Lien vers la brochure en pdf : Nous sommes toustes en devenir
Texte de la brochure :
C’est possible que la vue codée rose/bleu des vêtements et accessoires d’enfants selon le genre te mette les nerfs à vif. Ou bien que tu sois une femme ou un homme qui se sente à l’aise dans ces catégories. Le mouvement de libération trans te défend dans tous les cas. Toute personne devrait avoir le droit de choisir entre des catégories de genre rose ou bleu, ou en toute autre nuance de la palette. Au jour d’aujourd’hui, ce droit nous est dénié. Mais nous pouvons, ensemble, en faire une réalité.
Voilà ce dont parle ce texte. Je suis un être humain qui aimerait qu’on ne s’adresse pas à lui en tant que madame ou monsieur. Je préfère user de pronoms de genre neutre[1] pour me définir. Je suis une personne qui se trouve face à une difficulté presque insurmontable lorsqu’on lui demande de cocher un F ou un M sur un papier administratif.
Je n’ai pas de problèmes d’être né avec un corps de femelle biologique. Et je ne m’identifie pas plus à un sexe intermédiaire. Seulement, je ne me sens pas de porter les concepts occidentaux dominants de ce à quoi « devrait » ressembler une femme ou un homme. Et cette réalité a gravement infléchi le déroulement de ma vie.
Je vous donne un exemple pratique. De décembre 1995 à décembre 1996, je me suis trouvé en train de crever d’une endocardite – une infection bactérienne qui se loge et prolifère dans les valvules du cœur. Un simple examen par culture des germes de mon sang aurait immédiatement révélé l’origine de mes terribles accès de fièvre. Huit semaines d’injections permanentes d’antibiotiques en intraveineuses auraient éradiqué jusqu’à la dernière souche de bactéries dans les circuits de mon cœur. Cependant, ce que j’ai expérimenté fut une telle haine de la part de certains toubibs que j’ai failli mourir.
Je me rappelle que tard, un soir de décembre, mon amant·e[2] et moi sommes arrivés aux urgences d’un hôpital, en pleine tempête de neige. J’avais plus de quarante de fièvre et celle-ci continuait à grimper, cependant que ma pression sanguine cognait dangereusement haut. Le personnel m’a immédiatement mis sous appareils de contrôle et s’est mis en devoir de faire tomber ma fièvre. Le médecin de garde commença à m’examiner physiquement. Lorsqu’il se rendit compte que mon anatomie était biologiquement femelle, il me renvoya un rictus qui en disait long sur ce qu’il pensait. Ne me quittant pas des yeux, il s’approcha d’une infirmière, qui était assise devant le tableau des instruments, et se mit à lui tripoter le cou et les épaules. Il lui parla de sexe pendant plusieurs minutes. Après cette démonstration appuyée de « sexualité normale », il me dit de m’habiller et quitta la pièce en faisant voler la porte. Encore dans le coltar, je me débattis pour arriver à enfiler mes habits, et pour arriver à me rendre compte de ce qui venait de se passer.
Le médecin revint lorsque je fus habillé. Il m’intima de quitter l’hôpital et de n’y jamais remettre les pieds. Je refusai. Je lui dis que je ne m’en irais pas tant qu’il ne me dirait pas pourquoi ma fièvre était si haute. Il me rétorqua : « C’est parce que tu es complètement tordue que tu as la fièvre ».
La façon dont m’a nui ce médecin, qui s’en prenait à moi en un moment où j’étais malade de manière catastrophique, aurait pu me coûter la vie. Le certificat de décès aurait porté : Endocardite. Mais en toute logique il y aurait dû avoir écrit : Fanatisme.
