Lien vers la brochure en pdf : Pour la décolonisation des imaginaires
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Texte de la brochure :
A côté du mythe de « la minorité silencieuse », les normes de genre occidentales jouent un rôle dans le racisme anti-asiatique. L’artiste et militant.e vietnamien.ne Kelsi Phung détaille pour Komitid les difficultés qu’iel rencontre en France pour faire coexister son identité de genre et son identité vietnamienne.
Kelsi Phung, co-créateur.ice du court-métrage Les Lèvres gercées, est aussi militant.e contre le racisme anti-asiatique. À 26 ans, l’animateur.ice vietnamien.ne dénonce régulièrement la confiscation de la parole des racisé.e.s asiatiques et les injonctions occidentales de genre qu’iels subissent.
Régulièrement, les personnes asiatiques doivent faire face aux stéréotypes racistes qui leur imposent une exigence de réussite et d’invisibilité pour pouvoir s’intégrer en France. La récente épidémie de coronavirus et les relents anti-chinois qu’elle a provoqués dans le pays en est une nouvelle illustration.
Hors des normes blanches
Il faut rajouter à ces pressions la difficulté à correspondre aux canons de beauté et d’expressions de genre occidentaux : « On a difficilement le pouvoir de maîtriser notre passing quand on est Asiatique, explique Kelsi. On m’a toujours considéré.e comme une personne “ androgyne ”. Mon expérience au Vietnam, c’est qu’auprès d’Asiatiques, il y a moins ce questionnement-là. Si je sortais avec des vêtements masculins, il n’y avait aucun doute que je paraissais de façon masculine. En France, quand je porte des vêtements qui sont perçus comme masculins, ça ne marche pas. »
En plus du mépris et des remarques concernant son entorse à la virilité occidentale, Kelsi risque des violences misogynes et transphobes : « Quand on me prend pour une meuf, qu’on me harcèle dans la rue, j’évite de répondre. Parce que si on découvre que je ne suis pas une meuf à cause de ma voix, je peux me faire agresser, la personne va se dire qu’elle s’est fait avoir et qu’elle a le droit de me tabasser. »
Dans les milieux trans, Kelsi doit également faire face à l’enjeu spécifique du passing : « J’ai souvent entendu le discours sur la transition qui serait censée être une ligne droite pour les personnes blanches. Mais ça ne prend pas en compte cette thématique du passing blanc, qui est très différent de celui des personnes racisées, parce qu’il y a des codes avec lesquels les personnes blanches peuvent jouer, contrairement à nous. Ça met aussi de côté le fait que des personnes racisées peuvent encore moins atteindre ce passing idéalisé, lié aux canons de beauté blancs. »
Histoire familiale
Kelsi peut difficilement échanger avec ses proches sur les sujets liés au genre et à la sexualité sortant de l’hétéronormativité : « Avec ma famille, pour parler de non-binarité, on s’en est tenus au fait que je suis androgyne, que j’aime porter des vêtements féminins et basta, sans mettre un mot dessus. Dernièrement, j’ai franchi l’étape de faire respecter mon prénom à mon oncle et à mon grand-père. J’ai été surpris.e parce qu’ils l’ont intégré en deux secondes : mon grand-père a aussi dû changer de prénom en France. On avait déjà eu quelques petites conversations sur le fait que les personnes racisées doivent choisir un prénom pour s’intégrer. »
Enfant de la troisième génération de l’immigration vietnamienne en France, Kelsi se concentre sur la découverte de son histoire familiale, prioritaire pour la construction de son identité. De 1949 à 1954, l’armée française enrôle des Vietnamien.ne.s pour faire face au Viêt-Minh, lancé dans la guerre de résistance anti-française au nord du pays (connue sous le nom de guerre d’Indochine en France). Son grand-père, seconde génération ayant la nationalité française au Viêtnam, fait partie des enrôlé.e.s, à qui l’on vendait le « rêve français ». Après la défaite française à Diên Biên Phu en 1954, il fait partie des soldats rapatriés en France pour recevoir une formation militaire.
