L’alimentation, arme du genre – Tristan Fournier, Julie Jarty, Nathalie Lapeyre et Priscille Touraille

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À la mémoire de Nicole-Claude Mathieu

Ce dossier est le fruit d’une rencontre entre trois sociologues et une socio-anthropologue autour du constat suivant : un vide théorique caractérise le croisement des champs du genre et de l’alimentation dans le monde francophone. L’appel à contribution lancé en 2014 par le Journal des anthropologues avait pour objectif de sonder ce vide et de permettre l’émergence de questionnements inédits et de données susceptibles d’alimenter le peu d’études empiriques disponibles sur le sujet. Nous espérions, par cet appel, « essayer de savoir et de faire savoir ce que l’univers du savoir ne veut pas savoir », selon la formulation de Bourdieu (1997 : 14).

Les études sur l’alimentation et les études sur le genre ont plusieurs points communs[1]. Elles ont dû extraire leurs objets de la gangue naturaliste où la pensée commune – et savante – les tenait (non, l’alimentation ne sert pas qu’à combler des besoins vitaux ; non, les catégories « hommes » et « femmes » ne sont pas données par la nature). Elles sont par constitution transdisciplinaires. Et elles entendent rendre compte dans toute sa complexité du fonctionne­ment de politiques sociales qui cherchent à s’ignorer comme telles (Lapeyre, 2014). À tous ces titres, elles ont rencontré des résistances académiques majeures.

Aujourd’hui en France, elles constituent des champs émergeants, et toutes deux font partie des axes prioritaires du CNRS. Mais ces axes restent étrangers l’un à l’autre. L’absence de connexion est très visible. La thématique de l’alimentation est quasiment absente de l’Introduction aux études sur le genre disponible en France ; les auteur-e-s y consacrent seulement un en­cart dans leur chapitre sur la socialisation (Bereni et al., 2012 : 119), constitué par un extrait de La Distinction de Bourdieu. Les études sur l’alimentation, de leur côté, n’ont pas pour cadre de référence le corpus théorique des études sur le genre. Si le sexe est régulièrement pris en compte comme variable sociologique, les données sont da­vantage interprétées au travers de la grille de lecture fournie par la sociologie de la famille (Bélorgey, 2011), hormis quelques travaux qui tentent de la dépasser (voir par exemple Corbeau, 2004 ; Fournier, 2012). Et les tensions sont particulièrement saillantes entre les études sur le genre et les recherches sur la famille, ces dernières n’ayant pas pour point de départ la question théorique des inégalités – particulièrement celles produites au sein de l’institution familiale (Ferrand, 2004).

Genre et alimentation : quelles bases pour une recherche programmatique ?

C’est un constat de l’anthropologie sociale que bien des gens ignorent, ou choisissent d’ignorer : quels que soient les concepts pour la définir – « subordination » ou « arraisonnement » des femmes (Mathieu, 1985), « valence différentielle des sexes » (Héritier, 1991), « domination masculine » (Godelier, 1982) – la hiérarchie hommes/femmes est une réalité qui concerne toutes les sociétés humaines étudiées. Loin d’être l’épiphénomène que le féminisme de l’égalité a bien voulu laisser croire, les pratiques d’inégalité sociale sont la conséquence de la différenciation sociale qui nécessite d’instituer deux catégories humaines discriminatrices (les « hommes », les « femmes ») en se servant de la contribution biologique différenciée des corps dans la procréation : ceci repré­sente l’apport incontournable des épistémologies féministes dites matérialistes (Mathieu, 1985 ; Guillaumin, 1992 ; Tabet, 1998 ; Delphy, 2008 ; Bereni & Trachman, 2014 ; Bereni et al., 2012 ; Clair, 2012). Raymond Kelly, anthropologue malheureusement peu connu dans le champ des études sur le genre et qui a tenté de théoriser les difficiles questions de l’inégalité sociale ou de la guerre, a proposé une définition-clé de l’inégalité : « l’inégalité sociale peut être minimalement définie comme une différenciation sociale accompagnée par une évaluation morale différentielle » (Kelly, 1993 : 4). L’évaluation morale différentielle peut être conceptualisée comme projet et/ou comme conséquence du dispositif de différenciation. Si donc l’inégalité se confond avec la différenciation, et si une différenciation sociale prétendument justifiée par le sexe est exercée par toutes les sociétés humaines, l’inégalité n’est alors ni un fait aléatoire ni un fait optionnel. L’inégalité est un fait structurel. Le genre est un dispositif d’inégalité sociale. Qu’est-ce à dire ? Si l’inégalité est un fait de structure – si elle constitue une « contrainte » pour la pensée dans le sens où Claude Lévi-Strauss entendait ce concept – il faut s’attendre à trouver des pratiques inégalitaires dans tous les domaines de la réalité sociale. Le genre est un dispositif qui fabrique de l’inégalité à tous les étages. C’est là un modèle scientifique fort que l’épistémologie féministe a fourni aux sciences sociales. Quel que soit le domaine d’étude, et quelle que soit la société étudiée, les chercheur-e-s doivent s’attendre à trouver sur leur terrain des représentations et des pratiques inégalitaires genrées (ceci est d’ailleurs un pléonasme). L’alimentation n’échappe pas à cette prédiction. Aussi l’étude de l’alimentation aurait-elle tout à gagner à intégrer la grille de lecture fournie par le genre et les études sur le genre enrichiraient et renouvelleraient leurs cadres d’analyse en constituant l’alimentation comme une entrée majeure.

