Rendre la police obsolète – 1 de Kristian Williams

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Texte de la brochure :

Traditionnellement, à la fin d’un livre comme celui-ci, on termine par des recommandations sur ce qui pourrait rendre la police plus efficace, efficiente, moins corrompue, moins violente, etc. Ces recommandations s’adressent presque toujours aux législateurices et aux administrateurices de la police. Elles sont d’ordinaire plus techniques que politiques, c’est-à-dire qu’elles offrent un avis détaché sur ce qui, dans le sens le plus général du terme, constituent les moyens de la police – les stratégies de patrouille, de contrôle des foules, les techniques d’interrogatoire, les politiques d’usage de la force, les organigrammes, les mécanismes de contrôle interne, les moyens d’améliorer le moral des troupes, la discrimination positive – sans interroger (ni souvent même identifier) les objectifs de la police. Elles ne soulèvent pas de grandes questions sur le rôle de la police dans la société, sa nécessité ou les alternatives qui pourraient y exister.

J’approche cette conclusion d’un tout autre angle. Mes recommandations ne s’adressent pas aux personnes au pouvoir, mais au public. Elles sont volontairement politiques et évitent l’aspect technique. J’ai, au cours de ce livre, inspecté le rôle de la police, ce qu’il implique pour la démocratie et la justice sociale, et questionné à quoi servent les flics. Je vais maintenant brièvement considérer la question : est-ce que l’on peut se passer de la police ?

Remettre en cause les évidences

Dans son essai « La Manufacture du consentement », Noam Chomsky conseille : « Si vous voulez apprendre quelque chose sur le système de propagande, regardez bien les critiques et leurs présupposés tacites. C’est ce qui constitue typiquement les doctrines de la religion d’état. » Ayant cela à l’esprit, c’est intéressant de noter ce que les universitaires n’admettent pas, les possibilités qu’iels laissent hors de leur champ d’étude. Dans la bibliographie « sérieuse », le fait que la police soit une composante nécessaire de la société moderne est un présupposé presque universel.

Rodney Stark écrit : « C’est une absurdité vulgaire que d’être contre la police. Notre société ne pourrait exister sans elle. »

Carl Klockars lui fait écho : « Personne que l’on puisse inviter dîner à la maison sereinement ne prétend que la société moderne puisse se passer de police […]. »

Beaucoup de citations similaires existent si l’on souhaite les trouver. Je les mentionne ici parce qu’elles proviennent d’auteurs dont les analyses critiques m’ont été incroyablement utiles dans l’écriture de ce livre et parce qu’elles expriment clairement ce que d’autres ont accepté comme allant de soi sans en parler. La plupart des auteurices ne prennent même pas la peine d’affirmer que la police est nécessaire, et discutent d’autant moins de ce point. Iels ne ressentent pas le besoin d’identifier les besoins sociaux auxquels la police répond, parce que le rôle de la police, pour eulles, se passe de débat. Sans conteste ; l’alternative est impensable. Dans ce contexte, les commentaires défensifs de Stark et Klockars se lisent moins comme des arguments en faveur de la police et plus comme des manœuvres d’évasion contre l’accusation que ces auteurs peuvent potentiellement faire contre la police. Il s’agit de prêter serment de loyauté en quelque sorte, d’une promesse de rester dans les limites de l’opinion acceptable.

Mais présupposer que la police soit une composante inévitable de la société est illogique : si l’on accepte que les forces de police sont apparues à un point donné dans l’histoire, pour répondre à des conditions sociales spécifiques, il s’ensuit alors que des transformations sociales pourraient également éliminer cette institution. La première partie de ce syllogisme est facilement accepté, mais la seconde est une hérésie.

C’est une paresse de l’esprit, une sorte d’adoration du pouvoir, de penser que parce que les choses sont ce qu’elles sont, elles continueront d’être telles qu’elles ont été.

Cela calme la conscience des privilégié.es et élime la volonté des opprimé.es. Le premier pas vers le changement, c’est de comprendre que les choses peuvent être différentes. C’est donc là ma principale recommandation : nous devons reconnaître la possibilité d’un monde sans police.

La criminalité, source du pouvoir de l’état

Il y a une question qui hante tou.tes les critiques de la police : la question de la criminalité et de quoi faire à ce sujet.

