Lien vers la brochure en pdf : Justice transformatrice – Description rapide
Lire le texte original (anglais) sur TransformHarm.org
Texte de la brochure :
Ce texte a été écrit pour une intervention sur la justice transformatrice (JT) que j’ai faite et je la partage aujourd’hui pour qu’elle serve à d’autres dans leur travail. Cela devait être une courte description pour les gens qui ne connaissent pas le cadre et l’orientation de la JT et qui n’ont pas le temps ni la possibilité de lire un document long. Ce n’est pas une histoire de la JT, ni un rappel dans le détail de chaque composante de la JT, ni même un tour complet de tout ce qui est mentionné ici. C’est une première tentative de description de quelque chose de difficile à décrire. J’espère que ce sera un point de départ, pas une conclusion et que cela sera utile à certain.es d’entre vous.
Merci à Ejeris Dixon, Mariame Kaba, Andi Gentile et Javiera Torres qui ont aidé à écrire cette description pour partager ce texte publiquement. Merci aux nombreux groupes et individus qui ont contribué à créer, construire et développer ce que l’on appelle aujourd’hui ‘justice transformatrice’ et ‘responsabilité vis-à-vis de la communauté’. Je souhaite mentionner tout particulièrement les gens et les groupes qui ont eu une grande influence sur ma compréhension de la JT : Sara Kershner, Creative Interventions, Mimi Kim, The Atlanta Transformative Justice Collaborative, INCITE!, Communities Against Rape and Abuse, Philly Stands Up, Community Holistic Circle Healing, Just Practice, Shira Hassan, Mariame Kaba, Ejeris Dixon et The Bay Area Transformative Justice Collective. Merci aussi à tou.tes ceulles dont on ne connaît pas les noms, qui ont pratiqué ce travail à petite ou grande échelle, bien avant que cela ait un nom ou soit théorisé.
La justice transformatrice (JT) est un cadre et une approche politique qui visent à répondre à la violence, aux blessures et aux agressions. A un premier niveau, elle cherche à y répondre sans générer davantage de violence et/ou à œuvrer à la réduction des risques afin de réduire la violence. On peut penser la JT comme un moyen de ‘rétablir les choses’, développer des ‘relations justes’ ou de créer de la justice ensemble. Les réponses et les interventions de justice transformatrice :
1. ne reposent pas sur l’état (c’est-à-dire la police, les prisons, le système judiciaire, I.C.E. [police d’immigration], l’aide sociale à l’enfance (bien que certaines réponses de JT utilisent des services sociaux indépendants, par exemple des thérapies) ;
2. ne renforcent ni ne perpétuent les violences telles que les normes oppressives et le vigilantisme ;
et, le plus important, 3. cultive activement ce que l’on sait prévenir la violence, par exemple le soin, la responsabilisation, la résilience et la sécurité de tou.tes les participant.es.
Les réponses de l’état à la violence la reproduisent et traumatisent souvent ceulles qui y sont confronté.es, surtout les communautés opprimées qui sont déjà prises pour cible par l’état. Il faut se souvenir que, bien que de nombreuses personnes choisissent de ne pas appeler la police, de nombreuses communautés ne peuvent tout simplement pas appeler la police pour des raisons telles que la peur d’être expulsé.e, le harcèlement, la violence de l’état, la violence sexuelle, des antécédents judiciaires ou le manque d’accessibilité.
La JT a été créé par et pour ces communautés (les communautés indigènes, noires, migrantes racisées, pauvres et modestes, racisées, les personnes handicapées, les travailleur.ses du sexe, les communautés queer et trans). C’est important de rappeler que la plupart de ces communautés ont pratiqué la JT à petite et grande échelle depuis des générations – en essayant d’amener de la sécurité et de réduire les risques dans les conditions dangereuses dans lesquelles elles étaient contraintes de vivre. Par exemple, les femmes migrantes sans-papiers dans des relations conjugales violentes, les personnes handicapées agressées par leurs aidant.es, les travailleur.ses du sexe agressé.es sexuellement ou violenté.es, les enfants pauvres et les jeunes racisé.es qui survivent à des agressions sexuelles ont depuis longtemps créé des moyens de réduire l’impact de leurs agressions, de rester en vie et d’être en sécurité et de guérir en dehors des systèmes étatiques, que ces pratiques aient été ou non appelées ‘justice transformatrice’.
