La brochure en pdf page par page : La Jineolojî
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Préface
Depuis qu’ont commencé les débats autour de la Jineolojî, les discussions avec les différents groupes que nous avons rencontrés nous ont beaucoup inspirées. Jusqu’à présent, de nombreux séminaires et formations ont été organisés à propos de la Jineolojî, dans différents pays européens et au Moyen-Orient. D’autre part, des journées de conférences ont été tenues dans trois pays : en Allemagne, en France et en Suède. Pendant ces temps forts, grand était le désir d’approfondir les débats, jusqu’alors contenus dans des moments trop restreints. Pour cela, la première chose à faire est de créer des ressources pouvant être étudiées. Beaucoup des ressources disponibles au Mouvement des femmes kurdes et à la société kurde n’ont pas encore été traduites dans les langues européennes et nous n’avons pas encore été capables de répondre aux demandes des différents groupes avec lesquels nous avons discuté de la Jineolojî.
Ce livret est un résumé du livre Introduction à la Jineolojî. Il est une première tentative de réponse aux demandes des personnes intéressées par le sujet. En préparant ce livret, nous avons essayé de respecter les méthodes que nous avons suivies dans les discussions et séminaires sur la Jineolojî. Avec cette petite introduction, notre intention est d’ouvrir et d’approfondir les débats.
Dans notre effort d’élaboration de nouvelles approches, la formation de la Jineolojî signifie, pour nous, également une objection. Une objection aux sciences sociales, à leurs méthodes, à leur coopération avec le pouvoir, à leurs influences orientalistes… Nous croyons donc que les objections des lectrices (et lecteurs) de ce livret pourraient également renforcer la Jineolojî.
Comité européen de Jineolojî
jineoloji.org
Introduction
« Une science développée autour des femmes est le premier pas vers une sociologie réelle »
(Abdullah Öcalan)
Comme l’ont énoncé les sciences, la politique, l’éthique et beaucoup d’autres institutions sociales, le 21ème siècle sera celui du triomphe de la liberté de la femme. Ce constat s’appuie sur le soulèvement de luttes de femmes dans différentes régions du monde, et en particulier au Kurdistan. La lutte des femmes pour la liberté est devenue une dynamique motrice principale dans le développement de la liberté sociale. Alors que la liberté de la femme, en tant qu’indicateur de la liberté de la société dans son ensemble, est parvenue au point de pouvoir progresser plus que jamais, il est temps de donner une expression scientifique à toutes les valeurs sociales qui en découlent.
La science de la femme — la Jineolojî — se définit comme une science sociale correspondant à l’air du temps. L’origine du mot Jineolojî est kurde. Il provient des mots Jin, femme, et Lojî, science. C’est le leader du peuple kurde, Abdullah Öcalan, qui l’utilisa pour la première fois dans son livre Sociologie de la Liberté, paru en 2008. Il expliqua alors pourquoi nous avions besoin de ce concept :
Les lignes qui se réfèrent à la femme dans le discours masculin, laissant ses marques sur les sciences sociales comme sur tout autre champ scientifique, portent des approches propagandistes qui ne correspondent absolument pas à la réalité. Le vrai statut des femmes est ainsi masqué au moins quarante fois avec ces discours, tout autant que le font les histoires de civilisation avec les classes, l’exploitation, l’oppression et la torture. Plutôt que celui de féminisme, le concept de Jineolojî (la science de la femme) peut être plus approprié pour atteindre ce but.
(Sociologie de la Liberté)
Cette conceptualisation a provoqué des discussions importantes au sein du le Mouvement de libération de la femme du Kurdistan. Une fois ces discussions ayant atteint un certain niveau, un groupe de travail – qui jouera un rôle fondamental dans l’établissement de la Jineolojî – fut créé lors du Sème congrès du Parti de la liberté de la femme du Kurdistan (PAJK). Plutôt que d’être un groupe de recherche étroit, cette unité travaillait dans la perspective de transmettre le discours de la science de la femme à la société. Le processus de discussion a d’abord commencé dans les académies des montagnes du Kurdistan et il s’est graduellement répandu à la société. La Jineolojî est actuellement organisée en comités dans les quatre parties du Kurdistan, en Europe et en Russie. Souvent, lorsque nous présentons la Jineolojî, on nous pose des questions concernant la relation entre la science et le fait d’être organisé, entre la science et la communauté. Nous vous retournons la question : pourquoi y a-t-il actuellement un tel écart entre la science et la société ? Pourquoi la relation entre la science et la société, et donc les problèmes sociaux, est-elle si faible ? Nous essaierons d’y répondre lorsque nous expliquerons pourquoi la Jineolojî est une nécessité. Cette brochure est divisée en chapitres renvoyant chacun aux types de nécessités qui ont donné naissance à la science de la femme, ainsi qu’aux structures de connaissance, aux méthodes et aux champs d’application basés sur le cadre conceptuel et institutionnel de la Jineolojî.
Nous espérons que vous trouverez des réponses à vos questions concernant le lien entre la science et la communauté, les méthodes de la Jineolojî, notre critique des rapports entre la science et le pouvoir, ainsi que nos points de convergence et de divergence avec les mouvements de pensée recherchant la libération des femmes.
Plus important encore, ce livret contient des évaluations concernant les informations apportées par les expériences directes du Mouvement de libération des femmes du Kurdistan, qui ont créé une ressource pour la Jineolojî. Celle-ci répond tout d’abord à la question « Pourquoi une science de la femme ? ». En fait, sa fondation débute avec les réponses à cette question. Nous croyons que ce processus-même, qui n’est qu’un début dans la création de cette science, transformera les sciences sociales. Nous pensons que les recherches scientifiques de la Jineolojî seront une avancée dans le renouvellement du monde conceptuel, et, en retour, apporteront un contenu libertaire aux institutions sociales. En outre, nous croyons que, avec cette initiative, les liens universels que nous avons et que nous allons continuer à établir avec les mouvements de femmes autour du monde se renforceront davantage et les sujets de discussions se multiplieront.
L’objectif de la Jineolojî n’est pas seulement de transformer l’auto-détermination des femmes, mais également l’État, les systèmes de pouvoir, les institutions et les mentalités qui l’entourent. Elle a donc un rôle crucial à jouer dans l’établissement de la Modernité Démocratique comme alternative à la modernité capitaliste patriarcale. Pour cette raison, en tant que Mouvement des femmes libres du Kurdistan, nous attachons de l’importance à la mise en place de la Jineolojî, et nous croyons que nous assurerons son développement par nos efforts moraux, politiques et intellectuels.
Dans la première partie du livret intitulée « Pourquoi la Jineolojî ? », nous sentions le besoin de définir la science. Nous examinons et critiquons la relation entre les sciences sociales et le pouvoir, dans leur établissement et leur institutionnalisation, ainsi que le positivisme qui pénètre la science et qui cause une fragmentation du tissu social. Nous essayons de répondre à des questions telles que : « Comment s’est développée la relation entre les sciences sociales et le pouvoir et comment est-ce que cela a déformé l’ontologie de la femme ? » ; et « Quel est l’arrière-plan de notre affirmation concernant le problème de la méthodologie dans les sciences sociales et le besoin de changement ? ».
Dans la deuxième partie, nous évaluons les fondements de la Jineolojî. Nous y évoquons des aspects des expériences pratiques du Mouvement de libération des femmes du Kurdistan, qui constituent les fondements de cette initiative scientifique. Nous présentons nos analyses des résistances de femmes dans le monde et des expériences de luttes de classes et des mouvements de libération nationale. Nous avons essayé de répondre aux questions du type : « Quelle est la signification de la Jineolojî au sein du paradigme de la Modernité Démocratique ? ». Nous discutons également de la relation entre la Jineolojî et la Sociologie de la Liberté. Nous essayons d’expliquer la position de la Jineolojî au sein du système confédéral des femmes et du parti idéologique. Nous réfléchissons aux approches vis-à-vis du féminisme, notamment dans ses dimensions communes et distinctes.
La troisième partie concerne les méthodes de la Jineolojî. Nous espérons que vous pourrez trouver des réponses à des questions telles que « Quel type de méthode envisage la Jineolojî pour dépasser le positivisme dans les sciences sociales ? » ou « Quelles sont les méthodes utilisées pour atteindre la connaissance et à quel point est-ce que celle-ci reflète la société ? ».
La quatrième partie s’intéresse à la relation entre la Jineolojî et les sciences sociales, leurs différences méthodologiques, et les champs dans lesquels la Jineolojî se propose d’agir.
Nous espérons que vous ressentirez la même excitation à la lecture de ce livret que nous lorsque la Jineolojî a été élaborée en tant que concept, et qu’il mettra au défi vos cadres et modes de pensée. Si c’est en effet ce qui se produit, c’est que nous sommes sur le bon chemin, car la Jineolojî suppose et propose une objection radicale aux cadres de pensée dominants actuels. Dès lors que les objections avancées par la Jineolojî seront reconnues, la société changera dans la même mesure.
Cela coulera dans le monde des femmes comme une rivière trouvant son lit. Cela permettra donc de développer des solutions aux crises sociales ancrées dans la réalité. Les femmes conscientes d’elles-mêmes sont leur propre espoir pour le futur, et leur nombre grandira à mesure que la Jineolojî grandira.
PARTIE 1: POURQUOI LA JINEOLOJÎ ?
Qu’est-ce que la science ?
La science est une méthode élaborée d’analyse de l’action et de la réaction réciproques des êtres humains, de leur relativité et de leur pouvoir de susciter du changement dans l’univers vivant. La science est le produit de l’intelligence sociale acquérant le pouvoir d’auto-transformation. Elle est une recherche systématique des événements et faits dans l’univers, une activité intellectuelle qui n’exclut pas les intuitions et les suppositions tout en traitant de données scientifiques. Essentiellement, c’est une petite partie de la philosophie qui a atteint une connaissance précise. Chaque discipline ou sujet qui assure une intégrité complète de relations et idées rationnelles est un sujet scientifique.
Une autre définition de la science est celle d’une discipline qui, avec raison et curiosité, a pour objectif d’aider les gens à atteindre de meilleures conditions de vie, à découvrir des faits inconnus et à apprendre de nouvelles choses.
C’est une connaissance ordonnée qui sélectionne une partie de l’univers ou des faits en tant que sujet d’étude et qui cherche à identifier les lois qui les sous-tendent, en utilisant des méthodes expérimentales cherchant à atteindre le plus près possible la réalité.
Nous pourrions multiplier les définitions, mais leur base commune semble être le fait que la science est le-résultat d’un effort humain de comprendre l’univers et les besoins sociaux. Aujourd’hui, nous pouvons dire que les sciences sociales, ainsi que toutes les autres structures de savoir, ayant émergé de l’intention de résoudre les problèmes sociaux, sont loin d’avoir réalisé cet objectif.
Bien que la pensée liée au pouvoir et à l’État joue un rôle important dans l’élaboration de la domination de genre sexiste, c’est également le cas du scientisme. Ceci est notre critique principale envers la science. Alors qu’elle se targue d’être scientifique, elle ne se débarrasse pas du binarisme sujet-objet. Ceci est dû à sa structure qui se focalise sur des motifs de pouvoir pour le profit, plutôt que pour répondre à des besoins sociaux.
En Europe, au XVIIème siècle, la science a commencé à se définir comme la seule vérité valide, excluant ainsi la religion et la philosophie. Alors que cette conception scientifique, dont les précurseurs furent Descartes et Bacon, émergeait, elle annonçait également sa victoire en collectant de vastes connaissances au Moyen-Orient ; en massacrant la sagesse des femmes, qui avait été accumulée pendant des milliers d’années durant la période Néolithique, sous le nom de « sorcellerie » ; en mutilant les alchimistes qui définissaient l’univers comme un cosmos macro, l’être humain comme un cosmos micro et qui croyaient en une synthèse qui était comme l’enfant, fruit de l’union des graines d’une femme et d’un homme. Cette conception scientifique a transformé l’identité de la nature et de la femme en objets devant être maintenus sous contrôle, subjugués à l’esprit masculin, plutôt que de vénérer leur structure sacrée et secrète. La science, prétendument libre d’émotions, de croyances et de valeurs, a été un champ dans lequel le pouvoir, le sexisme et le racisme sont devenus dominants. L’analyse d’Abdullah Öcalan, selon laquelle « une nouvelle structuration du champ des sciences sociales est nécessaire pour construire une société plus démocratique, écologique et libérée du genre », révèle le besoin des sciences sociales d’être réévaluées. Le cadre de cette discussion consiste en nos critiques envers les aspects trompeurs et les impasses des sciences sociales.
Les sciences sociales sans les femmes !
La critique la plus importante que nous adressons aux sciences sociales est qu’elles n’ont pas considéré la femme comme sujet de recherche. Et lorsque c’est le cas, elles tendent à percevoir les femmes comme objets et comme la source de problèmes. Or, penser la femme comme l’essence plutôt que comme le résidu de la société, et comme la totalité de la relation sujet-objet peut faire émerger des données utiles concernant l’existence et la vérité des femmes.