Ces conséquences de la colonisation forment une seconde barrière entre Kelsi et ses aïeul-les, avec qui iel ne peut pas aborder les autres facettes de son identité. C’est par ailleurs un thème en filigrane du court-métrage Les Lèvres gercées, réalisé avec Fabien Corre, qui met en scène une famille racisée.
« J’ai pas forcément envie d’évoquer des questions de genre ou de sexualité avec des membres de ma famille, tranche Kelsi, parce que je sais que leurs problématiques, c’était de pouvoir s’intégrer, avoir de quoi subvenir aux besoins de la famille, apprendre la langue. Ça serait vu comme un caprice. Faire la leçon à mon grand-père sur la transphobie ou l’homophobie alors qu’il a vécu la colonisation, le traumatisme de combattre d’autres Vietnamiens, j’ai pas forcément envie. Peut-être qu’il décédera avant que je puisse lui en parler, mais c’est pas grave, ça aura déjà été bien qu’il se livre sur son histoire, ce qui m’a permis de compléter des pans de mon identité auxquels j’avais pas accès. »
Déconstruire les imaginaires
Kelsi a cependant trouvé des espaces pour échanger avec d’autres personnes racisées sur la difficulté de conjuguer problématiques familiales avec les questions LGBT+, comme le collectif Des raciné·es de Lyon, organisateur du festival En marge des fiertés.
« Cela m’a fait plutôt du bien de découvrir la non-mixité queer racisée, sourit Kelsi. On y a abordé le fait que le coming-out à nos familles, encouragé dans les milieux LGBT+ blancs, peuvent très mal se passer alors que, pour nous, c’est encore plus important d’avoir notre famille comme repère. On a aussi parlé de santé mentale, qu’on met souvent de côté quand on est queer et racisé.e alors qu’on a déjà plein de traumas, parce qu’on se dit qu’on a déjà deux tares. Ce sont des choses que nos grands-parents et nos parents ont aussi mis de côté alors qu’ils ont vécu des traumas directs. Du coup, iels ne nous ont jamais encouragé·e·s à aller voir des psys. »
Au sein des milieux LGBT+ mixtes, Kelsi rencontre cependant d’autres formes de racisme : « Il y a beaucoup d’appropriation culturelle chez les queers blancs, parce qu’il y a plein de trucs qui sont considérés comme cool, accessoires et sources d’empouvoirment. Même dans les performances, parce que c’est vu comme autre, différent, sans se rendre compte que c’est piqué à d’autres cultures ».
Rejet ou fétichisation
Quant aux relations entre personnes queer, Kelsi rencontre régulièrement du rejet ou de la fétichisation, tels que dénoncés par le compte Instagram Personnes Racisées Vs Grindr, fondé par Miguel Shema : « Souvent, pour les Asiatiques, c’est de la fétichisation qui découle du fait que tu dois forcément être une salope, un.e soumis.e, détaille Kelsi, que tu es pas maître de ton corps et que t’es considéré.e comme un objet. Même quand ce n’est pas du tout prévu comme ça, un mec peut te prendre tout de suite comme une poupée, sans ton consentement. »
Iel ajoute : « Mais ça vient avec tout un imaginaire. Les hommes gays asiatiques sont considérés comme des femmes, et tous les codes qui ont trait au patriarcat permettent d’être systématiquement violent envers eux. C’est typiquement quelque chose qui découle de la colonisation, de comment on a essayé de soumettre les personnes assignées hommes asiatiques à la supériorité des hommes blancs. »
Alors, pour modifier ces imaginaires véhiculés notamment par le cinéma, Kelsi multiplie les prises de paroles et les rapprochements avec ses collègues : après un espace d’échange adressé aux étudiant.e.s et professionnel.le.s racisé.e.s lors du Festival d’Animation d’Annecy, Kelsi a également lancé un groupe en non-mixité. Son nom : « Décolonisons l’animation. »