La JT est un cadre abolitionniste qui comprend que les systèmes tels que la prison, la police et ICE sont des lieux où d’énormes quantités de violence prennent place et créés pour être fondamentalement violents afin de maintenir le contrôle social. La JT œuvre à construire des alternatives à nos systèmes actuels qui se positionnent souvent comme protecteurs, tout en commettant les mêmes formes de violence qu’ils sont sensés condamner.
La violence n’arrive pas de nulle part et la JT essaie de montrer les liens entre les actes violents et les conditions qui les causent et les perpétuent. Elle reconnaît que l’ont doit travailler à mettre fin au capitalisme, à la pauvreté, aux traumatismes, à l’isolement, à l’hétérosexisme, au cissexisme, à la suprématie blanche, à la misogynie, au validisme, à l’incarcération de masse, aux migrations forcées, à la guerre, à l’oppression de genre et à la xénophobie si l’on veut vraiment mettre fin aux cycles de violence privée et sexuelle. La JT reconnaît l’on doit transformer les conditions qui aident à créer des actes violents ou à les rendre possibles. Cela veut souvent dire changer des dynamiques oppressive nuisibles, nos relations les un.es aux autres et nos communautés plus largement.
La JT nous invite non seulement à répondre aux incidents de violence quand ils se produisent, mais aussi à les prévenir, en brisant les cycles (générationnels) de violence. La JT œuvre à répondre aux besoins immédiats de manière à approcher du but vers lequel nous voulons aller. En d’autres termes, comment peut-on répondre à la violence de façon qui non seulement répond à l’acte violent qui se produit, mais aide également à transformer les conditions qui lui ont permis de se produire ? Nous devons œuvrer à réagir à la violence actuelle et à ses conséquences de manière qui ne nuit pas à nos idées à long terme pour prévenir, réagir à et au final mettre fin à la violence. Que faudrait-il pour ne pas seulement réagir à un viol, mais mettre fin aux viols ? Aux violences conjugales ? A la maltraitance des enfants ? Au harcèlement scolaire ? A toutes les formes d’agressions ?
La JT se base sur la communauté, mais il n’est pas suffisant de ‘ne pas appeler les flics’, car de nombreuses réactions de nos communautés à la violence peuvent être aussi néfastes que les réponses de l’état et peuvent parfois être plus dévastatrices émotionnellement du fait de la rupture et de la perte de relations, de famille ou de communauté. Bien que la réforme de l’état soit importante et utile pour réduire les risques, la JT se concentre sur la communauté car nous croyons qu’il y a davantage de possibilités de transformation dans nos communautés que dans l’état.
Nos communautés ne sont pas parfaites et ont également internalisé l’état et ses tactiques (la honte, l’accusation, la vengeance, l’isolement). Beaucoup de survivant.es ont fait part de leurs expériences traumatisantes non seulement de la manière dont l’état a réagi lorsqu’iels ont porté plainte, mais aussi des réactions de leurs communautés lorsqu’iels se sont fait connaître comme survivant.es. Les survivant.es sont souvent pointé.es du doigt, accusé.es, isolé.es, mis.es au ban, attaqué.es ou menacé.es de violence par leur communauté. Nous devons aller au-delà de simplement dire ‘pas de flics, pas de prisons’ et viser une transformation réelle des comportements violents et des conditions qui y donnent lieu.
Voilà pourquoi il est primordial que la JT ne soit pas juste l’absence d’état et de violence, mais la présence des valeurs, pratiques, relations et du monde que nous souhaitons. Il ne s’agit pas seulement d’identifier ce que nous ne voulons pas, mais de pratiquer et de mettre en place de façon proactive ce que l’on veut : des relations saines, des façons de communiquer efficaces, des moyens de désamorcer des situations de violence ou de blessures sur le moment, d’apprendre comment exprimer sa colère de façon qui ne soit pas destructrice, d’incorporer la guérison à nos vies quotidiennes.
Lors des interventions de JT, nous travaillons à pratiquer activement des choses comme la guérison et la responsabilisation de tou.tes les personnes impliquées, pas seulement de lea survivant.e et du/de la perpétrateurice. Les réponses de JT sont l’occasion pour nous tou.tes non seulement de répondre à des incidents violents et des agressions, mais aussi de faire l’inventaire et de construire collectivement le genre de relations et de communautés qui pourraient intervenir en cas de violence, et pour prévenir la violence. On peut se demander :
Quels genres d’infrastructure de communauté peut-on créer pour amener à plus de sécurité, de transparence, de durabilité, de soin et de connexion (par exemple, un réseau de résidences sûres à l’usage des personnes en danger, un grand nombre de membres de la communauté formé.es à mener des interventions face à des actes violents) ?