Alors que ma·on partenaire et moi nous fourrions dans une voiture glaciale, devant la porte des urgences, encore sous le choc de la haine de ce toubib, je me demandais combien de gentes avaient ainsi été privés de secours médicaux, en étant gravement malades – certain·es en fonction de l’écriteau d’apartheid « Blancs seulement » appendu à la porte des urgences, ou d’autres à cause des lésions bien visibles de sarcome de Kaposi[3], qui faisaient fuir le personnel loin de leurs lits. Je me souvenais d’une dartre qui ne voulait pas guérir, pour laquelle ma mère, dans les années 50, dut aller et retourner chez le docteur sans cesse. Je me souviens que celui-ci finit par lui donner une ordonnance pour du valium, parce qu’il avait décidé qu’elle était une hystérique. Lorsque ma mère finit par aller voir des spécialistes, ceux-ci lui dirent que le cancer avait déjà atteint son cerveau.
Le fanatisme lève son tribut sur la chair et sur le sang. Et si on les laisse inquestionnés, sans les défier, ces préjudices entraînent un climat empoisonné pour nous toustes. Chacun·e d’entre nous a un enjeu dans la revendication que chaque humain ait droit à un travail, à une protection, à la santé, à la dignité, au respect.
Je suis très heureux d’avoir cette occasion de lancer un débat avec toi, sur la question de ce qu’il est vital, aussi, de défendre le droit des individus à exprimer et à définir leur sexe et leur genre. Pour moi, c’est une question de vie ou de mort. Mais je n’en crois pas moins qu’elle a une grande signification pour toi. Toute ta vie tu as été bassiné·e avec le dogme de ce que doit être une « vraie » femme ou un « vrai » homme. Et il y a des chances qu’il y ait des choses qui t’aient heurté dedans. Tu as renâclé devant l’idée qu’être une femme veut dire être maigre comme un clou, qui cultive l’émotionnel, et une tête de linotte quand il s’agit de s’occuper de ses comptes. Tu sais par tes tripes qu’être un homme n’a rien à voir avec des muscles gonflés, le courage inné, ou bien savoir se débrouiller avec une tronçonneuse. Tout cela, ce sont des caricatures. Et pourtant ces images ont fait leur trou en nous au moyen de la culture populaire, de l’éducation, au cours des années. Et des messages insidieux, plus subtils, se tapissent dans les interstices de ces concepts sans nuances. Ces idées sur ce que devraient être de « vrais » hommes et femmes subvertissent la liberté d’expression individuelle. Ces messages sur le genre vont et viennent dans notre cervelle dans un manège perpétuel, comme des publicités qu’on ne pourrait faire taire.
Pourtant, au cours de ma vie, j’ai aussi vu des soulèvements sociaux, qui défiaient cette doctrine sur le sexe et le genre. J’étais enfant à l’époque du Mac-Carthysme, des années 50 du « papa-sait-mieux », et j’ai atteint l’âge adulte au moment de la seconde vague de libération des femmes aux Etats-Unis. J’ai vu des changements dans la manière dont les gentes pensaient et parlaient de ce que signifiait être une femme ou un homme.
Aujourd’hui, les acquis du mouvement de libération des femmes des années 70 sont la cible des propagandistes de droite. Mais beaucoup, qui sont trop jeunes pour se rappeler ce qu’était la vie avant le mouvement féministe, doivent savoir que celui-ci a produit un développement de progrès extraordinaire, qui a obtenu des réformes économiques et sociales décisives. Et ce combat mené par les femmes et leurs alliés a lancé en avant la conscience humaine comme un pendule.
Ce mouvement a remplacé les manières courantes et restrictives de définition des humaines biologiques par le mot femme et a insisté sur ce mot avec force et fierté. Les femmes, dont la plupart étaient auparavant isolées, se rassemblèrent en groupes de prise de conscience. Leurs discussions – sur les racines de l’oppression des femmes et comment l’éradiquer – résonnèrent bien au delà des pièces dans lesquelles elles furent tenues. Le mouvement des femmes fit jaillir une mise en cause massive de la dévalorisation systématique, de la violence, de la discrimination dont souffraient les femmes dans cette société. Et cette prise de conscience fit changer bien des manières selon lesquelles femmes et hommes pensaient sur elleux-mêmes, et menaient leurs relations mutuelles. Rétrospectivement, cependant, nous ne devons pas oublier que ces discussions foisonnantes n’étaient pas seulement organisées afin de parler de l’oppression. Elles furent aussi un échange gigantesque sur comment agir pour combattre les attitudes misogynes institutionnalisées, le viol, les violences, l’illégalité de l’avortement, les discriminations au travail et dans l’éducation, et d’autres manières dont les femmes étaient socialement et économiquement défavorisées.