Il serait cependant faux de dire que des tentatives n’ont jamais été faites pour nouer ce lien. En 1976, une équipe du CNRS intitulée « Anthropologie alimentaire différentielle » est ainsi créée. Réunissant notamment ethnologues et anthropobiologistes, elle est la seule à avoir eu une perspective nutritionnelle non symboliste à son agenda. Cette équipe proposait un cadre de recherche véritablement programmatique : elle entendait mettre en relation disponibilité alimentaire, usages alimentaires, conséquences physiologiques, politiques identitaires et systèmes économiques et religieux. Elle prévoyait de combiner le recueil de données qualitatives sur la cul­ture matérielle (ethnobotanique, ethnozoologie, ethnophysiologie) autant qu’idéelle – telle que le pratiquent les ethnologues – avec celui de données quantitatives tel que pratiqué en anthropométrie nutritionnelle. Ce programme de recherche au croisement de l’anthropologie sociale et biologique possédait une portée heuristique unique et permettait d’interpréter les usages alimentaires différentiels à la fois en rapport à un contexte culturel donné et dans une perspective comparative. Malgré quelques articles prometteurs, ce programme a cependant raté le train du genre. Alors qu’il était le seul à s’occuper d’alimentation « différentielle », les chercheur/euses de l’équipe ont négligé les perspectives en termes de domination masculine ouvertes par C. Meillassoux (1975) ou M. Godelier (op. cit.) et ils et elles ont ignoré les publications de l’épistémologie féministe matérialiste en France, en ethnologie et en sociologie, qui ont pointé précisément les questions à poser à l’intersection du genre et de l’alimentation. C. Delphy (1975) dans un article intitulé « La fonction de consommation et la famille », argumentait sur la néces­sité d’étudier la consommation différentielle entre hommes et femmes, que l’on doit cesser, disait-elle, de tenir pour égalitaire a priori. Quelques années plus tard, M. Ferrand posait la question « Faut-il nourrir les enfants ? » (Ferrand, 1983) dans un texte qui montrait la continuité entre la reproduction, sur laquelle se fonde l’idéologie de nature, et son extension durable et abusive dans la figure de la mère nourricière. Cette assignation sociale concerne non seulement les enfants, mais encore l’ensemble des membres de la famille étendue. Dans un article qui a fait date, N.-C. Mathieu déplorait le manque d’informations données par les ethnologues sur une éventuelle alimentation différentielle par sexe et appelait à relier cette investigation à un calcul précis de la dépense énergétique chez les hommes et les femmes (Mathieu, op. cit. : 187‑189). C. Guillaumin, quant à elle, évoquait très précisément, dans un chapitre de son ouvrage intitulé « Le corps construit », les conséquences de la nutrition différentielle sur la différenciation des corps (1992 : 122-123). Des travaux de l’équipe « Anthropologie alimentaire différentielle », seuls ceux d’I. De Garine faisaient cas de saisissantes inégalités alimentaires entre femmes et hommes sur son terrain africain et considéraient les graves conséquences qu’elles engendraient (De Garine & Koppert, 1991). Délaissant cependant les pistes du genre ouvertes par De Garine, l’équipe a, par la suite, cessé de s’intéresser à la dimension différentielle et inégalitaire de la consommation entre femmes et hommes (Hladick, Bahuchet & De Garine, 1990). Plus tard, et dans le champ de l’alimentation, des jalons de réflexion sont de nouveau posés dans le travail collectif coordonné par A. Hubert (2004) autour des pressions exercées sur les femmes dans les « façons de manger » et les « façons de penser ». Des pressions qui sont également mises en évidence par T. Fournier dans une analyse de la normalisation de l’assignation des femmes au travail de préparation de « repas sains » pour leurs conjoints « malades » (op.cit.).

Si ces perspectives demeurent toujours très éparses en France, des publications issues du monde anglophone ont appelé très spéci­fiquement à connecter les études sur le genre et les études sur l’alimentation (McLean, 2013). Depuis une vingtaine d’années, des travaux véritablement programmatiques ont été publiés au croisement de ces deux champs, au nombre desquels nous citerons celui de l’anthropologue de l’alimentation Carole Counihan, à la­quelle on doit ces deux idée-force : « le contrôle de la nourriture peut être la plus grande arme de coercition, mais pour les femmes, elle ne l’est pas » (Counihan, 1999 : 47). Dans le même sens, Patricia Allen et Carolyn Sachs théorisent métaphoriquement les femmes comme enchaînées à l’alimentation et soutiennent que l’alimentation « enferme les femmes dans leur subordination » (Allen & Sachs, 2012 : 36). Ces auteures observent que les domaines qui permettent de relier les champs de recherche du genre et de l’alimentation « ont été sous-étudiés et n’ont pas été connectés » (ibid. : 23). Pour qu’un croisement heuristique émerge, expli­quent‑elles, « la connexion entre le travail des femmes sur la nourriture, la connexion avec le travail alimentaire des femmes sur le marché du travail, leur responsabilité du travail domestique relié à la nourriture et leur relation avec le fait de manger doit être étudié et adéquatement théorisé » (ibid : 23).

Le présent dossier, à travers les différentes contributions reçues, couvre au moins trois grands domaines d’investigation où se nouent de manière cardinale genre et alimentation : l’institution de la « division sexuelle du travail » qui met les femmes en charge de la plus grande part du travail alimentaire (seront envisagées autant les représentations que les pratiques de cette division), les pratiques de discrimination dans la consommation, et comment l’alimentation contribue à constituer des corps – et des consciences – différencié-e-s (genrés). Certains articles connectent parfois plusieurs domaines. Cependant chacun d’entre eux présente clairement une thématique principale, ceci justifiant la place qu’ils occupent les uns par rapport aux autres dans le dossier. L’alimentation émerge bien comme une grille de lecture heuristique pour comprendre et appréhender les diverses dynamiques inégalitaires du genre dans les sociétés des Nords et des Suds contemporaines.

L’enjeu princeps : la division sexuelle[2] du travail

La division sexuelle de la quête alimentaire est un topique de l’anthropologie sociale. En effet cette division concerne toutes les sociétés connues ayant vécu et vivant encore sur une économie de chasse, de cueillette et/ou d’horticulture. Les hommes « chassent », les femmes plantent, cueillent, ramassent, déterrent, cuisent et ren­dent la nourriture consommable. Cette division, avant Lévi-Strauss − qui le premier a commencé à la conceptualiser comme un ordre social – a fait l’objet de toute une série de « justifications physiolo­giques » (Brightman, 1996) soutenant son caractère prétendument « naturel ». Pour le dire vite, les femmes étaient en charge de la quête des glucides parce qu’elles n’étaient pas capables de chasser. Dans un article qui a fait date, intitulé « Les mains, les outils, les armes », P. Tabet (1979) a définitivement établi la division du tra­vail comme fait sociologique en montrant simplement que l’usage des armes est interdit aux femmes : les filles et les adolescentes n’en apprennent jamais le maniement (certaines sociétés ont prévu des sanctions en cas de transgression). Cet article marque véritablement l’entrée, en anthropologie, d’une analyse de la division sexuelle du travail en termes de genre (de socialisation différenciée). Tabet re­marquait aussi que c’est plus l’usage des armes que la chasse elle-même qui est interdit aux femmes, voulant dire par-là que les hommes, par le contrôle des armes, possèdent aussi celui de la vio­lence. Tabet tient certainement là une partie de l’explication. Son analyse omet cependant le rôle possible des facteurs nutritionnels. L’anthropologue américain Robert Brightman, dans un article inti­tulé « La division du travail de quête alimentaire : biologie, tabous et politiques du genre »a proposé, à la suite de Tabet, que « la créa­tion et la reproduction sociale de la division genrée du travail chasse/collecte dérivent de l’appropriation intéressée par les hommes du travail de chasse, et du capital social accumulé de ses produits » (Brightman, 1996 : 718). On peut, à la suite de ces deux auteur-e-s, avancer l’hypothèse selon laquelle l’interdit des armes, qui passe avant tout par la différenciation des savoirs (l’apprentissage des armes), masque le véritable interdit (silencieux et non-dit celui-là, comme beaucoup d’interdits) à savoir que les femmes ne doivent pas se procurer la viande par elles-mêmes[3]. Le fait que les femmes ne peuvent pas apprendre les savoirs techniques pour être en mesure de chasser les gros gibiers garantit aux hommes le contrôle à la fois sur la distribution et sur la consommation d’une nourriture que la plupart des populations humaines valorisent suprêmement pour sa valeur nutritive et gustative : la viande animale. Nous allons revenir sur la consommation dans la section suivante. Le contrôle sur la viande serait le motif nutritionnel de cette institution inégalitaire par excellence qu’est la division du travail par sexe. La viande est un enjeu de pouvoir parce qu’elle est convoitée par tous. Elle est l’alibi dont se servent les hommes pour accéder sans réserve à la production des femmes (jusqu’à 80% de la production alimentaire − glucides principalement – dans les sociétés de chasseurs‑cueilleurs) et profiter du travail qu’elles effectuent sur ces produits en les transformant en mets consommables (Touraille, 2008 : 338-343).

