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Le texte sur Lundi Matin
Les cinq textes seront réunis en brochure par le Groupe Grothendieck dans un futur proche. Le lien sera inséré ici, pour l’instant voici leur site.
L’épisode pilote [0/4] : Les bases du système guerrier
L’épisode 1 [1/4] : Le vivant-machine à l’aune de la biologie moderne
« Il n’était pas exclu que finisse par advenir le monde inquiétant entrevu par les scientifiques qui avaient inventé la nouvelle biologie un quart de siècle plus tôt. Délibérément ou non, des chercheurs élaboraient de nouvelles manières de tuer, toujours plus terrifiantes […] Ils admettaient ainsi ensemble qu’ils ne croyaient plus en l’élimination des armes biologiques, et qu’un nombre affligeant de leurs collègues scientifiques, depuis l’Union soviétique jusqu’à l’Irak et l’Afrique du Sud, avaient consacré leurs vies à produire des agents pathogènes susceptibles de tuer en masse. »
Miller, S. Engelberg, W. Broad, Germes. Les armes biologiques et la nouvelle guerre secrète, 2001.
Il est un domaine où la guerre généralisée au vivant s’exprime sans fard comme véritable guerre militaire : c’est la guerre biotechnologique. La conception d’armes biotechnologiques est une discipline militaire où destruction de la vie par la violence illimité (cf. épisode 0) et la réification du vivant par la biotechnologie (cf. épisode 1), se rejoignent dans un projet commun : tuer le plus possible et le plus efficacement possible. On peut même dire que les programmes d’armement biologique sont la première application concrète de la guerre généralisée au vivant.
En effet la logique du détournement/amélioration en « système » technologique d’un organisme vivant ou d’une partie de celui-ci (protéine, toxines, ADN, etc.) qu’opèrent les scientifiques militaires à partir de la Seconde guerre mondiale se retrouvera par la suite dans le civil avec la biologie de synthèse ou le transhumanisme.
Ces programmes suivent en parallèle le même parcours que les programmes biologiques civils. Mais là où les programmes civils ont des contraintes budgétaires et doivent rendre des comptes à la société civile sur leurs recherches via la validation par les pairs puis la vulgarisation scientifique, les programmes militaires n’ont aucune limitation pratique (budget, main d’œuvres, cobayes) ou morale (utilisation de « matériel humain », non consentement, expérimentation grandeur réelle, etc.).
En effet, la recherche en armes biologiques ne peut être qu’une discipline secrète au même titre que la recherche nucléaire. Elle est barrée du sceau du secret d’État, de l’omerta des chercheurs et d’une certaine aura sulfureuse. Elle est – même pour le chercheur cynique – une rupture du tabou de la souffrance et de la mort par des maladies considérées comme des fléaux pour les peuples qui les ont éprouvées. En outre, de nombreuses conventions d’interdiction (Genève 1925, Washington 1972, résolution de l’ONU 2004, etc.) ont rendu ces recherches quasi-clandestines ou les ont obligées à se travestir sous les atours de la « lutte contre la menace » (struggle to threat) et du concept de « biodefense » ou à se maquiller en de simples recherches civiles. Il sera aussi intéressant de suivre le scientific power (la science en tant qu’elle augmente les capacités technologiques d’un pays, cf. épisode 1), siphonné et passer d’un pays vaincu – Japon ou Allemagne – vers les puissances soviétiques ou étasuniennes puis de l’URSS aux États-Unis.
Notre travail dans le présent épisode se présentera sous la forme d’une généalogie alternative des armes biologiques, de leur fabrication et leurs utilisations. Cette histoire secrète de la guerre biologique nous permettra de mieux cerner les liens qui unissent les grands programmes militaro-civils des empires technoscientifiques (dont le projet Manhattan américain) à la biologie moderne. Nous montrerons que ce sont les scientifiques militaires – équipés à la pointe et sans barrière éthique – qui sont les plus offensifs sur le front technoscientifique, poussant toute la recherche en biologie à aller de l’avant dans la guerre généralisée au vivant.
Après ce que vous lirez sur les expériences des scientifiques, leur participation enjouée aux massacres et l’ampleur de la barbarie disséminée, il ne sera plus incongru de penser que c’est toute la biologie moderne depuis lors, qui est salie et qui marche de travers. Les ferments actuels du renoncement à l’humilité et la prétention à transformer la vie de fond en comble – deux pathologies du biologiste actuel – sont peut-être à chercher de ce côté-ci du massacre.
Enfin, plus philosophiquement, nous chercherons à comprendre en quoi les armes biologiques et leurs idéologies sont la matrice de toutes les biotechnologies, leur fond commun idéologique et cela reviendra à mieux saisir la portée de cette guerre généralisée au vivant qui est en train de se jouer sous nos yeux.
1° Les débuts des programmes d’armes
biologiques, ou la continuation du projet Manhattan par d’autres moyens
A) Les débuts de la guerre biologique
(1915 – 1945)
Les programmes d’armes biologiques n’existent pas encore pendant la Première guerre mondiale bien que quelques armes bricolées sont expérimentées (1915 : ampoule de l’armée allemande contenant le bacille de la morve ; 1917 : l’Armée rouge utilise le typhus, etc.). Ce n’est qu’à partir des années 1920-1930 que certains complexes militaro-industriels en cours de formation accordent une attention particulière aux armes biologiques. Contrairement à la destruction par pilonnage aérien, la frappe biologique pourrait avoir des impacts massifs avec un coût de revient très faible. En France dès l’été 1926, un chercheur militaire de renom, le professeur Trillat, teste un obus d’artillerie pouvant contenir une « charge biologique » et cela quelques jours après que la France eut ratifié le protocole de Genève[1]. Il s’intéresse à la peste, à la fièvre charbonneuse[2] et à la toxine botulique (le poison le plus mortel connu à ce jour)[3]. Le scientific power français, allemand, soviétique et britannique (et dans une moindre mesure ceux de l’Italie, des Pays-Bas, de la Pologne et de la Hongrie) croit durablement durant l’entre-deux-guerres notamment via les fondations et les caisses publiques (il n’y a pas encore d’institut public dédié à la recherche civile), et ce sont surtout les scientifiques militaires qui sont le mieux lotis via des crédits militaires abondants (pour l’Allemagne il faut attendre la montée du nazisme).
« Il est particulièrement frappant de constater que l’intensité des recherches militaires dans le domaine de la guerre biologique épousèrent presque parfaitement la qualité des relations franco-allemandes : plus celles-ci se dégradèrent, plus les recherches françaises s’épanouirent et inversement. »
Patrice Binder et Olivier Lepick, Les armes biologiques, 2001.
Mais ce sont les Japonais, pendant l’occupation de la Manchourie en 1932, qui utilisent pour la première fois et de manière massive des armes biologiques[4] cependant, il faut le dire, sans réel succès sur le terrain. Leur programme comprend trois centres de recherche dont la fameuse unité 731 du professeur Shiro Ishii qui fonctionne jusqu’à la capitulation japonaise en 1945, où les armes porteuses de la peste bubonique, de la dysenterie, du choléra, etc. sont testées sur des cobayes humains avec pour résultat macabre 3000 prisonniers tués (dont quelques prisonniers britanniques et américains). Les stocks de pathogènes sont tels qu’ils auraient pu décimer plusieurs fois la population de la planète, leur manquent les vecteurs de dissémination, sujet qui sera beaucoup développé par les américains pour ce type d’arme, nous le verrons par la suite. Les Japonais font une douzaine d’attaques sur des villes chinoises en contaminant les eaux alimentaires, en disséminant à partir d’avion des aérosols d’agents pathogènes, ou encore en relâchant des millions de mouches infectées par Yersina pestis[5]. Ces attaques, sortes d’expériences grandeur réelles, empiriques et bricolées, font sans doute plusieurs dizaines de milliers de victimes. À titre d’exemple, une opération menée à Changde, en 1941 fait 1700 morts dont des militaires japonais touchés par leurs propres armes, c’est le début et il y a encore des ajustements à faire…
On cite ici l’exemple japonais parce qu’il a été amplement documenté[6], mais ne vous méprenez pas, dans les 1930-1940 tous les complexes scientifico-militaro-industriels ont leur programme biologique. En 1941, l’Angleterre teste l’anthrax sur l’île de Gruinard et dans son laboratoire de Paton Down. Les Soviétiques ouvrent en 1929 un centre de recherche sur les armes biologiques au nord de la mer Caspienne[7]. Quant aux États-Unis, ils commencent réellement leur programme en 1942 au sein du War Research Services (WRS), c’est-à-dire au même moment que le projet Manhattan. Les recherches sont effectuées au camp Detrick dans le Maryland fraîchement acquis par l’armée[8]. C’est le Chemical Warfare Service (CWS) qui s’occupe des recherches, sous la houlette du Dr Baldwin. Celui-ci emploie en 1943 3800 militaires. Des tests grandeur réelle sont effectués sur deux sites, un dans le Mississippi et l’autre dans l’Utah. 5000 bombes remplies de spores d’anthrax sont confectionnées dans une usine à Terre Haute dans l’Indiana. À partir de mai 1943, les programmes biologiques britanniques et canadiens fusionnent avec le programme étasunien et sont rapatriés au camp Detrick. À la fin de la guerre, on découvre que les nazis aussi avaient un projet similaire au centre de Posen où étaient étudiés (au stade expérimental) la peste, le choléra et la fièvre jaune.
B) L’accaparement de la puissance
technoscientifique par les empires
vainqueurs de la Seconde guerre mondiale
Il faut comprendre qu’au sortir de la Seconde guerre mondiale et quelques mois avant la capitulation, les gagnants, États-Unis, France, Angleterre et URSS, ont tout fait pour grappiller le scientific power des vaincus : installations expérimentales nucléaires, usines de fabrication de V2, armements, éminents scientifiques et techniciens, stocks d’uranium et d’eau lourde, produits chimiques et agents pathogènes, ainsi que les rapports des laboratoires. De nombreuses opérations commandos des pays vainqueurs, indépendantes les unes des autres et des fois en compétition, sont mises en place afin de récupérer tous ces hommes et le matériel vus comme une manne pour le renforcement de la puissance technoscientifique. Le film The Good German traite de ce sujet dans un Berlin apocalyptique où les Russes et les Américains traquent les derniers scientifiques nazis. Il est important pour les Américains de ne pas laisser filer toute cette matière grise dans les mains des Russes ou des Français[9], non pas tant pour accroître le leur (qui est déjà le plus fort du monde et ils le savent) mais pour ne pas enrichir celui de leur adversaire[10]. Le scientific power est l’enjeu prioritaire au sortir de la Seconde guerre.
