L’utilisation des préjuges esthétiques comme redoutable outil de stigmatisation du juif – Claudine Sagaert

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Texte de la brochure :

Gustave Doré réalise en 1852, une gravure sur bois intitulée Le Juif errant. Elle représente un homme qui marche, un bâton à la main. Il est d’une maigreur extrême. Ses pieds sont disproportionnés. Une chevelure abondante sans frontière avec la barbe entoure un visage aux yeux mi-clos, au nez crochu et aux lèvres proéminentes. Sur son front une croix rouge est peinte.

Cette image s’inscrit dans le contexte du XIXe siècle dans lequel la conception de la beauté et de la laideur ont participé à la construction d’une esthétique et d’une inesthétique de l’allégorie du bien et du mal, qui ont elles-mêmes servi à établir tout un ordre de valeurs et d’antivaleurs. Durant cette période, l’inflation de l’apparence corporelle a clairement été lisible dans la multiplicité de pseudo-discours scientifiques, comme ceux relatifs à la physiognomonie de Lavater, à la craniologie de Gall, à l’anthropométrie de Bertillon, aux anthropologies raciales, à l’émergence du biopolitique, mais aussi au regain d’intérêt pour la beauté grecque antique, ou à l’impact du sport qui n’a d’ailleurs pas été sans lien avec la défense d’une belle apparence. Ainsi, au XIXe siècle un certain nombre de discours cherchant à établir scientifiquement une correspondance entre le physique, le physiologique et le moral, ont donné à penser que le paraître est le révélateur de l’être.

Affirmer ceci, c’est indirectement reconnaître que toute perception n’est jamais neutre, et qu’elle est nourrie par la répétition d’un ensemble d’éléments spécifiques déterminant non seulement les codes du beau et du laid, mais aussi ce qu’ils induisent. Or, si durant cette période la beauté physique a été promue au rang d’idéal, à l’inverse la représentation inesthétique a servi de support à toutes les autres considérations négatives. Pour figurer l’indignité de l’autre, la laideur physique, ou du moins ce que l’on a décrété telle, a été utilisée comme un outil dans le but de marquer profondément les consciences et certaines communautés ou populations ont été désignées comme étant l’incarnation même de ce type d’archétype. Le Juif en tant que symbole du « désordre physique et moral » en a été un des paradigmes (George Mosse, 1997, p. 63). La lecture stigmatisante du Juif a fonctionné « comme indice et preuve d’une identité juive, intrinsèquement repoussante » (Taguieff, 2008, p. 213). Considérant donc que cette approche a trop souvent été « sous-estimée au profit de ses dimensions religieuses et politiques » (Taguieff, 2008, p. 213), cet article se propose d’examiner comment du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle, « la dimension esthétique » de l’antisémitisme s’est mise en place.

La laideur comme redoutable outil de dévalorisation de l’être

La laideur physique comme allégorie du mal a toute une histoire. Déjà dans la Grèce antique, raisonner, débattre, se cultiver sont indissociables de la beauté physique. Le terme kalos kagathos, traduit que la beauté physique et la beauté de l’âme sont de la plus haute importance. Il renvoie ce qui est beau et bon à un certain idéal, une certaine excellence qu’implique la dimension esthétique, éthique et politique. Inversement aiskhros spécifie le laid en tant que disgracieux, difforme, mais aussi en tant que vil, honteux, infâme. De même, le terme kakos caractérise le lâche, le méchant, le laid, quant au terme kakon, il définit le mal, le vice, le laid. Cette extension des concepts de beauté et de laideur dans la sphère morale ne s’est pas limitée à la Grèce antique puisque dans le monde chrétien la beauté s’est définie comme « la forme visible du bien et la laideur la forme visible du mal. […]. Ce qui est bien est beau, ce qui est beau est bien » (Migne, 1851, p. 59). Le souligner c’est simplement insister sur le fait que l’histoire de la laideur physique porte en elle toute une herméneutique, et qu’elle n’est pas sans lien avec l’histoire de la discrimination. La laideur physique comme signe d’autre chose que d’une simple surface inesthétique a conduit bien souvent à traiter de manière infamante les êtres que l’on considérait disgracieux. Dans le Lévitique, par exemple, n’a-t-il pas été écrit que tous ceux qui ont un défaut corporel ne peuvent servir Dieu ? Cette prescription biblique a d’ailleurs été appliquée au Moyen Âge. Saint Martin, par exemple, n’a pu prétendre devenir évêque. « D’un extérieur difforme et laid de visage », certains religieux se sont opposés à sa nomination. De même en médecine, « le statut des chirurgiens au XIVe siècle a recommandé de ne prendre que des apprentis beaux et bien formés » (Héritier, 1991, p. 113). Ces arguments démontrent que la laideur physique a été le signe de toutes les autres déficiences, qu’elles soient physiologiques, intellectuelles ou morales, entraînant par là même un traitement infamant. Précisons également que si, comme l’écrit Eiximenis, il n’est pas possible de voir « d’homme beau qui ne soit bon ni de belle femme qui ne soit chaste » (Pelaez, 2000, p. 417), dans cette approche la laideur ne peut être que le signe du mal. Par là même, si on considère que tel ou tel groupe d’individus symbolise la malignité, alors il suffit d’en fabriquer la laideur physique pour que sa représentation corresponde à ce qu’il est censé incarner. Ainsi, par le biais des écrits, des sculptures, des dessins, des tableaux, des affiches ou autres images supports, il a été possible d’inscrire dans les consciences que la laideur de tel individu est proportionnelle à sa malfaisance. La sorcière en est un des paradigmes. Il suffit d’évoquer son nom pour que nous vienne à l’esprit le stéréotype même de la femme démoniaque « laide et vieille » (Michelet, 1966, p. 6), le visage fripé, les joues creuses, le nez crochu, les yeux enfoncés dans les orbites, la bouche édentée, le menton en avant, la tête couverte de cheveux filasses cachés sous un chapeau pointu. Si les femmes accusées de sorcellerie ont parfois été jeunes, belles et nullement démoniaques, pourtant le cliché a fait mémoire. L’énoncer, c’est reconnaître que la fabrication de la laideur est un redoutable outil de stigmatisation.

Représentation de l’apparence du juif du moyen âge à la renaissance

L’histoire de la représentation infamante du Juif a elle aussi toute une histoire. Elle fait référence à deux époques bien spécifiques. La première débute dans le Moyen Âge du XIIIe siècle et se déploie jusqu’à la Renaissance. La seconde commence au XIXe siècle et s’étend jusqu’en 1945. Cette seconde phase couvre trois moments forts. Le premier renvoie à l’affirmation pseudo-scientifique de l’appartenance des individus juifs à une race inférieure, le second est relatif à l’affaire Dreyfus et le troisième débute dans les années 1930 et se prolonge jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Si ces trois périodes sont distinctes, on pourrait toutefois dire que la dernière va rassembler à elle seule toutes les représentations les plus discriminantes ayant eu cours depuis le Moyen Âge.