Par ‘criminalité’ je ne veux pas simplement parler d’illégalité, mais plutôt d’une catégorie d’actes proscrits par la société qui : (1) menacent ou causent du tord à d’autres personnes et (2) vont contre les normes liées à la justice, la sécurité individuelle ou les droits humains, (3) de telle manière ou à tel point que cela justifie une intervention de la communauté (et parfois une intervention coercitive). Cette catégorie comprend clairement beaucoup de choses aujourd’hui illégales (viol, meurtre, jeter des briques sur les voitures du haut d’un pont), n’inclut pas d’autres choses aujourd’hui illégales (fumer un joint, dormir dans un parc public, bronzer nu) et inclut également des choses qui ne sont pas aujourd’hui illégales (mettre des gens à la rue en masse, envahir l’Irak). Ce que je veux dire, c’est que ce que je mets ici derrière le terme de criminalité n’est pas la définition de l’état, mais celle de la communauté – et, spécifiquement, la définition de la communauté dans sa relation à la justice, le droit, la sécurité personnelle et peut-être surtout à la question de la violence.

Le criminologue Tony Platt, l’un des organisateurs de la conférence de 1972 « Détruisons les murs » [Tear Down the Walls], a par la suite commenté : « Le mouvement anticarcéral du début des années 70 ne s’est presque pas intéressé à la criminalité. La criminalité était romantisée comme une sorte de forme de rébellion pré-politique […]. La question de la violence au sein des communautés n’était pas prioritaire pour nous. » Ce fut une erreur pour plusieurs raisons, principalement parce que les gens tiennent à leur sécurité personnelle et que cette inquiétude devrait être prise au sérieux. Le ‘romantisme’ de la gauche a permis à la droite de monopoliser cette question et d’utiliser ‘criminel’ comme nom de code pour pauvre et noir.e. C’était alors facile pour les politicien.nes conservateurices de faire correspondre de réelles peur de la violence avec leur propre programme de défenses des inégalités économiques et raciales.

La droite a fait de la criminalité une question politique et l’a associée aux pauvres et aux personnes racisées ; puisque la gauche a largement refusé de faire de la criminalité un sujet de débat, elle a aussi échoué à remettre en cause cette association. Les vagues de politicien.nes successives – des deux partis, à tous les niveaux de gouvernement – ont appris à attiser la peur du viol, des meurtres, des fusillades en pleine rue, des vols de voiture avec violence, des fusillades dans les écoles et des enlèvements d’enfants, tout comme des émeutes et du terrorisme pour se présenter en héro.ines, en sauveur.ses, se donner une image de dur.es dans leurs discours et dans leurs actes, comme des Dirty Harry de la vraie vie qui feront tout ce qu’il faut pour vous garder en sécurité, vous et votre famille. Les solutions qu’iels proposent ont toujours l’attrait de la simplicité : davantage de flics, davantage de prisons, des sentences plus lourdes. Les coûts de ces politiques dont on ne parle pas, ce sont des droits qui se réduisent, moins de droit à la vie privée, plus d’inégalité et une société moins tolérante au moindre désordre. Ces tactiques politiques n’ont bien sûr rien de neuf, mais l’échelle de leurs effets – 2,2 millions de prisonnier.es en 2010 – est sans précédent. Si la gauche ne s’améliore pas, nous devons nous attendre à ce que ces même solutions soient toujours celles qu’on nous offre.

Le fait est que la police offre en effet un service important à la communauté – la protection contre la criminalité. Elle ne fait pas ce travail bien, ni de façon juste, et ce n’est pas sa fonction principale, mais elle le fait et cela lui donne une légitimité. Même les gens qui n’aiment pas et ont peur de la police ont souvent l’impression d’en avoir besoin. Peut-être pouvons-nous nous passer de la surveillance omniprésente, du profilage racial et de la violence institutionnalisée, mais la plupart des gens ont bien voulu accepté ces aspects de la police, bien qu’à contre-coeur, parce qu’il faut partie du lot pour avoir des choses dont on ne peut pas se passer : le contrôle de la criminalité et la sécurité publique. Il ne suffit donc pas de considérer la police uniquement en terme de répression ; nous devons aussi nous souvenir de la protection promise, puisqu’elle légitime cette institution.

Puisque l’état utilise cette fonction protectrice pour justifier sa propre violence, le remplacement de l’institution policière n’est pas seulement un objectif du changement social, mais aussi un des moyens pour y parvenir. Le défi est de créer un autre système qui puisse nous protéger de la criminalité et qui puisse le faire mieux, plus justement, en respectant les droits humains et avec un minimum d’usage de la force. Ce qu’il faut, en bref, c’est un basculement de la responsabilité pour la sécurité publique qui passerait de l’état à la communauté.