Ce fut un grand pas en avant pour l’humanité. Et même la période de réaction politique qui suivit n’a pas été capable d’abolir tous les gains venant de cet important mouvement social.
À présent, un nouveau mouvement s’avance sur la scène : celui de la libération trans. Nous posons à nouveau la question du traitement social que subissent des gentes en fonction de leur expression de sexe et de genre. Cette discussion sera l’occasion de nouvelles contributions à la conscience humaine. Et les communautés trans, comme le mouvement des femmes, seront capables de combattre pour la justice – et de corriger les erreurs.
Nous sommes un mouvement de femmes biologiques masculines, d’hommes biologiques féminins, de cross-dressers[4] , d’hommes et de femmes transgenre, d’intersexes qui sont nés dans ce large intervalle qu’il y a anatomiquement entre femelle et mâle biologiques, de gender-blenders[5] , de beaucoup d’autres variantes de sexe et de genre, et d’autres définitions qui nous sont importantes. En somme, nous élargissons la vision du nombre de manières qu’il y a d’être humain·e.
Nos vies sont la preuve que le sexe et le genre sont bien plus complexes que ce que peut déterminer le coup d’œil d’un médecin dans une salle d’accouchement, bien plus variés que des layettes bleues et roses. Nous sommes opprimé·es parce que nous ne rentrons pas dans ces normes sociales étriquées. Nous contre-attaquons.
Notre combat aidera aussi à mettre en regard quelques uns des mythes dommageables sur ce que signifie être une femme ou un homme, et qui ont compartimenté, distordu ta vie tout autant que la mienne. La libération trans a un sens pour toi – de quelque manière que tu définisses ou exprimes ton sexe ou ton genre.
Si tu es une personne trans, tu t’exposes à des punitions sociales effrayantes – de l’internement au viol en groupe, d’être battu·e, à te voir refuser le droit de visite d’un·e enfant. Tous ceux qui marchent, à quelque titre que ce soit, sous la bannière de la libération trans, y sont confrontés plus ou moins. Cette brutalité, cette dévalorisation, nous spolie de ce que nous pourrions réaliser chacun·e dans notre vie.
Et même si tu ne t’identifies pas comme transgenre, ou transsexuel·le, ou intersexe, ta vie est amoindrie aussi par l’oppression qui nous frappe. Tes propres choix comme homme ou comme femme sont complètement mutilés. Ton itinéraire individuel pour t’exprimer est maintenu dans deux profonds sillons, et le bagage social dont tu peux disposer est déjà ficelé.
C’est pourquoi la défense du droit de chaque individu à contrôler son propre corps, et à explorer les sentiers de l’expression de soi, accroît ta propre liberté de te découvrir plus de potentialités. Ce mouvement te donnera plus d’espace pour respirer – pour être toi-même. Pour découvrir à un niveau plus profond ce que signifie être toi-même.
Je pense qu’ensemble nous pouvons forger une coalition qui peut combattre ta propre oppression comme la mienne. Ensemble, nous pouvons atteindre ce qui fait tort aux un·es et aux autres, et parvenir à ces changements décisifs après lesquels nous courons. Mais le fondement de l’unité, c’est la compréhension. Laisse-moi donc t’en dire, à présent, un petit peu sur moi.
