces professeurs nostalgiques, aigris d’avoir perdu leur ancienne fonction de chiens de garde des futurs maîtres pour celle, beaucoup moins noble, de chien de berger conduisant, suivant les besoins planifiés du système économique, les fournées de « cols blancs » vers leurs usines et bureaux respectifs. Ce sont eux qui opposent leurs archaïsmes à la technocratisation de l’Université, et continuent im­perturbablement à débiter les bribes d’une culture dite générale à de fu­turs spécialistes que ne sauront qu’en faire. » (De la Misère en milieu étu­diant)

 

QUELQUES MATÉRIAUX POUR UNE SUBVERSION DE L’UNIVERSITÉ

  • Groupe Grothendieck, L’Université désintégrée. La recherche greno­bloise au service du complexe militaro-industriel, Le monde à l’envers, 2021.
  • Alexandre Grothendieck, «Allons-nous continuer la recherche scienti­fique ? », Disponible sur <www.sniadecki.wordpress.com> (Retrans­cription de la conférence-débat donnée à l’amphithéâtre du CERN, le 27 janvier 1972.)
  • Survivre et Vivre, Critique de la science, naissance de l’écologie, coor­donnée par Céline Pessis, l’Échappée, 2014. Compilation de texte de la re­vue subversive d’écologie radicale dont Alexandre Grothendieck fut un membre très actif. L’introduction de Céline Pessis (qui reprend le texte de son mémoire : Les années 1968 et la science, Survivre… et Vivre, des ma­thématiciens critiques à l’origine de l’écologisme) est très bien documenté sur le contexte historique et politique du milieu scientifique des années 70.
  • La commune des mortel-le-s, Toulouse nécropole. Spécialités locales pour un désastre global, 2014, disponible sur <www.IATAA.info/toulouse-necropole> et <toulouse.necropole@riseup.net>.
  • Patrick Fridenson, «La politique universitaire depuis 1968 », 2010, <https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2010-4-page-47.htm> Article universitaire très détaillé sur les différentes réformes des universi­tés. Tableau clinique rigoureux et politique des gouvernements avec l’ESR.
  • Antonia Birnbaum, «À quoi bon l’université », Lundi matin n° 57 <https://lundi.am/>. Un témoignage sincère et brut de décoffrage sur une prof de philo à la fac et sur la question de la persistance de l’Université.
  • Anne Steiner,« Université: la changer ou l’achever ? », 2014 sur <www.sniadecki.wordpress.com>. Très bon texte concernant les rapports de classes et liens entre l’université et l’économie capitaliste.
  • «Étudiez, y’a rien à voir !» brochure, Éditions Autonomes de Nanterre, 2010.
  • Raoul Vanegeim, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, Pour sentir toute la fraîcheur de la révolte de Mai 68 et en même temps pour mieux comprendre la société du spectacle.
  • De la Misère en milieu étudiant considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier, Association Fédérative Générale des Étudiants de Strasbourg, 1966. <https://infokiosques.net/spip.php?articlel4>
  • Révolution dans l’université, quelques leçons théoriques et lignes tac­tiques tirées de l’échec du printemps 2009, éditions La ville brûle, 2010.
  • Plinio Prado, Le principe d’université, comme droit inconditionnel à la critique, Éditions lignes, 2009. Disponible gratuitement en ligne. Quelques passages intéressants même si c’est à chaque fois pareil avec les faqueux, dès qu’ils veulent contester l’université, ils retombent dans cette espèce d’archaïsme bourgeois et ne voient pas que leur « principe d’université » émancipateur et libéral (Humbolt et tutti quanti) est le paravent qui cache le principe d’université moderne à savoir : la technoscience.

 

On présente souvent la recherche scientifique corne une aclivié neutre et désintéressée, menacée par un secteur privé prédateur. Contre la privatisation rampante de l’université, les syndicats et les forces de gauche veulent défendre « la recherche fondamentale », « la science pure », et « remettre les chercheurs au centre de la société ».

La fable est belle ; le problème est pourtant bien plus profond.

Dans ces deux textes, le Groupe Grothendieck analyse les tranformations en cours de l’université (digitalisation, management…) en les replaçant dans la dynamique du capitalisme moderne. Contrairement à la jolie fable, connaissance « objective » du monde et marchandisation ne s’opposent pas : elles se complètent. Face à au Moloch qui broye les salariés et formate les étudiants, ces textes proposent alors des pistes pour s’organiser et lutter dans et contre l’université.

« Maintenant qu’il n’y a plus rien, c’est le moment opportun de tout faire I »

Nommé ainsi en hommage au mathématicien Alexandre Grothendieck, le Groupe Grothendieck est composé d’étudiants, d’étudiantes, de démissionnaires de l’Université, de non-experts experts-de-leur-vie, d’anti-tout jamais contents, de fouineuses d’informations, de perturbatrices de conférences guindées, de doctorants (bientôt chômeurs) fans d’Élisée Reclus. Il a publié L’Université désintégrée (Le monde à l’envers, 2020).