Naissance d’une stigmatisation

Avant le XIIIe siècle, il n’existe aucune altérité dans la représentation des individus de confession juive (Blumenkranz, 1972, p. 24). Parfois, les membres sont dépeints sous certains traits propres à leur communauté, par exemple le port de vêtements spécifiques ou de certaines coiffures. Aucun signe distinctif négatif n’est souligné. Ce n’est qu’à partir du XIIIe siècle que l’on peut dater les premières stigmatisations du Juif. En Angleterre, au tout début du siècle, apparaissent des dessins représentants un Juif enlaidi au nez crochu affublé d’un chapeau pointu. De ce fait, si l’on peut dire que « jamais autant qu’au Moyen Âge, les mots ne se sont fait images » (Blumenkranz, 1966, p. 11), c’est parce que l’agencement de cette dévalorisation de l’apparence dans la représentation du Juif a été lié à des lois, des décrets tout comme à la zoomorphisation et à la diabolisation.

Un des éléments de cette discrimination a été lisible dans la contrainte imposée aux Juifs de porter des signes distinctifs. Le IVe concile du Latran en 1215 a exigé qu’ils se différencient de par leurs vêtements. À Narbonne en 1227 puis en 1269 en application d’une recommandation du IVe concile du Latran, saint Louis leur a imposé de porter des marques spécifiques sur leurs vêtements, pour les hommes la rouelle (disque symbolisant les 30 deniers de Judas) et pour les femmes un bonnet spécial. De même, en 1231, dans toute l’Espagne, il leur a été fait obligation de coudre sur leurs vêtements une rouelle jaune. En outrageant l’apparence, ces signes ont eu pour but de particulariser les Juifs. Ces premières distinctions ont également été suivies de la prescription d’occuper un territoire séparé. Les Juifs ont alors été regroupés dans un même espace appelé ghetto. En 1516, à Venise, ils ont été contraints de vivre dans une île au nord de la ville, ils ont dû porter la rouelle et le chapeau rouge pointu à bord relevé, la ceinture à frange. Les femmes n’ont pu sortir sans long voile ni large manteau drapés sur leurs robes. Cette stigmatisation a figuré dans certaines œuvres d’art qui ont aussi traduit les forfaits dont on a accablé les Juifs. Par exemple, au milieu du XVIe siècle à Berne sur la place de la Grenette, a été édifiée « une fontaine appelée […] la fontaine du mangeur d’enfants. Elle représente un ogre coiffé d’un bonnet pointu jaune […] glissant dans un sac quelques-uns des enfants dont il s’est emparé tandis qu’il dévore avec une volonté sadique l’une de ses petites victimes » (Kotek, 2005, p. 31). Du Moyen Âge à la Renaissance, outre les délits dont on a accusé le Juif s’est inscrit dans les consciences un être à la physionomie différente. Sébastien Munster l’illustre dans son œuvre Messias Christianorum : « À ton visage j’ai reconnu que tu es Juif, vous autres Juifs vous avez des traits bien particuliers. »

La diabolisation du Juif

Dans la religion chrétienne, le diable est une créature hideuse. Son corps est couvert d’écailles, ses ongles ne sont que griffes tandis que cornes et ailes viennent parfaire cette affreuse représentation à laquelle s’ajoutent parfois des sabots, une bouche vorace, des yeux exorbités, une queue effilée, des dents longues et acérées, un nez proéminent, des oreilles pointues, dressées ou tombantes… Du fait de l’association d’éléments hétéroclites réunis en une même créature bien souvent mi-humaine mi-animale, la laideur du diable a engendré la peur, la répulsion, l’angoisse. Image du désordre, de la démesure, de l’excès et de la dissonance, le diable a été l’incarnation même du mal. Saint Anselme au livre de ses Similitudes note que la laideur du diable « ne vient que du péché, et que par conséquence nécessaire, il faut dire que les damnés et les diables sont d’autant plus laids qu’ils sont coupables des plus grandes et énormes offenses » (Garasse, 1623, p. 839).

De ce fait, si la laideur physique a été l’allégorie du mal, celui qui a symbolisé le mal n’a pu être dépeint que disgracieux. Or, dans de nombreux textes ou représentations, le Juif a été évoqué comme étant si ce n’est le diable, du moins son semblable. À l’origine, cette association serait due à une erreur de traduction de saint Jérôme qui aurait confondu le terme « rayonner » avec le terme « être cornu ». Moïse au livre de l’Exode (34, 29) aurait été décrit non pas comme ayant un visage rayonnant, mais comme ayant un visage doté de cornes (Simon, 1740, p. 169). Bien que cette confusion ait été dénoncée par saint Augustin et saint Thomas d’Aquin, l’affiliation du Juif et du diable a été reprise par la chrétienté et développée dans l’art, comme l’atteste notamment le Moïse de Michel-Ange. On la retrouve pareillement dans de nombreux textes comme en 1288 dans Le Breviari d’amore, du troubadour Matfre Ermengaud, dans lequel le diable est présenté comme l’associé des Juifs. Dans un même registre, on peut lire dans les écrits de saint Jean Chrysostome que « la synagogue est un mauvais lieu où afflue tout ce qu’il y a de plus dépravé ; c’est un rendez-vous pour les prostituées et pour les efféminés. Les démons habitent et les âmes mêmes des Juifs et les lieux dans lesquels ils se rassemblent » (Jean Chrysostome, 864, p. 294). Des propos plus virulents et outranciers sont également signés par Martin Luther. Dans son texte intitulé Sur les Juifs et leurs mensonges, il prétend que le diable se nourrit des déjections des Juifs et qu’eux-mêmes sont « remplis d’excréments du diable dans lesquels ils se vautrent comme des pourceaux ». Quant à la synagogue, c’est selon lui une « putain incorrigible et une souillure du diable ».

Ainsi donc, on peut défendre que la représentation infamante du Juif a commencé à s’affirmer d’une part au moyen de sa stigmatisation, de sa diabolisation, mais aussi de sa zoomorphisation.

La zoomorphisation du Juif

La zoomorphisation en tant que traitement de la forme humaine incluant des caractéristiques animales n’est pas en elle-même un procédé infamant. Les croyances, les mythes, les fables et les histoires destinées aux enfants l’attestent. Toutefois, dans certains cas, la zoomorphisation a pour finalité de rapprocher certains individus de tel ou tel animal auquel on accorde les plus viles caractéristiques. C’est dans cette approche, par exemple, que les individus juifs ont été comparés à des chouettes ou à des scorpions.

La chouette, « emblème de laideur » (Chevalier & Gheerbrant, 1982, p. 246), a été synonyme d’« apathie », d’« hébétude diurne » (Faü, 2005, p. 79). Certains l’ont nommé « mouche de l’enfer », d’autres ont pensé qu’elle est l’image de la nuit, du mal, de l’envie, des « mystères nocturnes » (Villeneuve, 1998, p. 191). Du point de vue des chrétiens, elle a été « le symbole de la cécité du peuple juif, l’image de ceux qui s’opposent au Christ » (Faü, 2005, p. 79). Pierre de Beauvais l’exprime ainsi : « de la chouette, le peuple des Juifs à la ressemblance » (Faü, 2005, p. 79). De même pour Guillaume de Clerc de Normandie, « cet oiseau représente les Juifs traîtres et maudits qui ne voulurent pas regarder Dieu quand il descendit ici-bas pour nous sauver » (Faü, 2005, p. 79). La chouette, que l’on retrouve d’ailleurs sur de nombreux chapiteaux d’églises, traduit donc l’ignorance volontaire du peuple juif chez les auteurs du Moyen Âge. Elle s’oppose à la lumière des évangiles et symbolise à la fois l’obscurité dans laquelle les Juifs sont plongés et la laideur morale. Quant au scorpion, dans l’art italien et français il est le symbole d’Israël. « Bête venimeuse et dangereuse, piquant par surprise, il symbolise le Juif perfide, fourbe et déloyal » (Taguieff, 2008, p. 213). Si, pour les Pères de l’Église, le scorpion est le symbole de l’hérétique, toutefois à partir du Moyen Âge il figure plus particulièrement le Juif.