Lorsque nous investiguons l’histoire, l’archéologie, la mythologie, et beaucoup d’autres champs scientifiques, nous réalisons que les femmes sont les créatrices de l’humanité, des sociétés et de beaucoup de découvertes. La médecine, l’économie, l’écologie, la littérature orale, le dengbej (musique traditionnelle kurde), l’agriculture, les premiers instruments de musique, les nombres, l’écriture et beaucoup d’autres créations humaines sont le fruit de processus dans lesquels les femmes ont été centrales. Le leur confisquer et puis les utiliser contre elles ne change pourtant pas la réalité. Les découvertes techniques du Néolithique qui ont eu lieu dans la région des monts Taurus et Zagros entre 6000 et 4000 avant J.C. sont à peine comparables avec celles qui ont eu lieu après le XVIIème siècle en Europe.
Si cette réalité est pourtant évidente, les femmes ne sont pas perçues par les sciences sociales comme à l’origine de la socialisation. Soit elles sont traitées comme une source de problèmes, soit elles ne sont pas traitées du tout. Le rejet de la part des sciences sociales de toute connaissance développée avant le XVIIème siècle explique probablement ceci.
Suite à cela, la science fut perçue comme la seule méthode valide dans les efforts humains de compréhension de l’univers. Dans le livre de Francis Bacon, La naissance masculine du temps, la nature, comme les femmes, est présentée comme une « épouse pure » offerte à la raison de l’esprit humain grossier. Bacon définit la nature comme une femme à conquérir, dont le voile est à soulever et qui est à violer. Le livre à l’origine de l’inspiration de sa théorie était Maleus Maleficarum, publié par l’Église. Il mentionnait la doctrine fondamentale selon laquelle la chasse aux sorcières devait procéder. Ce processus, considéré scientifique, était accompagné du vol des connaissances des femmes et de leur aliénation. Cette science ne prenait pas en compte l’accumulation du savoir collectif et les expériences de la société. Sous couvert de neutralité, la science fut cependant la création d’hommes blancs européens, et son lien avec les femmes fut complètement détruit.
Par ailleurs, les recherches menées par les anthropologues portent généralement sur les hommes. Ils ont également avancé que les femmes ne pouvaient pas avoir été à l’origine des premières sociétés de par leur constitution passive. Cette thèse a été considérée scientifiquement valide jusqu’à ce qu’elle soit remise en question par des recherches en études de genre. La même perspective régnait également dans les champs de la médecine ‘et de l’anatomie. Pendant des années, le corps masculin fut (et est encore) le modèle de référence, alors que le corps féminin n’était approché que dans ses différences, pour certaines hormones et organes reproducteurs. La structure du chromosome X, le fonctionnement du cerveau féminin, la fertilisation des ovules et le sperme ne sont que quelques exemples de cette approche sexiste. Autrefois, le corps de la femme était perçu comme sacré mais en archéologie, les statues, les peintures et rituels se rapportant aux organes reproductifs des femmes ou la sexualité symbolisant la fertilité étaient interprétés comme de la prostitution, à cause de ces préjugés. La science a intégré dans son approche ces préjugés et cette mentalité masculine dominante préexistante dans les mythologies, les religions et d’autres structures de connaissance. Les explications « scientifiques », prétendant à l’objectivité, ont néanmoins été élaborées selon la même mentalité patriarcale. Celle-ci traverse le mythe dans lequel une femme est née du front de Zeus, le discours d’Aristote selon lequel « la femme est un être humain déficient » ou de Freud pensant que « les femmes sont des esclaves de par leur nature, et ceci est une réalité inchangeable. »
Cette mentalité a également influencé beaucoup de penseurs connus pour leur réflexion sur la liberté, la justice ou l’égalité. C’est le cas notamment de Jean-Jacques Rousseau, pour lequel « les femmes sont l’origine potentielle du désordre qui doit être domestiqué par la raison » ou de Karl Marx qui définissait les femmes comme des « entités anthropologiques et comme une catégorie ontologique plutôt abstraite. ».
Le fondateur de la sociologie, Auguste Comte, pensait quand à lui que la petite taille du cerveau féminin justifiait son infériorité vis-à-vis de l’idéal type racial. Il pensait obtenir ainsi une donnée scientifique, alors qu’il a limité sa recherche à l’homme blanc européen !
Un des moteurs principaux de la Jineolojî est de dépasser ces stéréotypes patriarcaux et de proposer une définition de la « Femme » la plus précise possible afin de permettre aux femmes d’exister librement.
Le positivisme a poussé les femmes hors du champ de la connaissance
La connaissance est l’accumulation historique obtenue par les communautés dans leur quête de solutions aux problèmes qui surviennent dans leur vie quotidienne. Alors que la connaissance et la science s’expliquent par la raison, celle-ci est généralement attribuée exclusivement aux êtres humains. Or, les recherches de la physique quantique révèlent qu’elle n’est pas seulement le propre des êtres humains, mais de tous les êtres vivants. Et, probablement, ces connaissances s’approfondiront et se diversifieront avec de nouvelles recherches. Néanmoins, nous pourrions actuellement définir la raison chez les êtres humains comme le potentiel de formation d’un système d’informations en collaboration avec la communauté, afin de répondre aux besoins vitaux de manière durable, notamment celui de faire sens. Les êtres humains ont permis au savoir de progresser en formant la connaissance comme pensée. Cependant, les résultats de la physique quantique ont porté la connaissance au-delà de sa définition de « réflexion de l’expérimentation et de l’observation des êtres humains ». Donc, définir la connaissance comme une construction sociale n’est pas contradictoire avec son caractère scientifique. Cette définition est également nécessaire en ce qu’elle rend aux femmes la place qui leur revient dans les constructions sociales.
En effet, l’histoire nous montre que les femmes ont joué un rôle déterminant dans la construction du savoir. Elles ont obtenu la capacité de rassembler la connaissance et de l’approfondir en la partageant avec la société. Durant l’ère agricole, les femmes n’étaient pas seulement dans une position d’observatrices, elles produisaient également des connaissances pratiques à partir de leur travail et les transmettaient en tant qu’éléments culturels aux générations suivantes. Bien qu’elles utilisaient leur intelligence dans l’intention première de soigner, elles avaient besoin de connaissances pour maintenir la communauté. Elles y parvinrent en utilisant le savoir obtenu du système naturel, créant ainsi des structures économiques et sociales qui maintinrent une vie unie et saine.
Le positivisme a exclu la femme de ces processus en expliquant la formation et le développement de la connaissance par un rapport hiérarchique entre l’observateur et l’observé. Il définit la connaissance comme une réflexion obtenue à partir des expériences et de l’observation, et forme son infrastructure théorique selon ses besoins. Avec cette méthode, l’origine du savoir a été apportée aux individus obtenant cette réflexion. Le savoir était perçu comme une catégorie construite hors de tout contexte social. Ce mécanisme indépendant de la société fut distribué au tissu social via des outils du système masculin dominant. Ce processus était orienté par le pouvoir. Acquérir du savoir, comme le capital, était une forme d’investissement. Le savoir était un outil de pouvoir dominant la structure sociale et était distribué sous contrôle afin de maintenir ce cycle. Toutes les infrastructures théoriques ont été formées afin de faire oublier à la société qu’elle est elle-même la source de la production et de la construction du savoir. Ces infrastructures ont été développées comme formation idéologique afin de réguler la société. En conséquence, la science s’est transformée en idéologie en appliquant la rationalité scientifique et technique de domination sur la nature et la société. Dans le cadre du « scientisme », l’acquisition du savoir avait pour ambition de posséder la nature, la société et les femmes.
Nous pouvons dire que le positivisme participe de l’exclusion des femmes du monde de la connaissance. Ce processus, qui a augmenté la distance entre la science et les femmes, prend sa source dans la mentalité qui perçoit la nature comme l’ « autre ». L’idée selon laquelle les lois naturelles peuvent être appliquées au monde social est devenue universelle. Les données formulées par la physique, la chimie et la biologie ont été définies comme des faits. L’intention était également de définir la société humaine selon des formules estimées comme scientifiques. La société, comme la nature, était considérée comme un objet. Des lois universelles, inchangeables et rigides ont été formées pour elle. Quels que soient la géographie, le climat ou la période historique, les mêmes solutions et méthodes étaient proposées pour résoudre les problèmes d’une société. On pensait que les méthodes de résolution présentées par les pouvoirs en place mèneraient aux résultats escomptés. Les conflits et relations sociales étaient approchés dans cette perspective.
Le pouvoir en place, qui cherche à se maintenir, a créé l’aliénation de la nature en s’appropriant la connaissance et l’intelligence développée à partir de celle-ci. Des exemples tirés de la nature ont été montrés comme modèle de gouvernante et pour légitimer les formes de pouvoir en place. Ainsi, le Darwinisme social, qui s’est développé dans le champ des sciences sociales à partir du modèle de la physique de Newton, a généré une perception du pouvoir comme une nécessité en adaptant des lois prétendument naturelles à la société.
Alors que les humains ont développé le désir de dominer la nature, celle-ci a été utilisée par le discours scientifique pour légitimer le pouvoir et l’exploitation. L’expression « le pouvoir de la science » est devenue le point de départ des sciences sociales. A cause de cette équation, la société a été dépossédée du savoir.
L’expression de « nature sauvage » cache la perception, devenue dominante, selon laquelle la nature doit être contrôlée. La « lutte pour la survie » s’est répandue rapidement à travers tout le tissu social, entre les humains, entre les humains et la nature, et entre l’homme et la femme. La nature domptée fut représentée par la figure de la femme domestiquée. L’idée que toutes les deux devaient être maintenues sous contrôle s’est répandue dans la société.
Les sciences sociales ont joué un rôle dominant dans ce processus. L’individu aliéné de sa propre nature était en même temps aliéné de la nature elle-même, de la société et de l’univers. L’individu est devenu serviteur de la modernité capitaliste en étant éloigné de son environnement et des femmes. En conséquence, la société est devenue vulnérable au pouvoir.
Les sciences sociales ont exclu de leurs champs la métaphysique, sous prétexte que celle-ci serait « irrationnelle », contrairement à la science qui serait objective. Pour mieux comprendre cette critique que nous adressons, il nous faut tout d’abord corriger l’incompréhension répandue concernant la définition de la métaphysique. Celle-ci est un champ de la philosophie qui explore les principes et les raisons de l’existence. Cependant, comme le formule Abdullah Öcalan, définir la métaphysique comme recherchant le sens exclusivement dans une divinité ou un créateur, en l’opposant à la dialectique, a ouvert la voie à l’exploitation intellectuelle, tout comme les scientifiques positivistes l’ont fait. Néanmoins, notre critique concernant, l’exclusion de la métaphysique du champ scientifique concerne un autre problème. Les seules conditions matérielles ne sont pas suffisantes pour expliquer la formation de l’existence. Si tel était le cas, un être humain pourrait être défini, selon les calculs des scientifiques, comme un être vivant composé de « dix gallons d’eau, de l’huile pour fabriquer sept barres de savon, une quantité suffisante• de charbon pour réaliser 9000 pointes de crayon, du fer pour fabriquer des clous de taille moyenne, de la chaux pour peindre un petit poulailler, une trace de magnésium et du sulfure pour nettoyer un chien de ses puces ». Mais évidemment, nous ne pensons pas que qui que ce soit souhaite être défini de la sorte ! Un être humain désire être défini par des valeurs qui ne peuvent être mesurées, telles la bonté, la beauté ou la gentillesse. De ce point de vue, nous n’irons nulle part en excluant la métaphysique au nom du scientisme. Comme l’a exprimé Öcalan, « les faits ne représentent pas toute la réalité, seulement sa part factuelle ». Lorsque Nietzsche a déclaré que « Dieu est mort », l’Europe occidentale percevait la philosophie et la science comme sources de la morale, des valeurs et de l’ordre universel. Nietzsche, lui, exprimait de la sorte qu’expliquer tout par la science peut mener au désengagement de la moralité sociale, processus qu’il définissait comme « nihilisme », et qu’il opposait à la puissance du sens. Notre critique porte donc sur l’exclusion de la métaphysique du champ des sciences.
Si nous définissons la science comme « l’interprétation la plus avancée du sens », une si simple association avec le pouvoir implique soit une défaite des sciences, soit un problème sérieux dans la définition de la science. Le rapport de ce problème au positivisme est plus large que ce que nous pouvons croire. Bien que le positivisme critique la métaphysique et la religion, il tente de résoudre les problèmes par une approche matérialiste des plus brutes, de telle sorte qu’il devient encore plus régressif que la religion ou la métaphysique. Avec sa prétention d’ « objectivité » concernant l’exploitation et la guerre, il ignore sa responsabilité dans la résolution des problèmes sociaux. Dans’ ce sens, il a donc facilité la tâche du pouvoir. Par conséquent, nous pensons que la science a fortement besoin d’une nouvelle interprétation du sens.