La menace de la communauté

Lorsque j’ai parlé de police de communauté dans les chapitres précédents, j’ai défendu que cela représente, en partie, une tentative de coopter les ressources de la communautés et de les mettre au service des objectifs de la police. Je ne me suis pas alors étendu sur les raisons derrière cela, mais cette tentative de cooptation souligne un fait qui ne doit pas être ignoré : la communauté est une source de pouvoir. Comme l’explique Nikolas Rose :

« Une communauté n’est pas simplement le territoire sur lequel la criminalité doit être contrôlée, c’est en soi un moyen de gouvernement : sa connaissance détaillée d’elle-même et des activités de ses habitant.es doit être utilisée, ses liens, attaches, forces et affiliations doivent être célébrées, ses centres d’autorité et ses méthodes de résolution de conflit doivent être encouragés, nourris, formés et instrumentalisés pour améliorer la sécurité de tout le monde. »

Quand c’est possible, l’état cherche à utiliser ce pouvoir et à le diriger pour ses fins propres. La police de communauté fait partie de ces tentatives. En échange de protection, la police négocie l’accès à ce réseau de pouvoir, s’insinue en son coeur et essaie de définir ses activités selon ses intérêts.

Une des difficultés principales pour l’état dans ses efforts pour utiliser le pouvoir de la communauté, c’est le fait que ce pouvoir est en général sous-développé. Selon Amatai Etioni,

« La communauté se définit par deux caractéristiques : d’abord, une toile de relations chargées d’affect dans un groupe d’individus, des relations qui s’entrecroisent souvent et se renforcent les unes les autres […], et, deuxièmement, un certain engagement auprès d’un ensemble de valeurs, de normes et de significations partagées, ainsi qu’une histoire et une identité partagée – en bref, une culture particulière. »

De telles toiles affinitaires manquent souvent cruellement aujourd’hui dans la vie citadine – et là où elles existent, elles viennent rarement dans de jolis petits paquets facilement gérables pour la bureaucratie, à attendre un ‘partenariat’ officiel avec la police. En fait, comme le remarque Carl Klockars, il y a une tension inhérente entre l’idée de police et les idéaux de communauté :

« La police moderne est, en un sens, le signe que les normes et les contrôles de la communauté ne peuvent pas gérer les relations en son sein ou avec d’autres communautés, ou que les communautés sont devenues elles-mêmes déplaisantes pour la société. Ce que l’on peut conclure de ces observations, c’est que de réelles communautés sont probablement très rares dans les villes modernes et que, là où elles existent, elles ont peu d’intérêt à cultiver des relations d’aucune sorte avec la police. »

Là où de réelles communautés existent, elles sont parfois même hostiles à la police. Dans ce cas, les autorités voient le pouvoir de la communauté non comme une source supplémentaire de légitimité, d’information et de développement infrastructurel, mais comme un rival à affronter. L’état n’a pas d’autre choix que d’interférer avec les moyens d’action des communautés si elles tombent aux mains de l’ ‘ennemi’ – c’est-à-dire, si elles résistent au contrôle de l’état ou formule des revendications que l’état refuse d’accepter. Cette règle est valable que l’ennemi soit décrit en termes politiques ou criminels. Le raisonnement est le même que les autorités interfèrent avec une campagne politique de terrain ou qu’elles s’attaquent à la vie d’un quartier au nom de la ‘répression anti-gang’. Le danger dans les deux cas n’est pas le manque de communauté, mais l’existence d’une communauté que l’état ne contrôle pas. La réponse de la police du pays équivaut à détruire un village pour le sauver.

En bref, l’état cherche à mobiliser le pouvoir des communautés en soutien aux buts du gouvernement, ou à supprimer les sources de pouvoir qui y sont opposées. Dans les deux cas, l’état reconnaît le potentiel d’un pouvoir de communauté, ce qu’il peut apporter et la menace qu’il représente.