Du Moyen Âge à la Renaissance s’est donc progressivement mise en place une représentation figée de l’individu juif : un stéréotype. Celui-ci associé à de nombreux préjugés a parcouru les siècles, et au XIXe siècle il a été renforcé par des thèses pseudo-scientifiques qui sans rapport direct à la religion ont visé à établir l’infériorité raciale de la communauté juive. Dans cette approche, la dévalorisation de l’apparence a joué un rôle majeur.

La fabrication de la laideur du juif :
XIXe et première moitié du XXe siècle

Au XIXe siècle, la Révolution française et les idées des Lumières ont contribué à l’émancipation des Juifs. Comme le reconnaît Théodor Lessing : « Vers 1800, l’intégration des Juifs dans tous les peuples d’Europe passe pour un événement positif, […] on ignore tout d’un “antisémitisme racial” […]. Citoyens à part entière […] [les Juifs] relèvent désormais du droit civil et leur religion est devenue une confession à côté de tant d’autres » (Lessing, 2001, p. 52). Mais dans les dernières décennies du siècle, alors même que l’assimilation et l’intégration des Juifs ont rendu toute distinction physique peu lisible, on a assisté paradoxalement à une nouvelle stigmatisation qui, en se différenciant de l’antijudaïsme, n’a plus été directement liée à une appartenance religieuse, mais à une appartenance de race.

Notons cependant que l’antisémitisme n’a pas renoncé aux griefs présentés contre les Juifs dans l’antijudaïsme. Comme au Moyen Âge, la zoomorphisation, la diabolisation du Juif et sa stigmatisation ont de nouveau été exploitées, mais de manière plus virulente encore. Sans compter que, du fait de l’importance prise par les médias au XXe siècle, sa répercussion a gagné de manière consciente ou non consciente la plus grande majorité des esprits.

Les stéréotypes du Juif

Si l’interprétation de la valeur morale d’une personne ne peut se réduire à la forme des yeux, du nez, ou de la bouche, c’est bien parce que résumer un homme à la somme de ses traits, c’est prendre le risque de nier ce qui fait sa singularité. De la même manière, si enfermer des hommes et des femmes dans des traits fixes, c’est porter atteinte à leur humanité en niant leur individualité, leur spécificité d’être unique et irremplaçable, c’est parce qu’aucun trait physique ne suffit à décrypter la personnalité d’un individu et que l’alchimie des spécificités qui sont les siennes, est la seule capable de lui donner la qualité de sa différence et par là même de le rendre unique. Et pourtant, c’est bien sous la plume ou le trait de crayon des antisémites qu’a été représentée de manière chaque fois identique ladite altérité du Juif. La fabrication de sa laideur s’est élaborée à partir de la répétition d’un petit nombre de stéréotypes facilement mémorisables. Sans compter que l’image à la lisibilité rapide a ainsi permis une synthétisation de texte ou discours. La multiplicité de dessins antisémites a donc érigé un prototype d’individu juif symbole de laideur physique et morale qui a eu valeur d’évidence. Ajoutons aussi qu’en s’adressant à un public beaucoup plus large que n’importe quel texte, l’image visible et lisible dans les kiosques, sur des affiches ou dans des journaux a eu un fort impact. La caricature est d’ailleurs devenue « un des moyens de communication les plus populaires et les plus efficaces » (Kotek, 2005, p. 18).

La laideur du Juif en tant que marqueur d’identité s’est donc opposée à l’idéal de beauté tel qu’on peut le lire par exemple chez Winckelmann. Et si cet idéal a reflété les aspirations de la société, la laideur en a dépeint ses ennemis (Mosse, 1997, p. 64). Henri Desportes dans Le Juif franc-maçon en 1890, l’illustre : « Les enfants d’Israël ont une raison de se cacher ; ils sont laids au physique et au moral. » Cependant, pour identifier ladite laideur des Juifs, certains ont recherché la spécificité de leurs traits. Par exemple, « la revue fasciste et raciste La difesa della razza a proposé d’utiliser ce qu’Umberto Angeli a appelé la “judéoscopie”, comme nouvelle science pour découvrir partout ou “se niche, le Juif” » (Matard-Bonucci, 2001). De même, « l’équipe du Supplément illustré de l’Antijuif algérien, dans son premier numéro du 27 mars 1898, a demandé aux amis et amateurs photographes d’envoyer des clichés représentants des Juifs. À peine quinze jours plus tard, dans le numéro du 12 juin 1898, un journaliste a proposé d’organiser à l’exposition de 1900, une « section algérienne de nez crochus » (Matard-Bonucci, 2001). Certains ont voulu indiquer par ce biais que les traits juifs sont inaltérables, et que « cette essence se manifeste principalement dans la courbure du nez » (Camper, 1791, p. 21). Pour Hans Leicher, oto-rhino-laryngologiste, conférencier à l’Université de Francfort, le nez juif ressemble au chiffre 6. De même, George Montandon dans son ouvrage intitulé Comment reconnaître et expliquer le Juif insiste sur la spécificité du nez juif. Dans un verbiage pseudo-scientifique, il en compare le profil à celui d’un « bec de vautour ». Quant à Celticus, dans son texte intitulé Les 19 tares corporelles visibles pour reconnaître le Juif, publié en 1903, il précise que le nez crochu n’est pas le seul type de nez juif. Il y ajoute le nez rond et le compare à une trompe qu’il croit reconnaître particulièrement chez les Juifs dégénérés. Il associe ce type de nez à un croisement très ancien des Juifs avec les Noirs. On assiste là à l’idée selon laquelle « c’est le nez qui fait le Juif, et c’est aussi l’élément qui l’apparente à l’Africain. […] Ce présupposé ethnologique [prend] […] valeur de lieu commun au XIXe siècle. » Le nez du Juif traduit donc, selon Walter Alispach, une « nature grossière et pervertie », comme si le caractère immuable du Juif se traduisait dans sa physionomie, et que celle-ci reflétait sa mentalité (Gilman, 1996, p. 207).

Le nez juif ne représente donc pas un simple signe de différence. Il est non seulement un stigmate du corps, mais il symbolise aussi « le mal social qu’incarne le Juif dans la société allemande où il ronge le corps politique ». Il évoque « l’âme déviée du Juif » (Gilman, 1996, p. 207). On dit même que ceux qui sont affublés de ce type de nez sont des personnes indignes de confiance, immorales (Mosse, 1997, p. 70). On glisse toujours d’une dimension soi-disant inesthétique à une dimension immorale, ou pathologique, et d’ailleurs, « dans son essai Anatomico-anthropologique sur le nez, publié en 1933, l’anatomiste viennois Oskar Hovorka [voit] dans la forme nasale, un signe de différence raciale à teneur négative, définissant “l’idiot et le fou” » (Gilman, 1996, p. 207). Le nez du Juif devient donc le signe d’une infériorité raciale, sociale et morale.