Concernant les sociétés industrialisées, la division sexuelle du travail étudiée par les sociologues (Collectif, 1984 ; Kergoat, 2000), recouvre l’assignation des femmes au travail domestique (gratuit), et invisibilisé comme « travail » (DeVault, 1991). Dans les études sur le genre, « la division sexuée du travail » est aujourd’hui conceptua­lisée comme « le nœud de l’oppression des femmes » (Bereni et al.op. cit. : 174). C’est un constat invariable des enquêtes emploi du temps de l’INSEE en France (Nabli & Ricroch, 2012) : 80% de la production domestique est effectuée par des femmes, et enquête après enquête, la contribution moyenne des hommes n’évolue que très lentement. Et si le temps de préparation culinaire a fortement baissé durant les dernières décennies, l’une des grandes constantes repérées concerne la division sexuelle des tâches relatives à l’alimentation (Warde et al., 2007). La spécificité de l’alimentation réside en ce qu’elle constitue ce que l’on appelle le « noyau dur » du travail domestique et qu’elle appelle à un enchaînement de tâches variées, complexes et potentiellement chronophages : planification des menus, achats alimentaires, transport des achats, stockage des denrées alimentaires, anticipation et préparation des repas, service, vaisselle, rangement, etc. Comme l’ensemble du travail domestique, il s’agit inlassablement d’une affaire de femmes. L’activité culinaire est extrêmement discriminante : 1h12 par jour pour les femmes contre 22 minutes pour les hommes, toutes journées confondues ; l’approvisionnement est un peu plus partagé : 33 minutes par jour pour les femmes contre 22 minutes par jour pour les hommes (Ponthieux & Schreiber, 2006). En outre, les femmes conservent la « gestion mentale » et la « charge mentale » (Haicault, 1984) d’un approvisionnement anticipé et d’une préparation équilibrée des repas, impossible à quantifier, qui se doit d’être conforme aux aspirations gustatives des différents membres de la famille.

Ce travail est dévalorisé, ignoré et banalisé, surtout dans sa dimension quotidienne, alors même qu’il fait partie de ce que Geneviève Cresson appelle le « travail domestique de santé » (1998) et qu’il est susceptible d’engendrer un phénomène de culpabilisation dans un contexte de pression temporelle forte qui pèse sur les femmes (« assurer » dans toutes les sphères, productives ET repro­ductives). Ceci contraste avec l’activité culinaire occasionnelle des hommes, comme par exemple la préparation de repas exceptionnels le week-end. Celle-ci requiert une plus forte technicité au sens de la maîtrise des outils (ce peut être un barbecue), renvoyant aux travaux de P. Tabet qui insistaient sur la manipulation inégalitaire des outils de production comme d’attaques (1979, op. cit.). Cette posture de surinvestissement domestique est largement positivée et conforme aux normes contemporaines de féminité où les femmes, hétéro­sexuelles, se doivent de « réussir » leur vie professionnelle tout en restant des « anges du foyer ». En revanche, gare à celles qui résistent ou échouent (Guillaumin, op. cit.).

L’article de S. Bevilacqua sur la « patrimonialisation du régime méditerranéen » montre comment la production de discours sur l’alimentation contribue à reproduire les rôles et identités de genre et à justifier le maintien des seules femmes dans la tâche de nourrir les autres. Pendant « sain » du phénomène de macdonaldisation de l’alimentation, la « diète méditerranéenne » tend à s’imposer comme modèle alimentaire prescripteur de normes. L’inscription de cette dernière au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco légitime son audience élargie. Les femmes y sont présen­tées, de par leurs compétences acquises, comme les garantes « naturelles » de ces traditions culinaires, et sont de ce fait prioritai­rement désignées pour transmettre un modèle alimentaire vecteur de « bonne santé ». Cette vision « traditionnelle » est largement mise en scène dans les médias occidentaux. Les émissions télévisées de cui­sine diffusées en Italie et analysées par l’article de L. Stagi consti­tuent une autre illustration des discours de réassignation permanente des femmes aux tâches quotidiennes de l’alimentation. La mise en scène de la préparation des repas conforte le maintien de l’ordre hiérarchique du genre : lorsque les hommes cuisinent, ils en retirent une certaine valorisation sociale. D’une part en accaparant les outils et les techniques les plus sophistiqués (Tabet, 1979), d’autre part en faisant de la cuisine un potentiel tremplin de « carrière », où ils oc­cupent le noble rôle de « chef », situé tout en haut de la hiérarchie des brigades. Par ailleurs, les femmes mises en scène sont reléguées à la posture de « cuisinières » domestiques, dévouées à leur famille et leur entourage. Tout en devant rester « sexy », elles restent enfermées dans un univers ménager dont elles se doivent d’assurer prioritairement le fonctionnement quotidien.

Des émissions télévisées culinaires à la préparation concrète des repas, il n’y a qu’un pas. Dans « Cuisine et dépendance », P. Cardon fait un constat semblable dans son analyse de la prépara­tion des repas chez les couples hétérosexuels confrontés au vieillissement, à la maladie, et/ou à la dépendance en France. Du fait de la prégnance de la division sexuelle du travail tout au long de la vie, les hommes ont développé des formes d’incompétence relatives à la cuisine. Ces dernières entraînent des formes de dépendance culinaire qui auront indéniablement des effets différenciés à la vieillesse selon le membre du couple confronté au handicap le plus lourd. En outre, l’assignation au domestique s’intensifie pour les femmes lorsque ces dernières vont devoir prendre en charge les lourdes activités de care. Cet article suggère que la différenciation des compétences aggrave, au stade de la vieillesse, tant l’état de santé des femmes que celui des hommes eux-mêmes.