La Jineolojî travaillera à dépasser cette déformation de la science. Elle mettra en lumière le rôle des femmes dans la fondation, le maintien et le développement de la société, afin de révéler le pouvoir de sens de la vie sociale. Ceci n’est possible qu’au travers d’une approche scientifique qui dépasse la propagande et la démagogie. La Jineolojî se donne donc pour mission de rendre le savoir à ses premières créatrices en réélaborant ses liens avec l’éthique et l’esthétique.
La fragmentation des sciences sociales peut être surmontée avec la Jineolojî
La fragmentation dans les domaines et les méthodes des sciences sociales a conduit à une différenciation paradigmatique entre la politique, la sociologie, l’économie, l’histoire, la philosophie, la philologie, l’épistémologie, l’archéologie, l’ethnologie, la géographie, l’éthique, l’esthétique et les sciences. Plutôt que d’interpréter la société dans son ensemble, ces disciplines ont commencé à se concentrer sur des questions étroites, qui ne dépassent pas les limites de ses intérêts.
Cette séparation disciplinaire a été expliquée par le caractère objectif et impartial de la science. Cette perception de l’impartialité a provoqué une dislocation des valeurs sociales, tout en n’approchant pas la société dans son ensemble. Elle tenta par exemple d’interpréter l’histoire sans tenir compte de la philosophie. L’accent était mis sur les lois universelles, sans tenir compte des variétés régionales dans l’approche des sociétés. L’intention étant de construire une science désengagée de l’éthique. Le résultat en fut une interprétation de la société dans laquelle les femmes furent ignorées et rendues vulnérables à toute forme d’usage. Les femmes ont été objectivées et paralysées. L’intention étant de créer un tissu social dans lequel les femmes étaient rendues inférieures. La science a été désintégrée par un scientisme déchiqueté par les pouvoirs. Les femmes, présentes dans tous les domaines de la vie, ont été désintégrées et traitées comme des objets lucratifs. Il est important de reconnaître le rôle de la science dans ce processus et de la critiquer radicalement dans l’intérêt des luttes de libération sociale.
La Jineolojî se développera en questionnant pourquoi la femme, qui a été l’essence de la nature sociale et la créatrice de la communauté, n’a pas sa place dans les sciences sociales. La Jineolojî affirme que ce fut un choix conscient de ne pas intégrer les femmes comme sujet d’étude fondamental du domaine des sciences sociales. Par conséquent, la Jineolojî ne croit pas qu’une analyse des femmes dans les sciences sociales soit suffisante. Nous croyons en la nécessité d’une percée qui définisse de manière globale l’existence de la femme et qui aille ainsi au-delà de la fragmentation les différents champs constitutifs des sciences sociales.
La Jineolojî veut répondre à l’affirmation d’Ôcalan selon laquelle « une nouvelle structuration des sciences sociales est nécessaire pour la construction d’une société plus démocratique, libre des genres et écologique ». Donc, quel que soit le sujet traité par les sciences sociales, il devra assumer cette nécessité et lutter de manière adéquate. Une critique radicale des sciences sociales (devenues le château le plus fort du positivisme et du libéralisme), à partir de la perspective de la femme et de la révolution sociale, sera donc la première tâche de la Jineolojî.
Proposer et développer la Jineolojî revient à opposer une critique globale au champ des sciences sociales et à y intervenir. Si elle parvient à définir les concepts avec lesquels elle structure son discours, à préciser ses méthodes de recherche et à s’intégrer dans la société, nous espérons que son potentiel de résolution de la crise actuelle des sciences sociales sera décisif.
PARTIE 2 : LES FONDEMENTS
DE LA JINEOLOJÎ
A. Le principal fondement de la Jineolojî
est la lutte de libération des femmes kurdes
Le paradigme du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), qui vise à atteindre une forme organisée de lutte dans la poursuite de la réalisation de la liberté collective, a émergé sous l’influence des idées de gauche et des mouvements socialistes des années 1970. Depuis sa fondation, la lutte pour la libération de la femme était considérée comme un devoir. La conviction que la liberté de la femme est la condition sine qua non de la liberté collective est fondamentale pour comprendre les concepts et les structures du PKK. Saline Cansiz[1] a joué un rôle essentiel dans ce sens.
Lors de son troisième congrès, le PKK a fait le premier pas vers une organisation distincte. Le cœur de la lutte de libération des femmes du Kurdistan s’est manifesté avec les premières « analyses de personnalité ». Ces analyses personnelles révélaient des données importantes sur la manière dont la réalité sociale influence la formation de la personnalité. A ce propos, Ôcalan estime, lors du IIIème congrès du PKK, que « ce qui est analysé c’est la société, et non pas l’individu ; c’est l’histoire, et non pas le moment ».
Cette démarche peut être vue comme une contribution importante aux analyses de transformation sociale et à sa conceptualisation.
La première étape de la transformation de la lutte pour la liberté, qui a commencé par la transformation des individus en un pouvoir organisé, a été le fondement de l’Union des femmes patriotiques du Kurdistan (Yekitiya Jinên Welaeareên Kurdistan, YJWK) en 1987. Cette organisation remit en question la construction historique de la femme et de la famille et amorça des débats sur les difficultés de l’organisation des femmes. L’apparition du YJWK mis en lumière la question de la libération des femmes ainsi que les perspectives sur la libération nationale et de classe. Les premières analyses théoriques concernant l’exploitation patriarcale des femmes eurent lieu dans ce processus. Celles-ci furent intégrées dans le tissu social et compilées dans le livre d’Öcalan, La femme et la question de la famille au Kurdistan.
L’YJWK, la première organisation des femmes du Kurdistan s’est développée avec un caractère révolutionnaire et libertaire et a réalisé des travaux uniques entre 1987 et 1993. Les réussites obtenues par les femmes et les transformations qu’elles ont provoquées dans leur lutte pour la liberté ont pris forme dans une perspective et un cadre théorique inédit concernant la libération des femmes au sein du PKK. En rompant avec les schémas mentaux de la société, ce cadre théorique trouva rapidement des applications concrètes dans la réalité. D’autres changements sociaux eurent lieu au sein du PKK à l’occasion de la fondation de l’armée des femmes, en 1993.
Le pouvoir et la volonté propres qui ont été acquis grâce à la lutte armée ont ensuite été utilisés dans la continuation et la globalité de l’organisation du YJWK. L’armée des femmes a joué un rôle important dans la multiplication des expériences des femmes kurdes et pour les connaissances qui en découlent. Cela a généré un espace dans lequel les femmes qui désiraient sortir de la spirale de la modernité capitaliste et du patriarcat pouvaient s’exprimer. La participation massive des femmes dans les forces armées du PKK s’explique par leur volonté de rompre avec toutes formes de relations hégémoniques.
Prendre les armes dans les montagnes pour se battre au nom de la libération du Kurdistan créa des expériences fortes pour les femmes qui voulaient s’opposer à toutes les formes d’attaques de la modernité capitaliste. Alors que les femmes kurdes se battaient pour leur existence contre l’État-nation, elles luttaient également pour leur existence contre les hommes au sein de la guérilla. Le conflit de conscience qui surgit au sein de celle-ci révéla que l’alliance entre le patriarcat, le capitalisme et l’État s’était infiltrée dans toutes les brèches sociales ; ce n’était donc pas suffisant de dissoudre le système au travers d’une lecture de lutte des classes et de libération nationale. Il était clair que la libération des femmes devait se baser sur une analyse plus ancrée du système. En même temps, il devenait évident que les femmes avaient besoin de structures organisationnelles autonomes et alternatives. La lutte des femmes contre toutes formes de marginalisation et de discrimination remit en question le tissu social construit sur le fondement du pouvoir, à l’extérieur comme à l’intérieur du mouvement. Dans ce processus, défini comme la « lutte de genre » au sein de la guérilla, les femmes prirent conscience de l’importance de l’auto-défense contre les attaques directes et les implications de la domination masculine. Plus important encore, elles comprirent que la question de la liberté des femmes ne pouvait pas être reportée après la résolution de la « question kurde ». La nécessité de lutter à chaque instant contre la domination masculine est devenue une réalité fondamentale au sein de l’organisation des femmes du Kurdistan.
L’existence d’une organisation et d’un mode de fonctionnement répondant à ce besoin au sein du PKK explique pourquoi les femmes en quête de liberté ont rejoint en masses l’avant-garde de la guérilla. Elles fuyaient les centres urbains dans lesquels la modernité capitaliste et les structures patriarcales dessinent des frontières. Au même moment, l’activisme politique et la quête pour la liberté prirent de l’ampleur.
Les expériences ainsi accumulées au sein de l’armée des femmes créèrent une base pour faire avancer la lutte de libération des femmes.
La fondation de l’Union de libération des femmes du Kurdistan (Yekitbla Aadiya Jinên Kurdistan, YAJK), le 8 mars 1995, fut une étape cruciale dans l’organisation de cette quête pour la liberté. Par l’émergence de l’YAJK, l’organisation autonome des femmes se refléta dans tous les domaines de la lutte, et elle joua un rôle important dans la réalisation du potentiel d’auto-organisation des femmes et de leur politisation. Elle s’étendit des montagnes aux centres urbains. L’armée des femmes rendit les femmes fortes et déterminées dans leur lutte pour l’existence. Le fait de s’organiser leur a permis de révéler la force de détermination des femmes d’un peuple colonisé.
L’organisation de l’YAJK et ses réalisations furent à la base de la théorie d’Abdullah Ôcalan : « tuer l’homme dominant »/L’es dimensions exploitantes, hégémoniques et assoiffées de pouvoir des hommes commencèrent à être remises en question. Nous prenions conscience que les hommes également devaient se libérer des schémas patriarcaux. La théorie du « divorce total », qui entend rendre visible la problématique de la liberté autant pour les femmes que les hommes, fut un pas important dans la capacitation des deux genres à prendre conscience de leur propre réalité. Cette conceptualisation contribua à la conscience des femmes de leur propre pouvoir et au renforcement de leur détermination.
L’Idéologie de la libération de la femme, qui a été énoncée en 1998 et est encore valide aujourd’hui, fut ouverte à la discussion en tant que théorie. Ces débats n’ont pas été menés par un groupe élitiste étroit, mais par l’ensemble des femmes et des hommes du PKK. L’idéologie de la femme a été conceptualisée autour de différents champs: la libre pensée et le libre-arbitre, le concept de « welatparêzî[2]« , l’auto-organisation, la conscience de la lutte, et l’esthétique. Ces principes ont créé de nouvelles fondations pour la vie des femmes, considérées comme étant le premier peuple colonisé.
Résumé des principes de l’Idéologie
de la libération des femmes
Les principes fondamentaux de l’Idéologie de la libération des femmes sont donc le « welatparêzî« , la libre pensée et le libre-arbitre, l’auto-organisation, la détermination de la lutte, et l’esthétique. Ces principes sont expliqués ci-dessous.
Le principe de welatparêzî est celui qui crée le lien entre la terre et l’idéologie, la production et la culture des femmes. Contre le nationalisme et la colonisation, l’amour pour sa propre terre est mis en avant. C’est par cette idée que les peuples ont appris, développé et protégé le tissu de leur société, leurs valeurs historiques, et leurs objets. C’est grâce à cela que les femmes étaient capables de participer à la société, munies d’un libre-arbitre et de la liberté d’expression. Il est apparu que le développement du pouvoir intellectuel des femmes ne doit pas être considéré comme un principe de leur sexe. C’est à travers cette notion qu’elles ont pu questionner et développer à la fois leur propre lutte pour l’émancipation et leur mouvement pour la libération nationale.
Les principes de la libre pensée et du libre arbitre ont été mis en avant afin de dépasser le contrôle patriarcal sur les esprits des femmes. Une femme dépossédée de sa volonté propre ne peut pas jouer un rôle déterminant dans le dépassement d’une société patriarcale. Posséder une volonté propre dépend de la connaissance, par conséquent, pour obtenir une volonté propre, une femme doit d’abord développer la connaissance et la conscience de soi. Il existe donc un lien fort entre le fait d’être éclairée et le fait d’avoir une volonté propre.
Le principe de l’organisation est une nécessité fondamentale pour quiconque souhaite donner forme à ses visions mot; sans cela, aucune vision de peut devenir réalité. Abdullah Öcalan, leader du peuple kurde, a déclaré : « Sans s’organiser, l’individu reste sans pouvoir. Les premiers pas de l’organisation ont débuté avec les femmes. Ce sont elles qui devraient insister sur l’importance fondamentale de l’organisation pour gagner en force ». À travers cela, le leader kurde a défendu l’organisation des femmes à tous les niveaux de la société. Il exprime également que « les femmes qui comptent sur la clémence des hommes sont vouées à l’échec ».
Le principe de la lutte est également l’un des principaux tenants de l’Idéologie de libération des femmes, en ce qu’elles doivent se battre contre le système patriarcal pour pouvoir acquérir un savoir et une volonté propres, afin de se constituer en unité forte. Ôcalan souligne que « c’est par manque de lutte que l’identité des femmes a été contrainte entre quatre murs ». Il remarque que les femmes doivent opposer une résistance idéologique, politique, organisationnelle et culturelle — donc, lutter à tous les niveaux et dans tous les domaines de la société.