Quant au troisième Reich, il ne diffère guère des empires pré-technocapitalistes tel que les États-Unis, même si sa forme est beaucoup plus magnifiée et les directives d’État plus poussées dans le sens où tous les secteurs économiques germaniques sont mobilisés et croisent grâce à une politique de liaison systématique des centres scientifiques, des universités et des lieux de production dans un effort de guerre où aucune vie humaine n’est épargnée. Au sortir de la guerre, les empires russe et américain s’empressent de faire de même.
Les nazis comprirent leur époque industrielle mieux que quiconque et ne firent que continuer d’une manière extrême l’élan industriel des Krupp, Bayer (IG Farben) et consorts, en y apportant des améliorations significatives dans les domaines du management et de la structuration de la recherche[11]. Un développement qui mènera jusqu’au technocapitalisme et sa puissance mortifère totale et permit après-guerre, en combinaison avec une politique libérale, le Wirtschafts-wunder (« le miracle économique ») de la RDA.
« Naturellement le nazisme en a été une expression primitive, brutale, absurde, mais c’était une première ébauche de la soi-disant morale scientifique ou préscientifique qu’on nous prépare pour le radieux avenir qui nous attend. »
Erwin Chargaff, Prémices d’une nouvelle barbarie… Interview publiée dans Michel Salomon, L’avenir de la vie, 1981.
Il y a donc une filiation certaine – bien que ténue – entre le nazisme et la Big science des empires soviétique et américain, dans la façon de faire de la recherche et la structuration des Grands Programmes. Les seules différences sont de l’ordre des moyens et de l’échelle, bien plus importantes pour les futurs vainqueurs. Les opportunités offertes par les grands cycles de capitalisation d’après-guerres permettent alors de continuer l’élan technoscientifique naissant, d’en fusionner les principes (capital et technologie), de récupérer les dépouilles des scientific power vaincus (qui vont surtout servir du côté russe à amorcer des débuts de programme en guerre biologique, chimique et nucléaire en attendant de rattraper le retard), tout en se faisant passer pour les garde-fous de la liberté et des valeurs humanistes. Secrètement, jusque dans les années 1970, les empires capitalistes et « socialistes » ne firent que de la science nazie en « mieux », non sans y oublier le côté inhumain des recherches comme par exemple des tests sur des cobayes humains du côté des États-Unis (cf. épisode 1)[12].
Sans polémiquer d’avantage, il faut reconnaître que la recherche technoscientifique est plus qu’américaine ou nazie ou soviétique, elle est foncièrement industrielle et étatiste, centralisée et capitaliste, là est son essence.
C) Les programmes biologiques
intégrés à la Big science (1945 – 1972)
Après la Seconde guerre mondiale, la production d’armes biologiques est officiellement stoppée… mais elle continue officieusement. Le rapport Baldwin de 1948[13] construit pour la première fois l’argumentaire qui deviendra courant chez les militaires : il faut développer des « programmes de protection » pour « combattre la menace » des armes biologiques des pays adversaires (aujourd’hui des terroristes). Toujours utilisé de nos jours, cet argumentaire est le secret de polichinelle des armées. Les instituts de protection et de surveillance des armes biologiques et du « risque biologique » sont en même temps et fondamentalement, des centres militaires de création et de conservation de ce type d’armement, de leurs tests, de leurs fabrications ainsi que de leurs remèdes. L’exemple le plus célèbre est le Defense Threat Reduction Agency (DTRA) dépendant du département de la Défense étasunien (DoD). On y reviendra.
La partie recherche, c’est-à-dire la militarisation d’agents pathogènes naturels, leur conservation et la mise en place de procédés de fabrication, est coordonnée dans les années 1950 par le jeune chercheur Bill Patrick[14] au sein du camp Detrick. Alors qu’en Europe se tient le procès de Nuremberg sur les crimes nazis et qu’au Japon le tribunal militaire de Tokyo juge les crimes nippons, Bill Patrick, en toute tranquillité, recueille le scientific power allemand et surtout japonais, notamment le chef du programme biologique, Shiro Ishii, son équipe et ses archives[15]. Une collaboration fructueuse débute.
« Le gouvernement américain décida de garder le secret sur ces atrocités car le Dr Ishii et son équipe s’étaient arrangés avec les autorités américaines, utilisant leurs résultats de recherche comme monnaie d’échange pour éviter d’être poursuivis comme criminels de guerre. »
Roy Porter, The Greatest Benefit to Mankind: A Medical History of Humanity, W.W. Norton, traduit et cité dans Clifford D. Conner, Histoire populaire des sciences, Éditions l’Échappée, 2011.
À la lecture de Miller et al. dans Germes[16], nous ne pouvons nous empêcher de donner un extrait de l’interview qu’ils donnèrent à Bill Patrick lui-même. Cela montrera mieux l’ambiance au sein du toujours en activité U.S. Army Medical Research Institute of Infectious Diseases (l’Institut de recherches médicales sur les maladies infectieuses de l’US Army, USAMRIID) du Fort Detrick :
« Ses souvenirs, tueries d’animaux, infections d’êtres humains, découvertes de nouveaux instruments de mort, ne le tourmentaient pas. Tout cela, à ses yeux, relevait de l’opiniâtreté militaire, de la dissuasion nécessaire, de la sauvegarde des forces nationales. ‘A l’époque, l’objectif était de résoudre le problème, non d’ergoter sur les ramifications philosophiques de ce que nous étions en train de faire, nous dit-il. Le vendredi, quand nous plaisantions, assis en rond, ce n’était pas pour dire : Nous avons l’obligation morale de réduire ceci ou cela ! mais : Comment allons-nous augmenter la concentration ? On ne reliait jamais notre activité à des gens.’ »
Germes, les armes biologiques et la nouvelle guerre secrète, Miller, Engelberg et Broad, Fayard, 2001, parlant de Bill Patrick. Extrait cité dans la brochure « Les assassins sont parmi nous : Lyon, Grenoble, les armes biologiques », distribuée entre Lyon et Grenoble à plusieurs milliers d’exemplaires.
La pensée technicienne – qui a complètement contaminé la science depuis la Seconde guerre mondiale (ce que nous avons appelé le Nouvel Esprit Scientifique) – balaye tous jugements moraux du nouveau métier de chercheur. Aucun scientifique n’y échappe, Bill Patrick fait juste son boulot. Il le fait consciencieusement, comme le biologiste du CNRS fait le sien. Seulement son métier à lui l’amène de temps à autre à tester des armes de guerre sur des êtres vivants notamment sur des humains, pas de bol. « C’est comme ça » pourrait-il dire. Là est le geste obscène, vite oublié, mais qui pour nous dit toute la barbarie à l’œuvre de la biologie moderne, c’est-à-dire la faculté de rendre acceptable ce qui était jugé tabou, immoral auparavant : par exemple gazer des animaux à l’anthrax pour Patrick ou broyer des cerveaux de rats à longueur de journée (si, si nous avons été témoin de cela dans un laboratoire civil de biologie du CEA à Grenoble) pour d’autres. Et cela sous la bénédiction de « la Science », de « l’Armée », de « l’Intérêt de la Patrie », ou encore du « Progrès » comme facteur de légitimation final.
Cet acte ne peut se faire seulement si le primat technique (« augmenter la concentration ») a pris le pas sur le primat moral (« faire le bien ») ou plus exactement, seulement si le fait technique devient la dernière des morales : faire techniquement bien quelques choses c’est faire le bien. Vous connaissez sans doute la figure du bourreau Eichmann, jugé et pendu alors qu’il avait bien fait son travail pour que nous n’ayons pas à y revenir d’avantage[17]. Si le troisième Reich avait gagné la guerre, ce genre de personnage seraient des héros comme Bill Patrick l’est encore (7 récompenses de l’US Army, réception de l’ordre militaire du mérite médical en 1986 et enterrement en grande pompe en 2010). Le primat technique ou scientifico-technique dépasse les clivages culturels et idéologiques, il est le socle commun de notre époque industrielle, ancré aussi bien dans nos imaginaires que dans nos rapports sociaux. Nous pourrions vivre sous l’ère culturelle nazie au lieu de l’ère culturelle américaine, cela ne changerait rien au fait que la technologie et la technoscience seraient au centre de nos préoccupations. Certes il y aurait eu sans doute plus de morts et plus de barbarie, plus rapidement et de manière plus débridée, certes nous serions peut-être torturés, enfermés et génocidés. Mais il n’est pas certain qu’en dernière analyse, les barbaries japonaises, américaines, russes, françaises ou de n’importe quel autre empire industriel, soient plus douces et nous donnent plus de libertés quand ce qui nous attend dans les décennies à venir, ce sont des versions soft de l’eugénisme, de la surveillance généralisée, de la guerre intégrée et de l’hétéronomie totale. Mais trêve de philosophie, revenons à la guerre biologique.
Les Soviétiques de leur côté, après les pertes énormes de la seconde guerre mondiale, décident de renforcer l’Armée rouge en la dotant d’un programme structuré d’armement biologique (il sera complété d’un programme « civil », dans les années 1970, le Bioprepartat, nous y reviendrons). Ils récupèrent les plans des installations militaires à Pingfan en Manchourie après la défaite japonaise de 1945 et reproduisent l’usine dès 1946 à Sverdlovsk, leur permettant dans un premier temps et sans un fort scientific power, de produire des stocks d’anthrax conséquents… au cas où, on ne sait jamais ! Leur programme biologique repart de plus belle dès 1947 quand un centre de production d’armes virales dont la variole est construit à Zagorsk. Dans les années 1950, les Soviétiques testent leurs armes sur deux îles de la mer d’Aral (Komsomols et Vozrozhdeniye), dont nous reparlerons comme illustre témoin du principe du laboratoire-monde et de ces contaminations qui infectent encore de nos jours des populations civiles.