L’article d’H. Prévost, sur la mise en conserve des tomates effectuée par des groupements de femmes au Bénin, a priori créée pour favoriser l’empowerment des femmes, montre également un renforcement de la division sexuelle du travail. Les tentatives politiques d’aider les femmes pour qu’elles acquièrent plus d’autonomie amènent, sous le prétexte positif « de faire manger les enfants », à un effet pervers : elles représentent un alourdissement très significatif de leur charge de travail, dont certaines se plaignent.

Consommations discriminatrices : pratiques et discours de justification

Une résistance épistémologique impressionnante caractérise la description et la problématisation de l’inégalité alimentaire dans le champ de l’anthropologie et ailleurs (Touraille, 2008). En ethnologie, c’est l’inégalité qui a la charge de la preuve. Tant qu’une inégalité de consommation n’a pas été établie, on présume que la consommation entre hommes et femmes est égalitaire. Delphy (1975) montrait combien ce raisonnement est une erreur en sociologie. Dans une perspective de genre, dit Delphy, c’est la preuve de l’égalité qui doit être faite ; les inégalités de consommation sont l’attendu. Bon nombre d’ethnologues interrogés soutiennent pourtant avec force qu’il n’y a pas d’inégalités alimentaires dans « leur » société, sans pour autant avoir effectué la moindre enquête. Les raisons historiques qui font pencher la communauté des ethnologues vers les thématiques de l’égalité ne sont peut-être pas étrangères à ces options méthodologiques erronées. Cependant, les sociologues, beaucoup plus focalisés sur la question des inégalités sociales, ne se sont pas tellement plus occupés de différenciation de genre que les ethnologues. L’idée − fausse du point de vue des théories récentes des sciences de la nutrition (Touraille, 2008 : 284) – selon laquelle les hommes doivent manger plus de protéines que les femmes a longtemps eu cours dans les sociétés occidentales. Il est aussi possible que l’observation de pratiques alimentaires inégalitaires dans d’autres cultures n’ait pas de ce fait semblé si irrationnel, ce dont témoigne d’ailleurs une des premières ethnographies centrées sur l’alimentation, comme celle d’Audrey Richards dans l’entre-deux guerres, qui problématise très peu les inégalités qu’elle décrit (1932).

Quelques rares études apportent des preuves solides à ce que bien des ethnologues ont noté depuis les débuts de la discipline de façon passablement impressionniste et légère, mais avec une récurrence néanmoins remarquable (tant pour les sociétés dites de chasseurs-cueilleurs que pour celles ayant une économie d’agriculture et d’élevage) : la viande et les protéines en général ne sont pas consommées par tous les membres d’une population équitablement. Des études documentées existent notamment sur l’Inde (Katona-Apte, 1979). Pour les chasseurs-cueilleurs, une étude récente fournit des données impressionnantes. Après un an de terrain à quantifier scrupuleusement les items consommés par les hommes et les femmes dans six campements hadza (population de chasseurs‑cueilleurs en Tanzanie) un spécialiste de l’écologie comportementale humaine – par ailleurs pas le moins du monde concerné par les problématiques du genre – note que la viande constitue pratiquement 40% du régime alimentaire des hommes et 1% (à peine plus) de celui des femmes (Marlowe, 2010 : 128).

L’article « Laisse-moi manger ta viande » de P. Atse et P. Adon fournit une lecture, en contexte rural ivoirien, de ce que ces auteurs nomment « l’ordre du partage » pour établir que ce dernier est annexé à l’ordre du genre. Il analyse les discours venant justifier les pratiques de discrimination qui donnent aux hommes une très grande priorité de consommation sur les femmes et les enfants sur la viande de gibier et d’élevage (toutes appelées « gibier » en langue akyée, d’une façon qui semble assez significative d’ailleurs).

Une idée revient fréquemment dans le discours des socio­logues et des ethnologues qui n’ont pas chaussé les lunettes du genre : les femmes, étant tout le temps en cuisine, pourraient en réalité se réserver les meilleurs morceaux, et en tout cas manger à leur faim. Margarita Xanthakou, à partir de son terrain dans la région du Magne en Grèce (effectué il y a quarante ans) s’insurge contre cette « profonde idiotie ». Elle a constaté, tout au contraire, que les femmes se privent de viande pour leurs maris ou leurs fils, et que, « même les tomates », quand celles-ci sont rares, sont mises de côté pour les hommes, par les femmes elles-mêmes[4]. La socialisa­tion au sacrifice est un des moyens par lequel les femmes sont sans doute amenées à ne pas remettre en question l’injustice alimentaire. La ségrégation des repas (ségrégation de lieu et/ou temporelle avec préséance des hommes) remplit très certainement une fonction similaire, car ne pas voir manger les autres est aussi une façon de ne pas avoir directement sous les yeux l’injustice. L’article d’Atse et d’Adon répète ce que bon nombre de travaux ont déjà noté sur le continent africain, en Europe rurale et ailleurs : les hommes, les enfants et les femmes forment des groupes qui mangent séparément. Cet article fait observer que les prérogatives masculines, si insatisfaites, sont rappelées par la violence : les hommes s’attendent à consommer les morceaux qui leur reviennent et les sanctions qui attendent les femmes en cas d’« oubli » ne sont pas particulièrement enviables. Loin de la socialisation au sacrifice, les femmes sont empêchées de manger ce qu’elles veulent parce qu’elles sont mena­cées, au sens propre, par les hommes. Mathieu, dans ses séminaires[5], n’a jamais cessé de rappeler que la domination n’est pas juste « symbolique » comme l’écrit Bourdieu, mais qu’elle est maintenue par une violence très concrète de la part de ceux qui ont intérêt à préserver leurs privilèges alimentaires. Dans leur approche critique de la notion de gatekeeper (Lewin, 1943), les sociologues Alex McIntosh et Mary Zey ont fourni des considérations épistémolo­giques précieuses : « la responsabilité n’est pas équivalente au con­trôle » disent-ils (1998 : 126). Ce qui signifie, comme le dit aussi Counihan (1999) que ce n’est pas parce que la nourriture est aux mains des femmes que les femmes en disposent selon leur bon vouloir, et encore moins pour en obtenir un pouvoir.

L’article « Tout ce qui est bon est pour eux » (D. Maniraziza, P. Bilé & F. Mounsadé Kpoundia) analyse la transgression, par certaines Yaoundéennes, d’un tabou alimentaire (le gésier de poulet) toujours en vigueur dans les milieux universitaires de la capitale camerounaise. Cette analyse confronte les discours communs de justification du tabou, les discours des femmes pour justifier de leur transgression et les discours de résistance des hommes. Ce travail suggère de manière très fine que la fonction sociale des interdits alimentaires qui touchent les femmes est bien celui de maintenir l’ordre du genre, comme ordre de domination masculine. Une femme qui « ose » manger du gésier de poulet est une menace à la domination des hommes. Le rappel du nécessaire respect des tabous (dans un contexte social global édictant des tabous alimentaires pour les femmes) fait partie de l’arsenal utilisé par certains hommes pour tenter de maintenir cet ordre à tout prix.

