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Le blog de Valérie Rey-Robert, Crêpe georgette
Un an après la parution de son premier livre, Une culture du viol à la française, Valérie Rey-Robert, animatrice du blog Crêpe Georgette, sort aux éditions Libertalia son second essai : Le Sexisme, une affaire d’hommes. Il s’agit là d’un « pari », ainsi qu’elle le formule : se dire que la violence masculine n’est pas inéluctable. La violence des hommes sur les femmes et des hommes entre eux. Chiffres à l’appui, ils causent en effet davantage d’accidents mortels sur la route, tuent et frappent davantage, meurent violemment et se suicident davantage, remplissent les prisons à plus de 95 %, sont les principaux responsables d’actes terroristes et, bien sûr, représentent l’immense majorité des personnes responsables d’infractions et de crimes sexuels. Certain que la lutte contre le sexisme ne peut plus être l’affaire des seules femmes, ce livre s’adresse volontiers aux hommes, à tous les hommes, et convie à repenser la virilité comme système collectif. Nous en publions quelques pages, consacrées au fameux mot d’ordre de défense masculine, « Not All Men » (« Pas tous les hommes ») : ne le prenez pas personnellement et éduquez-vous, demande ainsi l’autrice.
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Le 23 mai 2014, Elliot Rodger, après avoir publié une vidéo sur Youtube d’une immense misogynie, tue six personnes en Californie. À la suite de cette tuerie, de nombreuses femmes vont témoigner sur les réseaux sociaux à travers le hashtag #YesAllWomen (« Oui toutes les femmes ») afin de partager leur expérience de la misogynie et de montrer que cela n’est pas un phénomène isolé, mais bien généralisé, qui touche toutes les femmes. Certains hommes vont alors répliquer à travers le hashtag #NotAllMen (« Pas tous les hommes ») pour expliquer qu’ils ne sont pas tous misogynes. Ce hashtag va revenir d’une manière extrêmement régulière lorsqu’une femme explique avoir vécu une situation misogyne ou une agression sexuelle.
Arrêtez. Vraiment. Est-ce que si je dis avoir été victime d’un chauffard qui a manqué m’écraser sur un passage piéton, tous les conducteurs vont se lever en hurlant #NotAllDrivers ? Est-ce que vous allez vous offusquer contre les campagnes sur l’alcool au volant alors que vous ne buvez pas ?
Le #NotAllMen détourne la conversation ; il permet de ne pas s’intéresser aux violences faites aux femmes par les hommes pour s’intéresser à ce que cela fait aux hommes. C’est indécent. L’activiste états-unien Ludo Gabriele déclare ainsi : « Ma théorie non scientifique personnelle est que si vous êtes un homme hétérosexuel de plus de 30 ans, vous avez commis une erreur dans le passé. Je ne pense pas explicitement au viol ou au harcèlement sexuel, mais cela peut aussi inclure des appels sexuels, des blagues sexistes, de la misogynie ou vous taire face au comportement douteux d’un autre homme. Je suis conscient de ne prendre aucun risque en émettant cette hypothèse. »
Il est généreux, j’aurais dit « garçon de plus de 14 ans ». Oui, l’immense majorité des hommes ont eu des comportements sexistes ; devez-vous en vouloir aux féministes de le faire remarquer ou devez-vous travailler sur vous pour ne plus les reproduire ? Personne n’a envie de reconnaître avoir eu des comportements peu glorieux, mais la politique de l’autruche ne constitue pas une solution pérenne.
Si votre première réaction lorsqu’une femme parle d’une expérience sexiste ou d’une violence sexuelle qu’elle a subie est de penser à vous, vous êtes une partie du problème. Quel besoin avez-vous de vous assimiler à l’agresseur ? Est-ce de vous qu’elle parle ? Avez-vous reconnu un comportement que vous avez également eu ? Ok, en ce cas, réfléchissez sur votre comportement et changez. Vous estimez n’avoir rien à vous reprocher ? Alors pourquoi vous sentir attaqué ? Qu’est-ce qui fait que vous êtes plus solidaire d’un agresseur sexuel, d’un homme sexiste que d’une femme qui en a été victime ?
Ce #NotAllMen est dangereux.