Les principes d’Ethique et d’Esthétique sont également considérés comme des préceptes d’une vie libre. Ils soulignent l’importance de tenir compte de l’éthique et de l’esthétique dans le cadre de la lutte armée, en tant que guérilla, ainsi que dans le champ politique. C’est la seule voie par laquelle les femmes peuvent se libérer et la société être transformée. Dans ce cadre, la beauté n’est plus synonyme d’attirance d’un point de vue masculin, mais de liberté et de valeurs éthiques et culturelles incarnées. Ce principe prend corps par la citation célèbre d’Öcalan selon laquelle « Celle (celui) qui se bat devient libre, celle qui devient libre devient belle, et celle qui est belle est aimée ».
Le premier parti des femmes, appelé le Parti des femmes travailleuses du Kurdistan (PJKK), a été établi le 8 mars 1999 afin de concrétiser l’idéologie de la lutte des femmes. La fondation de ce premier parti a été une étape importante dans l’acquisition d’une nouvelle perception pour remettre en cause le système patriarcal de la civilisation, ainsi que toutes ses variations et méthodes.
L’organisation des femmes dans leur propre parti a débuté juste après la conspiration internationale à l’encontre du leader kurde Abdullah Ôcalan, qui a mené à son incarcération en isolement sur l’île d’Imrali en Turquie. Lui qui a décrit la formation d’un parti des femmes comme l’un de ses travaux inachevés, voyait la formation de ce parti comme une manière d’assurer les perspectives théoriques et pragmatiques du mouvement. L’organisation du parti des femmes a élargi constamment les formes et les contenus de la lutte de libération des femmes, en interagissant avec le niveau de conscience et l’avancement de la société. Donc, le PJKK a élargi la perspective de son organisation et de sa lutte. Dans ce contexte, son nom a été changé lors du troisième congrès du mouvement de libération des femmes en 2000, en Parti des femmes libres (Partiya Jinên Azad, PJA). Celui-ci a été fondé dans l’intention d’incorporer les expériences des femmes kurdes à celles des femmes des autres nations, prenant ainsi leur place sur la scène internationale. Au Kurdistan, le PJA fit des progrès significatifs dans l’organisation des femmes et dans l’apport de réponses à la question du type de société dans laquelle les femmes devraient vivre. En 2002, le PJA proposa une Esquisse pour un contrat social des femmes à d’autres organisations de femmes. Il a été mis au programme de différentes conférences et rencontres afin de renforcer la coopération et le dialogue entre les femmes du monde entier. Dans ce contexte, le PJA a également rejoint les discussions sur une Constitution des femmes du monde. Par ailleurs, le PJA a établi des relations et des réseaux avec différentes organisations de femmes qui ont été engagées dans les champs des droits humains, de la paix et de la démocratie, ainsi qu’avec des organisations de femmes révolutionnaires.
Modèle d’organisation du Mouvement des femmes
du Kurdistan
Suite aux critiques de la modernité et des structures organisationnelles marxistes-léninistes, ainsi qu’au paradigme de la création d’une société démocratique, écologique et libérée des genres, la restructuration du mouvement des femmes kurdes a été à l’ordre du jour en 2004. Les nouvelles structures étaient composées du Parti de la libération des femmes du Kurdistan PAJK (Partîya Azadîya Jin a Kurdistan) dans le domaine idéologique, des Unions de femmes libres YJA (Yekitiyên Jinên Asad) dans le domaine de l’organisation sociale et politique, et des Unités de femmes libres YJA Star (Yeknîyên Jinên Azad Star). La YJA Star, en tant qu’unité de défense antimilitariste, a mis sur pied une force de défense contre toute forme de violence à l’égard des femmes et contre les attaques à la progression d’une société libre.
Le PAJK a été organisé en tant que parti idéologique pour assurer l’avancée de la lutte des femmes dans tous les domaines du mouvement de libération kurde. Cependant, au Kurdistan, où une renaissance des femmes devait avoir lieu, la nécessité d’une organisation confédérale des femmes plus souple et plus complète a été mise en avant. En 2005, le Conseil supérieur des femmes – KJB (Koma Jinên Bilind) – a été créé en tant qu’organisation de coordination confédérale avec la participation de femmes et d’organisations féminines des quatre régions du Kurdistan et de femmes kurdes vivant à l’étranger. Le Mouvement de la jeunesse (Komalên Ciwan) a également pris la responsabilité de l’organisation autonome des jeunes femmes comme étant d’une grande importance pour la création d’une société démocratique. La lutte pour la création d’une identité libre des jeunes femmes a été menée dans les structures du Conseil supérieur des femmes, KJB.
En 2014, le KJB a obtenu le nom de Communautés des femmes du Kurdistan (KJK). La KJK s’occupe de toutes les questions liées aux activités organisationnelles, politiques, sociales et d’autodéfense des femmes. Il est un système qui rassemble les visions et les réponses des luttes des femmes dans les quatre parties du Kurdistan.
Le KJK vise à donner aux femmes les moyens de devenir l’avant-garde d’un mouvement qui construit une société démocratique, écologique et libérée de genres. Elle s’efforce de permettre aux femmes de briser le système patriarcal en se donnant les moyens d’obtenir une identité libre dans tous les domaines de la vie.
Le Mouvement de libération des femmes du Kurdistan n’a cessé de progresser à travers un processus évolutif de formation de différentes structures organisationnelles. Chaque pas a été fait dans le but de développer un mode de vie alternatif, plus progressiste, pour les femmes et l’ensemble de la société.
Nous n’affirmons pas avoir surmonté les défis systématiques que pose la société patriarcale pour les femmes. Pour cela, nous devons continuer à nous organiser. Nous n’acceptons pas d’être passives ou inactives. Nous avons hérité des théories et de l’idéologie du féminisme et nous considérons que c’est notre mission de les faire progresser.
Grâce à des travaux tels que la création du Manifeste pour la liberté de la femme et du Contrat social, le mouvement pour la liberté lui-même a fait des progrès significatifs. Ces mesures théoriques et pratiques ont toutes été prises en tenant compte de l’émancipation des femmes. Comme l’émancipation des femmes n’est pas seulement attribuée aux gains matériels pour les femmes, mais aussi à la transformation idéologique, la théorie et la pratique se renforcent mutuellement. En conséquence, pour surmonter le patriarcat, la nécessité d’un mouvement plus intellectuel et scientifiquement organisé a été identifiée. La Jineolojî vise à satisfaire ce besoin et contribuera aux 40 ans d’expérience pratique du mouvement de libération kurde pour développer de nouvelles connaissances et théories. Elle apportera une contribution cruciale à l’histoire de la libération des femmes. Elle fournira les bases idéologiques pour la formation d’un système centré sur les femmes.
B. Le soulèvement de la plus ancienne
colonie : le féminisme
« Le mouvement féministe doit certainement être le mouvement anti-système le plus radical. Non seulement la période de la modernité, mais toute la civilisation et toutes ses périodes hiérarchiques doivent être examinées en relation avec l’asservissement mental et physique des femmes. La liberté, l’égalité et la démocratie des femmes exigent un travail théorique exhaustif, des luttes idéologiques, des activités programmées et organisées, et surtout des actions fortes. Sans cela, le féminisme et le travail des femmes n’auront pas d’autre signification que celle des activités des femmes libérales qui tentent de soulager le système. »
(Abdullah Ôcalan)
Nous percevons les points et critiques mentionnés ci-dessus par le leader du peuple kurde Abdullah Ôcalan comme importants pour toutes les femmes qui luttent pour la liberté. Alors que le système dominant perçoit le développement des mouvements féminins comme dangereux, les pièges qu’il met en place visent surtout à frapper les femmes. Ces pièges ne seront pas surmontés par la simple critique ou analyse théorique du système, mais seulement par les femmes qui développent une lutte globale. Sans surmonter ces pièges, la libération, la liberté et même la garantie de la vie des femmes ne peuvent être assurées.
Le féminisme est un cercle important de résistance dans l’histoire récente. Après la seconde moitié du XXème siècle, le féminisme a commencé à reprendre et à critiquer le discours masculin des sciences sociales modernes. Sur la base d’une perspective sujet-objet, les femmes ont été placées dans la position d’objet et c’est un argument significatif car cela constitue la source de toutes les formes de discrimination. Le féminisme est la source la plus importante de la Jineolojî, car il a une immense expérience et une grande valeur dans la lutte pour la libération sociale. Bien sûr, la Jineolojî a dirigé ses premiers efforts pour étudier, analyser et évaluer l’ennemi des femmes, c’est-à-dire la civilisation patriarcale de classe et la modernité capitaliste. Nos critiques à l’égard du féminisme et des mouvements féministes existants découlent d’une perspective qui les considère comme nos propres problèmes, alors que nous essayons de trouver des solutions. Tout comme nous réfléchissons de façon autocritique sur nous-mêmes et sur nos expériences, nous croyons que de cette façon les femmes peuvent progresser. Par conséquent, notre critique du féminisme est une tentative d’initier un processus de renouveau, dans le but de progresser. Nous pensons qu’il est urgent d’entamer ces discussions. Nos critiques sur le féminisme sont énumérées ci-dessous avec la conscience que le féminisme a évolué malgré beaucoup de difficultés et s’est développé grâce aux nombreux efforts des femmes, leur travail et leur souffrance.
Épistémologie fragmentée
Pourquoi avons-nous nous-mêmes produit tant d’épistémologies féministes, alors que le positivisme, la modernité capitaliste, le libéralisme et les sciences sexistes nous ont déjà tant divisées ? Bien sûr, nous sommes conscientes que chaque épistémologie féministe considère des problèmes de domaines différents. e Mais nous savons très bien que cette particularité seule n’ a pas été suffisante pour permettre le succès contre le patriarcat. C’est pourquoi nous devons observer de manière critique les méthodes de fragmentation lorsque nous essayons de nous organiser.
Au début du développement de la Jineolojî, nous avons envisagé « d’aller au-delà du féminisme, de surpasser le féminisme et d’apporter une contribution au féminisme », essentiellement pour transcender son épistémologie fragmentée avec laquelle nous n’étions pas d’accord. Certaines personnes pourraient dire qu’avec la Jineolojî nous sommes encore en train d’en rajouter à cette épistémologie fragmentée. Nous proposerons bien sûr la formation de connaissances sur la réalité des femmes, la formation de méthodes à l’étude des femmes. La terminologie que nous utilisons (par exemple contribuer, dépasser, améliorer, etc.) n’est pas utilisée dans un sens compétitif; typiquement imposé par le système dominé par les hommes, mais pour permettre aux femmes de se comprendre, de contenir leurs expériences et d’aller au-delà.
Il est possible que différents mouvements de femmes et différentes pensées intellectuelles se déroulent en parallèle, et que ces groupes se soutiennent mutuellement. Ce qui importe, c’est de se rassembler, de construire notre force collective pour lutter contre les structures intellectuelles et organisationnelles du monde patriarcal dans lequel nous vivons.
Les effets de l’orientalisme
L’idée que le problème fondamental des peuples du Moyen-Orient – en particulier celui des femmes – serait de ne pas pouvoir se moderniser découle d’une perspective orientaliste qui ne tient pas compte de la dynamique politico-morale des sociétés du Moyen-Orient. L’orientalisme a un impact sur le fait de ne pas pouvoir voir les obstacles majeurs qui persistent dans la recherche de notre histoire sociale. Celles et ceux de l’Occident qui interprètent le Moyen-Orient doivent résoudre et surmonter cette attitude. En particulier les intellectuell-e-s, les politicien-ne-s, les universitaires et les féministes du Moyen-Orient doivent adopter une position réfléchie pour comprendre les problèmes et développer des solutions avec le point de vue des femmes, afin de permettre une lutte forte contre les politiques impérialistes imposées au Moyen-Orient. Un féminisme qui s’oriente vers les cultures locales avec originalité, authenticité et une approche libertaire, devrait renforcer une position anti-système et aider à comprendre les influences orientalistes et les luttes contre cette perspective. Lorsque les féministes universitaires font de la recherche, il est nécessaire de remettre en question les hypothèses préliminaires des sciences sociales qui influencent l’orientalisme. Quand les féministes examinent l’Orient depuis l’Occident, c’est une faiblesse qu’elles n’intègrent pas souvent les théories qui surgissent de la littérature orientale. C’est une faiblesse que les théories développées en Occident aient progressé à travers les besoins sociaux et les contradictions, alors que dans d’autres géographies, le féminisme a tenté de combler les espaces restants. C’est pourquoi la Jineolojî devrait être construite dans diverses régions géographiques en progressant sous différentes formes, sur la base des connaissances et des expériences régionales et locales des femmes de chaque territoire.
Perspectives sur l’organisation et la socialisation
Malgré l’immense savoir que le féminisme a créé, il n’a pas suffisamment assumé son rôle et sa responsabilité pour répondre à l’urgence et à l’ampleur du besoin de transformation sociale de la société. C’est pourquoi la société ne reconnait pas les mouvements féministes comme une « alternative principale » contre les systèmes de pouvoir des États. Le féminisme est le plus souvent considéré comme un mouvement expiré ou utopique, mais si un véritable mouvement alternatif était formé, la société pourrait le soutenir.