Une étude ethnographique récente montre qu’au Kenya, les hommes massaï justifient les inégalités alimentaires par le fait de se considérer eux-mêmes comme des « gourmets » : « En reléguant les plus mauvais morceaux aux femmes, ils maintiennent que les femmes ne font pas la différence (ou quelquefois, plus honnêtement, qu’elles ne peuvent connaître la valeur de ce qu’elles n’ont jamais goûté) » (Spencer, 1988 : 259). La question de savoir si les aliments que les femmes n’ont pas le droit de consommer dans un contexte culturel donné sont aussi ceux qui sont considérés les meilleurs d’un point de vue gustatif fait rarement l’objet d’une documentation par les ethnologues. L’article de Manirakiza et al. est d’autant plus intéressant à ce titre. Les hommes à Yaoundé se répandent en justifications symbolico-sexuelles complexes pour justifier le tabou du gésier, ils n’évoquent à aucun moment qu’il pourrait juste s’agir d’un droit masculin sur les aliments les plus appréciés pour leur goût. En revanche, les femmes qui contestent le tabou du gésier de poulet dans la capitale le font bien sur la base de sa valeur gustative. Les femmes font ainsi apparaître que la saveur des aliments est ce qui leur paraît le mieux à même d’expliquer, en fin de compte, les prérogatives alimentaires masculines.

Si les ethnologues mentionnent souvent les interdits et les restrictions alimentaires sur leur terrain de recherche, leurs descriptions permettent très rarement d’évaluer et de formuler une hypothèse solide sur l’incidence nutritionnelle de ces restrictions. Cette absence de questionnement rigoureux du contexte alimentaire permet des dérives interprétatives peu réalistes : on entend dire ainsi très souvent (dans les discussions de couloir ou les séminaires de recherche) que les interdictions alimentaires n’affectent pas le statut nutritionnel des femmes parce que les interdits qu’elles doivent respecter concernent (forcément) des gibiers assez rares. L’étude d’Harriet Whitehead (2000) sur les Seltaman de Nouvelle-Guinée (largement centrée sur la nutrition) offre un démenti catégorique et incite à une suspicion épistémologique renforcée concernant ce genre d’affirmation : Whitehead montre que les gibiers interdits aux femmes comme catégorie (tout au long de leur vie donc) sont les casoars (très gros oiseaux de la région) et les porcs sauvages : or ces gibiers sont les plus fréquemment chassés (par les hommes) et cons­tituent donc les ressources en protéines les plus courantes dans cette société. Concernant le partage inégalitaire de la viande, l’article d’Atse et Adon constitue, comme l’ethnographie de Whitehead, un intéressant contre-exemple. Atse et Adon nous disent qu’il n’y a que très peu d’inégalité chez les Akyé de Côte d’Ivoire dans le partage des très gros gibiers, du genre buffles, girafes ou éléphants. Or il mentionne également que ces gibiers sont devenus rares : ils se trou­vent donc peu au menu des Akyé. En revanche, la discrimination vise les viandes moins rares, comme le poulet, dont les femmes ne sont autorisées à manger, en gros, que ce qu’on appelle en France « la carcasse » (et encore pas son entièreté). Dans le cas des Seltaman, les restrictions pour les femmes se font sur les gros gibiers, dans le cas des Akyé, sur les petits, mais, dans les deux cas, les restrictions se portent sur la viande susceptible d’être le plus fréquemment au menu.

Les discours d’inégalité alimentaire sont souvent opposés aux pratiques « qui, au fond, ne seraient pas si inégalitaires que ça ». C’est le propos de l’article de G. Lacaze qui décrit comment les pratiques alimentaires inégalitaires des Mongols sont soutenues par un système symbolique complexe associant les femmes au maigre de la viande et les hommes au gras de la viande. Des discours (et des pratiques) extrêmement inégalitaires sont décrits par l’auteure. Ces descriptions extrêmement riches ne font cependant pas l’objet d’une analyse, l’interprétation finale se portant sur les quelques faits qui semblent les contredire, comme s’il fallait absolument « dénoircir le tableau de l’oppression » selon l’expression de Mathieu (op. cit. : 109). Cette résistance assez typique des recherches menées par des ethnologues originaires de France, contraste ici avec les articles proposées par les deux chercheurs originaires d’Afrique de l’Ouest, qui mettent parfaitement le focus sur l’analyse des justifications des interdits en analysant leurs rouages à la fois comme des entreprises de mystification délirantes du point de vue des ethno-savoirs et d’une parfaite rationalité du point de vue des intérêts masculins concernant la consommation hégémonique de la viande.

Concernant la répartition des viandes, quand celles-ci sont bouillies, les ethnologues peuvent aussi dire qu’il ne peut y avoir discrimination quand les gens mangent dans le même plat. Un argument entendu lors d’un séminaire de recherche[6] (fourni par un ethnologue océaniste) était que les aliments étaient tellement dissous par la cuisson qu’on ne pouvait reconnaître aucun morceau en particulier. Cet argument était avancé pour dire que même si les hommes avaient des morceaux attribués, ils ne pourraient en aucun cas les reconnaître dans la marmite et se les octroyer. L’article « Le gras viril et le maigre féminin » de G. Lacaze offre quelques données permettant de reconsidérer cet argument, même si c’est dans un tout autre contexte culturel. Chez les Mongols, dit-elle, l’alimentation quotidienne est constituée d’une soupe qui est en fait assez largement constituée de gras dissous. La consommation du gras – c’est d’ailleurs le sujet de son article – est la prérogative des hommes. Le contenu quotidien de la marmite est genré : le dessus − jugé comme étant le meilleur par les gens eux-mêmes – est attribué aux hommes, le fond, aux enfants et aux femmes. Est-ce une remarque d’une telle évidence que l’on ne pense pas à le mention­ner : le gras, élément plus léger que l’eau, surnage. Ainsi, le dessus de la marmite est effectivement plus riche en gras que le fond. Or c’est par ce type de considération que la question du genre peut être reliée à la question nutritionnelle. À quantité équivalente de protéines et de glucides, les lipides possèdent une valeur énergétique plus de deux fois supérieure : c’est aussi un fait bien connu des sociétés occidentales lipophobes. Le problème est bien ici de réussir à relier plusieurs champs du savoir. Un-e ethnologue recourant à une interprétation symboliste pourrait expliquer – au hasard – que si le dessus de la marmite est attribué aux hommes et le fond aux femmes, c’est à cause de l’association du haut avec ce qui est mas­culin et du bas avec ce qui est féminin. Ce type d’interprétation « symbolique » se donne l’apparence d’une analyse en termes de genre sans en être une. Les résultats de G. Lacaze offrent la possibi­lité de véritablement déplier une analyse en termes de dispositif de genre. Ils permettent en effet une mise en regard de l’association « symbolique » du masculin au gras et du féminin au maigre, des pratiques culinaires, du monopole réel des hommes sur les graisses, et de divers discours ethnophysiologiques (caractère goûteux et/ou énergétique de la graisse). Cette analyse permettrait elle‑même d’ouvrir sur une perspective comparative, car bien évidemment, le monopole masculin sur les graisses et leur extrême valorisation gus­tative ne sont pas propres aux Mongols (Touraille, 2008 : 305, 312).