- Dangereux, parce qu’il nous fait perdre un sacré temps à expliquer aux hommes qui le profèrent que non, nous ne pensons pas que tous les hommes sont des violeurs.
- Dangereux, parce que pendant ce temps-là, nous ne luttons pas contre les violences sexuelles.
- Dangereux, parce qu’au final on comprend que ce qui choque certains n’est pas le crime qui a été commis, un viol par exemple, mais le fait que la victime ait simplement parlé.
- Dangereux, parce que cela détourne du vrai problème que constituent les discriminations faites aux femmes.
- Dangereux, parce que cela oblige les femmes à policer leur langage pour ne pas énerver les hommes et être harcelées en retour.
- Dangereux, parce que certains hommes donnent l’impression d’être sacrément plus solidaires envers les hommes sexistes qu’envers les femmes victimes de sexisme. Ce qui fait, évidemment, qu’on peut s’interroger sur la simple pertinence du #NotAllMen.
Denis Baupin, contre qui plusieurs femmes ont porté plainte, avait posé dans une campagne contre le sexisme. Tariq Ramadan, accusé de plusieurs viols, se présentait comme héraut de la cause des femmes. Vous rencontrez partout des hommes qui vous disent qu’ils ne sont pas « comme ça ». Aucun homme ne va dire qu’il est sexiste ou viole des femmes.
Une étude états-unienne s’est intéressée à des joueurs de foot américain qui avaient eu des discours anti-viols face à l’équipe qu’ils affrontaient, dont plusieurs membres étaient accusés de viol[1]. Sans surprise aucune, plusieurs de ces hommes ont aussi commis des violences sexuelles alors qu’ils prétendaient les dénoncer en public. Alors, Not All Men, vraiment ?
Regardez autour de vous et considérez la façon dont les femmes sont objétisées, hypersexualisées, discriminées et blâmées. Observez la façon dont les hommes traitent les femmes. Écoutez la façon dont vos pairs parlent des femmes et des filles. On a parlé précédemment de tous les termes visant à moquer les hommes en les féminisant. C’est du sexisme ; c’est considérer que c’est insultant pour un homme d’être vu comme une femme. On a parlé du nombre de viols commis chaque année, des discriminations salariales, de la plus grande pauvreté des femmes, des pensions alimentaires non payées, etc.
Êtes-vous sûr que, jamais, vous n’avez eu un propos sexiste ? Avez-vous réagi à chaque fois qu’un homme a dit quelque chose de sexiste ? Avez-vous protesté lorsqu’un banquier, un vendeur, un garagiste s’est adressé à vous en ignorant votre femme alors que vous étiez tous deux concernés ? La réponse est non. Et ce n’est pas aux femmes de vous consoler d’avoir eu ce genre d’attitudes, puisqu’elles, elles les ont subies. Vous devez changer et ne pas systématiquement vous sentir punis lorsqu’on parle de sexisme. Imaginez-vous réifiés dans la rue, pensez à ce que cela fait lorsqu’un homme vous prend pour une idiote. Une femme me racontait que cela faisait deux mois qu’elle tentait de faire venir un artisan dans son magasin pour réparer un store. Il a suffi d’un seul appel de son mari, dont ce n’était absolument pas le commerce, pour que l’artisan arrive. Imaginez ce que cela fait que d’avoir une présomption d’incompétence sur à peu près tous les sujets car vous êtes une femme (et encore plus si ce sont des sujets féministes, car là, en plus, on nous estime incapables d’objectivité).