Du côté américain, la production à grande échelle d’agents biologiques commence en 1956. C’est le site de Pine Bluff Arsenal en Arkansas qui est choisi pour la construction d’une nouvelle usine constituée de lignes de production ultra-modernes où s’applique le taylorisme le plus poussé permettant à l’armée d’acquérir des stocks d’agents pathogènes de plusieurs centaines de kilos[18]. Cette production industrielle répond à la doctrine du « not first use », c’est-à-dire la capacité d’une réponse militaire immédiate totale et de même type en cas d’attaque biologique russe. En parallèle une section produit en masse anticorps, vaccins, antibiotiques et matériels de protection pour l’infanterie pour le cas où il faudrait intervenir après coup sur le sol russe.
Les scientifiques doivent aussi faire des tests grandeur réelle – la modélisation informatique n’étant qu’à ses premiers balbutiements – pour comprendre les phénomènes de dispersion et de contagion de leurs jouets selon la très complexe dissémination par aérosol[19]. En 1965, une étude montra que les deux tiers des États-Unis avaient été atteints par un essai de dispersion de particules simulant le virus de la variole, celui-ci réalisé par l’US Army du Fort Detrick dans l’aéroport de Washington et dans les autocars Greyhound. En 1966 des spores modifiées de Bacillus globigii (souche non-virulentes) sont disséminés dans le métro de New York[20]. Un nombre important de ce type de tests est réalisé sans qu’on sache les chiffres et l’étendue exacte. Mais cela démontre que l’US Army met le paquet sur ce type d’armes.
Effectivement, dans les années 1960, le président Kennedy et son secrétaire à la Défense MacNamara, sous la houlette du directeur scientifique de Fort Detrick, Riley D. Housewright, renforce encore le programme d’armes biologiques américain sur le modèle triangulaire du projet nucléaire (recherche-armée-industrie) et compte sur les plus grandes sociétés américaines pour l’aider :
« Des sociétés telles que General Electric, Booz-Allen, Lockheed, Rand, Monsanto, Goodyear, General Dynamics, Aerojet General, North American Aviation, Litton System, et même General Mills, fabricant de Cheerios et Wheaties, s’associèrent au programme sur les germes. Sans état d’âme, le fournisseur de céréales déshydratées inventa la « dissémination en ligne source », un système destiné à répandre continuellement des microbes à partir d’un avion assurant de larges bandes de brume infectieuse. »
Germes, op. cit.
Une partie importante de cet arsenal mortifère devait servir le projet secret nommé « plan Marshall » dont la mission était de
« neutraliser et tuer un nombre important de Cubains […] Pour Housewright, le plan Marshall était une bonne chose, susceptible de sauver des vies américaines en cas d’invasion de Cuba. »
Germes, op, cit.
Le prétexte de tuerie préventivement pour sauver le plus de boys est l’élément de langage essentiel de l’armée yankee, maintes fois utilisé, permettant de justifier l’injustifiable : par exemple, deux bombes atomiques sur le Japon et plus de 100 000 morts d’un coup.
C’est la période où le Fort Detrick, produisant initialement quelques pathogènes mortels, se diversifie en une gamme de produits morbides permettant d’envisager tous les scenarii possibles du paranoïaque État-major américain : agent biologique « ethnique » ne touchant qu’un type de population, agent invalidant adapté au climat de Cuba, d’autres au climat de la Russie, entérotoxine B staphylococcique (SEB) provoquant des intoxications alimentaires, ainsi que des cocktails mélangeant virus, bactérie et toxine provoquant un état de maladie avancé de plusieurs semaines (léthargies, paralysie, évanouissements, etc.) sans toutefois donner la mort en trop grand nombre. Car nos scientifiques sont humains voyez-vous… Non, ce n’est pas cela la vraie raison, même s’ils essaient de se justifier à l’instar de Housewright :
« Ces armes dites ’invalidantes’ révélaient l’aspect humain de la situation. Ce n’est pas comme balancer une bombe atomique, ce qui aurait été aussi facile, sinon plus. C’était un acte humain. ».
En réalité, d’humanité et de compassion ici il n’y en a point, la vraie raison de l’utilisation d’armes incapacitantes plutôt que mortelles tient au fait suivant :
« L’armée avait conclu assez tôt qu’il n’était pas nécessaire de tuer des soldats ennemis. La neutralisation virale était effectivement préférable à la mort, dans la mesure où un soldat malade immobilise plus de transports ennemis, et requiert plus de médecins, d’infirmiers, d’hôpitaux, de médicaments et de personnel administratif. La neutralisation des troupes pouvait, en outre, paraître plus humaine que la destruction pure et simple. Ce ne serait pas un moindre avantage, en particulier dans une démocratie où, en période de guerre, un désaveu public peut brutalement interrompre un plan ou une opération militaire en cours. »
À la suite de plusieurs incidents et devant le coût de plus en plus prohibitif d’entretien d’un arsenal complet d’armes biologiques (en plus des arsenaux nucléaires, chimiques et traditionnels), le président Nixon coupe en 1969 une bonne partie des crédits. Les stocks sont progressivement réduits au strict minimum du « struggle for threat » (lutte contre la menace). D’autant plus que la nouvelle menace « terroriste » et la fuite des cerveaux dans des pays ne disposant pas de la bombe et ayant envie d’en découdre, recommande aux Américains de se focaliser sur la protection et le renseignement sans toutefois abandonner à minima la recherche, notamment avec les avancées en génie génétique (il est recensé entre 1980 et 1986 51 projets militaires d’armes biologiques).
Nous ne ferons pas l’histoire entière du côté soviétique, le développement est quasi identique, avec les mêmes méthodes, les mêmes souches, à partir de 1953[21].
Les technosciences agencies des programmes d’armes biologiques, chimiques et nucléaires des américains et européens sont maintenant bien structurées à la fin des années 1960. Celles-ci ayant pompées les scientific power ennemis et ayant profitées de la structuration triangulaire, des avancées technoscientifiques ainsi que d’une opinion publique favorable pour avancer ses pions. Il va en être autrement à partir de 1972.
À la guerre totale par dispersion massive d’agents pathogènes les Américains vont tabler sur deux nouvelles stratégies : 1) le développement de pathogènes par génie génétique, en petite quantité pour potentiellement alimenter des techniques d’assassinat mais qui pourrait aussi faire l’objet d’une production massive dans des usines civiles, et 2) l’essor d’armes chimiques biocides et incapacitantes dont les molécules et les procédés de fabrications viennent de l’agrochimie et demandent beaucoup moins d’argent et de cerveaux.
On croyait donc la guerre biologique relayée à un passé barbare mais ce n’était sans compter sur les Russes qui, jouant les outsiders dans la guerre au vivant, développent à partir de 1973 un projet titanesque de recherche et de production d’arme biologique.
2° Le développement des armes biologiques continue après l’interdiction de 1972
À partir des années 1970, et devant certains scandales liés aux armes chimiques et biologiques (dont le plus connu fut la dissémination accidentelle en 1968 autour de la zone de test de Dugway d’un gaz neurotoxique tuant 6000 moutons et connu sous le nom de « Skull Valley sheep kill »), une nouvelle convention d’interdiction des armes biologiques fut promue par les États-Unis. À partir du moment où Nixon se désengage du programme biologique et devant l’insuffisance et la vétusté du Protocole de Genève de 1925, les américains font leur mieux pour durcir la législation sur ce type d’arme. En 1972 avec la signature de l’URSS et des États-Unis de la « Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction » dite « Convention de Washington »[22], l’opinion publique pense qu’il en est bel et bien fini de la menace biologique.
Nous allons montrer ici qu’en réalité la guerre au vivant par les armes biologiques continue et même redouble : les Russes lancent à ce moment le programme d’arme biologique le plus important jamais conçu, le Biopreparat, pendant que les américains aspergent la jungle vietnamienne d’agent orange et de napalm. Les technologies génétiques font leur entrée dans la guerre et les scientifiques militaires sont les premiers à essayer de triturer et recombiner des espèces vivantes afin de toujours plus produire de potentiel destructeur et de toxine artificielle. Bien sûr, c’est souvent 30 ans plus tard, une fois qu’il y a prescription ou que les témoins gênants sont morts, que le secret se dissipe, sans forcément avoir accès à toutes les informations bien sûr. Mais un fait inattendu va permettre la révélation minutieuse de tout un pan secret de la guerre biologique : la déliquescence dans les années 1980 de l’URSS provoque un véritable brain drain vers les pays occidentaux et dans les filets, les américains pêchent deux gros poissons d’un vaste programme secret de conception et de fabrication d’arme biologique soviétique.
Il faudra bien avoir en tête que nous ne sommes pas particulièrement russophobes et qu’il doit avoir du côté américain des programmes aussi glauques qu’en Russie. Mais l’histoire s’écrivant surtout par les vainqueurs, notre exposé profite de la révélation de ces scientifiques russes de haut niveau pour donner du grain à moudre à notre propos. Spasiba bolchoï tovarich !
A) Biopreparat, le Manhattan soviétique
Il est quand même important de préciser que les Russes ont beaucoup misé sur le programme biologique du fait du relatif faible coût des armes par rapport aux autres programmes. En effet, selon les dix critères de Rosebury[23] encore utilisés de nos jours, elles ont de nombreux avantages compétitifs. Peu chères, ce sont les « bombes atomique du pauvre ». Il a été estimé que, « pour une opération à grande échelle sur une population civile, à pertes humaines égales, il faudrait dépenser 2 000 dollars US par km2 avec des armes conventionnelles, 800 avec une arme nucléaire 600 avec l’arme chimique et seulement 1 dollar avec des agents biologiques. »[24]
Revenons au programme soviétique. Grâce à deux témoignages d’importance, celui du directeur du Leningrad Institute of Especially Pure Biopreparations, Vladimir Pasechnik puis celui du directeur adjoint du Biopreparat (le numéro deux du programme militaire biologique russe), Kanatjan Alibekov, nous avons une vue quasi-complète du programme soviétique[25]. Ce qui fit faire de nombreuses crises de panique aux RG américains tant l’ampleur et les ramifications de ce programme étaient immenses[26].
En effet, le XVe Directoire du ministère de la Défense, le Glavmikrobioprom (Département principal de la production microbiologique), développa le projet le plus vaste d’armes biologiques du monde, une sorte de projet Manhattan de la biologie, ultra-secret, le Biopreparat[27]. Sur décret de Leonid Brejnev datant de 1973 ce projet « prévoit la modernisation des armes existantes et le développement d’agents pathogènes génétiquement modifiés résistants aux vaccins et aux antibiotiques et destinés à l’usage militaire »[28].