En dehors du nez, d’autres traits du visage sont pris en compte pour élaborer le stéréotype du Juif. Certains parlent d’une mâchoire inférieure très saillante à la façon des gorilles et des boucs, d’autres comme Montandon de « lèvres charnues […] résidus de facteurs négroïdes » (Montandon, 1940, p. 23). À la laideur des lèvres juives censées caractériser aussi l’appétit démesuré des désirs, s’ajoute une autre tare portant sur la spécificité des yeux. Certains comparent le contour de l’œil, plissé, ridé, vieilli avant l’âge, à celui d’un « œil de crapaud » (Celticus, 1903). D’autres disent qu’ils sont « peu enfoncés dans les orbites », et que par là même ils ont « quelque chose de plus humide, de plus marécageux que […] d’autres types raciaux » (Montandon, 1940, p. 23). Si les yeux symbolisent les fenêtres de l’âme, alors chez les Juifs, ils déterminent leur laideur morale. Des « yeux noirs, profonds, un peu louches, méchants » (Bouhours, 1888) sont à l’image de leur perfidie. C’est dans ce même esprit qu’Edmond de Goncourt dans son Journal note : « En regardant autour de moi vieillir les Juifs que je connais, je suis quelquefois étonné de l’enlaidissement particulier que leur apportent les années. Ce n’est pas notre décrépitude, c’est de la laideur morale » (Goncourt, 1877, p. 990). On retrouve là, comme dans les thèses de Charles Didier, les théories défendues par Lavater. Si le physique est le reflet du moral, alors « la laideur du Juif est une laideur toute particulière et qui n’appartient qu’à lui. Il n’a pas les traits physiquement difformes ; mais fidèle miroir de sa vie interne, sa physionomie a quelque chose d’ignoble et de brutal qu’on ne saurait définir, […] (elle) frappe au premier coup d’œil et repousse invinciblement. C’est une laideur morale ; c’est l’âme qui est difforme et qui se reproduit dans chaque trait du visage » (Didier, 1836, p. 259). Ainsi donc, pour ces auteurs, le Juif porte « les stigmates d’une nature dégénérée sur sa propre anatomie et, par extension, sur son esprit. Ces stigmates, dans leur ensemble, replacent le Juif dans les “races laides” de l’humanité » (Gilman, 1996, p. 207).

Outre la spécificité du nez, de la bouche et des yeux, on retrouve aussi des représentations d’oreilles rappelant celles du singe ou des satyres. Quant aux cheveux, ils ont une certaine similitude avec ceux des Africains. Ils sont crépus, noirs, abondants, frisés (Taguieff, 2008, p. 240).

Le pied fait également partie de la caractéristique du Juif. Au Moyen Âge, il est comparé à celui du diable. Au XIXe siècle, il est associé à un manque de civisme et d’esprit citoyen. Cette idée évoque entre autres la métaphore de la marche utilisée par de nombreux philosophes comme accès à l’autonomie et à la faculté de penser par soi-même (Kant, 1784). En cela le Juif à la démarche incertaine caractérise l’impossibilité de parvenir à une pensée propre, à une attitude citoyenne, elle traduit son hétéronomie.

Terreau de l’idéologie raciste et antisémite, nombre d’écrits et illustrations censés spécifier la différence du Juif ont également été repris dans une brochure de l’Institut d’Étude des Questions juives (I.E.Q.J.) intitulée la Morphologie du Juif ou l’art de le reconnaître à ses caractères naturels. À partir notamment des textes de Montandon, ils ont été présentés dans l’exposition réalisée et organisée par l’Institut d’étude des questions juives, sous le contrôle de l’Ambassade d’Allemagne, du 5 septembre 1941 au 15 janvier 1942 à Paris, puis à des dates ultérieures à Bordeaux et à Nancy. L’exposition, qui a reçu quelque 200 000 visiteurs à Paris, a ainsi étalé entre autres les caractéristiques physiques du Juif. Des moulages de nez, d’yeux, d’oreilles et de bouches y ont été exhibés de même qu’une sculpture d’un visage caricatural de Juif au nez saillant. Une des affiches de l’exposition signée Michel Jacquot a figuré un visage au nez crochu à la lèvre épaisse et au menton en avant. Une autre a présenté un Juif au nez proéminent, tenant contre lui un globe en le griffant de ses doigts crochus. Ajoutons qu’un immense nu intitulé le Parfait Athlète a été posé au centre de la salle afin de souligner le contraste entre la nudité de cette virilité idéale et la soi-disant infériorité physique et morale des Juifs.

La couleur de la peau

En dehors des traits du visage et du corps, la couleur de la peau a été révélée comme signe distinctif. On a dit du Juif que sa peau est noire, donc qu’il est laid. Or, si « en grec et en latin, le noir […] a suggéré une souillure aussi bien morale que physique [qu’il] a été opposé au blanc, signe lumineux, symbole de la candeur [et] de l’innocence » (Bonniol, 1995, p. 189), malgré tout, cette approche n’a pas été partagée par toutes les cultures. On sait par exemple qu’en Égypte cette couleur a été le signe de la fécondité et que, dans la religion juive, le noir a parfois été associé à la beauté. Néanmoins, comme le montre A. Gott dans son Étude sur les couleurs en vieux français, le noir a été assimilé à ce qui est laid, épouvantable, méchant, coupable, malfaisant (Gott, 1977, p. 19). Un lien a donc été tissé entre la couleur noire, la peau noire et le mal. Prenant appui sur ce symbolisme, Buffon a défendu que l’homme blanc vivant sous un climat tempéré est l’homme le plus beau. On retrouve ce même discours chez Maupertuis, Daubenton, et Cuvier, pour qui « la race blanche […] nous paraît la plus belle de toutes » (Maupertuis, 1756, p. 98). Si le blanc a été interprété comme signe de beauté, par contre l’homme blanc a voulu en faire le signe de sa beauté, de son intelligence, et même de sa propreté (Bancel, 2008, p. 78). L’homme blanc a voulu être l’incarnation des valeurs positives. Comme si dire « je suis blanc [suffisait à signifier que] j’ai pour moi la beauté et la vertu » (Fanon, 1971, p. 36). Une des injures esthétiques a alors été : « ta peau est noire », donc « tu es laid », donc « tu es mauvais ». Ainsi, pour « l’opinion majoritaire dans le monde savant des XVIIIe et XIXe siècles […] la noirceur du Juif […] [a exprimé] à la fois une infériorité raciale » et une nature corrompue (Taguieff, 2008, p. 195). De même, par opposition à « l’aryen dont la peau est pure et blanche, et dont le visage aérien semble refléter les harmonies d’une âme qui ne connaît pas le mal » (Pierrard, 1998, p. 30), il a été affirmé que la pigmentation des Juifs, noire ou du moins noiraude, est relative au fait qu’ils ont transgressé les frontières raciales (Gilman, 1996, p. 207). Houston Stewart Chamberlain a même parlé de « race bâtarde » (Chamberlain, 1913, p. 389). Quant à Louis-Ferdinand Céline, il a énoncé que le Juif est « le bâtard, l’hybride le plus répugnant du monde » (Céline, 1938, p. 222), il est « le produit d’un croisement de nègres et de barbares asiates » (Céline, 1937, pp. 191-192). Ainsi, de par ce type de propos et avec la caution de la communauté scientifique, « les prédicats noir, juif, vicié et laid […] [ont été confondus] inexorablement dans les mentalités » (Gilman, 1996, p. 207).