De la même façon il faut cesser, lorsqu’une femme relate, par exemple, une agression sexuelle, de dire que vous n’avez jamais fait quelque chose de ce genre. Et ? Souhaitez-vous une Légion d’honneur pour cela ? C’est un comportement simplement normal qui ne nécessite même pas qu’on en parle. Il importe de condamner les actes qu’elle rapporte afin de montrer votre solidarité et surtout de dire aux autres hommes, que vous, un homme, refusez ce genre de comportement. Mais vous n’avez pas besoin d’en profiter pour vous mettre en avant. Lorsque l’acteur Matt Damon déclare après #MeToo qu’il y a une différence entre le fait de tripoter les fesses de quelqu’un, le viol ou la maltraitance sur un enfant, a‑t-il besoin de réinventer la roue ? Qui a prétendu qu’un viol était à mettre sur le même plan qu’une main aux fesses (qui est une agression sexuelle, pour rappel) ? Quel autre effet ont ces paroles que de se présenter en Grand Monsieur qui est là pour ramener un peu de rationalité au milieu de toutes ces femelles hystériques qui vont bientôt tous nous castrer ? Le même Matt Damon jugea utile de nous expliquer qu’il connaissait beaucoup d’hommes qui n’étaient pas des harceleurs. Mais quel scoop, Matt ! Si on reprend l’exemple de la sécurité routière, peut-on s’attendre à ce que Matt Damon, du haut de sa logique implacable, nous explique qu’il connaît plein de bons conducteurs ? Cessez de réinventer l’eau chaude face à des femmes qui maîtrisent leur sujet, travaillent dessus depuis des années et n’ont pas besoin de votre expertise.
Éduquez-vous également seuls sans demander en permanence aux féministes de faire un travail gratuit de pédagogie. Les ressources féministes abondent sur le Net, des podcasts, des livres, des magazines ou des documentaires. On trouve également des enquêtes en libre accès de l’Ipsos ou de l’Insee sur le partage des tâches ménagères par exemple. Les enquêtes de victimation de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) vous permettront de savoir exactement combien de femmes subissent des violences et ce que recouvrent ces termes. L’ignorance semble parfois délibérée lorsqu’on nous pose la même question pour la millième fois, alors qu’une simple recherche sur Google permettrait d’avoir la réponse en deux clics. C’est aussi un piège car, en nous forçant à répéter les choses, nous finissons légitimement par nous énerver, ce qui permet ensuite de nous délégitimer. Un des articles de mon blog[2], Crêpe Georgette, qui démontre qu’il y a peu de fausses allégations en matière de violence sexuelle, est régulièrement partagé sur les réseaux sociaux. J’ai pris soin de sourcer toutes mes affirmations. Je me rends compte quasi systématiquement que les sources ne sont jamais consultées et que nombre de personnes prétendent que je ne démontre rien. La demande de sources est donc parfois un piège, puisque nous sommes sommées de prouver nos dires et, lorsque nous le faisons — ce qui prend du temps —, il y a toujours quelqu’un pour affirmer qu’il n’a pas le temps de lire l’étude, qu’elle n’a pas l’air sérieuse, qu’une seule étude ne prouve rien, que l’organisme qui l’a produite est orienté, etc. Si vous êtes réellement intéressé par les discriminations subies par les femmes, il vous appartient de ne pas leur demander en plus du travail gratuit pour vous éduquer en la matière.
Il existe une seule manière acceptable de prendre les choses personnellement, c’est en pensant à toutes les femmes que vous connaissez et que vous aimez qui sont touchées par le sexisme et les violences faites aux femmes. C’est en pensant aussi peut-être à vous qui avez été bouleversé en voyant votre père frapper votre mère : vous en avez tiré des traumatismes durables et il est important de témoigner là-dessus pour démontrer qu’un père violent ne peut être un bon père et combien les violences faites aux femmes ont des conséquences sur beaucoup plus de gens qu’on ne le pense. L’animateur et comédien Thierry Beccaro a parlé des violences que lui et sa mère ont subies de la part de son père. C’est un témoignage extrêmement utile parce qu’il permet de montrer que cela peut arriver à tout le monde et qu’on en est durablement marqué, y compris à l’âge adulte. On y voit les conséquences concrètes et réelles de la violence masculine. Les violences faites aux femmes dans le cadre conjugal affectent durablement leurs enfants. Qu’ils les voient ou non, ils en sont victimes. Cela ne signifie pas qu’ils les reproduiront, bien évidemment, mais qu’ils peuvent en avoir des traumatismes qui restent encore peu étudiés à l’heure actuelle.
[1] PASCOE C. J. et HOLLANDER Jocelyn A., « Good guys don’t rape, gender, domination, and mobilizing rape », Gender & Society, 2015.
[2] http://www.crepegeorgette.com/2014/10/13/fausses-allegations-viol/