Quels sont les savoirs dont nous avons besoin pour pouvoir prévenir, répondre, guérir et prendre responsabilité des comportements nuisibles et violents ?
De quoi ont besoin les survivant.es et les personne qui leur ont causé du tord ?
Pourquoi les survivant.es et les personnes qui leur ont causé du tord ont si peu d’options dans nos communautés ?
Quelles sont les façons de nous comporter les un.es avec les autres qui amènent à la violence et aux agressions et comment peut-on y remédier ?
Au final, la JT comprends que nous avons une responsabilité collective quand il s’agit de violence et que personne ne naît en sachant comment violer ou torturer – ce sont des comportements appris. La JT est une réponse collective à la violence dans nos communautés et elle exige que nous comprenions qu’il ne s’agit pas d’enfermer quelques ‘fruits pourris’ mais que la violence est une norme nécessaire dans notre société, qui est activement encouragée. Les taux actuels de violences domestiques et sexuelles sont à des niveaux épidémiques et les violences contre les communautés opprimées sont monnaie courante. Nous créons collectivement les conditions pour ces violences qui ont un impact collectif et exigent une réponse collective. Ceci n’excuse en rien les comportements néfastes des personnes, et cela ne signifie pas que les perpétrateurices n’ont pas besoin d’être tenu.es pour responsables de leurs actions, mais cale veut dire que nous devons comprendre le contexte dans lequel de tels actes surviennent.
Les interventions de JT peuvent prendre différentes formes, mais le plus souvent elles comprennent :
1. le fait de soutenir les survivant.es dans leur guérison et/ou leur sécurité et travailler avec lea perpétrateurice pour qu’iel prenne la responsabilité du tord qu’iel a causé,
2. former les membres de la communauté et leur donner le moyens de soutenir l’intervention, ainsi que de guérir et/ou prendre la responsabilité de tout dommage dont iels ont été complices,
et 3. se former pour prévenir la récurrence de la violence et soutenir les capacités des membres de la communauté à mettre un terme à une situation violente quand elle est en train de se produire.
La plupart des interventions de JT comprennent un processus de responsabilisation auprès de la communauté, dans lequel quelques membres de la communautés travaillent directement avec la personne qui a fait du mal pour qu’elle prenne la responsabilité du mal qu’elle a fait. Ce processus, dans le meilleur des cas, fonctionne de façon à ce que la personne qui a fait du mal comprenne ses actions et l’impact qu’elles ont eu sur lea(s) survivant.e(s) et les autres personnes autour, s’excuse, se corrige, répare les conséquences de ses actions et – le plus important – travaille à changer son comportement pour ne plus faire de mal à l’avenir. Changer de comportement est une part fondamentale de prendre a responsabilité du mal que l’on a causé et c’est souvent l’un des souhaits principaux des survivant.es : Je ne veux pas qu’iel fasse subir ça à quelqu’un d’autre. Je ne veux pas que quelqu’un d’autre ait à endurer ce que j’ai dû endurer.
La plupart des travaux de JT qui ont lieu aux Etats-Unis concerne la violence qui se produit entre personnes qui se connaissent déjà (violence conjugale ou agression sexuelle entre militant.es qui travaillent sur une cause politique ensemble). Il y a aussi une part significative des interventions de JT sur des violences en train de se dérouler sur le vif, ainsi que sur des violences entre étranger.es les un.es aux autres (attaques de haine, harcèlement, agression sexuelle par un.e étranger.e). La violence sur le fait et la violence entre personnes qui ne se connaissent pas (ou les deux à la fois) peuvent ne pas inclure un processus de responsabilisation. Cela peut aussi être vrai de toute intervention et réaction – des fois, le fait de faire cesser la violence peut être le but principal de l’intervention. Parfois l’accent est mis sur le fait d’aider lea survivant.e et/ou la communauté à guérir ou à remplir des besoins immédiats tels que des soins médicaux.
La justice transformatrice est un cadre large, cette description ne couvre donc pas tout. Nous essayons de construire des alternatives à nos systèmes actuels et de briser les cycles générationnels de violence au sein de nos communautés et de nos familles. Nous ne croyons pas que les flics ou les prisons nous apportent de la sécurité. Nous croyons que nous pouvons créer ce dont nous avons besoin. La justice transformatrice est un des moyens par lesquels nous essayons de répondre à la violence et aux agressions dans nos communautés de façon qui nous aide à avancer et qui ne cause pas davantage de destruction et de traumatismes. Les processus de justice transformatrice ne sont pas parfaits, et nous avons encore beaucoup à apprendre.