Cette attitude de la carotte et du bâton peut sembler troublante, mais l’analyse qui la sous-tend suggère des possibilités intéressantes : si la communauté est une source de pouvoir, alors elle pourrait exercer ce pouvoir à des fins propres, plutôt que pour l’état. Si, comme le soutiennent les défenseureuses de la police de communauté, l’implication de la communauté est la clef pour contrôler la criminalité, cela suggère alors que les communautés pourraient développer des systèmes de sécurité publique qui ne dépendent pas de l’état. Les efforts de l’état pour maintenir sa légitimité montrent donc ironiquement comment le détruire. Raymond Michalowski écrit :

« Qu’il s’agisse de tentatives soutenues par l’état ou initiées par les citoyen.nes, la prévention de la criminalité par la communauté se base sur la reconnaissance, qu’elle soit ou non systématisée, que les réponses bureaucratiques et formelles qui sont éloignées dans le temps et dans l’espace du crime commis ne pourront jamais approcher l’efficacité de formes plus informelles, plus immédiates de contrôle social par la communauté. Ce que les fonctionnaires reconnaissent aussi, c’est que les formes de justice initiées et contrôlées par les citoyen.nes menacent la fondation légale de l’état lui-même. L’essence du droit d’état formel – le fondement de la société étatique – est d’enlever aux individus et aux communautés leur droit à définir directement ce qui constitue un comportement acceptable au sein de cette communauté et d’agir directement contre les comportements inacceptables. La substitution de la justice d’état à la justice populaire est en général défendue comme étant la seule alternative viable aux foules vengeresses et au vigilantisme. Opposer la justice d’état aux personnes qui se rendent justice elles-mêmes n’est cependant qu’une fausse dichotomie qui permet de dissimuler l’existence d’une troisième alternative. Cette possibilité est celle de formes communautaires organisées de justice populaire pratiquées et contrôlées par les citoyen.nes privé.es, et non par des employé.es de l’état. »

L’idée que de telles mesures fondées sur la communauté puissent à la fin remplacer la police est intrigante. Mais si l’on veut qu’il s’agisse d’autre chose que d’une abstraction théorique ou d’une douce utopie, elle doit être étayée par de vraies expériences de luttes.

Heureusement, l’histoire ne nous laisse pas sans modèles. Pour trouver des exemples de défense de communauté, il faut regarder là où la méfiance vis-à-vis de la police et la résistance active au pouvoir de la police ont été les plus virulentes. Il y a un lien étroit entre résistance au pouvoir de la police et besoin de développer des moyens alternatifs d’assurer la sécurité publique.

Aux États-Unis, la police a fait face à de la résistance provenant principalement de deux sources qui s’entrecroisent : les travailleur.ses et les personnes racisé.es (principalement les personnes afro-américaines). Ce n’est pas surprenant, étant donné les fonctions racistes et de contrôle de classe que la police a remplies depuis ses débuts. Le travail de contrôle des classes inférieures (de toutes races) et des personnes racisées (de toutes classes) a mené la police à être en conflit perpétuel avec ces pans de la société. Cela a évidemment semé parmi elles la méfiance et un sentiment de ne pas pouvoir compter sur la police pour sa protection – l’idée qu’en réalité tout contact avec la police est potentiellement dangereux en soi. Cela a également nourri la résistance, parfois sous la forme de combat ouvert – émeutes, fusillades, attaques de sniper. Dans d’autres cas la résistance a mené à des efforts politiques pour limiter la pouvoir de la police, ou à des tentatives directes de remplacer la police par d’autres moyens de maintien de l’ordre.

Seattle, 1919 : La Garde des Travailleur.ses

Les travailleur.ses sur les piquets ont remarqué l’usage de la police pour briser les grèves. Au début du 20e siècle, les syndicats se sont efforcé de s’opposer à la création des polices d’états et de les dissoudre là où elles existaient. Ces efforts ont amené, pour un temps, des restrictions sur l’utilisation des policiers de l’état contre les grévistes – mais cette victoire a été pratiquement oubliée aujourd’hui. Ce qui est plus intéressant pour cette discussion, ce sont les efforts des syndicats pour maintenir l’ordre quand la guerre de classe a déplacé les autorités habituelles.

L’exemple classique est la grève générale de Seattle en 1919. En solidarité avec une grève d’un chantier naval, 110 syndicats ont déclaré une grève solidaire dans toute la ville, à laquelle 100 000 travailleur.ses ont pris part. Presque immédiatement, l’économie de la ville s’est arrêtée et le comité de grève s’est retrouvé à avoir plus de pouvoir que le gouvernement local. La grève faisait face à trois défis principaux : la famine, la répression étatique et la tiédeur des responsables syndicaux. Contre le premier problème, les grévistes eulles-mêmes se sont mis à assurer les besoins essentiels de la population, en attribuant des laissez-passer aux camions chargés de nourriture et autres nécessités, en instaurant des cafétérias publiques et en autorisant le fonctionnement des hôpitaux, des éboueur.ses et autres services essentiels. Comme iels reconnaissaient que la situation pouvait facilement tourner à la panique et qu’iels ne voulaient pas dépendre de la police, iels ont également organisé un service de maintien de l’ordre. La ‘Garde des travailleur.ses des vétérans de guerre’ fut créée pour maintenir la paix et décourager les troubles. Ses ordres étaient écrits à la craie sur un tableau dans son quartier général :