L’odeur juive

À cette prétendue laideur de la peau ont également été ajoutées l’odeur nauséabonde et la saleté. Les cinq sens ont ainsi servi « l’objet d’un discours de dénigrement où l’autre a toujours été une offense à la vue, à l’odeur, à l’ouïe, au toucher » (Le Breton, 2008, p. 41). Comme l’écrit Taguieff, « l’opposition du beau et du laid […] [a recouvert] celle du propre et du sale – dont l’un des indices est la mauvaise odeur » (Taguieff, 2008, p. 233). Les propos de Banazzini, dans son Traité des Artisans, ont traduit cette idée en attribuant « la puanteur des Juifs à leur malpropreté et à leur goût immodéré pour la chair de bouc et la chair de l’oie ». D’autres auteurs ont fait référence à une consommation excessive d’ail (Drumont, 1886, p. 57). Un lien évident a alors été fabriqué entre la laideur et la mauvaise odeur. Lien que l’on retrouve d’ailleurs dans la langue espagnole, si l’on en juge par le fait que « sentir mauvais » se dit oler féo, mais que féo caractérise le laid et fealdad la laideur. Toutefois, cette association entre la laideur et la mauvaise odeur n’a pas été le fait d’une particularité propre à une personne dont l’apparence est inesthétique et l’hygiène douteuse. Chez un grand nombre d’auteurs comme Schopenhauer, la « foetor judaicus » a été considérée comme une spécificité de la communauté juive (Schopenhauer, 1929, p. 222). Dans cette approche, « le couple parfum/puanteur […] [a donc tendu] à se superposer aux couples d’opposition pur/impur, propre/sale, sain/délétère » (Albert, 2007, p. 80). Notons d’ailleurs qu’au Moyen Âge on a opposé la bonne odeur du corps parfumé du Christ à la mauvaise odeur du corps de Judas. Au XXe siècle, Ernest Desjardins, Radu Rosetti ou Drumont, pour ne citer qu’eux, ont scandé comme une évidence que le Juif sent mauvais. Ainsi la « puanteur juive » est devenue un des signes de l’identité de la « race juive » au même titre que le « nez crochu ». D’ailleurs, « en 1930, le raciologue Hans F. K. Günther a donné l’odor Judaeus pour un caractère héréditaire du peuple juif » (Taguieff, 2008, p. 213). On a assisté là au passage d’une origine religieuse à une origine biologique, et certains travaux de médecins ont même été jusqu’à prétendre que le Juif produit peu de cholestérine et que « le chimisme des glandes sudoripares […] [est] particulier chez le Juif, car les cas où ce dernier dégage une odeur rance, qui nous est désagréable, sont trop fréquents pour ne pas représenter autre chose que des circonstances individuelles. […] Peut-être l’odeur juive est-elle à mettre en relation avec les anciennes connexions négroïdes de la race », ajoute-t-il (Montandon, 1940, pp. 25-26). En définitive, ce que l’on retient de ces analyses, c’est que « le Juif est laid et répand une odeur qu’aucun parfum ne peut extirper » (Philippe, 1997, p. 226), comme l’illustre d’ailleurs un dessin paru dans le journal Der Stürmer. Le Juif y est caricaturé en gousse d’ail. La légende qui y est associée est ainsi rédigée : « L’ail : tout le monde ne l’apprécie pas, car celui qui l’apprécie, il en dégage l’odeur. [Il pue] » (Keysers, 2012, p. 59).

La corpulence juive

Il faut également noter que, dans de nombreux dessins ou textes, le Juif est dépeint en homme obèse. L’antisémitisme de Céline, par exemple, « se déploie sur le registre esthétique où le Juif apparaît comme l’exact contraire de la danseuse, incarnation de la grâce et de la beauté. Le Juif comme contretype incarne ici à la fois la laideur et la lourdeur, sa figure est celle d’une apparence repoussante, voire répugnante » (Taguieff, 2008, p. 217). De même, dans une des caricatures parues dans L’Assiette au beurre, signée Gabriele Galantara, est exhibé un homme hideux qui se sert de sang pour arroser un arbre dont les feuilles sont des pièces de monnaie. Au bas de l’affiche, on peut lire la phrase suivante : « Il faut quelquefois du sang pour arroser la plante de l’or » (Kotek, 2005, p. 20). La laideur de l’homme est à la fois relative à sa corpulence excessive, à son rire empli de malice et à son regard maléfique. Dans une seconde caricature du même auteur titrée « Le capitalisme juif », un homme obèse au visage extrêmement laid serre contre sa joue des sacs remplis d’or. On retrouve là encore un certain nombre de signes de laideur : de petits yeux, de grandes dents traduisant l’avidité et l’appât du gain, des mains potelées et des pieds effilés. Les teintes de ces deux caricatures sont saturées de noir et de rouge, ce qui en renforce l’aspect alarmant, inquiétant et oppressant. Plus proche du monstre, de l’ogre que de l’humain, la caricature se veut choquante et violente en même temps. De manière analogue, dans la carte postale de Thomas David intitulée « La déchristianisation de la France », une femme obèse et hideuse, au nez proéminent, agite une étoile de David. Dans cette « carte postale antisémite […] la modernité républicaine est présentée ici comme une invention juive : c’est un Juif vampire qui domine une France enjuivée » (Kotek, 2005, p. 35). Dans un autre dessin intitulé « Viande kasher… qui rapporte gros et ne coûte pas cher », de Ralph Soupault, paru dans Le Pilori le 27 septembre 1940, le Juif est représenté en boucher pansu (Kotek, 2005, p. 40). Dans celui intitulé « Le gouvernement invisible », paru en Espagne en 1930, le visage et le corps du Juif traduisent une corpulence certaine. De manière similaire, dans la vignette intitulée « Traverso delle idee », parue le 15 mai 1938, le Juif assis sur un banc est difforme. Quant au livre d’école d’Elvira Bauer Trau keinem Fuchs auf grüner Heid und keinem Jüd auf seinem Eid, paru en 1935-1936 édité à 100 000 exemplaires par la maison d’édition de Julius Streicher (directeur du journal antisémite Der Stürmer de 1923 à 1945), il présente la juxtaposition de deux paradigmes. L’un montre un Allemand blond doté d’un corps apollinien, svelte et tout en muscle, l’autre un Juif, petit et gras. Figurer le Juif en personne obèse n’est pas anodin si on en juge par le fait que, dès le début du XXe siècle, la beauté idéale a été incarnée par un homme jeune, mince et musclé. Comme Georges Vigarello l’a analysé dans son ouvrage Les Métamorphoses du gras, du Moyen Âge à la Renaissance, l’excès de poids n’a pas été un critère inesthétique, par contre à partir du XVIe siècle, « la critique du gros [a] changé » (Vigarello, 2010, p. 59). « La grosseur physique [est devenue] lourdeur globale. Le gros […] [a commencé] à être assimilé à un “maladroit”, un “incapable”, un “paresseux”, un “fainéant” » (Vigarello, 2010, pp. 62-63). Plus explicitement encore, à l’époque moderne, le vocabulaire s’est modifié, « les lourds en taille » sont devenus « les grossiers », les « sans malice » ou « sans discernement » (Vigarello, 2010, p. 63). Le gros s’est transformé en « lourdaud », « grosse boule », « énorme masse de chair », « gras comme du beurre », « vraie tonne », « aimable ballon », « vieux paillard », « vieux pourceau » (Vigarello, 2010, p. 66). Mais c’est surtout au XIXe siècle que l’homme gros a été appréhendé en tant qu’homme « laid » (Vigarello, 2010, p. 232). Derrière la critique du pansu s’est également profilée une critique sociale, le gros a incarné le nanti, le fortuné, associé à celui qui « s’engraisse de la substance de la veuve et de l’orphelin » (Vigarello, 2010, p. 150), il a matérialisé la laideur morale par son refus du partage et de la redistribution.