Comme on l’a signalé en 1972, la convention de Washington est signée par une centaine de pays dont l’URSS preuve que le cynisme des militaires n’a pas de limite. C’est la « toufta », le mensonge qui prévaut. Cette convention interdit la fabrication et le stockage d’armes biologiques excepté en « quantité nécessaire » pour la recherche d’applications civiles et de paix. Bien sûr ! Toutes les puissances guerrières pourront jouer sur cette faille : c’est bien l’usage des armes biologiques qui est proscrit et non leur fabrication. D’autant qu’en 1972 aucun protocole international de vérification n’est mis en place.
Officiellement l’agence Biopreparat est une firme civile qui participe aux congrès internationaux, acquière des pathogènes par le biais de cryo-banques à l’Ouest. Officieusement le projet travaille sur les agents pathogènes les plus mortels du monde. Il a pour fonction le développement de nouvelles armes et la supervision des tests grandeur réelle. Biopreparat est basé un peu partout en Union soviétique, en Sibérie, dans l’Oural, en Ukraine ou encore au Kazakhstan. La base de test des armes ainsi créée se situe sur l’île de la Renaissance en mer d’Aral. Les accidents sont utilisés comme base pour de nouvelles expériences et étudiés en détails, c’est dire le cynisme du programme ! Au plus fort de son activité, l’ensemble du programme biologique soviétique compte 70 000 agents répartis dans 40 installations situé dans 15 villes à la fin des années 1980 et coûte plus d’un milliard de dollars par an.
Les scientifiques soviétiques n’hésitent pas à utiliser les avancées en génétique afin d’augmenter encore plus la virulence ou la contagiosité de leur pathogène. Alibekov nous explique comment ils sont parvenus à fusionner le virus Ébola avec celui de la variole. Mais ce n’est pas tout, le projet « enzyme » de Biopreparat consiste à modifier génétiquement des agents pathogènes dans le but de les rendre résistants aux traitements antibiotiques et aux vaccins. Alibekov fait mention de cette anecdote montrant le peu d’humanité qu’il reste aux humains : Le colonel Ustinov s’injecta accidentellement une souche militarisée du virus de Marburg en 1989. Son agonie fut minutieusement étudiée et l’on préleva la souche sur son corps. Les chercheurs la nommèrent « souche U » et elle fut approuvée pour une utilisation militaire en 1990. Y’a pas de petit profit.
Ce n’est pas la seule fuite. Au moins une a été reconnue par Boris Eltisne dans les années 1990, celle du 2 avril 1979, où un panache de spores d’anthrax hautement mortel est accidentellement libéré d’une installation secrète d’armes biologiques dans la ville soviétique de Sverdlovsk. Au moins 66 morts[29].
Même après la collaboration d’Eltsine avec les Américains, le programme biologique militaire russe n’a jamais vraiment cessé. Au moins trois sites secrets étudient et produisent virus, bactéries et agents toxines militarisés depuis 1975 : Pokrov, Berdsk et Omutninsk, avec notamment le projet « chimera » de recombinaison de plusieurs virus (Ébola, la variole et le virus de l’encéphalite équine du Vénézuela)[30]. En effet, là où jusque dans les années 1970 les armes étaient le plus souvent des organismes naturels sélectionnées pour leur forte dangerosité ou des toxines issues de ces micro-organismes, les avancées en biologie moléculaire (civile) ont permis de créer, à peu près à la même époque que la conférence d’Asilomar de Paul Berg dont on parlera dans l’épisode suivant, une deuxième génération d’armes biologiques encore plus nuisibles : virus chimères, bactéries à la base inoffensives comme le colibacille de l’intestin humain, mais modifiée pour exprimer la toxine botulique, virus exprimant des petites protéines humaines produites par le système nerveux (myéline, endorphines…) etc. En 2002, le chercheur Eckard Wimmer a réussi la première synthèse complète in vitro d’un agent pathogène, le virus de la poliomyélite. Paradoxalement, au moment où cette maladie neurologique grave a été éradiquée par vaccination, on est désormais capable de la synthétiser in vitro. Autre exemple, le Monde du 6 avril 1997 titre « Russie : une nouvelle arme biologique ». On y apprend que les chercheurs russes ont créé une souche d’anthrax résistant aux antibiotiques déclenchant une pneumonie mortelle en moins d’une semaine !
Les exemples sont pléthores d’un côté comme de l’autre. Aux États-Unis, c’est toujours à Fort Detrick que sont développées le doublet armes/remèdes, notamment au sein du United States Army Medical Research Institute of Infectious Diseases (USAMRIID) ou à la DTRA avec l’aide de la CIA. Les projets sont pléthores depuis que la manipulation génétique fait des miracles. Il y notamment les projets « Bacchus », « Jefferson » ou « Clear Vision » qui sont des opérations de « jeu de rôle terroriste » en conditions réelles où le but est la fabrication d’armes biologiques dangereuses à partir de matériel acheté dans le commerce. Ces expériences réalisées dans le plus grand des secrets frôlent allègrement la limite de la légalité et mettent en danger la population américaine sinon mondiale. La manipulation génétique concerne aussi les vaccins et autres produits génétique de la DARPA, l’agence de prospective du Pentagone. Celle-ci développe depuis 2001, via des entreprises de Biotech comme Maxygen, des routines de fabrication de vaccins à ARN et ADN permettant de fabriquer rapidement un nouveau vaccin correspondant à un pathogène nouveau[31].
Toute cette inventivité à détruire, du côté américain (OTAN) comme du côté de l’empire Russe, ne s’arrêtera pas avec des protocoles et des conventions (même citoyennes) mais elles pourront au moins être combattues seulement si les populations prennent conscience de la guerre en cours (et pas seulement celle en Ukraine) et que tous les sales boulots des scientifreaks, militaires comme civils, soient désertés.
La liste macabre des inventions guerrières ne serait pas complète sans expliquer plus en détail la façon dont ont procédé les États-Unis pour trouver les moyens de détruire massivement les conditions de vie et comment ils firent massivement ce genre de guerre, notamment sur les populations vietnamiennes. C’est une guerre totale, car aux massacres de masse se rajoutent la privation de mémoire collective et l’occultation affichée des crimes commis.
B) La guerre biocidaire par annihilation
biochimique et destruction
de la mémoire collective
L’agent orange est un composé chloré contenant des résidus de dioxine[32]. Utilisé pour détruire la végétation en prétextant dénicher des combattants – mais en réalité destruction des moyens de subsistance des populations civiles en les privant de leur culture vivrière dans une politique de la « terre brûlée » – l’agent orange fut principalement utilisé dans le cadre de l’opération Ranch Hand au Vietnam et subsidiairement au Laos et au Cambodge. Entre 1961 et 1971, l’armée américaine aurait à elle seule déversé 80 millions de litres d’herbicide contenant plus de 300 kg de dioxine, sur des centaines de milliers d’hectares. Les normes internationales fixent les seuils de dioxine à ne pas dépasser en millionième de gramme.
3 millions de personnes ont été malades ou sont mortes à cause de l’agent orange. Citons de nombreux cas de cancer et de leucémie, de malformations (absence de membre, cécité, surdité, tumeur externe), sans parler des fausses couches, des mort-nés et des naissances prématurées qui s’accentuent encore aujourd’hui dans les régions les plus touchées. Ce drame est aussi un « écocide » puisque les écosystèmes sont contaminés pour de nombreuses années (terres, eau, animaux…), les composés liposolubles se concentrant de génération en génération dans les graisses des animaux et des humains.
Ce crime de guerre n’a jamais été reconnu.
Cette séquence est emblématique de la guerre généralisée au vivant, d’abord par la non reconnaissance des Américains face à leur carnage sans nom. On sait pertinemment que c’est une stratégie sciemment orchestrée et efficace quand on sait que les faits se sont déroulés il y a plusieurs décennies et que les victimes, mortes pour la plupart dans une lente agonie, ne parleront plus.
« En 2009, la Cour suprême des États-Unis a ainsi débouté de leurs plaintes une association les représentants [des victimes] contre les 37 entreprises ayant fabriqué le défoliant. La justice américaine a estimé que l’agent orange n’était pas un poison au regard du droit international »
France Info, « Écocide : comment l’agent orange utilisé pendant la guerre du Vietnam a donné naissance à un concept juridique qui fait débat depuis un demi-siècle », 25/01/2021.
En France, la journaliste et ancienne militante franco-vietnamienne Tran To Nga se bat depuis 2014 dans un procès phare, contre 28 firmes du complexe agro-militaire de l’agent orange (notamment Monsanto ou Dow Chemical). Pour le moment, le tribunal d’Evry s’est déclaré incompétent pour juger sa plainte. En juin 2022, les avocats de la Franco-Vietnamienne ont fait appel de la décision en première instance du tribunal d’Évry.
Ces stratagèmes perfides font écho pour nous aux développements philosophiques de Jean-Marc Royer à propos de la stratégie de guerre au vivant initiée par ce qu’il appelle le « négationnisme » sur la pollution radioactive après les attaques sur Hiroshima et Nagasaki.
« Le négationnisme nucléaire, une idéologie étatique élaborée en même temps que la bombe, ne pouvait se déployer au grand jour qu’après coup, c’est-à-dire après que l’arme de destruction massive eut été testée avec succès sur les cobayes japonais, secret militaire et raison d’État obligent. Cette idéologie d’État post mortem (si l’on peut dire) perdure depuis 1945 et se renforce, enfouissant sous un sarcophage de béton la réalité des actes initiaux en même temps que leurs conséquences planétaires, devenues totalement inavouables une fois lancées la course aux armements et l’industrie du nucléaire civil. Avec la création d’agences de propagande relativement indépendantes, des appareils d’État – l’AIEA est créée en 1957 –, l’élaboration de ce négationnisme nucléaire est ensuite devenue l’affaire d’un village planétaire international solidement arrimé aux complexes scientifico-militaro-industriel. »
Jean-Marc Royer, Le monde comme projet Manhattan. Du laboratoire du nucléaire à la guerre généralisée au vivant. Le passager clandestin, 2017, p 217.
Nous pouvons appliquer ce « négationnisme nucléaire » (même si le mot nous semble un peu fort nous n’en voyons pas d’autre) aux autres formes de la guerre généralisée, car pour l’heure, aucune reconnaissance n’a été faite ni pour les victimes des essais atomiques habitants des zones exposés ou militaires, ni pour le largage de défoliant au Vietnam. Ni par exemple pour les habitants et les nomades dans le nord du Sahara, ou ceux de la Polynésie française victimes des essais nucléaires, chimiques et biologiques.