Certaines féministes affirment que « la tâche du féminisme n’est pas d’organiser, mais de créer des connaissances pour que d’autres puissent les mettre en pratique ». Ou bien elles prétendent que l’organisation de la société et le partage des connaissances avec les autres sont une forme d’ingénierie sociale. Aujourd’hui, les personnes du monde entier sont conscientes que les régimes politiques se sont élevés à travers le pouvoir de l’État et les injustices. Ces pouvoirs veulent tout contrôler et tout déterminer : droit, justice, vie, mort…
Ce faisant, ils tentent de décourager et de tromper les gens sur ce qu’est la réalité et la vérité ou ce qui est faux et mensonges. Si une personne est consciente des réalités de sa société et n’agit pas, mais ne produit que des idées sur ce qui doit être fait et ce qui ne doit pas être fait, on ne peut pas dire qu’elle soit un adversaire du système. Cependant, c’est une caractéristique du féminisme d’être un mouvement anti-système, et pour toutes les autres oppositions anti-système, le féminisme est une force de motivation. Le féminisme est anti-militariste, antipouvoir, antisexiste, antiraciste et antifasciste. Quand un mouvement se compose de tant d’ « anti »-posture, il a un caractère contradictoire et produit surtout des connaissances théoriques, mais fait moins dans la pratique. Il est problématique que le féminisme n’ait pas réussi à s’organiser et à forger des alliances fortes pour le changement social. Ces problèmes doivent faire l’objet de discussions approfondies au sein des mouvements et de profondes solutions doivent être développées.
Ne pas être capable de développer un modèle de vie
alternatif pour transcender les limites de la modernité
Le féminisme critique la modernité de manière théorique, mais son incapacité à mettre en pratique un modèle de vie alternatif est une de ses faiblesses. Alors que certaines féministes choisissent de rester en dehors de l’arène politique pour ne pas se « contaminer », la présence du mouvement des femmes kurdes dans l’arène politique s’est avérée efficace dans la transformation sociale autant que dans ses déterminations théoriques. Le système de coprésidence dans le domaine politique a apporté une expérience et des réussites importantes en matière de représentation paritaire. Plutôt que d’en rester au rejet de la modernité dans un groupe fermé, le mouvement des femmes kurdes tente de donner forme à ce rejet au travers d’un projet politique. Les analyses convaincantes du féminisme exprimées dans le domaine universitaire n’ont pas fourni de perspective solide sur la manière dont celles-ci peuvent s’organiser et s’institutionnaliser. En refusant d’utiliser les outils du système, elles se sont progressivement enlisées entre ses frontières académiques.
La Jineolojî a également une perspective de création d’académies. Cependant, elles ne seraient pas construites dans le cadre du système actuel; mais crées les propres forces et ressources des femmes. Bien que le féminisme ait rompu intellectuellement et radicalement avec le système, il est contradictoire qu’il n’ait pu s’organiser institutionnellement. A contrario, l’organisation autonome des guérillas féminines du Kurdistan a créé un modèle de vie communautaire pour les femmes ¬non seulement dans les montagnes mais aussi dans la société. Bien que le féminisme prétende qu’il n’y ait pas d’objectifs clairs pour développer un militantisme féminin, il ne peut pas réaliser son utopie, car il ignore le lien important entre la liberté, l’organisation et la socialisation. En tant que Mouvement des femmes kurdes, nous essayons de répandre l’enchantement de Jin (femme), Jiyan (vie), Azadi (liberté) dans toute la société. Aujourd’hui, dans toutes les régions du Kurdistan, il existe des mouvements et des institutions autonomes de femmes.
Le village de femmes de « Jinwar » qui est en train d’être construit au Rojava, est un exemple concret d’utopie en voie de réalisation : c’est une incarnation de la vie fondée par les femmes. Il s’agit de diffuser la valeur de liberté au sein de la société, à travers des idées et des actes, plutôt que de vouloir s’en séparer. C’est pour cela que la Jineolojî désire renforcer les liens entre liberté, organisation et société. Cette approche sert également à renforcer la tendance vers une démocratie radicale et vers une liberté dans les institutions juridiques, et à renforcer les perspectives et la volonté des femmes dans les modèles de vie alternatifs existants.
Ignorer la sexualité comme domaine de pouvoir
Dans la nature, l’existence de tous les êtres vivants est assurée par l’alimentation, la protection et la reproduction. Dans les sociétés humaines, la reproduction a été associée à la sexualité et au travail non valorisé des femmes. En même temps, dans la modernité caepitaliste, la sexualité est allée au-delà de la provision de reproduction pour assurer la continuité de l’existence et s’est transformée en un domaine de pouvoir. La sexualité des femmes a été contrôlée pour la mise en œuvre et la continuité du pouvoir. Au lieu de définir la sexualité et sa signification sociale en la déconnectant d’une position de pouvoir, elle a été conservée comme un espace de soi-disant « libre choix ». Le féminisme n’a pas été capable de définir la sexualité dans un sens ontologique. Dans le développement de l’hégémonie matérielle et spirituelle patriarcale, le rôle de la sexualité n’a pas été suffisamment résolu.
Depuis les années 1970, le féminisme radical et le féminisme lesbien ont produit des connaissances qui ont décrypté le lien entre sexualité et pouvoir. Ces efforts visaient à s’identifier avec les corps et la sexualité des femmes. La pornographie a été critiquée comme une production capitaliste et un trafic de femmes. Cependant, après les années 1990, ces analyses véridiques ont fini par tomber dans les pièges du capitalisme. Ainsi, au lieu de prendre une position radicale contre le système, le système libéral a intégré des éléments du mouvement féministe et leurs revendications, tandis que de plus en plus de féministes ont commencé à adopter des modèles et des pratiques du système. La sexualité, initialement analysée dans les discours féministes comme un problème d’asservissement et de domination de la société, s’est développée pour être discutée comme une question de liberté libérale. La « liberté sexuelle » a été traitée comme une question individualiste. De ce fait, il n’a pas été possible de développer une culture de la sexualité libre, sans domination ni esclavage. Par conséquent, nous devons créer une compréhension plus profonde de la sexualité, des identités sexuelles et des relations. Le fait de retirer physiquement les hommes et les partenaires sexuels de la vie des femmes devrait-il être considéré comme une réaction consécutive ou comme un libre choix ? Ces relations sont-elles vraiment exemptes de domination et d’esclavage ? Les modèles de pouvoir et de domination se reproduisent-ils également dans les relations gaies et lesbiennes ? Comment réaliser la sexualité libre ? Quel est le rôle des femmes et comment est-il déterminé ? Jusqu’ à présent, les réponses à ces questions sont limitées.
La nécessité de la transformation des hommes
Le féminisme n’a pas été en mesure de surmonter de manière systématique la politique sexuelle actuelle, et il se trouve qu’il la reproduit d’une manière différente. Outre les relations sexuelles, le féminisme n’a pas présenté de solutions pratiques sur la façon dont les relations entre hommes et femmes pourraient être remises en question et rétablies. Celles-ci devraient également porter sur la question du développement de nouvelles approches de la coexistence et des relations. Les analyses critiques du système et la définition des idéaux constituent une étape importante. Mais nous devons aussi considérer que nous vivons comme des femmes et des hommes dans la réalité d’une société patriarcale.
En réponse à cela, la politique féministe a surtout prôné la formation d’espaces séparés réservés aux femmes, sans accorder beaucoup d’attention à l’élaboration de politiques e de plates-formes communes en faveur de la lutte pour l’égalité des sexes et visant à la transformation des hommes. Cela contredit la critique féministe de l’état d’esprit et du système patriarcal. Avec cette approche, le féminisme ne parvient pas à s’affirmer et à faire comprendre aux hommes la nécessité d’une transformation, à les amener à reconnaître la volonté des femmes et à prendre au sérieux la raison et les émotions des femmes.
Le féminisme n’a pas réussi à surmonter l’image qu’il a d’être un mouvement qui résiste et refuse. Il n’ a pas réussi à créer une société alternative dans ce monde de crise. Bien qu’une analyse exhaustive ait été menée sur la pensée patriarcale dominante, les solutions proposées concernaient principalement l’émancipation des femmes. Le féminisme n’a pas suffisamment mis l’accent sur les perspectives de transformation des hommes, la prise de conscience des liens entre liberté et genre, ni sur une organisation qui favorise la liberté sociale.
Approche de l’histoire
La façon dont l’histoire a été écrite a fortement contribué à la construction et au maintien du sexisme. L’une des critiques féministes fondamentales concernant les sciences sociales modernes est que l’histoire a été écrite avec une vision androcentrique. « Son histoire à lui », correctement illustré par le jeu de mots « His-story » (en anglais), a systématiquement ignoré « Her-story« , « son histoire à elle », l’histoire et la vérité des femmes. C’est pourquoi le féminisme ne donne aucune crédibilité à l’histoire écrite et au point de vue androcentrique. Cependant, comme l’histoire des femmes n’a pas été suffisamment divulguée, nous ne pouvons pas espérer l’éradication de la mentalité androcentrique sans un effort pour changer la mentalité patriarcale. Les sciences sociales ne sont pas non plus exemptées de cette obligation. La plus longue période de l’histoire, celle des sociétés centrées sur les femmes, doit encore être révélée. La Jineolojî ne vise pas seulement à inclure les femmes dans l’écriture de l’histoire, mais aussi à écrire, « Her-story« , l’histoire des femmes.
Il serait injuste de considérer les valeurs historiques des femmes uniquement à travers le prisme du féminisme. Dans certaines régions du monde, principalement en Occident, les mouvements féministes ont joué un rôle prépondérant dans la résistance contre le patriarcat. Cependant, le monde a de nombreuses cultures et croyances différentes. Depuis des milliers d’années, les femmes du monde entier revoient et interprètent leur rôle au sein de la société. Certaines découvertes archéologiques suggèrent que, dans certains endroits, les femmes ont joué un rôle prépondérant dans la société à certains moments de l’histoire. Nous pensons qu’il est important que le féminisme tienne compte de ces résultats historiques lorsqu’il progresse en tant que mouvement. À cet égard, la Jineolojî s’efforce également d’apporter une contribution significative à l’écriture de l’histoire des femmes.
Aujourd’hui les expériences locales des femmes sont très variées dans chaque pays. Dans quelle mesure est-il juste de présenter leurs expériences à travers les prismes du féminisme post-colonial, du féminisme kurde ou du féminisme islamique ? Dans quelle mesure ces courants représentent-ils les luttes développées par les femmes dans différentes régions du monde ? Nous pensons que le féminisme devrait poser ces questions, parce que beaucoup de femmes qui ont mené une lutte contre le patriarcat ne peuvent pas s’identifier dans ces catégories. À cet égard, le fait de ne pas reconnaître les expériences et les progrès accomplis par ces femmes, de ne pas placer les noms de leurs organisations dans la littérature féministe est une question importante qui doit être reconnue par les mouvements féministes.
Nous croyons que tous les mouvements de femmes qui ont représenté les valeurs de la société et résisté au sein et contre la civilisation patriarcale des États-nations, ainsi que les femmes qui résistent dans l’axe de la civilisation démocratique, devraient se réunir pour créer un paradigme des femmes. Pour cette raison, nous pensons que la reconnaissance des luttes menées par les femmes dans toutes les parties du monde et leurs efforts pour documenter leurs expériences, telles qu’elles les expriment dans la, littérature, sont quelques-unes des contributions les plus importantes aux luttes pour la liberté des femmes à travers le monde.
Comment la Jineolojî aborde-t-elle
les théories alternatives ?
De nombreux mouvements de liberté établis sous l’influence de la modernité n’ont pas su reconnaître la réalité de la répression des femmes. L’un des principaux exemples de tels mouvements a été le « socialisme réel « . Ces mouvements socialistes et ces États n’ont pas compris qu’une grande partie du capital accumulé provenait du travail des femmes. De la même manière, l’acceptation d’idées telles que l’État-nation et l’autorité comme lois immuables du progrès ont été des défauts du socialisme réel. En économie, le rôle prépondérant des femmes dans la création de main-d’œuvre et de valeur a été ignoré. Contrairement à la philosophie d’autres mouvements socialistes, la Jineolojî considère la résistance des femmes, le travail, la pensée intellectuelle et les théories comme la base de la libération sociale.
Il est important de noter que même l’anarchisme, en tant que mouvement le plus radical contre le système de la modernité, n’a pas réussi à fournir une critique systématique et complète de la modernité. Sans une compréhension holistique de l’évolution des civilisations, les mouvements anarchistes n’ont pas non plus reconnu, dans leur analyse de l’État-nation, de l’individualisme et des sciences sociales, que la saisie des valeurs créées par les femmes a été l’un des enjeux fondamentaux de la modernité. Alors que la Jineolojî considère l’anarchisme comme une source importante, elle s’efforce de combler les lacunes qui ont permis à l’autorité d’infiltrer le tissu social.