L’antisémitisme a récupéré cette critique du bourgeois en l’attribuant au Juif censé incarner le profiteur, l’usurpateur et le tricheur. La représentation de l’embonpoint du Juif a également servi à l’opposer à l’image de l’Allemand mince et musclé. On sait que la sculpture nazie a repris « à son compte les canons esthétiques de l’antiquité […] [pour traduire] la beauté et l’harmonie du corps » afin « d’exalter les valeurs raciales du nouveau régime » (Guyot & Restellini, 1996, p. 137). C’est sous cet angle qu’Arno Breker, sculpteur officiel du Reich a magnifié dans ses œuvres « la beauté physique, la perfection corporelle, l’athlète et le sport » (Guyot & Restellini, 1996, p. 155). L’homme blond, svelte, athlétique s’est imposé comme l’antithèse même de l’homme adipeux, bedonnant, lourdaud, tout comme de l’homme maigre, chétif, malade. Ainsi donc, « l’esthétique de la laideur […] [s’est établie] par défaut : la laideur s’est incarnée dans l’exclu en tout point opposé à l’homme idéal » (Barthe-Deloizy, 2003, p. 54). Le corps nu, beau, musclé, a ainsi modelé l’étalon de la nouvelle race d’homme. Une race différente de celle censée symboliser la laideur, la puanteur, la saleté et la vermine. On peut dire que la figuration du Juif a puisé dans tous les types possibles de hideur, sans oublier qu’en tant que critère médical, cette laideur supposée est devenue « le signe d’un état pathologique permanent […] relevant de la dégénérescence » (Taguieff, 2008, p. 196). Dans cet ordre, « l’image très négative des Juifs, construite à travers leur corps […] [a été] intimement liée à la triade impureté-maculation-contamination » (Florin-Platon, 2006, p. 3). C’est en ce sens même que l’expression « sale Juif » a acquis « un triple sens à la fois somatique et éthique : laideur, maladie et corruption morale » (ibid.).

L’ensemble de ces conceptions ont trouvé leur illustration dans des dessins de presse. Telle la couverture du numéro La défense de la race (1941) qui arbore des Juifs en vampires assoiffés de sang (Kotek, 2005, p. 30). On y retrouve toujours les mêmes stigmates : nez proéminents, barbe, visage sombre. La laideur de l’individu symbolisant le Juif contraste avec la pureté du visage de l’enfant allemand dont seules les lignes essentielles sont dessinées. Dans le dessin titré « Le livre de Juda », paru en 1936 dans Der Stürmer, le Juif est représenté de manière caricaturale toujours affublé des mêmes stéréotypes, petits yeux, nez imposant, lèvres charnues. L’association entre le diable et Juda est explicite. Dans tous les dessins, le Juif est brossé comme « un homme immonde ». L’édition espagnole du Protocole, intitulée Le gouvernement mondial invisible des Juifs ou le programme juif pour dominer le monde, parue en 1930, n’en donne pas une autre image (Kotek, 2005, p. 36). Le Juif est rouge de visage, rouge comme le sang qui dégouline du globe qu’il tient entre ses mains.

La zoomorphisation au XXe siècle

Dans certains textes ou dessins, le Juif fait figure d’être hybride, mixte d’humanité et d’animalité, certaines parties de son corps sont comparées à des animaux dont le symbolisme est culturellement parlant. L’affiche de 1900 intitulée « Le Coquin » dans la série du 24e numéro du Musée des horreurs par V. Lenepveu, figure un Juif affublé des attributs du rat. Poils, ongles incurvés, oreilles pointues et longue queue sont accolés à un nez crochu, des lèvres lippues et un teint noir. De même, l’affiche intitulée « Boule de Juif » représente un personnage hideux dont la ressemblance avec le singe ne fait aucun doute. Quant au dessin intitulé « Le plus grand usurier du monde », le Juif y est transformé en un monstre hideux à plusieurs visages, perché en haut du globe dans lequel il enfonce ses ongles crochus. Les visages de face ou de profil traduisent dans leurs expressions, la fourberie, le vice, la rapacité. La bouche de l’un d’eux démesurément ouverte sur des dents acérées s’apparente au côté bestial et vorace. Les quatre visages ont tous les mêmes empreintes, un nez incurvé, des yeux globuleux, des lèvres charnues. Concernant le corps, il est surmonté de deux ailes de chauve-souris, emblème de l’animal de mauvais augure. Dans un autre dessin paru en 1934 dans Der Stürmer, on retrouve cette représentation de l’individu juif en chauve-souris. Son visage affublé d’oreilles démesurées est détestable. La lecture de ces dessins force à penser la dévalorisation de l’être, son dénigrement et l’atteinte de son humanité. Cette dé-esthétisation s’agence à partir de la conjonction de trois éléments : premièrement, en attribuant à l’individu des traits grossiers et disgracieux, deuxièmement, en lui donnant les caractéristiques d’un animal dont la connotation est répugnante et abjecte et en dernier lieu en dénonçant une situation immorale ou amorale. Si la zoomorphisation ne crée pas à elle seule l’enlaidissement du sujet, c’est toutefois un assemblage d’éléments qui renvoient tous à une caractérisation négative. Ces figurations se servent donc de la forme inesthétique pour dénoncer non seulement une matière en puissance ou en acte corrompue, mais aussi une manière d’être et de vivre infâme. Laurent Viguier le traduit dans son pamphlet. « Le front et le menton fuient en laissant le nez en avant-garde. […] On dirait que tous les organes ont été attachés à des ficelles et tirés d’un coup derrière la tête. Il en résulte les types lièvre, gazelle, chameau. […] Les oreilles sont, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, extrêmement mal faites, énormes, épaisses, en feuilles de chou, avec tendance à être décollées de la tête et perpendiculaires au plan des joues comme des oreilles de singe » (Viguier, 1938, p. 98). Quant à Charles Didier, il compare le Juif à un lièvre ou un chacal. Il écrit : « Le Juif ne marche pas, il se glisse le long des murs, l’œil au guet, l’oreille aux écoutes, et il tourne court à tous les angles comme un larron qu’on poursuit. Souvent, il tient sa chaussure à la main pour faire moins de bruit, car rien ne l’effraie plus que d’attirer l’attention ; il voudrait marcher dans un nuage et se rendre invisible. Si on le regarde, il double le pas ; s’arrête-t-on, il prend la fuite. Il tient à la fois du lièvre et du chacal. Sa laideur est une laideur toute particulière et qui n’appartient qu’à lui » (Didier, 1836, pp. 259-260). Le pas du Juif est également relevé par Marcel Bucard qui l’assimile à celui du rat : « Qui n’a vu dans les rues de Paris cette silhouette caractéristique ? Il marche à pas menus, il trottine […]. Sa démarche est celle d’un rat. […] Le grand jour l’effraye, le rend timide, mais dès que l’ombre descend, il se sent devenir arrogant. […] Combien en trouvons-nous […] le poil noir, frisottant, mal semé, l’œil recouvert d’un sourcil broussailleux, protégé par un verre de myope, afin d’éviter de vous regarder en face, la peau grasse et jaune, court, épais et trapu, la main molle, froide, grasse et humide, vivant de l’offre des clients » (Lacroix, 2004, pp. 347-348). Le rapprochement de l’homme et de l’animal vise ainsi à associer à toute perception du Juif le ressenti d’une répulsion. Le but étant de ravaler l’individu juif à l’animalité pour mieux le déshumaniser. L’animalisation conduit alors à établir, telle une évidence, l’étrangeté du Juif, sa différence. Cette idée est reprise par Charles Didier pour justifier la ghettoïsation. Il écrit : « On les traite moins en hommes qu’en animaux. [Ils sont] parqués dans leur quartier, j’ai presque dit leur ménagerie et enfermés la nuit comme des bêtes fauves » (Didier, 1836, pp. 259-260). Quant à Louis-Ferdinand Céline, il n’hésite pas à affirmer que « les Juifs radicalement sont des monstres, des hybrides loupés, tiraillés qui doivent disparaître » (Céline, 1938, p. 108).