« Le but de cette organisation est de maintenir l’ordre et la légalité sans usage de la force. Aucun.e bénévole n’aura de pouvoir de police ou n’aura d’arme de quelque sorte qu’elle soit, mais devra user de persuasion uniquement. »

A la fin, la grève générale de Seattle fut vaincue, prise entre la menace d’intervention militaire et l’évanouissement du soutien des responsables internationaux de l’AFL. Bien que la grève ne fut pas victorieuse, elle a démontré le pouvoir de la classe ouvrière – le pouvoir de faire fermer une ville et le pouvoir de la faire fonctionner au bénéfice du peuple plutôt que pour les profits des entreprises.

La grève fut brisée mais elle ne s’est pas effondrée dans le chaos. Le maire Ole Hanson remarqua, tout en dénonçant la grève comme une « tentative de révolution », qu’ « il n’y a pas eu de violence […] il n’y a pas eu de coups de feu, de bombes, de tueries. » En effet il n’y eut pas la moindre arrestation liée à la grève (bien qu’il y eut plus tard des descentes de police), et le nombre d’autres arrestations a chuté de moitié. Le général major John Morrison, responsable des troupes fédérales, fut émerveillé par l’ordre qui régnait dans la ville.

Combattre le pouvoir, servir le peuple : des Diacres et des Panthères

Près de 50 ans plus tard, des efforts plus poussés de défense communautaire sont nés du mouvement pour les droits civiques. Dès 1957, Robert Williams fournit des armes à la branche du NAACP de Monroe en Caroline du Nord qui repoussa avec succès les attaques du Ku Klux Klan et de la police. D’autres groupes d’auto-défense apparurent rapidement dans les communautés noires du Sud. La plus grande de ces organisations était les Diacres pour la Défense et la Justice [Deacons for Defence and Justice], qui revendiquait plus de 50 groupes dans les états du Sud et 4 dans le Nord. Les Deacons prirent pour mission de protéger les gens qui oeuvraient pour les droits civiques et la communauté noire plus généralement. Armé.es de fusils et de fusils à pompe, iels escortaient les activistes dans leur traversée de zones reculées dangereuses et organisaient des rondes permanentes lorsque des racistes s’en prenaient à des quartiers noirs. Comme un Deacon l’expliqua : « on allait pas recevoir beaucoup de protection de la police » et les personnes noires devaient donc « nous protéger nous-mêmes ». En fait, les Deacons ont parfois dû protéger des personnes noires de la police. Iels écoutaient la radio de la police et se rendaient sur les lieux d’arrestation pour décourager les policier.es d’outrepasser les limites. Les Deacons ont aussi été utilisé.es comme force disciplinaire au sein du mouvement. D’un côté, iels oeuvraient à calmer les jeunes ‘fous de la gâchette’ qui voulaient se venger des blanc.hes. De l’autre, iels s’opposaient aux ‘Oncles Tom’, s’emparaient et détruisaient les biens achetés à des entreprises sous boycott. Iels aidaient aussi à identifier les indics, qui étaient alors publiquement réprimandé.es par un groupe de femmes du NAACP.

Williams et les Deacons ont influencé ce qui est devenu le programme le plus développé de défense communautaire de la période : la Parti des Panthères Noires pour l’Auto-Défense. Leur action la plus connue était de ‘patrouiller les flics’. Armes visibles, iels suivaient la police dans les ghettos noirs dans le but explicite de prévenir les violences policières et d’informer les citoyen.nes de leurs droits. Lorsque les flics commettaient des exactions, leur nom et leur portrait paraissaient dans le journal Black Panther. Le groupe de Philadelphie a poussé cette tactique plus loin, avec des affiches ‘recherché’ de flics meurtriers.