C’est une bataille par l’usure. Les états, États-Unis ou France, reconnaîtront les faits quand les crimes seront loin derrière nous et qu’il ne restera plus aucun témoin direct, alors que les actes sont prouvés et que les entreprises étaient au courant des effets délétères depuis belle lurette[33].
Ensuite, cette guerre biochimique totale démontre par l’exemple que potentiellement toutes les inventions biotechnologiques, malgré les bons sentiments de leurs inventeurs, ont une dualité intrinsèque. En effet, l’agent orange fut inventé en 1945 par le botaniste Arthur Galston afin de lutter contre les mauvaises herbes et ainsi augmenter les rendements agricoles des États-Unis. Dans les années 50, les scientifiques de mort du fort Detrick, toujours eux, sous la houlette du Department of Defense l’étudient pour une utilisation militaire. S’en suit sa fabrication massive par Monsanto et Dow Chemical, indistinctement pour le civil dans l’agriculture intensive et pour l’opération militaire Ranch Hand. Alerté par la militarisation de son invention et son utilisation lors de la guerre au Vietnam, Galston tente de monter au créneau juridique et politique. Lors d’une conférence scientifique à Washington en 1970, il invente le concept d’« écocide » qu’il définit simplement comme :
« La destruction délibérée de l’environnement [..] C’est cela qu’on appelle écocide. Elles ont peut-être été conçues pour tuer des plantes, mais en désignant leur action comme un écocide, on met en lumière le fait que vous ne pouvez pas juste tuer les plantes et prétendre qu’il n’y aura pas de conséquences sur les humains. ».
David Zierler, The Invention of Ecocide: Agent Orange, Vietnam, and the Scientists Who Changed the Way We Think About the Environment, University of Georgia Press, 2011, cité dans France Info, 25.01.2021.
Ainsi d’une découverte civile, une application militaire atroce est née (l’inverse est aussi possible). Tout cela pour signifier que l’intelligence générale, ce flux de nerfs et de temps humain, alignée sur le réseau capitaliste, n’a pas de vocation. Elle peut être utilisée pour différentes tâches, mais qui toutes ont trait soit à la puissance et à la domination étatiste soit à la domination marchande (le profit). Toutes les applications, sans distinction, participent à leur niveau à cette guerre généralisée au vivant car c’est la logique sous-jacente qui est morbide (cf. épisode 1). Ce sont les conditions de vie qui sont ici touchées plus que la vie. Sa génération, son autonomie et sa pleine potentialité. Que cela soit avec des pesticides appauvrissant les sols et donnant des cancers ou avec des défoliants, cette guerre marquera le futur de nos vies et celles des générations futures.
« Pour toutes ces raisons, la mémoire d’Hiroshima et de Nagasaki, si elle surnage à la surface de l’histoire enseignée, refoule profondément leur caractère de crime contre l’humanité.[…] Entre-temps, les milliers d’explosions atomiques, le déploiement des industries nucléaires dans le monde et son cortège de désastres depuis des décennies ont peu à peu entraîné un accroissement des radiations ionisantes à l’échelle de la planète, et la multiplication de diverses pathologies cancérigènes, tératogènes, et mutagènes évolutives et héréditaires. Comme le rapporte prudemment le biologiste Alain Dubois, ce serait ‘le plus grand crime imaginable contre l’humanité’ »
Le monde comme projet Manhattan, op. cit.
Nous trouvons que le sens du mot « crime contre l’humanité » ne convient pas puisqu’un crime a un début et une fin et qu’il est commis par une subjectivité, or ici il y a eu un début mais il n’est pas assuré qu’il y ait une fin, même s’il y a bien des coupables clairement définis. Comme le disait gravement Günther Anders :
« Les expressions de “menace de l’humanité par elle-même” ou de “suicide de l’humanité” sont fausses. Nous devons renoncer au moindre espoir qui reposerait sur ces expressions. Le temps de la fin dans lequel nous vivons, pour ne rien dire de la fin des temps, contient deux sortes d’hommes : celle des coupables et celles des victimes. Nous devons tenir compte de cette dualité dans notre réaction : notre travail a pour nom “combat”. »
Gunther Anders, Le temps de la fin, L’Herne, 2007.
Encore une fois ce qui nous intéresse ici n’est pas forcément de faire un catalogue des atrocités pour en mettre plein la vue mais de démontrer que cette guerre est menée contre les vivants dans leur globalité et quelle est généralisée à l’ensemble de la planète et intégrée aux processus capitalistes d’accroissement de la puissance notamment dans la force motrice de celui-ci : la technoscience.
Il est temps d’en venir à notre modernité, celle du technocapitalisme triomphant, où la croyance en la fin de la guerre totale, bien qu’encore vivace, doit laisser place à la vision d’un continuum guerrier jamais interrompu depuis plus d’un demi-siècle. Les annonces grandiloquentes, depuis le signal « chute du mur » jusqu’à la « lutte contre le terrorisme » et les « états d’urgence » ne sont qu’un écran qui masque la lutte de fond du technocapitalisme contre les vivants. Voici comment les militaires et les États ont continué à être présent dans la course mortifère, en justifiant leur rôle « préventif » et « défensif » leur permettant de continuer comme avant le développement des forces guerrières et offensives dans un front sans limite.
C) La « Biodéfense » comme continuité
du développement civilo-militaire
des armes biologiques
Au démantèlement de l’URSS en 1992, Eltsine le libéral montre patte blanche. Il abandonne la plupart des installations, coupe les crédits et dissout le XVe directoire au profit d’un « département militaire pour la défense contre les armes nucléaires, biologiques et chimiques ». On connaît maintenant la musique de toutes ces agences militaires où il faut comprendre l’inverse de ce qu’il est dit : la Défense c’est l’attaque, le contre c’est le pour, la réduction c’est la propagation, etc. Les employés abandonnent l’île de la Renaissance en 1992 avec ses fûts à moitié enterrés et ses installations vétustes. Des cas de peste et de variole sont recensés sur toutes les côtes de la mer d’Aral. Eltsine, Clinton et le premier ministre anglais John Major aboutissent à un accord en 1992, le Biological Weapons Convention (BWC) selon lequel les Russes s’engagent avec l’aide des Américains à « la conversion des anciennes installations dans des centres de recherche scientifique pacifiques »[34]. En 2003, La Defense Threat Reduction Agency (« agence de réduction des menaces » ou DTRA) appelé « Ditra » par ses 2000 employés, mène une expédition pour neutraliser ce qui était probablement la plus grande réserve de bacille du charbon au monde (100 à 300 tonnes de bacilles)[35] sur l’île, en se basant sur son modèle du démantèlement du programme nucléaire soviétique réalisé sous mandature Clinton (le Nunn-Lugar Cooperative Reduction). Aujourd’hui, la DTRA est présente dans pratiquement tous les pays de l’ex-Union soviétique comme accaparement camouflé du scientific power par l’OTAN. Son rôle est assez ambigu, entre démantèlement, étude et conservation des installations soviétiques et recherche sur des pathogènes dangereux.
« Les principales tâches de la DTRA sont la réduction des menaces, le contrôle des menaces, le support aux combats et le développement technologique. »
Page wikipedia en français, article « Defense Threath Reduction Agency »
La DTRA est fondée en consolidant plusieurs organismes du DoD dont plusieurs agences et programmes nucléaires militaires étasuniens issus du projet Manhattan[36]. C’est véritablement une technoscience agency avec son côté dual « civilo-militaire », (dépense de 2,8 milliard de dollars en 2017) avec de multiples laboratoires, départements et programmes (dont le Chemical and Biological Defense Program (CBDP) situé dans le centre militaire biologique et chimique d’Edgewood (ECBC), technostructures pharaoniques à Aberdeen dans le Maryland, ville de bûcherons et de bases secrètes de l’armée mais qui produisit aussi un des plus célèbre rocker de l’histoire : Kurt Cobain.
Récemment l’agence a fait parler d’elle quand le gouvernement de Poutine réitéra en pleine guerre avec l’Ukraine les déclarations sur le fait que la DTRA et les États-Unis entretenaient des laboratoires d’armes biologiques en Ukraine.
D’abord il faut comprendre que les Américains sont bien implantés dans les laboratoires ukrainiens depuis la chute de l’URSS. La DTRA a des liens notamment avec le laboratoire du botulisme ou encore avec le CDC-Ukraine et l’étude de la prévalence du HIV chez les soldats ukrainiens[37]. Le Science and Technology Center in Ukraine (STCU) a été créé en 1993 pour soutenir les activités de R&D pacifiques des scientifiques et ingénieurs ukrainiens, géorgiens, ouzbeks et azerbaïdjanais précédemment impliqués dans le développement du programme Biopreparat. L’objectif était ainsi de mieux protéger les souches d’agents pathogènes en évitant un brain drain incontrôlé. Mais ce centre permet aussi l’accès des Américains aux anciens laboratoires de pointe soviétiques qui, dans les années 90, étaient parmi les plus performants au monde en biologie moléculaire et amélioration de souches pathogènes. Le savoir-faire macabre est donc entretenu en même temps que régulé par les Américains dans une alchimie complexe. Le 15 juin 2010, un nouveau laboratoire de recherche sur les pathogènes de classe 3 est ouvert à Odessa dans le cadre du DTRA, l’Institut de recherche Mechnikov Anti-Plague. Le laboratoire étudie les agents biologiques tels que la tularémie, la fièvre charbonneuse, la fièvre Q et les virus de chauve-souris (rage, corona virus et SRAS). Nous ne pouvons pas savoir si actuellement ces laboratoires sont impliqués dans la militarisation de souche, en tout cas les chercheurs travaillent à la sécurisation de certaines souches très virulentes ce qui est déjà en soi très problématique. Elles pourraient servir d’arme qu’on le veuille ou non. Ce qui prête encore plus à confusion sont les déclarations le 24 février 2022 de l’OMS recommandant aux laboratoires ukrainiens de détruire « tous les pathogènes les plus dangereux »[38], ce qui prouve qu’il y a bien en Ukraine des recherches au moins civiles de ce genre. En tout cas, qu’ils soient civils ou militaires, la destruction de ces laboratoires par un missile perdu ou mal intentionné serait dramatique pour les populations environnantes, voire pour l’humanité entière[39]. Nous en saurons plus dans trente ans, si l’humanité existe encore !