Si le Juif a été assimilé à certains animaux comme le rat, la hyène et le singe, il a également été comparé à des reptiles, des mollusques, des insectes et des parasites tels que les serpents, les pieuvres, les araignées, les puces ou les poux. Ce type de représentation a associé la laideur physique au dégoût qu’elle inspire. Comme le signifie ce texte d’Eugène-Napoléon Bey : « La création si parfaite, mais mystérieuse de ses desseins a créé des animaux répugnants dont la larve, le cloporte, le chacal, la hyène qui se repaît des cadavres. Ces créatures repoussantes sont aux animaux plus nobles ce que le Juif infect est aux autres hommes. Comme eux il craint la lumière du jour et comme la hyène il va chercher sa pâture sur la pourriture de la société et sur les cadavres » (Bey, 1935). L’utilisation de nombreux termes négatifs servant à comparer le Juif aux espèces animales a cherché à conduire le lecteur à un sentiment global d’aversion. Il en a été de même du dessin de Seppla qui a donné à voir une pieuvre hideuse dont les tentacules s’accrochent au globe. Pareillement, Darquier de Pellepoix en juin 1937 dans son bulletin L’Antijuif a réitéré ce type d’association en écrivant : « Le microbe, c’est le JUIF » (Darquier de Pellepoix, 1937). Quant à Hitler, il a traité les Juifs de « bacilles », de « parasites », mais aussi de « vampires » « porteurs de microbes » (cf. Taguieff, 2008, p. 233). Insultant et indigne a pareillement été l’ouvrage de propagande hitlérienne adressé aux enfants. Du nom de Pudelmopsdackelpinscher et réalisé par Ernst Hiemer, il a été publié en 1940 par Der Stürmer. Ce texte a attribué à certains animaux ou insectes de dangereuses tares qui les rendent nuisibles. Le message qu’il a défendu est clair : il faut s’en prémunir ou les exterminer. À l’aide du raisonnement par analogie, les animaux ou insectes ont ensuite été comparés à des individus juifs comme l’illustre ce passage : « Ces bourdons convoitent notre moisson ! […] Alors il nous faudra être sans pitié, il faudra les exterminer sinon c’est nous et nos petits qui serons éliminés ! […] Le Juif ! C’est notre bourdon de l’humanité. Le parasite de la société. […] Tant que nous n’aurons pas liquidé cette engeance, nous pourrons renoncer à savourer paix, tranquillité, prospérité » (cf. Keysers, 2011). Le même avertissement a été repris dans un dessin adressé cette fois aux adultes. Un homme serre dans sa main un serpent venimeux doté d’un nez démesurément long et d’écailles en forme d’étoile de David. La légende ajoutée est explicite : « Pas de relâchement. Ne pas relâcher prise. Ce serpent ne doit pas s’échapper. Le mieux, c’est de l’étrangler pour que notre misère prenne fin » (Keysers, 2012, p. 60).

Au vu de ces textes, dessins et images, comment ne pas reconnaître que « ravaler un être humain au rang de bête nuisible, d’insecte nauséabond, c’est préparer le terrain à son élimination physique en la justifiant par avance. Dans ce travail de sape où toutes les ressources de la propagande sont mises en œuvre, le dessin de presse et la caricature sont des armes de choix : ils vont droit à l’essentiel, frappent les imaginations de manière durable, se montrent d’une efficacité souvent plus redoutable que les plus habiles discours » (Kotek, 2005, p. 20). Sans compter que la stigmatisation sur laquelle elle repose ne vise jamais tel ou tel individu, mais l’ensemble des individus appartenant à une même communauté. La laideur physique ne fait alors pas référence à un individu, mais à tous les individus de manière indifférenciée. La laideur physique n’est plus dès lors comprise comme une distinction de personne, mais comme une distinction relative à l’ensemble d’un groupe humain. On ne parle pas de tel ou tel individu, on dit : « le Juif ». Ce qui en principe est d’ordre accidentel et contingent devient essentiel. Ladite laideur physique du Juif est par conséquent utilisée comme un schème à partir duquel toutes les autres considérations dépréciatives prennent sens et peuvent engendrer l’irrespect, l’indignité, la violence, le meurtre.

Une précision : le cas de la Juive

Si la dévalorisation de l’apparence du Juif par les antisémites a été mise en images et en textes, toutefois cela n’a que rarement concerné la femme juive. La femme juive en comparaison de l’homme juif a peu été citée dans les textes antisémites et peu représentée dans les dessins. Serait-ce dire « que l’antisémitisme virulent n’a pas tracé un portrait de l’horrible Juive corollaire de celui du “sale Juif” » (Scherr, 1978, p. 157) ?