Les Panthères ont également cherché à répondre aux besoins de la communauté d’autres manières – en fournissant des soins médicaux, en offrant des chaussures et des vêtements, des petits déjeuners aux enfants, en créant des coopératives de logement, en transportant les familles de prisonnier.es pour les jours de parloir et en offrant des cours d’été dans des ‘Écoles de la Libération’ [Liberation Schools]. A Baltimore, iels offraient de l’aide financière directe aux familles qui risquaient d’être expulsées et pendant l’été offraient des repas de midi gratuits aux enfants en âge d’aller à l’école (en plus des petits déjeuners). A Winston-Salem, le Parti gérait un service ambulancier et offraient au famille des contrôles des animaux nuisibles gratuits. La branche d’Indianapolis offraient aux familles pauvres du charbon gratuit pendant l’hiver, organisaient des livraisons de jouets à Noël, géraient une banque alimentaire et nettoyaient les rues dans les quartiers noirs. A Philadelphie, la clinique des Panthères offraient des cours d’accouchement aux futurs parents ; à Cleveland et New York, de réhabilitation pour l’usage de drogues. Ces ‘programmes de survie’ cherchaient à répondre aux besoins que l’état et l’économie capitaliste négligeaient, tout en alignant la communauté et le Parti et en positionnant les deux contre la structure du pouvoir existant.

Cette stratégie s’appliquait au domaine de la sécurité publique également. L’opposition des Panthères au système judiciaire est bien connue : iels patrouillaient et combattaient parfois la police, iels apprenaient leurs droits aux gens et iels offraient de l’argent pour payer les cautions et organisaient la défense juridique quand iels le pouvaient. En même temps, iels soutenaient des réformes pour démocratiser et décentraliser la police existante. A Berkeley, iels ont proposé un référendum en 1971 pour diviser la ville en trois districts de police : l’un pour le quartier à majorité noir, l’un pour la zone du campus et le dernier pour les quartiers riches de Berkeley Hills. Chaque district élirait un bureau pour superviser l’action de la police dans leur zone et les agent.es eulles-mêmes devraient habiter dans les quartiers où iels patrouilleraient.

L’initiative de Berkeley n’est que l’un des plans que les Panthères ont imaginé pour démocratiser la police. À la Convention Constitutionnelle du Peuple Révolutionnaire de 1970, les Panthères – ainsi qu des délégué.es du Mouvement Indien Américain, des Bérets Bruns [Brown Berets], des Young Lords, des Students for a Democratic Society, du Gay Liberation Front et d’autres groupes – ont adopté des propositions pour remplacer complètement le système judiciaire actuel. La police serait « un corps bénévole non-professionnel » supervisé par un « Bureau de contrôle de la police » élu ; les tribunaux seraient des « tribunaux populaires où les gens seraient jugé.es par un jury de leurs pair.es » ; « Les prisons seraient remplacées par des programmes de réhabilitation communautaires ». Quatre ans plus tard, dans les colonnes de Crime and Social Justice, Huey Newton défendait une « force de paix » contrôlée par la communauté, dont les membres seraient conscrit.es dans la communauté et sélectionné.es selon leur goût du service public, leur connaissance du quartier et leur conscience sociale, en faisant attention à la diversité en matière d’âge et de genre.

En plus du problème de la police, les Panthères prenaient également au sérieux le problème de la criminalité et cherchaient à répondre aux craintes des communautés qu’iels servaient. Pour cela, iels ont organisé Seniors Against a Fearful Environment (SAFE), un service d’escorte et de bus dans lequel des jeunes noirs accompagnaient des seniors dans leurs déplacements en ville. À Los Angeles, quand le Parti a ouvert un bureau sur Central Avenue, iels ont immédiatement commencé à pousser les vendeurs de drogues hors du quartier. Et à Philadelphia, le voisinage a témoigné d’une baisse de la criminalité violente après l’ouverture du siège du Parti et une augmentation à sa fermeture. Là, le BPP s’est intéressé particulièrement à la violence des gangs, en organisant des trêves et en recrutant des membres de gangs pour s’occuper des programmes de survie.

Il se peut que les Panthères aient fait chuté la criminalité du fait de leur existence même. La criminalité, et la violence de gang en particulier, a chuté durant leur période d’activité, en partie (selon l’estimation du sociologue Lewis Yablonsky) parce que le BPP et les groupes similaires « poussaient les jeunes noirs et Chicanos qui auraient peut-être sinon pris part aux affrontements entre gangs vers des efforts relativement positifs de transformation sociale par des activités politiques. »

Une réflexion sur « Rendre la police obsolète – 1 de Kristian Williams »

  1. Super traduction d’un texte plein de bonnes perspective !

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