Et c’est là qu’on retrouve notre transfuge Alibekov, naturalisé américain sous le nom de Ken Alibek qui, en ce début des années 2000, crée la firme Advanced Biosystems pour capter lui aussi le brain drain russe :
« La société agissait comme une pompe à aspirer les anciens spécialistes soviétiques de l’armement et les dollars du budget fédéral de la recherche. La société visait à utiliser les techniques d’armement à des fins pacifiques en effectuant des recherches sur la défense contre les armes biologiques »
Germes, op. cit.
Encore une fois, le scientific power des perdants (en l’occurrence l’URSS) est capturé par le vainqueur, ici avec des moyens plus pacifistes que les agences de renseignements mais tout aussi efficace : l’argent et la diplomatie. En outre, ce qui a changé, c’est que la domination se fait maintenant en « partenariat » de terrain, et il n’y a plus besoin de convoquer des tribunaux-spectacles ou de rapatrier le matériel et les hommes dans la mère-patrie. Cela est plus subtil et « diplomatique » pour une opinion publique qui a encore en tête les atrocités militaires de la seconde guerre.
Rappelons encore une fois que la Russie, les États-Unis et l’Ukraine ont toutes les trois signé la Convention sur l’Interdiction des Armes Biologiques (CIAB). Celle-ci prohibe, dans son Article I, le développement, la fabrication, le stockage, l’acquisition et la conservation des agents biologiques et des toxines (quels qu’en soient l’origine ou le mode de production) « de types et en quantités qui ne sont pas destinés à des fins prophylactiques[40], de protection ou à d’autres fins pacifiques ».
Quant au marché de la « biodéfense » il est florissant. Par exemple le programme Bioshield signé en 2004 par le Congrès US alloue un budget de recherche et développement de 5,6 milliards de dollars sur 10 ans pour l’amélioration de la production de vaccin contre l’anthrax, la toxine botulique et la variole[41].
Quant à la France, outre ses quelques agences civilo-militaires (CRSSA, SEB et IMTSSA)[42], elle n’a pas de prétention impérialiste et offensive en la matière. Elle préfère faire du business en vendant son savoir-faire acquis dans le désert algérien, en l’occurrence la fabrication de laboratoire de sécurité P4[43] à qui les veut, et maintien un programme de basse intensité. Par contre, l’armée française mise sur la propagande afin d’attirer les jeunes pour remplir les contingents professionnels, et là elle se lâche dans l’imaginaire biotechnologique. Exemple, le journal Libération du 27 juin 2022 propose un article élogieux sur la « Red Team », cette équipe d’écrivains de science-fiction français, pardon, de « producteurs d’imaginaire » payés par l’Agence de l’innovation de défense de l’armée (AID) et l’université PSL pour écrire des scénarios d’anticipation opératoire pour l’armée. Outre l’immixtion toujours plus grande de l’armée dans les affaires courantes – qui lui font vendre sa camelote idéologique sur quatre pages dans Libé – un des scenarii dévoilés fait état d’une possible attaque d’arme biologique :
Des « bioguerilleros urbains armés de petri-schnikov manipulent le monde vivant, introduisant des gènes codants pour certains composants du système nerveux dans des bactéries inoffensives de l’intestin […] Des États mettent au point de nouvelles bombes épidémiohumaines »
Tous ces galimatias futuristes où le réel se mélange à la fiction pour nous embrumer et où l’on comprend à demi-mot que les Russes sont des méchants hackers du vivant, montre s’il en est que, du côté de l’OTAN comme de celui du couple Chine-Russie, l’innovation dans l’art de dévivifier le vivant pour tuer est encore d’actualité et que cela n’a pas l’air de choquer grand monde, maintenant que tout le monde sait que la guerre n’est pas seulement une histoire d’arme mais d’une lutte des idées, à laquelle les universités et la science-fiction s’emploient allègrement depuis plus de 50 ans ! La guerre au vivant ne serait-elle pas aussi une guerre contre la critique vivante ?
3° Cinq thèses sur la guerre au vivant
Pour conclure ce long texte il nous sera plus facile d’avancer en thèse concise afin de marquer certains aspects importants de la guerre au vivant menée par les militaires.
A) La guerre biologique et la guerre atomique sont de même nature
Il n’y a pas vraiment de différence en termes de conséquences sur le vivant entre la mort nucléaire et la mort « biologique », ce drôle d’oxymore. Les deux sont une destruction des tissus, des cellules, des organes, des organismes ainsi qu’une destruction du milieu de vie et la non possibilité de sa régénération, tant biologique que mémoriale, le tout réalisé par des moyens massifs et artificiels. D’ailleurs, les lieux de tests d’armes biologiques sont voués au même sort que ceux pollués par le nucléaire : des no man’ s land propageant leurs poussières mortelles et amnésiques sur les populations alentours, Nous avons donné ici les exemples les plus emblématiques en l’occurrence, la zone militaire de Dugway américaine et l’île de la Renaissance russe, souvent étudiés par les militaires pour comprendre a posteriori les dégâts de leurs jouets[44].
D’ailleurs, la guerre généralisée au vivant peut être qualifiée de biocidaire dans le sens qu’elle impacte beaucoup plus les conditions de la vie que la vie elle-même. Les armes biochimiques ou biologiques emportent dans la tombe beaucoup plus que des individus : ce sont les conditions et les potentialités même de la vie (génération, prolifération, équilibre, liberté, autonomie, etc.) qui sont annihilées et un état de guerre permanent qui remplit le vide.
B) Le pompage des scientific power vaincus est un moyen de la course à la puissance
Le scientific power d’un pays est la forme que prend le capital quand celui-ci transite des nerfs et muscles vers la machinerie industrielle. Présent en tant que savoir-faire, personnels qualifiés, documentations, procédés, machines et infrastructures, il est pompé par les vainqueurs et les prétentions impérialistes des pays du sommet capitaliste. Concernant les armes biologiques, il a permis des démarrages de programme et des innovations spectaculaires qui auraient été difficile sans ce pillage.
Le savoir social général (general intellect) est la somme des scientific power comme processus d’égalisation au niveau supra-national de convergence du système industriel. Le pillage des scientific power est une version violente de l’élan général de propagation et de la dispersion des technologies à l’ensemble de la planète. Une connaissance ne peut rester secrète très longtemps et finira tôt au tard par devenir l’arme de l’ennemi, d’où la très peu secrète histoire des armes biologiques « top secrètes ».
Ainsi le pompage du scientifc power n’est pas la seule façon d’acquérir de la puissance. La circulation de l’argent, la mise en place de structures triangulaires (armée-recherche publique-industrie) et les partenariats étatico-entreprenariaux en sont d’autres exemples. Le savoir social général sous sa forme pure de connaissances scientifiques en données, graphes et courbes permet d’alimenter la machinerie globale du technocapitalisme dans sa course folle au dépassement de toutes ses limites et reports des contradictions vers des hauteurs de plus en plus abstraites, mais jusqu’où ? En cela la mentalité du « front ouvert » comme espace en conquête permanent sur le vivant et la nature est la philosophie générale du technocapitalisme.
C) Les scientifiques militaires sont la figure
emblématique du Nouvel Esprit Scientifique
« Nous n’avons jamais douté que nous faisions ce qu’il fallait faire. » dit Sergueï Popov aux journalistes. […] Si on se met à utiliser les manipulations génétiques pour créer de nouvelles armes, on fera des découvertes encore plus excitantes. Je crois que cela ouvre – chaque jour – de plus en plus de possibilités pour créer quelque chose de dangereux, de créer une nouvelle espèce d’armes. »
Germes, op. cit.
Là est la perte d’humanité que nous avons décrit dans l’épisode précédent comme rupture des tabous universels (tabou du meurtre, tabou de la modification en profondeur du vivant devenu vivant-machine) après la seconde guerre mondiale. L’exemple de Bill Patrick ou de Sergueï Popov pourrait paraître quelque peu « excessif » et loin des préoccupations quotidiennes, mais il n’en est rien ! Ce que nous faisons ici, en historicisant la barbarie, est une façon de dé-essentialiser, de mettre en exergue afin de la combattre, cette vision du monde et des êtres. Montrer que ce n’est pas une fatalité mais qu’il a fallu des hommes et des structures, des directives, des bâtiments et de l’argent, le tout enrobé dans la vision frontiste du Nouvel Esprit Scientifique, pour arriver à l’état déplorable de la structuration de nos consciences dans la vision technique du monde.
D) Le primat de la technique est la morale en même temps que l’idéologie de notre temps et fait partie de l’inhumaine condition humaine
Cette pensée technique macabre tant décriée dans le corps du texte (qui est une absence de culture humaine ou « humaniste ») a contaminé – à l’instar des virus du Fort Detrick – l’ensemble de la planète comme idéologie qui ne dit pas son nom. C’est une véritable machine de guerre au sens où, à partir de la seconde guerre mondiale, les idéologies naissent avant tout à partir du fait technique même. Celui-ci ayant colonisé la planète et les esprits de sa puissance et de son expansion dans ses câbles, ses autoroutes, ses bâtiments et l’électricité (en fait, c’est ce que nous nommons la « technologie »), c’est avant tout en tant que technique de remplacement de TOUTES les cultures vivantes que se situe la normalisation technocapitaliste de l’humain-machine. On peut l’exemplifier en mettant en surimpression les cartes de la biodiversité et celles des diversités linguistiques : les deux cartes se superposent parfaitement car les cultures ne peuvent vivre sans que les humains s’épanouissent dans un environnement hétérogène non normalisé. La virulence l’éthos technique est telle – quand le milieu humain est devenu un milieu technologique clos – qu’il n’y a plus de sortie possible par la « petite porte » des sous-cultures ou des cultures de résistances quand celles-ci à peine écloses, sont déjà englobées dans le grand maelström technologique. Peut-être pouvons-nous espérer un changement en « éclat » par une explosion vivace du peu de décence et de dignité qu’il nous reste ?