L’impact de la Jineolojî sur le
Mouvement des femmes kurdes
Le principal argument que nous avons présenté pour la création de la Jineolojî, et donc pour l’émancipation des femmes et ‘dé’ la société dans son ensemble, est la nécessité de lier la philosophie des mouvements de liberté à l’étude des sciences sociales. Si nous affirmons que nous voulons libérer la société, nous devons également libérer les sciences sociales du contrôle de ceux qui détiennent le pouvoir et afin de réorganiser la société dans l’intérêt du peuple. La formation d’un parti des femmes est une tentative de créer une révolution idéologique, développée à travers l’auto-organisation, la création d’un système confédéral et de forces d’autodéfense. A cet égard, il est important de noter l’identification par Öcalan du Parti de libération des femmes du Kurdistan (PAJK) en tant que représentant de la philosophie de la Jineolojî. Celle-ci sera une science sociale qui guidera le parti et ses révolutionnaires qui mettent en œuvre son idéologie.
La différence entre le Mouvement de libération des femmes et la Jineolojî peut être expliquée par les propres mots d’Ôcalan : « La distance entre idéologie et sociologie a été raccourcie. La différence entre la sociologie et le socialisme scientifique a également été réduite. En permettant une approche plus holistique pour favoriser l’échange entre les pensées scientifiques, sociologiques et idéologiques, la création d’une science sociale plus cohérente est possible ». En d’autres termes, plus une méthode se développe avec la conscience et les pratiques des mouvements idéologiques et sociologiques, plus il sera possible d’améliorer ses propres systèmes alternatifs.
La Jineolojî comme science de la Modernité Démocratique
Même si la Jineolojî se considère comme un point de départ pour le rétablissement des sciences sociales, on ne peut pas dire qu’elle soit totalement indépendante de la civilisation et de la modernité qui méprise les femmes. Si le thème, les enjeux et les mouvements des femmes sont quasi inexistants dans les sciences sociales, la véritable raison en est la mentalité de la civilisation et la modernité, ainsi que les structures de la culture matérielle. En s’attaquant aux femmes, la société a été attaquée, en s’attaquant à la société, les femmes ont été attaquées. La Jineolojî est la science qui s’efforce de mettre fin aux attaques contre les femmes et la société, de retourner à leurs racines et de les analyser, en les surmontant avec l’intellect et les émotions des femmes.
Pour mettre fin aux attaques de la modernité et de l’esprit évolutionniste sur notre histoire — à nos univers émotionnels et intellectuels, à nos valeurs féminines et humaines, et à toutes les vérités qui font de nous ce que nous sommes — nous proposons, par la Jineolojî, de créer d’autres formes de connaissance et de sagesse. Il n’y a pas de vie sans sens ! Nous croyons que notre capacité à donner du sens sera renforcée lorsque nous approcherons la réalité à travers les perspectives des femmes. Mais cela doit se faire sans rompre les liens entre le sens, la vie, la société et les femmes.
« La Modernité Démocratique devrait reconnaître la nature de la femme et le Mouvement de libération des femmes comme l’une de ses principales forces. Elle devrait entreprendre la tâche de contribuer à son développement et créer des alliances entre les deux tout en évaluant les femmes et le mouvement des femmes dans le processus de reconstruction ».
En référence à cette analyse du leader du peuple kurde Ôcalan, nous définissons la Jineolojî comme la science de la Modernité Démocratique.
La Jineolojî ne vise pas seulement à devenir un point de référence pour l’autodéfinition de la femme et pour toutes les institutions et sections sociales, mais elle porte aussi la mission de contribuer à la construction de la Modernité Démocratique. Le processus d’une reconstruction révolutionnaire de la science, sa reconnexion avec la société et son dévouement à animer, protéger et défendre la société, doit être dirigé par la société elle-même.
Dans l’histoire de la formation de l’identité des femmes, il y a un lien entre les moments quantiques, le chaos et la Jineolojî. Pour nous, la réponse à la question « Qu’est-ce que la Jineolojî ? » s’élaborera dans l’analyse de la liberté cachée dans les moments de création, de libération et de vie, pour contribuer à l’édification de la Modernité Démocratique. Pour nous, elle représente la capacité de créer des instruments scientifiques, philosophiques et militants pour exprimer notre potentiel. Elle critique et analyse les méthodes fermées et standardisées des sciences masculines construites. Elle se rattache plutôt aux expériences holistiques et égalitaires des femmes et de tous les groupes et individus opprimés de la Modernité Démocratique. Elle analyse les structures de pensée créées par les femmes au fil des siècles pour tisser des structures sociales. La Jineolojî permettra de renforcer la nature et le mouvement de libération des femmes en tant que force première de la Modernité Démocratique afin de déterrer les arguments importants des ruines de l’obscurité.
De même que les sociétés politico-morales se sont organisées autour des femmes il y a des milliers d’années, au XXIème siècle, la Civilisation Démocratique s’organisera autour de femmes émancipées et organisées qui lutteront sans condition pour la liberté. Les femmes recréeront leur socialisation en alliance avec les autres forces de la Modernité Démocratique. Pour cette création, au Moyen-Orient, où bon nombre des premières inventions de la vie sociale ont émergé avec la justice des femmes, le fuseau des femmes tourne aujourd’hui encore pour donner naissance à la Jineolojî !
La relation entre la Jineolojî et la Sociologie de la Liberté
La Jineolojî doit-elle être considérée comme une branche des sciences sociales ou plutôt comme un nouveau point de départ ? Aussi importante que soit cette question pour les sciences sociales en général, elle est aussi cruciale pour la Jineolojî, puisqu’elle concerne le développement de ses cadres conceptuels et théoriques. Nos principales critiques envers les sciences sociales portent sur leurs méthodes, leurs perspectives sur l’histoire et leur épistémologie. Nous croyons qu’au lieu de considérer la Jineolojî comme une discipline des sciences sociales, la considérer comme la science elle-même sera la méthode la plus adéquate pour interpréter et concevoir l’histoire sociale.
Il est important que la Jineolojî développe un positionnement socio-scientifique fort au sein de la sociologie culturelle sur la plus longue période possible, y compris la sociologie structurelle, la sociologie positive et surtout la Sociologie de la Liberté. Le point de vue sociologique de la Jineolojî sera placé dans les rangs des sciences sociales alternatives, à la fois comme la branche la plus dynamique et la plus révolutionnaire. Nous considérons la définition d’Öcalan d’une « Sociologie de la Liberté« , qu’il a développée dans le troisième volume de ses principaux écrits de prison, Manifeste pour une Civilisation Démocratique, comme une perspective fondamentale pour la Jineolojî.
Il serait également approprié de penser à un nom pour une sociologie qui tienne compte des plus brefs moments de création du point de vue de la société. C’est ce que nous pourrions aussi appeler la « Sociologie de la Création », les moments les plus brefs, les « moments quantiques » et l’ »intervalle du chaos », qui concernent principalement les moments créatifs dans la sphère sociale et qui seront utiles pour développer la Sociologie de la Liberté.
La Jineolojî sera l’énergie, l’âme et le fondement de la Sociologie de la Liberté. Elle sera l’un de ses piliers les plus stables. Cette science sera celle qui apportera la révolution tant attendue et le point de départ éthique des sciences sociales. Les conclusions tirées de la science contribueront à bon nombre des sous-secteurs de la sociologie. Pour la libération complète des femmes, de l’asservissement à la reconquête mentale et physique de l’histoire, de l’économie, de la société et de la politique, nous disons : Jineolojî.
PARTIE 3 : MÉTHODES DE LA JINEOLOJÎ
« Une méthode de recherche privée de la réalité des femmes, une lutte pour l’égalité et la liberté qui ne place pas les femmes en son centre ne peut pas atteindre la vérité, l’égalité et la liberté. »
(Abdullah Öcalan)
Une méthode est une manière la plus courte d’arriver à un résultat souhaité, en tenant compte du fait que les moyens utilisés doivent être en adéquation avec ses objectifs et son éthique, et être appliqués avec sensibilité. Afin de déterminer la bonne méthode, un long processus d’essais pourrait être nécessaire.
L’esprit de l’homme dominant a développé ses méthodes dans tous les domaines de la vie et les a proposées comme les seules vérités valables. Pour la Jineolojî, c’est l’un des principaux défis : briser cette attitude statique et atteindre une capacité d’interprétation et une richesse méthodologique. La Jineolojî déterminera ses méthodes en se référant à la flexibilité de la nature de la femme, son énergie fluide qui ne correspond pas aux formes statiques, la capacité de transformation dans la biologie des femmes et son intelligence émotionnelle.
La Jineolojî veut étudier les rapports entre vie et femme, nature et femme, et nature-femme et société, afin de comprendre comment la culture créée par les femmes s’est reflétée dans la société historique. Elle veut examiner de manière holistique les raisons, les sources et les conséquences des ruptures dans les définitions historiques des femmes et les transformations des institutions, des structures et des concepts qui les entourent.
Si l’on résumait : la Jineolojî veut exposer quelles méthodes sous-tendent les tentatives d’installation de systèmes d’esclavage dans la géographie du Moyen-Orient, où, depuis si longtemps, la vie s’est construite autour des femmes et de la résistance. C’est pourquoi la Jineolojî s’intéresse aussi aux méthodes comme toutes les sciences sociales.
Quelles sont les méthodes qui peuvent être utilisées ? Cette question est à l’ordre du jour depuis le début des discussions sur la Jineolojî. Elle peut atteindre les vérités des femmes grâce à des méthodes multidirectionnelles, qui mettent l’accent sur la capacité d’interpréter, rompent avec le dogmatisme et renforcent le courage mental.
Nous croyons qu’il est crucial de développer des méthodes qui analysent les relations entre l’humain et la société de manière véridique. La Jineolojî rappelle constamment la nature de l’esprit humain, ses ordres opérationnels, ses structures et profondeurs, ainsi que le caractère métaphysique de l’être humain. En plus d’être consciente du fait que toutes les méthodes portent des marques d’esprit de l’homme dominant, elle essaie aussi de lutter contre ces réalités par la vigilance mentale. C’est l’un de ses principes fondamentaux.
La Jineolojî donne un sens aux transformations et aux développements qui résultent des dualismes qui émergent à chaque instant de l’évolution, ainsi qu’a leurs interrelations et interactions. La Jineolojî sait qu’elle peut utiliser cette méthode aussi pour essayer de comprendre la nature sociale et particulièrement pour la libération de l’individu et de la société. Elle n’est pas d’accord avec une définition des dualismes qui les dépeint comme des opposés dans le but de s’éliminer les uns les autres et qui suppose des cas d’émergence et de développement comme produits de ce processus d’élimination. Elle juge la méthode de thèse-antithèse-synthèse plus appropriée pour analyser les principes opérationnels de l’évolution et de la nature sociale.
Elle n’accepte pas la relation dichotomique entre universalisme-relativisme, circularité-linéarité, global-local. Il n’est pas possible d’interpréter des méthodes et des trajectoires aussi nombreuses que les êtres humains, comme le relativisme tend à le faire. De même, on ne peut pas non plus laisser sans critique les hypothèses évolutives et figées de l’universalisme, qui conduisent à des conclusions linéaires progressives. Sans accepter que les deux pôles s’opposent, la Jineolojî les considère comme deux situations qui existent côte à côte dans les réalités sociales, avec des contradictions et en rapport l’une avec l’autre.
La Jineolojî ne se laisse pas entraîner dans le linéaire-progressisme ni dans la circularité éternelle. Elle est attentive à donner un sens aux moments et voit la capacité progressive des évolutions cycliques, ainsi que le caractère cyclique du progrès.
Elle critique et veut surmonter la métaphysique qui « place les régimes colonialistes de pensée comme intelligence de la nature sociale et qui apparaît comme un créateur extérieur ». Cependant, elle voit et comprend la métaphysique des « existences qui trouvent leur expression dans le sens et la pensée ». Afin de réparer les dommages infligés aux esprits humains par le positivisme, la Jineolojî reconnaît l’importance de la métaphysique avec ses valeurs et ses croyances sacrées pour la spiritualité humaine, tout en luttant scientifiquement contre les cas où la métaphysique est utilisée de façon destructrice et ignorante.
Les méthodes de la Jineolojî recourent à une mentalité qui dépasse le sujet-objet prônée par la science positiviste. Elle n’apprécie pas la méthode cartésienne qui crée des pôles opposés comme Nous-Eux, Femme-Homme, Nature-Humanité, Corps-Esprit, Dieu-Serviteur, Vivant-Mort. Elle préfère le discrédit de la physique quantique sur l’absolutisme du dualisme sujet-objet.
La Jineolojî ne favorise pas la séparation entre l’observateur et l’observé. Elle refuse de choisir entre un matérialisme qui prend l’objet comme l’absolu ou un idéalisme qui prend le sujet comme l’absolu.