Pour revenir à l’article de S. Bevilacqua évoqué dans la section précédente, les cosmologies alimentaires peuvent présenter des connections inattendues. Bevilacqua montre comment les discours de sauvegarde de la « diète méditerranéenne » – qui bannit presque complètement la consommation de viande rouge – la présentent comme bénéfique pour la beauté et la santé reproductive des femmes[7]. En évoquant les chasseurs-cueilleurs, il donne à voir une réification troublante dans les discours des pays occidentaux à la fois de la division sexuée du travail – qui privilégie la transformation et les préparations du végétal par les femmes – et des représentations qui légitiment une exclusion ou une limitation de la viande de leur alimentation quotidienne.

Un article de ce numéro traite aussi du « boire » en France. Dans « Le genre de l’ivresse », N. Palierne, L. Gaussot et L. Le Minor, montrent que, contrairement à certains préjugés en vigueur, il n’existe pas de véritable mouvement d’égalisation de la consomma­tion d’alcool entre hommes et femmes au sein des générations les plus jeunes de Poitiers (population étudiante). Les auteurs observent un écart important entre le boire des femmes, qui donne lieu à un important contrôle (corporel et comportemental), et le boire des hommes, davantage lié à l’expression d’une masculinité qui favorise l’ostentation, l’excès, la prise de risque, et, par voie de conséquence, la dépendance alcoolique. La thématique du contrôle nous amène à envisager un autre aspect de la consommation différentielle. Dans les sociétés industrialisées, les femmes ne sont pas l’objet d’interdits alimentaires comme dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs ou dans les sociétés d’agriculteurs et d’éleveurs, présentes et passées. Pourtant, elles expérimentent des pressions sociales dont l’alimentation est aussi l’instrument, et qui ne sont pas moins redoutables : celle du contrôle de leur apparence corporelle, et dans une certaine mesure aussi, celle de leur pensée.

Corps et consciences dominé-e-s

Si les études sur l’alimentation et les études sur le genre souhaitent véritablement s’allier pour étudier les enjeux sociopolitiques de l’alimentation, il n’est pas possible d’appréhender l’alimentation seulement comme un fait social[8] – ceci serait une illusion des sciences sociales : elle doit être appréhendée, dans le même temps, dans sa dimension biologique. Ce que l’alimentation fait au corps ne peut être passé sous silence. L’idée a été énoncée depuis longtemps par certains chercheurs sur l’alimentation : « Les nourritures agissent sur la physiologie de l’Homme, sur « sa viande » selon une expression africaine. La consommation alimentaire introduit sur ce plan des écarts différentiels entre les sociétés et, au sein des sociétés, entre les individus » (De Garine, 1988 : 28). Comme l’a noté C. Guillaumin « […] les caractéristiques physiques requises d’un homme et d’une femme vont par définition vers la différenciation » (Guillaumin, op. cit. : 125). Cette injonction à la différenciation prend pour matière première les corps, et a pour effet de « naturaliser l’arbitraire » (Bourdieu op. cit. : 169). L’alimentation représente un des moyens les plus efficaces de construire des apparences corporelles durablement différenciées au cours d’une vie individuelle (plasticité phénotypique), mais aussi de constituer une pression de sélection sociale capable de s’inscrire dans le génome de la même manière qu’une pression de sélection naturelle (Touraille, 2008).

L’alimentation affecte le corps des individus tant par le biais des pratiques de consommation alimentaire différenciées que par celui de la division sexuelle du travail. S’il ne s’agit plus, ici, de restrictions et de tabous engendrés par le monopole des hommes sur les aliments protéinés, il s’agit cependant, là aussi, de pratiques de restrictions ciblant plus intensément les femmes que les hommes. L’article de S. Carof « Le régime amaigrissant : une pratique inégalitaire », confirme ce qu’une importante littérature a mis depuis longtemps en évidence (Counihan & Kaplan, 1998 ; Beardsworth et al., 2002 ; Gough, 2007) : les femmes se privent plus de manger que les hommes. Elles le font pour suivre l’injonction à réduire les proportions de leurs corps bien au-delà des recommandations médicales de santé. Ce façonnage est, pour certaines, impossible à atteindre biologiquement sans privations alimentaires importantes. Les hommes, de leur côté, manifestent une certaine complaisance pour leur propre masse graisseuse quand celle-ci semble confirmer la puissance « virile » de leur corps. Ce rapport au « gras viril », selon l’expression de G. Lacaze, qui ne s’élève cependant pas à celui des Mongols (mais offre des voies de comparaison), permet aux hommes un rapport moins obsessionnel à la nourriture (Sobal, 2005). L’alimentation représente le moyen principal de cette pression omniprésente à la minceur pour les femmes. Cette pression n’est pas imaginaire : dans certains milieux et dans bien des domaines du travail salarié, la minceur fait partie d’une caractéristique obligée pour les femmes, au même titre que le maquillage par exemple ou le port de talons (S. Carof). L’article « Moi, je ne demande pas à entrer dans une taille 36 » d’O. Lepiller interroge de son côté le recours beaucoup plus important des femmes à la chirurgie bariatrique. L’auteur montre de manière très incisive que l’injonction esthétique n’est plus vraiment opérante pour les femmes de plus de 45 ans qui tombent dans la catégorie médicale de l’obésité. La mise au rebut sexuel des femmes associée au concept de « ménopause » (Delanoë, 2007) et surtout les nouvelles charges de travail qui s’imposent à elles en termes de care sont évoquées pour expliquer le désir des femmes obèses de maîtriser une corpulence devenue incompatible avec le travail du care (Molinier, 2013). La pression du care augmente en effet pour les femmes à partir de cette tranche d’âge avec la prise en charge supplémentaire des membres vieillissants de la famille, ou des petits‑enfants, comme on le voit bien dans l’article de O. Lepiller. Les deux dernières études présentées dans ce dossier permettent de penser le corps des femmes comme dominé par l’alimentation au travers des deux grandes aires d’action du dispositif du genre : la sexualité et le travail (Clair, op. cit.).