Héritières des programmes militaires nucléaires, les armes biologiques sont la deuxième génération d’armes totales. Elles ne sont pas destinées à faire la guerre des képis ou seulement à la marge mais beaucoup plus à propager l’annihilation, l’annihilation des consciences et du peu d’autonomie par leur capacité biocidaire et hétéronomisante. Elles font acte de la perte humaine de l’humain. En 1942, le président Roosevelt, tout en dénonçant publiquement les armes japonaises et nazies « terribles et inhumaines » qui menaçaient les États-Unis faisait preuve d’inhumanité en lançant quasi-simultanément le projet d’arme atomique et le projet d’arme biologique, tous deux sous le sceau du secret-défense. La condition technocapitaliste de l’homme moderne est une inhumanité en l’humain. Seule un combat dialectique, dépassant les contradictions dans l’action peut nous sortir de ce guêpier.
Il faut comprendre que ces recherches civilo-militaires activent une honte. Le fait est que le tabou du meurtre soit définitivement aboli, et que l’on en profite – de partout et tout le temps – pour fouler des deux pieds les millions de morts de la peste, de la variole, d’Ébola et de toutes ces fléaux naturels. Ce n’est plus l’heure de parler de la « responsabilité » du chercheur. Tout le monde travaille et fait ce qu’on lui demande, dans la machine productive, et le secret de polichinelle des armes biologiques permet d’éviter de voir la réalité en face tout en continuant les recherches ; permet de rêver un peu… La science gardant toujours son auréole de positivité et de prestige, au moins dans certains domaines précis, toujours porteuse dans les imaginaires de solution aux problèmes épidémiques et de progrès en médecine.
« Il y a bel et bien des coupables effectifs. Il y en a, aussi opaque qu’ait pu être jusqu’à présent la question de la responsabilité, et, même si la véritable question de la culpabilité commence seulement à se poser. […] Peu importe que l’un ou l’autre ait été jusqu’ici innocent, il devient coupable s’il n’ouvre pas les yeux à ceux qui ne voient pas encore et s’il ne hurle pas ce qu’il a compris aux oreilles de ceux qui ne comprennent pas encore. La faute n’est pas à rechercher dans le passé mais dans le présent et dans l’avenir. Les assassins potentiels ne sont pas les seuls coupables ; nous aussi, les morts en puissance nous le sommes. »
Günther Anders, L’obsolescence de l’homme, sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, EDN/Ivrea, 2002 (1956).
Notre but est d’essayer de provoquer un peu d’orgueil en vous, à la façon du : « Non, nous ne sommes pas que cela, nous sommes encore humains, sensibles, aimants et vivants ! ». Alors si c’est le cas, prouvons-le nous, éprouvons notre commune condition d’être humain.
E) Quelle que soit l’idéologie,
le technocapitalisme nous englobe
dans sa course normalisatrice
Le technocapitalisme participe d’un changement d’époque où les contradictions internes entre idéologies, moyens matériels et rapports sociaux sont résorbées dans l’union de l’humain, de la machine et de l’abstraction du nombre. Ainsi l’eugénisme, le transhumanisme, la technologisation des rapports sociaux, la virtualisation, la guerre biocidaire, l’acculturation et l’enlaidissement du monde ne sont que des processus parcellaires, des actes encore idéologiques, de la précipitation du monde dans le néant. C’est cela que nous avons nommé par commodité la guerre généralisée au vivant.
COMING SOON
Maintenant que nous sommes au fond du gouffre, que nous avons fait le tour du cercle militaire, nous abandonnerons celui-ci pour passer aux cercles civils. Nous tenterons dans l’épisode suivant, l’exploration de la guerre au vivant en tant que Parc à monstres de l’ingénierie biologique, où toute la substance de la vie s’épuise dans ces « bio-objets », mutants, cyborgs, chimères, et autres bricolages monstrueux réalisés par la cohorte des chercheurs scientifreaks plus fou que leurs œuvres, tel le schizophrène Paul Berg, la besogneuse Emmanuel Charpentier ou encore le maniaque du gène-ordinateur, le dénommé Craig Venter.
Groupe Grothendieck,
Grenoble, Décembre 2022
groupe-grothenideck@riseup.net
https://ggrothendieck.wordpress.com/
[1] Le « protocole de Genève » adopté par la SDN le 17 juin 1925 stipule l’interdiction des armes chimiques et biologiques mais sans procédure de vérification ni même sanctions en cas de violation par les pays contractants et n’engage que les pays contractants entre eux. La France le ratifie en 1926 en incluant des clauses spécifiques qui lui enlèvent toute efficacité en cas de guerre. Voir Patrice Binder et Olivier Lepick, Les armes biologiques, PUF, coll. Que sais-je ?, 2001.
[2] La fièvre charbonneuse est issue du bacille du charbon (Bacillus anthracis). La forme militarisée sont des spores dispersés en aérosols entraînant la forme respiratoire de la maladie. Celle-ci pouvant conduire rapidement à la mort si elle n’est pas traitée (taux de mortalité de 50 %).
[3] Pour une histoire sérieuse et documentée des programmes d’armes biologiques français, voir La guerre biologique. Histoire française, Étienne Aucouturier, éditions Matériologiques, 2017.
[4] Voir P. Williams et D. Wallace, La Guerre bactériologique. Le secret des expérimentations japonaises, Albin Michel, 1990.
[5] La peste. Voir Les armes biologiques, op. cit. p. 49.
[6] Voir le documentaire Kizu, les fantômes de l’Unité 731 de Serge Viallet, 2004.
[7] T. Debord, Philippe Binder, J. Salomon, René Roué, « Les armes biologiques », revue L’Esprit du temps, 2002/4 n°81, pp 93-10
[8] Parmi les multiples bases militaires qui s’occupent des armes chimiques et biologiques aux États-Unis, le camp Detrick ou « fort » est encore actuellement la base centrale militaro-civile américaine de recherche sur les pathogènes les plus dangereux du monde comme Ébola, Marburg ou la variole. Il est le plus grand centre mondial connu de production d’armes biologiques pour la « biodéfense ». Il regroupe le Centre militaire de recherche médicale et de développement des commandements (MRDC) avec son centre de « biodéfense » USAMRIID. Il y a aussi l’Institut national du cancer (NCI-Frederick) ainsi que la Confédération nationale inter-agences pour les recherches biologiques (NICBR) et le Campus national inter-agences de biodéfense (NIBC). De multiples histoires sulfureuses tournent autour du Fort Detrick, notamment la célèbre fuite avérée de lettre piégées à l’anthrax en 2001. Nous vous laissons le soin de vous renseigner sur la page wikipedia en anglais « fort Detrick » ou alors avec le livre de Norman M. Covert, Cutting Edge. A History of Fort Detrick Maryland 1943-1993, contenant de nombreuses photos et des descriptifs détaillés jusqu’en 1993, disponible gratuitement sur archive.net (https://archive.org/details/cuttingedgeahist00fort)
[9] Les français arrivent a récupérer quand même plus de mille scientifiques allemands dont Jauernick, Müller, Bringer, Habermann pour les fusées dont le célèbre moteur Viking de la future fusée Ariane (LRBA et SEP) ; Oestrich pour les moteurs à réaction à la Snecma ; Sänger pour les engins spéciaux à l’arsenal de Châtillon (aujourd’hui Aerospatiale) ; Schardin et Schall pour les explosifs à l’institut Saint-Louis (ministère de la Défense). En plus des chercheurs, des centaines de cartons d’archives et 50 000 tonnes de matériel dont des usines entières démontées puis remontées en France.
[10] Bien que structurellement les Américains étaient loin devant les nazis et les Russes dans la plupart des disciplines technoscientifiques (nucléaire, biotechnologique, électronique de pointe, management des chercheurs), les nazis possédaient quelques chercheurs hors pairs notamment le SS Wernher von Braun, responsable du programme des missiles à longue portée Allemand (V2), qui travailla ensuite avec toute son équipe pour le programme de missile américain Redstone (puis Pershing et Jupiter) puis pour le programme Apollo de la Nasa. A ce sujet il est important de signaler que la plupart des opérations secrètes d’Intelligence et de capture du scientifc power nazi dépendaient d’une branche du projet Manhattan ayant pour nom de code « Alsos ». Voir le passionnant mais non encore traduit livre d’Annie Jacobsen, Operation Paperclip The Secret Intelligence Program that Brought Nazi Scientists to America, Little, Brown and Company, 2014.
[11] Johann Chapoutot, Libres d’obéir. Le management du nazisme à aujourd’hui, Gallimard, 2020 et Josiane Olff-Nathan (sous la dir.), La science sous le troisième Reich, Seuil, 1993
[12] D’autres exemples de tests grandeur réelle : aux États-Unis des tests de dispersion de spores sont effectués sur des prisonniers du pénitencier de l’Ohio et sur la population civile de la baie de San Francisco avec des souches non virulentes. Lors de la guerre de Corée, les Américains furent suspectés d’avoir propagé la peste et le choléra par largage d’animaux. Une commission d’enquête internationale découvrit en effet une épidémie de peste et de choléra dans les zones de largage des bombes. Les experts de la commission ont trouvé des oiseaux ayant le bacille de la peste et des insectes portant celui de l’anthrax. D’après Mao Tsé Tong toutes ces attaques n’auraient pas fait beaucoup de morts : quelques centaines chez les militaires et environ 2000 civils. D’autres allégations impliquant des largages épisodiques d’agents pathogènes – il est vrai jamais prouvés avec certitude – se font entendre au Sud Vietnam puis à Cuba par les Américains. Voir Les armes biologiques, op.cit. p. 56-57
[13] Voir la page wikipedia en anglais « Ira Baldwin ».
[14] William C. Patrick III dit Bill Patrick travailla 37 ans au Fort Detrick, notamment sur la stérilisation des salles et du matériel mais surtout à la militarisation de souche virale et bactérienne et à leur production de masse. C’est lui qui conçu, alors à peine âgés de trente ans, les plans de l’usine de production de Pine Bluff Arsenal (PBA) en Arkansas. Très intelligent et d’un fort cynisme, il supervisa des opérations d’infection de cobayes humains notamment celles en plein air de la fièvre Q (virus ayant une mortalité équivalente à la grippe Influenza mais beaucoup plus incapacitante) sur une trentaine de pacifistes adventistes à la base de Dugway Proving Ground (DPG) dans l’Utah en 1955, nonobstant quelques contaminations imprévues de techniciens militaires et d’un aviateur. À la suite du « succès » de ces expériences, Patrick dit : « Nous étions fous de joie ». Voir le chapitre 2 « Le guerrier » de Germes, op. cit. et plus précisément pp 54-56.