La Jineolojî est consciente qu’avec le développement de la société de classe, la perte du lien entre l’intelligence émotionnelle et analytique de l’être humain a causé de grands dommages en ouvrant le fossé entre la liberté sociale et individuelle. Elle croit que tous les êtres vivants ont une intelligence émotionnelle, qui a une nature simple, mais instinctive, une nature décisive, une structure sûre et sensorielle, qui n’est pas facile à tromper et a un lien étroit avec la vie. L’intelligence émotionnelle montre des réflexes rapides dans les questions de vie, tandis que l’intelligence analytique domine et agit plus rapidement dans les questions qui concernent les choix et les changements. La Jineolojî valorise une méthode dans laquelle l’intelligence émotionnelle et analytique fonctionnera d’une manière harmonieuse, équilibrée et mutuellement complémentaire.
Dans toutes ses observations et expériences, la Jineolojî est consciente du dualisme quantique (quand on connaît l’espace du phénomène, on ne peut pas connaître son temps, quand on connaît son temps, on ne peut pas connaître son espace). Ses observations et ses expériences sont menées avec ce dualisme en tête.
Alors que la physique quantique et la physique du cosmos ont interprété les développements naturels et sociaux, elles ont invalidé le paradigme causal, linéaire-progressiviste qui domine dans la pensée occidentale. L’interaction de nombreux facteurs influe sur l’issue des événements et des phénomènes, laissant ainsi de nombreuses options ouvertes. Par conséquent, des résultats nombreux et très divers sont possibles. La Jineolojî est consciente des potentialités de la nature sociale et des possibilités de flexibilité, liberté, richesse, diversité, transformation et recours à la pensée et aux méthodes quantiques dans ses recherches et analyses.
Comment la Jineolojî approche-t-elle
les systèmes de connaissance ?
Une autre définition de la science est la « lutte des êtres humains pour comprendre l’évolution ». Les gens ne mènent pas cette lutte uniquement avec la science. Il est également possible d’observer cette lutte dans les domaines des systèmes de connaissance tels que la mythologie, la religion et la philosophie, ainsi que dans la compréhension contemporaine de la science, qui rend ses prédécesseurs invalides. C’est pourquoi la Jineolojî explore aussi les résultats produits par ces structures de connaissance. La Jineolojî pourra mieux comprendre les vérités des femmes en examinant l’information produite par les différents systèmes de connaissance avec tous leurs aspects négatifs et positifs. Il apparaîtra clairement que les méthodes que le patriarcat a introduites il y a 5000 ans dans ses récits mythologiques sont encore aujourd’hui utilisées par le système de l’homme dominant dans des versions différentes.
Depuis que des schémas de pensée mettant l’accent sur la mythologie, la philosophie, la religion et la science se sont développés, la perception dominante du savoir a été dépeinte comme le monopole des hommes, l’invention et la création des hommes, et un domaine de l’expérience et de la diction des hommes. En fait, cela rejoint largement la réalité. Dans la mesure où ces quatre domaines de pensée ont contribué inconditionnellement au développement du pouvoir de domination masculine, la science a été déconnectée des femmes et les femmes ont été déconnectées de la science. C’est pourquoi dans la mythologie, la femme de Tiamat a été tuée par son fils Marduk. En religion, la femme a été expulsée du ciel pour avoir cueilli le fruit de l’Arbre de la Connaissance et l’avoir partagé avec son partenaire. La philosophie a emprisonné la femme dans la définition de « l’homme incomplet ». Les mouvements de pensée apparus pendant la période des Lumières constituaient l’institutionnalisation de la pensée scientifique. Leur premier travail fut d’attacher les femmes au poteau, de les torturer et de les brûler vives comme des « sorcières ».
Afin de discréditer le retour des femmes à la connaissance et à la science, et en particulier à la sagesse, les mythologies ont représenté les féminicides comme héroïques. Les religions ont fait de la femme l’amie d’un symbole qui était le plus détesté et le plus craint par la société et surtout par les hommes : l’ange dont on dit qu’il s’est élevé contre Dieu, Satan. La philosophie a dégradé la femme comme étant « irrationnelle », la science a refusé de reconnaître son humanité en considérant qu’il n’était pas important de la définir comme une existence méritant d’être examinée dans toutes les disciplines.
Le monde patriarcal, comme la conception du mâle dominant, considérait comme son droit de donner naissance à la femme par le front du mâle dans la mythologie, de donner des commandements divins dans la religion, de créer du dégoût contre les femmes dans le domaine qu’il définit comme « l’amour de la connaissance », à savoir la philosophie, et de soumettre la femme aux pires tortures au nom de la science. C’est avec de tels jeux que l’esprit masculin a atteint le pouvoir.
Le monde patriarcal a prétendu que la société tressée autour des femmes n’avait jamais existé. Il a volé aux femmes toutes les ressources et tous les systèmes de connaissances, les a confinés dans ses ziggourats, écoles, casernes, centres de recherche ou universités et se les a appropriés. En retirant les femmes de ces processus, il a créé des obstacles à leur accès au savoir. Cependant, malgré ces méthodes astucieuses, la connaissance des femmes prévaut toujours dans les profondeurs de la vie, de l’histoire et de la société. En rejetant l’idée que « la connaissance est le pouvoir », la Jineolojî recherche la connaissance des femmes. En fait, en subvertissant les informations produites par les hommes au moyen d’interprétations alternatives, elle tentera de redonner aux femmes ce qu’on leur a pris.
Les traces de cette connaissance peuvent être suivies à travers les schémas de pensée énumérés ci-dessus. La Jineolojî examine et évalue les aspects positifs et négatifs des méthodes et des formes de pensée utilisées par la mythologie, la religion, la philosophie et la science. Elle tire parti de ces méthodes mutuellement contradictoires et interactives utilisées par l’humanité depuis des milliers d’années, dans la mesure où elles contribuent au développement des individus et des sociétés libres. Elle ne considère pas ni n’exclut aucune méthode comme étant absolument positive ou absolument négative.
PARTIE 4 : CHAMPS D’ACTION
DE LA JINEOLOJÎ
Si la Jineolojî peut apporter des solutions aux problèmes de la vie sociale, cela signifie qu’elle avance sur le bon chemin. Par conséquent, la Jineolojî peut continuer de prétendre être une science tant qu’elle met en pratique une fin à la mentalité et la souveraineté des institutions patriarcales qui ont infiltré chaque moment et chaque domaine de notre vie. La Jineolojî développera sa propre perspective dans les espaces perçus comme au cœur des espaces de crise, et montrera l’exemple pour y trouver des implémentations pratiques et des solutions. C’est-à-dire qu’elle développera une science à partir du bon sens commun, de la conscience et de l’action de la société sans tomber dans le scientisme.
La Jineolojî examinera les relations entre les développements historiques et les situations actuelles pour découvrir les raisons et les solutions à la défaite des femmes dans ces domaines. Cela générera une perspective pour organiser ces domaines avec les efforts des femmes, l’éthique et l’esthétique. Les résultats pratiques émergents seront transformés en une théorie qui contribuera à la liberté des femmes. Pour cette raison, chacune des sciences sociales et de leurs disciplines qui relèvent de l’intérêt de la Jineolojî sont également d’énormes champs d’action.
Afin de rendre visible la présence des femmes dans la société naturelle et dans les civilisations d’état divisées en classes, la Jineolojî réalise des recherches en tirant ses ressources de la mythologie, la religion, la philosophie et les sciences sociales (en développant principalement des contre-lectures). Elle fonde des académies pour relier l’ensemble des connaissances recueillies par les femmes dans la société, et produit des institutions et des espaces de vie qui peuvent être considérés comme des modèles alternatifs pour se réaliser en accord avec cette transformation mentale.
Éthique-esthétique
La Jineolojî prétend être le terrain pour une nouvelle compréhension, intégrité et collectivisme en science. L’éthique et l’esthétique seront le ciment qui maintiendra les travaux ensemble, autant dans l’espace commun que dans leurs champs spécifiques. La Jineolojî ne s’engage dans aucune lutte ou projet social qui n’ait pas de perspective éthique et esthétique. C’est le trait principal qui distingue la Jineolojî du scientisme et de la compréhension dominante des sciences sociales.
Beaucoup de théories philosophiques ont essayé de définir l’esthétique, la théorie de la beauté. L’esthétique a toujours été considérée comme ayant une relation double, interdépendante et inséparable avec l’éthique dans toutes les définitions philosophiques. La Jineolojî produira également la science de l’esthétique en mettant l’accent sur son potentiel de changement et de transformation mentale.
Abdullah Öcalan a déclaré que « les conditions actuelles des femmes ne sont ni éthiques ni esthétiques ». Il attire en cela notre attention sur l’importance de l’évolution et le dépassement de la réalité existante des femmes dans nos propres personnalités, afin de créer une identité féminine libre qui serait le premier principe de développement d’une compréhension de l’éthique et de l’esthétique des femmes. Toute théorie éthique-esthétique que ‘nous créons sans réaliser cela ne sera pas concluante dans sa recherche d’embellissement de la science et de la vie. L’enchantement des concepts et des institutions créés au temps de la déesse-mère s’ancrait dans la capacité des femmes à vivre leur propre identité librement et naturellement. La Jineolojî développera cette éthique-esthétique pour retrouver cette magie. L’une des raisons de l’existence de la Jineolojî est de retrouver notre voix et nos mots réduits au silence. En d’autres termes, notre idée est de retrouver notre littérature et nos vies de manière poétique. Il s’agit de retrouver notre capacité à traduire notre vie en mots et à transformer nos mots en vie. Pour cette raison, la relation entre les femmes, la littérature et la langue sera l’un des thèmes abordés par la Jineolojî.
L’analyse du leader du peuple kurde Öcalan, selon laquelle « L’éthique est la morale et la conscience de la liberté, et quant à l’esthétique, elle se doit d’être conforme à cette conscience », sera la base fondamentale de la perspective et des pratiques de la Jineolojî.
Économie
Le domaine de l’économie est le champ principal sur lequel sont basés les crimes sociaux. C’est par l’économie que la société est obligée de capituler, en particulier les femmes. Le rôle du désespoir conditionné de la société et des individus est très important à cet égard. « L’impuissance apprise » ne croit pas dans l’avancée du changement, de l’action et de la volonté. La Jineolojî prétend surmonter ce « désespoir conditionné ». Nos activités économiques n’atteindront pas l’essence communale démocratique tant que nos pensées continuent à être dominées par l’idée de vivre dans la pauvreté au sein de l’abondance. Les femmes, qui ont participé à développer l’économie au début de l’histoire sociale, peuvent reprendre ce pouvoir aujourd’hui en proposant des activités économiques dans lesquelles l’ensemble de la société peut être impliquée, en restructurant de cette manière l’économie comme la structure essentielle de l’existence.
La Jineolojî prend en compte certains des principes fondamentaux de l’économie. Elle visera à développer une perspective économique basée sur une nouvelle perspective théorique de la valeur du travail basée sur le travail maternel des femmes. L’analyse économique sera effectuée dans le but d’encourager les projets économiques qui s’inspirent de ceux de l’ère de la déesse-mère. Ils devraient contribuer à faire revivre une culture économique collective, pour toute société et communauté, visant à l’autosuffisance, permettant la coopération mutuelle et la complémentarité entre voisin-e-s.
La faim, la pauvreté et le chômage sont supposés disparaître de l’histoire lorsque le domaine de l’économie atteindra la perspective de la Jineolojî. La sphère économique, qui est le pilier principal de la vie sociale, pourrait être reconstruite avec cet objectif et cette volonté. L’idée selon laquelle « le problème de l’économie commence essentiellement par l’exclusion des femmes de celle-ci » explique que pour résoudre les problèmes économiques, les femmes devraient réapparaître dans le champ économique. D’autres activités économiques devraient être reconstruites par l’esprit, les mains et la mentalité des femmes. Le phénomène mère-femme qui a créé les sociétés a été le plus grand travail de tous. Avec les efforts joints des forces de la modernité démocratique, elle réussira à organiser des activités économiques collectives, écologiques et justes qui sont les principes fondamentaux de l’existence sociale.
Démographie
La reproduction et la procréation des êtres vivants dans l’univers doivent être comprises dans l’unicité de leur propre éthique et esthétique. Le fait que cela se manifeste par des instincts ou un certain niveau d’intelligence ne change pas leur essence. La diversification et la procréation continues sont l’un des phénomènes mystérieux de la vie. C’est le chemin le plus passionnant de l’expression de l’univers en soi. La nature a la capacité de définir des limites en créant des périodes de reproduction.
Pendant des centaines d’années, la nature a été sous-estimée en étant considérée comme sauvage. Mais contrairement aux peupls d’aujourd’hui, il y avait autrefois des communautés naturelles qui traitaient la nature comme leur propre enfant et l’approchaient avec amour et sainteté.
Malheureusement, ce caractère de la société a commencé à se détériorer il y a cinq mille ans. L’obsession d’avoir un enfant masculin censé perpétuer la ligne de l’héritage et prendre le pouvoir est devenue le principe indispensable et le noyau de la culture dynastique. La sexualité a été liée à la poursuite de la lignée en éliminant toutes ses significations éthiques et esthétiques.