L’alimentation affecte aussi la pensée des individus. L’obnubilation de la nourriture qui tient les femmes est bien soulignée par S. Carof : le fait que les femmes sont amenées en permanence à penser à la nourriture pour contrôler leur corpulence à travers ce qu’elles vont, ou ne vont pas manger, ou de ce que mangent les autres dans le cadre de la division sexuelle du travail (articles de P. Cardon et d’H. Prévost), fonctionne comme une forme de colonisation et de domination de la pensée par l’alimentation. Comme le dit très bien une informatrice de S. Carof, quand on pense à la nourriture, notamment pour ne pas y succomber, on a du mal à se concentrer sur autre chose. Au xviiie siècle en Europe, le pain au chanvre qui plongeait les catégories sociales les plus pauvres dans un état d’hallucination permanent est décrit par l’historien P. Camporesi (1981) comme le moyen trouvé par les élites d’empêcher que les pauvres ne prennent conscience des injustices subies et s’insurgent contre l’ordre social. De même, l’ordre alimentaire genré rend les femmes tellement obsessionnelles de ce qu’elles ont le droit de manger, ou de ce qu’elles ne doivent pas manger, qu’il leur reste peu de temps pour prendre conscience des tenants et des aboutissants de ces normes et pour essayer de s’en libérer. Même si beaucoup de femmes s’autorestreignent et s’autocontrôlent (Germov & Williams, 1996 ; Saint Pol, 2010), et que personne ne leur enlève le pain de la bouche au sens littéral, celles-ci semblent toujours sous le coup d’une instance de jugement alimentaire. Entendre une femme qui s’excuse tout haut devant les autres de manger plus qu’elle ne devrait est la norme en France. Quant à celles qui sortent un tant soit peu du canon attendu (avec de sérieuses différences suivant les classes sociales cependant), les remarques en passant, les conseils alimentaires, ou les interventions nettement désobligeantes en provenance de l’entourage familial (notamment masculin) jalonnent leur vie, comme le rappellent S. Carof et O. Lepiller. Il existe donc bien un véritable rappel à l’ordre de la ligne (corporelle) pour les femmes françaises, qui ne consiste pas seulement en des pressions exercées par des images au travers des médias, mais qui relève aussi d’une contrainte et d’une violence psychologique réelle exercée par le cercle familial et professionnel, exactement comme P. Atse et P. Adon le décrivent pour les femmes akyées si elles ne respectent pas les prérogatives masculines sur certains morceaux de viande, ou comme le décrivent Manirakiza et al. pour les Yaoundéennes qui « osent » manger le gésier de poulet.

C’est à N.-C. Mathieu (op. cit.) que l’on doit l’expression de « conscience dominée » des femmes. La conscience des femmes semble bien en effet ici « dominée » par l’alimentation dans les pays occidentaux. Elle est d’ailleurs dominée autant par l’envie de manger que par la sensation de faim (Bordo, 1998). « J’avais faim… », se rappelle une informatrice de S. Carof, qui avoue avoir eu du mal à se concentrer sur autre chose quand elle était en période de régime. L’article de P. Atse et P. Adon cite à ce propos un corpus d’études médicales qui ont montré les effets du manque de nourriture sur la capacité de concentration des enfants. Camporesi (op. cit.) évoque d’ailleurs la faim comme une arme majeure de contrôle social. C’est aussi une hypothèse émise par Mathieu pour expliquer cette idée de « conscience dominée » : les restrictions alimentaires, dit-elle, « ne peuvent manquer d’avoir des incidences psychiques, d’augmenter la fatigue et de diminuer les capacités de résistance physique et psychique des femmes » (Mathieu, op. cit. : 189). On peut dire que la conscience des femmes est « dominée » par l’alimentation dans le sens où elles y pensent beaucoup plus que les hommes n’y pensent. Mais on peut dire aussi qu’elle est dominée par les effets réels que les restrictions alimentaires ont sur le cerveau. « La fatigue continue du corps entraîne celle de l’esprit » dit Mathieu (ibid. : 187). D’ailleurs la fatigue mentale n’est pas seulement un effet des régimes, mais aussi celui de la division sexuelle du travail (Jarty, 2012). Dans « Des tomates et des femmes », H. Prévost écrit que les femmes béninoises expriment leur fatigue en mentionnant qu’elles n’ont plus le temps de la « paresse », et plus le temps de penser à autre chose qu’à s’occuper des tomates.

L’ordre alimentaire genré favorise presque immanquablement l’apparition d’inégalités de santé entre femmes et hommes. H. Prévost évoque les problèmes des femmes béninoises réassignées aux tâches alimentaires et en proie à la fatigue. P. Cardon évoque les difficultés des femmes atteintes d’un handicap physique qui ne peu­vent pas compter sur leur conjoint pour assumer les tâches culinaires et donc redoublent leurs efforts. P. Atse et P. Adon suggèrent les effets délétères des inégalités alimentaires sur la santé reproductive des femmes chez les Akyé. G. Lacaze évoque une malnutrition avé­rée des femmes mongoles. S. Carof et O. Lepiller rappellent que les régimes engendrent des comportements addictifs envers la nourri­ture. Ils suggèrent que l’injonction qui pèse sur le corps des femmes, associée aux charges de préparation des repas, crée un environne­ment pathogène générant des souffrances physiques et psychiques et favorisant in fine des prises de poids que seules les chirurgies, à un certain point, viennent soulager. Dans d’autres cas, plus rares, ce sont les hommes qui développent une souffrance psychique du fait de leur incompétence culinaire acquise et semblent alors être dominés, plus que bénéficiaires, de la division des rôles dans la préparation des repas (P. Cardon). De même, ce sont les hommes qui sont amenés à développer des problèmes de santé du fait du lien entre consommation d’alcool et construction de la masculinité. L’article « Le genre de l’ivresse » incite à affirmer que les corps et la pensée des hommes sont plus dominés par la boisson que ceux des femmes ne le sont. Prise sous l’angle du genre, la question des conséquences de la dépendance alcoolique sur l’entourage (Fainzang, 1993) enjoint néanmoins à pousser l’analyse en se demandant si les femmes (et les enfants) ne souffrent pas autant, sinon plus, de l’alcoolisme des hommes que les hommes eux‑mêmes.

Quand il ne s’agit pas d’inégalités alimentaires brutes, l’alimentation sert comme un rappel incessant de l’ordre social inscrit dans les corps comme dans les consciences. C’est aussi une conclusion de Manirakiza et al. Le gésier de poulet interdit aux femmes n’a pas vraiment d’incidence nutritionnelle pour les Yaoundéennes. En revanche, le respect de l’interdit signifie bien, dans le discours des hommes, qu’ils contrôlent les femmes. Comme les Yaoundéennes, les femmes occidentales doivent respecter les règles alimentaires pour obéir à l’ordre de la différenciation des corps, qui lie le féminin au « maigre », comme dans la société mongole décrite par G. Lacaze.