[15] En effet Ishii négocie avec MacArthur l’immunité pour lui et son équipe ainsi qu’une solde à vie de l’U.S. Army, en échange de sa collaboration au programme biologique américain.
[16] J. Miller, S. Engelberg, W. Broad, Germes. Les armes biologiques et la nouvelle guerre secrète, New-York, Simon & Schuster, 2001.
[17] Günther Anders, Nous, fils d’Eichmann, Payot et Rivages, 1999.
[18] 45 litres d’agents de la fièvres Q et 200 litres de virus de l’encéphalite équine vénézuélienne (VEE) ainsi que des missiles pouvant larguer à 16 km d’altitude, 144 kg d’agent infectieux sous forme d’aérosol se dispersant sur 150 km² permettant de « neutraliser » plusieurs centaines de milliers d’individus.
[19] Les armes biologiques, op. cit. p 53.
[20] Voir la page wikipedia en anglais : « Unethical human experimentation in United States ».
[21] Pour une histoire détaillée des programmes soviétiques voir le livre du biologiste kazahk, Ken Alibek de son vrai nom Kanatjan Alibekov, transfuge du programme d’armement biologique soviétique aux États-Unis, Biohasard, La Guerre des germes, Presses de la Cité, 2000
[22] La Convention sur l’interdiction des armes biologiques du 10 avril 1972 (entrée en vigueur le 26 mars 1975) est promue par le président Nixon, qui estime que l’arsenal nucléaire des États-Unis est suffisant tout en continuant un programme biologique de basse intensité. La France ne signera qu’en 1984 prétextant des défauts dans la convention concernant les closes de vérification mais en réalité ce temps lui permet de démanteler des installations militaires dans le Sahara à Reggane : « Cependant, nous pouvons supposer – sans toutefois pouvoir l’attester – qu’un programme militaire potentiellement offensif, au moins de veille, est demeuré actif en France après 1972. Nous exposons ci-dessous certaines de ces hypothèses. Ce maintien possible peut se justifier par l’inefficacité du droit international à mettre en pratique ses prescriptions, tous les pays n’ayant pas signé la convention de 1972 et les signataires s’inquiétant légitimement de ce fait pour leur sécurité. Il peut aussi s’expliquer par la nécessité de poursuivre la recherche biomédicale pour se prémunir contre d’éventuelles attaques et par conséquent celle de simuler de telles attaques, comme cela fut le cas des campagnes menées à B2-Namous. » (Étienne Aucouturier, La Guerre biologique, op. cit. p 218.
[23] En 1949, Théodore Rosebury, un microbiologiste américain qui été en poste au Fort Detrick durant la guerre, définit dans son ouvrage « Peace or Pestilence » ( Paix ou peste) les critères d’emploi d’agents biologiques à des fins militaires : pouvoir infectant élevé ; morbidité importante ; production massive et facile ; résistance de l’agent aux moyens chimique et pharmaceutique ; dissémination facile et rapide ; contagion élevée ; immunité difficile ; traitement difficile ; détection difficile de l’agent ; Pas de retour à l’agresseur par l’agent. Selon ces critères, le CDC (Center for Disease Controle) classe les agents biologiques en 3 catégories dont la catégorie A est la plus dangereuse. Dans cette catégorie on trouve : la peste, l’anthrax, la tularémie, la variole, Ébola, Marburg, la toxine botulique, la fièvre hémorragique virale (Mapucho, Junin, Lassa). Voir Laurène Clauzon, thèse de pharmacie, Guerre biologique et bioterrorisme. Ou comment la nature devient une arme, Université Henri Poincaré, Nancy, 2009.
[24] Orient J.M. Chemical and biological warfare. Should defenses be researched and deployed. JAMA. 1989 ; 262 : 644-8. cité dans T. Debord, Philippe Binder, J. Salomon, René Roué, « Les armes biologiques », revue L’Esprit du temps, 2002/4 n°81, p93- p101.
[25] D’autres transfuges soviétiques nous en apprennent beaucoup sur le programme russe notamment Sergueï Popov, biochimiste au centre de recherche sur les virus appelé « VeKtor » puis à Obolensk. Voir le wikipedia en anglais « Sergei Popov (bioweaponeer) » ainsi que Germes, op. cit. pp 335- 339.
[26] Pour une introduction au programme Biopreparat voir Les armes biologiques, op. cit. Chap IV section 1.
[27] Bioprepart comptait 40 sites en Russie et au Kazakhstan, dont 8 centres de recherche et 5 usines de production à Stepnogorsk, Zagorsk, Kirov, Sverdlorsk et Striji, et un centre d’essais en plein air sur l’île de Vozrozdenija (l’île de la Résurrection) avec plus de 6000 hommes. Biopreparat n’est qu’une partie du programme biologique de l’armée soviétique. Ce projet regroupe plusieurs agences dont le KGB (avec son programme « flûte » destiné aux assassinats et dont le Navoschok fait partie) ; le Ministère de l’agriculture, celui de la santé et l’Académie des sciences développèrent aussi des armes biologiques. En URSS, toute la recherche scientifique était civilo-militaire.
[28] Rapport n° 2788 de l’assemblé Nationale, de la Commission de la défense nationale et des forces armées sur la prolifération des armes de destruction massive et leurs vecteurs. p 99.
[29] Kai Kupferschmidt, « Anthrax genome reveals secrets about a Soviet bioweapons accident », science.org, 11/08/2016.
[30] « Pokrov, Berdsk and Omutninsk all revealed evidence of biological activity since 1975, such as large-scale production in hardened facilities, aerosol test chambers, excessive containment levels for current activity and accommodation for weapons-filling lines. » David Kelly (2002). « The Trilateral Agreement: lessons for biological weapons verification » in Findlay, Trevor; Meier, Oliver (eds.). Verification Yearbook, Londres, 2002 du VERTIC, et Ainscough, Michael J. (2004). ’Next Generation Bioweapons: Genetic Engineering and BW’ , rapport de l’U.S. Air Force, très documenté. Disponible en pdf : https://media.defense.gov/2019/Apr/11/2002115480/-1/-1/0/14NEXTGENBIOWEAPONS.PDF
[31] Germes, op. cit. pp341-346.
[32] Il est remarquable que dans la banlieue de Grenoble on a fabriqué dans les années 1970 l’Agent orange dans l’usine Progil : « la production partait directement vers la ville de Cholon, au Sud-Vietnam » (« On nous écrit : l’agent orange fabriqué aussi en France » Journal Lutte Ouvrière 22 Août 2022, https://journal.lutte-ouvriere.org/2012/08/22/nous-ecrit-lagent-orange-fabrique-aussi-en-france_28005.html). Voir aussi le Postillon, « De l’agent orange a été fabriqué à Pont-de-Claix » n°58, janvier 2021.
[33] « Un document interne de la firme Dow Chemicals, datant du 25 février 1965, révèle que les fabricants de l’agent orange connaissaient l’impact du produit sur la santé humaine. Ce jour-là, au programme d’une réunion secrète des fournisseurs, l’ordre du jour pointe sur les problèmes toxicologiques causés par la présence de certaines impuretés hautement toxiques. Finalement, tous tombent d’accord : mieux vaut ne rien dire de peur que le Congrès n’interdise le produit. » citation tirée de l’article « Agent orange : l’histoire cachée d’un écocide » sur Combat, le media, 16/11/2022.
[34] Rapport n° 2788 de l’Assemblée Nationale, op. cit. p 105.
[35] Rapport n° 2788 de l’Assemblée Nationale, op. cit.
[36] « Le rapport Defense’s Nuclear Agency, 1947–1997, retrace le développement du projet d’armes spéciales des forces armées (AFSWP) et de ses organisations gouvernementales descendantes, depuis sa fondation initiale en 1947 jusqu’en 1997. Après la dissolution du Manhattan Engineering District (MED) en 1947, l’AFSWP a été formé pour fournir une formation militaire aux opérations d’armes nucléaires. Au fil des ans, ses organisations descendantes successives ont été la Defense Atomic Support Agency (DASA) de 1959 à 1971, la Defense Nuclear Agency (DNA) de 1971 à 1996 et la Defense Special Weapons Agency (DSWA) de 1996 à 1998. En 1998, la DSWA, l’Agence d’inspection sur site, la Defense Technology Security Administration et certains éléments du Bureau du secrétaire à la Défense ont été combinés pour former la Defense Threat Reduction Agency (DTRA) », wikipedia en anglais « Defense Threat Reduction Agency », extrait du « Defense Nuclear Agency 1947-1997 », DTRA history Serie, 2002.
[37] « Application to the STCU Governing Board for approval of Partner activity by the Colorado State University, USA. »
[38] Jennifer Rigby, Jonathan Landay, « EXCLUSIVE WHO says it advised Ukraine to destroy pathogens in health labs to prevent disease spread », Reuters, 1er mars 2022.
[39] Une des recherches de ce laboratoire P3 concerne les virus de chauve-souris présent dans le sud de l’Ukraine. Voir l’article « Possible zoonotic viral threats associated with bats in southtern Ukraine » de Oksana Yurchenko et al. Proceedings of the Theriological School. 15 (2017) : 150–153. Leur conclusion est accablante quand on sait que cet article date de 2017 : « This fact should be considered at risk assessments of occurrence of rabies among humans and cats and of severe respiratory syndrome associated with coronaviruses in humans. »
[40] Prophylactique : qui prévient l’apparition de la maladie, opposé à curatif, qui guérit.
[41] Voir la page wikipedia en anglais « Project Bioshield Act »
[42] Pour comprendre en détail le programme de biodéfense français, voir la partie 3 « Comment faire face à la menace ? De la thèse de Laurène Clauzon, Guerre biologique et bioterrorisme. Ou comment la nature devient une arme, Université Henri Poincaré, Nancy, 2009.
[43] Voir l’article de Mediapart sur les tractations de la vente du P4 de Wuhan. « Labo P4 à Wuhan : l’usage militaire au cœur des doutes », 28/05/20120.
[44] La base du Dugway Proving Ground est un des lieux les plus contaminé des États-Unis. On y a perpétré : « 332 essais en plein air d’armes biologiques, 74 essais de bombes sales et huit réchauffements de matières nucléaires pour simuler la dispersion des retombées en cas de fusion de réacteurs nucléaires. Elle est toujours en activité. Voir Norrell, Brenda. « Skull Valley’s Nerve Gas Neighbors », Indian Country Today (Rapid City, South Dakota), 26/10/2005.