Nous croyons que le point stratégique au sujet de la démographie est de raviver le principe de l’époque où la loi matriarcale était dominante. Ce principe est : « c’est mon corps, je suis la seule qui peut décider quand, où et pourquoi porter une seconde âme et l’amener au monde ». C’est un principe qui va changer la destinée du monde.
Un autre principe essentiel est de développer une mentalité par laquelle « continuer la lignée » devient un phénomène philosophique plutôt qu’une activité physique, dans la société en général. Les enfants d’aujourd’hui, quelle que soit la graine dont ils viennent ou la personne qui les a portés pendant neuf mois dans son ventre, sont toujours confrontés au danger d’être les enfants du nihilisme, du libéralisme, du déracinement et de la brutalité.
L’un des principes fondamentaux de la Jineolojî dans le champ de la démographie est d’analyser la théorie malthusienne de la population et d’élever une lutte sociale idéologique et organisée contre elle. Contrairement à la théorie malthusienne, qui a été établie comme un moyen de gouvernance patriarcale et capitaliste de l’État pour contrôler la société, la Jineolojî vise à développer et à organiser une compréhension démographique alternative basée sur l’autodétermination des femmes.
Par cela, elle démolira les modèles régressifs de la démographie et assurera ainsi que la science de la démographie soit abordée avec un nouvel esprit.
La démographie est également réexaminée comme étant interdépendante des autres domaines de la Jineolojî. Il existe un lien très étroit entre la philosophie erronée du maintien de la lignée et ses conséquences, et les champs de l’économie, l’écologie, toutes sortes de tissu social, la santé, l’éducation et la politique. La démographie est soutenue par ces sciences et nourrit ces sciences en leur transférant des données.
Écologie
L’écologie est une nouvelle science qui examine la destruction engendrée par la civilisation de l’État fondée sur la domination de la nature, et la relation entre la société et la nature. Dans la société naturelle, établie autour des femmes, le lien entre la nature et la société était fondé sur le respect de la nature, ce lien a été détruit par la civilisation de l’État et, par conséquent, le peuple, les femmes et la société ont été aliénés. Ce sont les mêmes forces qui ont exploité les femmes et la nature en même temps.
Pour cette raison, l’écologie est obligée de surmonter le conflit artificiel entre la société et la nature en fusionnant avec d’autres champs de la science. L’écologie est également obligée de raconter l’histoire de la conversion des cultures qui respectaient et croyaient en la nature, au système qui est l’épine dans le pied de la nature. Pour ce faire, il faut une forte conscience idéologique et un nouveau point de vue scientifique.
Avec cette perspective scientifique qu’est la Jineolojî, les moyens économiques, sociaux et philosophiques d’intégration avec l’environnement naturel devront être redécouverts. Au lieu d’être seulement un mouvement écologiste, mais plutôt un mouvement écologique basé sur la transformation éthique dans la perspective de la Jineolojî, il est essentiel de surmonter l’aliénation femme-nature, humain-nature et société-nature. L’écologie, en ce sens, est l’un des principaux domaines de la Jineolojî ainsi que l’une des façons d’atteindre une société éthico-politique.
Avec sa révolution scientifique et méthodologique, la Jineolojî est obligée de réaliser une société libérée, définie comme la troisième nature. Cela signifie recréer l’harmonie entre l’environnement, défini comme la première, et l’humain, défini comme la seconde nature.
Histoire (His-story / Her-story)
Regarder l’histoire à travers la Jineolojî et organiser l’histoire – ou encore mieux « her-story« , son histoire à elle – avec les valeurs définies par les femmes, établit une connexion très forte entre le passé et la vie présente, la société et la nature. De plus, la perspective de la Jineolojî montre comment l’histoire récente et ses valeurs, cultures de résistance, langues, éthique, cultes, récits et autres se reflètent aujourd’hui. Par conséquent, la Jineolojî considère l’histoire comme une entité dans le moment présent, un temps, un espace et une mémoire, plutôt que de considérer l’histoire comme un phénomène strictement déterminé. La Jineolojî se réfère aux femmes, exclues de l’histoire formelle, des cultures, des institutions et des unités sociales, selon l’interprétation d’Ôcalan : « L’histoire de la civilisation est, en même temps, la défaite et la disparition des femmes » et considère les femmes comme les réels sujets de l’histoire.
La Jineolojî une compréhension de l’histoire qui est intégrée et continue au sein de la vie, et non pas du pouvoir. Elle est basée sur l’accumulation de valeurs culturelles, sociales et binaires qui se complètent.
La Jineolojî continue de rechercher et de révéler les résistances des femmes ainsi que toutes les valeurs de la civilisation démocratique résistant à l’hégémonie qui s’est organisée et maintenue par l’accumulation. Pour cette raison, l’une des responsabilités essentielles de la Jineolojî est d’atteindre la vérité des femmes, qui ont perdu toute leur signification tout au long de l’histoire formelle de la civilisation. Nos méthodes visent à sortir la réalité des femmes de l’obscurité, car elles permettent aux femmes de reconstruire « leur » histoire plutôt que d’être annexées à l’histoire existante.
Santé
La Jineolojî croit en « la sagesse et le pouvoir de l’être humain femme » que Jeanne Achterberg a exprimé dans son livre intitulé Les femmes comme Guérisseuses. « Immédiatement après l’émergence des êtres humains, la femme humaine était considérée comme une source extraordinaire de sagesse et de pouvoir. C’est elle qui pouvait donner une âme, sauver une âme; c’est donc elle qui était la guérisseuse des corps malades et des âmes sans but. En même temps, elle pouvait blesser et tuer, pour cette raison; elle a servi de passage aux rêves, aux imaginations et aux sens au-delà du monde. Les femmes étaient mystérieuses et puissantes, surtout celles qui donnaient naissance, nourrissaient leurs bébés de leurs corps ». La Jineolojî n’accepte pas le déni de cette sagesse qui a été imposé par la vision positiviste de l’Occident et l’appropriation ultérieure de ces valeurs basées sur la mythologie grecque. De l’émergence des symboles de la science de la santé à ses inventions, elle critique l’approche qui attribue les origines de celles-ci au monde occidental, à savoir la Grèce antique. Pour cette raison, la Jineolojî lutte pour transformer le secteur de la santé. Surtout au Moyen-Orient où la société a été fortement affectée par la colonisation, les massacres et les génocides, la Jineolojî s’efforce de se transformer de nouveau en main guérisseuse en examinant la sagesse et les ressources des femmes au Moyen-Orient et dans d’autres régions colonisées.
La Jineolojî essaie de compiler le travail de toutes celles et ceux qui ont fait un grand effort pour guérir les gens, à travers l’histoire. Elle vise à organiser des académies de santé où les guérisseuses et guérisseurs d’une nouvelle génération peuvent être formé-e-s et internaliser ce point de vue. Elle développe une compréhension de l’éducation qui permettra aux guérisseuses et guérisseurs de donner des formations dans les communes ainsi que les diplômé-e-s des facultés de médecine dans ces académies.
Éducation
Si l’éducation est le transfert des expériences vécues et des connaissances transmises localement aux nouvelles générations par la société, le premier enseignant du peuple est la nature. La nature s’est créée au travers du développement évolutif de l’univers pendant des millions d’années. Une personne qui s’est développée au cours de ce processus a tracé un itinéraire dans l’aventure de l’être humain en connaissant la nature, en apprenant sa langue, en écoutant ses avertissements, ses leçons et en ressentant tout cela. Les femmes ont été les premières apprenties de la nature et les premières enseignantes de la société. Elles se sont éduquées et ont éduqué hommes e’t enfants. Les femmes n’ont jamais oublié leur rôle d’apprentie de la nature et d’enseignante mère de la société sur le long et difficile chemin de cette aventure sociale. Comme elles n’ont pas nié la source de leurs connaissances, les moyens d’apprentissage, la sainteté de l’enseignement, les femmes ont toujours su pour qui, quoi, comment et quand enseigner.
L’objectif de la Jineolojî est de rendre ce concept de « perwerde« [3] vital, qui exprime la nature et l’essence de l’acte d’éducation, et de vivre selon le sens de ce concept. En d’autres termes, le sens de « perwerde » est le suivant : protéger en particulier les enfants et les jeunes du système éducatif monstrueux de la modernité capitaliste, les éduquer avec amour, le respect et les élever avec la philosophie de la liberté et des valeurs sociales. De plus, permettre aux enfants et à toute la société de prendre en charge la création et la gestion de leur vie.
Comme condition préalable à l’établissement d’une société éthico-politique, la Jineolojî développera tout type d’effort théorique et académique pour soutenir la construction d’institutions d’éducation sociale. La Jineolojî doit examiner en profondeur les activités éducatives afin de créer ses propres champs d’activisme et d’association. Le domaine de l’éducation est devenu un besoin vital dans tous les domaines de la vie sociale. Il est lié à la question de l’existence-inexistence, et il a besoin d’être amélioré avec la perspective de la Jineolojî. En tant que premières apprenties de la nature, les femmes peuvent porter l’accumulation théorique et scientifique de la modernité démocratique seulement avec un système d’éducation extrêmement complet dans les domaines de l’économie, l’écologie, la démographie, la politique, l’éthique-esthétique, la santé, l’histoire et d’autres domaines qui pourront être nécessaire dans le futur. Si les femmes, avec l’ensemble de la société, parviennent à établir un système d’éducation alternatif; elles devront également sauver les cerveaux qui ont déjà été massacrés par le système capitaliste et acquérir des connaissances utiles et une nouvelle compréhension. Afin de créer ce changement et cette transformation, la Jineolojî a besoin de développer une compréhension et un style éducatif particuliers, qui seront connectés aux autres champs particuliers de la Jineolojî. Tout en développant un système d’éducation alternative, la Jineolojî utilise des expériences historiques en accord avec la nature de la société, ses conditions et ses besoins uniques.
Politique
« Si la fonction de la morale est d’accomplir les meilleures tâches concernant la vie, la fonction de la politique est de trouver les meilleures tâches ».
(Abdullah Öcalan)
La Jineolojî commence sa recherche et son analyse dans le domaine de la politique en traitant de la réalité de la femme, qui a créé la société et a été la créatrice des arts et de la politique. La Jineolojî ne peut pas prétendre être une nouvelle science sociale, qui se développe en adoptant l’économie, l’écologie, la démographie, l’éthique, l’esthétique, la santé, l’éducation et l’histoire dans son cadre, sans développer la science politique. La Jineolojî devra ouvrir des questions politiques pour débattre d’une manière scientifique avec un point de vue libertaire et sans se séparer des principes moraux fondamentaux, dans tous les domaines qu’elle couvre. Elle a besoin de se configurer comme une science sociale sur laquelle reposeront les sciences politiques. La Jineolojî vise à améliorer la perception de la politique dans laquelle tous les groupes sociaux peuvent participer avec leurs propres couleurs et besoins, ainsi que les personnes qui peuvent participer avec leur propre volonté.
Lors de l’examen de la notion de politique, elle analyse également qui ou quoi est responsable d’une telle aliénation entre la société et la politique. La compréhension de la politique fondée sur la mentalité de l’État reproduit les habitudes d’utilisation de la politique comme moyen de tromperie et d’oppression. La présente société sera toujours exclue de la politique et sera un objet de la politique. Pour éviter cela, la société et les individus ont besoin de renforcer leurs esprits. La tâche de la Jineolojî est révélée à ce stade: préparer la société et les individus au domaine de la politique au niveau mental. La Jineolojî, finalement, est une science qui se développe pour réaliser ses objectifs et atteindre une société libre avec des individus libres. Il est clair que la liberté ne progressera que si les politiques appropriées sont atteintes et mises en œuvre. La Jineolojî n’aura pas de sens si elle ne développe pas de politique qui encouragera la société à poursuivre la liberté, l’égalité et la démocratie. Pour cette raison, la compréhension de la politique s’améliorera sans rompre ses liens avec l’éthique, la science et la politique.
Créer et mettre en œuvre des politiques sociales sera l’antidote de l’individualisme et la logique du produit-profit de la modernité capitaliste qui a détruit nos sociétés. Afin de développer les politiques sociales, la Jineolojî visera à améliorer le niveau de conscience de la société et des individus basé sur des discussions continues, des analyses de recherche et des données obtenues à partir de ces dernières. La Jineolojî assumera de jouer un rôle d’encouragement de la société à reconnaître son propre pouvoir et sa capacité à s’autogérer. En même temps, atteindre des mécanismes d’autonomie et permettre la capacité de l’utiliser contribuera au développement de l’ABC des sciences sociales à travers le point de vue de la femme.
[1] Assassinée aux côtés de Fidan Dogan et Leyla Saylemez, à Paris, le 9 janvier 2013.
[2] La traduction de ce mot en langue kurde serait « patriotisme », cependant le terme français porte des connotations patriarcales et nationalistes absentes du concept kurde. Littéralement, » welatparêzî » signifie « protéger le pays ».
[3] Mot kurde pour l’éducation en relation avec des expressions qui signifient «enseigner à s’envoler» et «à aimer».