Des aliments, des armes ? Remises en cause de l’ordre alimentaire genré

Ce dossier fait apparaître l’alimentation comme un moyen − une arme – très efficace de reproduction de l’ordre du genre. Il invite à prendre la mesure de ce que nous appelons ici l’ordre ali­mentaire genré, de sa capacité à se reconfigurer de société en société en autant d’avatars de l’inégalité sociale. Malgré le fait que « dans la plupart des sociétés les femmes continuent à porter la responsabilité de l’approvisionnement mental et physique alimentaire qui repré­sente le travail le plus élémentaire du care et qu’elles font la plus grande part du travail lié à la nourriture, elles contrôlent très peu de ressources et possèdent très peu de pouvoir de décision dans l’industrie alimentaire et dans les politiques alimentaires. Et bien que les femmes portent la responsabilité de nourrir les autres, elles ne se nourrissent souvent pas elles-mêmes de manière adéquate » (Allen & Sachs, op. cit. : 23). Dans trois des champs désignés, ce dossier confirme l’alimentation comme un lieu de fabrique, de reconfiguration (et de lecture) privilégié des rapports sociaux de sexe. Il plaide pour la constitution de programmes de recherche d’envergure qui poursuivraient la réflexion et approfondiraient les résultats et les analyses fournies par les différentes contributions. Un manque épistémique, en effet, s’y fait jour : celui, notamment, d’analyses comparatives et intersectionnelles qui permettraient d’appréhender l’ordre alimentaire genré avec plus de force théo­rique. Ce n’est qu’en mettant en regard le rôle de l’alimentation dans la constitution d’autres rapports historiques et actuels de domination, comme ceux de classe (S. Carof), d’âge (P. Atse & P. Adon), de caste, ou encore entre sociétés (Counihan, op. cit.) que le croisement genre et alimentation prendra toute sa pertinence pour les sciences sociales et comme base de compréhension pour les mouvements sociaux qui essayent de lutter contre les souffrances engendrées par le dispositif de genre.

Or si l’alimentation est une arme du genre, elle représente aussi un levier, une arme potentielle de contestation pour toutes ces « identités en souffrance » (Xanthakou, op. cit.). « Être gros dans ce monde livré aux marchands de maigreur, c’est être révolutionnaire », aurait dit Marlon Brando (cité par Fischler, 1987 : 256). Dans les sociétés occidentales, qui ne sont plus caractérisées par de graves manques alimentaires comme il en est encore tellement (Scheper‑Hugues, 1992) mais par une surabondance alimentaire, une nutritionnalisation de l’alimentation et une surmédicalisation des corps gros (Poulain, 2009), la résistance prend parfois comme cible l’injonction au corps maigre. Les mouvements sociaux de fat ac­ceptance et ses branches féministes comme riots not diets, « des émeutes, pas des régimes », en sont un exemple, les mises en scène des corps hors normes dans des défilés de mode ou dans des cam­pagnes publicitaires en sont un autre. Symbole de la rencontre entre des mouvements sociaux intriqués aux food et gender studies (slowfood ou locavorisme pour l’un ; féministes pour l’autre), ces mouvements contestataires de l’ordre du genre et de l’ordre alimen­taire mettent en exergue des ressorts éventuels pour un changement social et une potentielle émancipation.

D’ailleurs, ce dossier donne subrepticement à voir quelques failles, visibles aussi bien dans les sociétés des Suds que des Nords, permettant de desserrer l’étau du genre sur la sphère alimentaire. L’article de Manirakiza et al. montre comment la production ali­mentaire industrielle ouvre une brèche, pour les Yaoundéennes, à l’accès à certains morceaux qui sont l’objet de tabou (les gésiers). Des changements dans l’offre alimentaire permettent donc la rené­gociation des rapports de genre. L’article de Prévost montre qu’au Bénin, dans le cadre de la transformation agricole, c’est l’apprentissage de la transformation du produit – la mise en conserve de tomates – effectuée par des groupements de femmes qui crée une acquisition de compétences et une potentielle autonomie économique. Cependant, dans les deux pays, ces nouveaux proces­sus d’empowerment des femmes par l’alimentation apparaissent mis en échec par la réification des assignations de genre et la résistance des hommes au changement, qui se manifeste particulièrement dans la sphère privée. Les fissures dans les rapports de pouvoir qui sem­blent possibles, sous certaines conditions, dans la sphère publique ne fonctionnent pas dans le cadre familial où le maintien des traditions et des normes alimentaires fonctionne comme un retour de bâton (Faludi, 2006) qui s’oppose aux nouvelles fenêtres d’opportunités alimentaires ou de libertés financières qui commencent à s’entrouvrir pour les femmes.

C’est bien ces fissures possibles de l’ordre du genre et de l’ordre alimentaire qui constituent une thématique de recherche à investir, tout comme celle des résistances qu’elles continuent inlassablement de susciter.

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[1] Jarty J., Fournier T. « Mise en perspective des problématiques « genre » et « alimentation » », communication à la journée d’études « Genre et alimenta­tion » organisée par l’université de Toulouse Jean Jaurès dans le cadre du séminaire doctoral ARPEGE « Genre, environnement, écologie, alimenta­tion », mai 2014.

[2] « Division sexuelle du travail » est l’expression courante sous laquelle la thématique est connue tant en ethnologie qu’en sociologie. Elle est utilisée préférentiellement par trois des coordinateurs de ce dossier (N. Lapeyre, J. Jarty et T. Fournier) et par certains des contributeurs. P. Touraille utilise l’expression division « genrée » du travail pour des raisons expliquées ailleurs (2008, 2011). Les auteur-e-s de l’Introduction aux études sur le genre utilisent, pour une autre raison épistémologique encore, celle de division « sexuée » du travail (Bereni et al., op.cit. : 169). Ces trois formulations cohabitent dans ce dossier sans qu’il y ait désaccord théorique cependant entre les auteur-e-s sur ce que cette division recouvre.

[3] Touraille P. « Le silence des interdits : les anthropologues et la division genrée du travail », communication au colloque « Interdits et genre. Constructions, représentations et pratiques du féminin et du masculin », université François Rabelais, Tours (France), mai 2009.

[4] Ethnologue, directrice de recherche émérite au CNRS (Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France, Paris) avec laquelle P. Touraille s’est entretenue.

[5] « Anthropologie des sexes », à l’EHESS, Paris, dans les années 1990.

[6] Séminaire de Cécile Barraud, EHESS, Paris, fin des années 2000.

[7] Les supposés bienfaits de cette même diète pour l’énergie et la vitalité (sexuelle) des hommes révèlent l’injonction éminemment binaire et dichotomique de l’ordre du genre, « impensé » au cœur même de ses contradictions.

[8] Les études sur le genre doivent notamment renoncer au paradigme hyperconstructiviste dans lequel elles se sont engagées (Touraille, 2011) pour voir ce que le social fait au biologique (Goodman, 1999), et ce que le genre fait au sexe (Touraille, 2008).