Dans la littérature, la création de l’archétype de la « beauté juive » s’est affirmée au cours des siècles. Son explication renvoie à l’idée selon laquelle « cette beauté idéale serait un reflet du divin qui par contraste stigmatise l’homme juif et son rejet obstiné de la nouvelle alliance » (Fournier, 2011, p. 49). Ce que développe clairement Chateaubriand dans un article intitulé « Walter Scott et les Juives » : « Dans la race juive, les femmes sont plus belles que les hommes [car] les Juives […] ont échappé à la malédiction dont leurs pères, leurs maris et leurs fils ont été frappés. On ne trouve aucune Juive mêlée dans la foule des prêtres et du peuple qui insulta le Fils de l’homme, le flagella, le couronna d’épines, lui fit subir les ignominies et les douleurs de la croix. Les femmes de la Judée crurent au Sauveur, l’aimèrent, le suivirent […] la pécheresse répandit une huile de parfum sur ses pieds, et les essuya avec ses cheveux. Le Christ à son tour étendit sa miséricorde et sa grâce sur les Juives » (Chateaubriand, 1861, t. X, pp. 764-766). La beauté des femmes juives serait en corrélation directe avec leurs attitudes lors du supplice du Christ et dans la mesure où « elles ont eu pitié du Christ, [elles] ont échappé à la malédiction pesant sur leur peuple et ont semblé plus accessibles à la conversion » (Fournier, 2011, p. 16). Ainsi donc, si, durant des siècles, la beauté morale puis physique de la femme juive a été louée, c’est surtout au XIXe siècle qu’a été flagornée sa grâce. « Belles Juives, Agar, Sarah, Rebecca, Ruth, Esther, Judith, Salomé […] ne cessent d’être représentées par l’Europe chrétienne […], de la ferveur des mystères médiévaux à l’effervescence critique des Lumières. Mais l’intérêt porté à ces personnages est sans commune mesure avec celui du XIXe siècle pour la figure de la belle Juive » (Fournier, 2011, p. 15). Gautier, Vigny, Hugo, Balzac, Sue, Delacroix, Baudelaire, Renan, Michelet entre autres ont été fascinés par cette sublime beauté qui n’a pourtant pas toujours été exempte d’une certaine laideur morale liée le plus souvent à des mœurs dépravées. Toutefois, ce n’est que dans les décennies suivantes que la beauté physique juive féminine a été entachée de traits de laideur. Comme le note Éric Fournier dans son étude intitulée La Belle Juive, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, « la belle Juive n’est plus nécessairement une beauté parfaite. Quelle est l’ampleur de cette dégradation ? […] Le visage […] perd imperceptiblement en grâce virginale ce qu’il gagne en dureté. Mais ces subtiles variations ne sont rien comparées à une rupture majeure et significative : presque toutes [les femmes juives] sont dotées d’un nez busqué […]. Le stéréotype antisémite du nez juif fait brutalement irruption dans presque tous les portraits du second XIXe siècle. [De même] les chevelures perdent aussi en volume, en exubérance et par conséquent en sensualité, pour devenir plus lisses participant à la froide dureté qui gagne le visage. [Quant à l’œil, il est certes noir], mais d’un noir qui a perdu toute flamme, un noir opaque sans nuances ni éclat […] [il] évoque […] le mauvais œil, la colère, la malédiction ou le néant. […]. La dégradation du visage frappe aussi les dents […]. Cette insistance à flétrir les dents [traduit] les affres de la dégradation biologique » (Fournier 2011, pp. 172-177). La beauté juive dévaluée est aussi temporalisée, certains auteurs la limitent à l’enfance et au début de l’adolescence. Pour Raoul Bergot, par exemple, « ce qu’il y a de beau dans la Juive c’est l’enfant. De quinze à dix-sept ans, la Juive est mariée ; elle devient aussitôt soufflée, épaisse avec je ne sais quel air de bestialité repue qui remplace la vive expression de sensualité de sa figure de jeune fille » (Bergot, 1890, p. 23). De même, pour Jules et Edmond de Goncourt, avec l’âge, la femme juive devient laide, elle a le nez crochu et les yeux aigus (De Goncourt, 1867, p. 526). On peut lire également dans Les 19 tares corporelles visibles pour reconnaître le Juif, que si Celticus octroie aux femmes les mêmes attributs dégradants qu’aux hommes, il précise que « la femme juive est généralement belle jusqu’à vingt-cinq ans. [Puis] elle se flétrit […] et vers l’âge de trente-cinq ans elle est affreuse, une vraie grenouille ». Quant à Drumont, les femmes juives peuvent certes être « adorablement belles » (Drumont, 1886, t. 1, p. 218), néanmoins le plus souvent elles sont « osseuses », « luisantes de graisses » dotées de « ventres aux chairs flasques » (Drumont, 1886, t. 1, p. 471). Sans compter que si elles peuvent être pourvues de charme, celui-ci n’est qu’un artifice utilisé dans le but de corrompre ou de ruiner les hommes. Ainsi, dans les textes de la fin du XIXe siècle et des premières décennies du XXe siècle, la beauté de la Juive devient au mieux une moindre beauté associée le plus souvent à une certaine laideur morale. Tels sont aussi les propos de Raoul Bergot, qui compare « les lèvres charnues de la Juive » à « la ventouse saignante d’un poulpe » (Bergot, 1890, p. 252) et l’odeur juive au parfum de « certaines plantes vénéneuses ». Pour lui, céder à la séduction de la Juive est comparable au fait d’être attiré par « l’ordure » (Bergot, 1890, p. 121). Ensorceleuse, lascive et vénale, la femme juive devient physiquement et moralement « objet de répulsion » (Verdès-Leroux, 1969, p. 131).

De ce fait, si durant la seconde moitié du XIXe siècle on a assisté sous la plume des antisémites à une remise en question du paradigme de la belle Juive à tel point même que pour Edmond Picard elle n’est autre qu’une pure invention (Picard, 1892, p. 121), par contre pour quelques antisémites la beauté redoutable et malsaine de la Juive a été une constante. Georges Montandon a d’ailleurs proposé pour s’en prémunir de mutiler les femmes juives, « de les défigurer en leur coupant l’extrémité nasale, car il n’est rien qui enlaidisse davantage » (Montandon, 1938, p. 20).

Conclusion

Même si l’homme juif et la femme juive ont tous deux été dotés d’une certaine laideur physique et morale, l’antisémitisme n’a pas stigmatisé de manière identique l’apparence physique masculine et féminine des Juifs. On peut donc se demander si cela n’a pas relevé du statut de la femme à une époque où on ne lui reconnaissait qu’une moindre importance, qu’un moindre pouvoir. Sans compter que si l’antisémitisme a semblé à l’égard de la femme moins virulent, n’est-ce pas aussi parce que « socialement la Juive est pratiquement invisible pour le non-Juif » (Scherr, 1978, pp. 150-151) ? À moins que l’antisémitisme n’ait été là que « plus insidieux » et que la femme n’ait été en fin de compte que « la Juive du Juif » (Scherr, 1978, pp. 150-151).

En ce qui concerne l’homme, par la fabrication d’une laideur esthétique, le Juif a été brossé sous les traits d’un être hideux, infâme, ignoble. Il a incarné la figure du détestable et du haïssable (Mosse, 1997, p. 69). Décrit « laid, disproportionné » (Mosse, 1997, p. 54) et abject, considéré comme le contretype même de la nouvelle race d’hommes, il n’a été pour le régime nazi qu’un sous-homme. À partir de là, comment ne pas concéder que « tout affront physique est un affront à l’honneur » (Pitt-Rivers, 1983) et que le dénigrement de l’apparence est l’arme première que le racisme et l’antisémitisme ont pointée sur la communauté juive pour mieux la déshumaniser, l’inférioriser, la malmener et finalement s’autoriser les traitements les plus dégradants.

Aurait-il été possible d’envoyer dans les chambres à gaz des hommes décrits beaux, forts, courageux, vertueux et intelligents ? N’est-ce pas là reconnaître que la fabrication de la laideur de l’autre est la pire des offenses, car en définitive elle permet, sans que cela choque l’opinion, l’indignité, l’humiliation et les mauvais traitements pouvant conduire au meurtre.

Une remarque encore. La « laideur absolue » n’a rien à voir avec l’inesthétisme du sujet ou des sujets, la vraie laideur, « la laideur laide » est plutôt du côté de ceux qui ont cru la déceler dans le peuple juif. Comment expliquer autrement que tous les griefs reprochés à la communauté juive aient été ceux que les antisémites leur ont fait subir.