Je suis un être humain qui en effraye certains autres. Quand ils me regardent, ils voient un kaléidoscope de caractère qu’ils associent aux côtés tant mâle que femelle. J’apparais comme un écheveau embrouillé de signifiants de genre. C’est pourquoi ils me pressent fiévreusement de répondre : femme ou homme ? Car ce sont les deux seuls mots que la plupart des gentes ont comme outils pour construire leurs questions.
« De quel sexe es-tu ? » Je comprends leur question. Elle paraît si simple. Et j’aimerais bien leur offrir une réponse tout aussi simple. Mais ne répondre que « homme ou femme » n’apportera aucun soulagement à cellui qui questionne. Tant que les gentes tenteront de me coincer dans une optique qui n’utilise que deux lentilles, j’apparaîtrai toujours comme une énigme.
En vérité je ne suis pas un mystère. Je suis une femme biologique qui est plus masculine que celles qui sont généralement mises en image dans la culture de masse. Des millions de femmes et d’hommes biologiques dans ce pays n’intègrent pas les étroits compartiments de genre qui nous ont été dits « naturels » et « normaux ». Pour beaucoup d’entre nous, les mots femme et homme, m’dame ou m’sieur, elle ou il – en eux-mêmes comme d’eux-mêmes – ne complètent ni la somme de nos identités, ni celle de nos oppressions. Pour ce qui est de moi, ma vie ne devient visible que lorsqu’on ajoute à l’équation le mot transgenre.
Ne faire que demander si je suis né femelle ou mâle ne résoudra pas la devinette. Avant que je puisse seulement commencer à répondre à la question de mon propre sexe à la naissance, je trouve bien plus important de mettre en cause la supposition que la réponse se décline seulement par l’un ou par l’autre. Je crois que nous devons avoir un regard critique sur le sous-entendu qui se construit à l’intérieur de la question apparemment innocente : « Quel mignon bébé – c’est un garçon ou une fille ? »
L’éventail anatomique des humains ne peut être compris, et encore moins apprécié, tant que femelle et mâle seront considérés comme étant tout ce qui existe. « C’est un garçon ou une fille ? ». Voilà les deux seules catégories autorisées sur les certificats de naissance.
Mais cette alternative ne laisse aucune place aux personnes intersexuelles, qui sont nées entre les pôles femelle et mâle. L’anatomie humaine s’obstine à faire éclater les limites du concept contemporain, selon lequel la nature flanque tous les bébés sur deux tapis roulant sans continuité aucune entre eux. Est-ce que les certificats de naissance en sont changés, pour refléter l’anatomie humaine ? Non, l’establishment médical américain triture et façonne au moyen des hormones, charcute chirurgicalement les délicates complexités[6] des enfants intersexuels, jusqu’à ce qu’ils rentrent clairement dans une catégorie ou dans l’autre.
Un chirurgien décide si un clitoris est « trop gros », ou un pénis « trop petit ». Voilà une décision hautement subjective pour n’importe qui, qui va décider du corps d’une autre personne. Surtout lorsque la personne qui prend la décision arbitraire est obsédée de chirurgie ! Et quel est le critère qui fait qu’un pénis est « trop petit » ? Trop petit pour des rapports hétérosexuels réussis. Les enfants intersexuels se voient d’emblée imposer leur sexualité, autant que leur sexe. Les enfants n’ont pas voix au chapitre sur ce qui arrive à leur corps. C’est clairement à l’intérieur même des frontières des USA que doit commencer le combat contre les mutilations génitales.
Mais cette question que l’on pose à tous les jeunes parents : « C’est un garçon ou une fille ? » n’est pas une question si simple, quoi qu’il en soit, dès lors que la transidentité est prise en compte. Des tas de trans hors du placard et fièr·es démontrent que les individus ont un sens profond, développé et fondé de leur propre genre, qui ne correspond pas toujours à la décision hâtive d’un obstétricien dans une salle d’accouchement. Et la transidentité n’est pas un phénomène récent. Il y a des gentes qui ont subi des réassignations de sexe social, et des changements de sexe chirurgicaux et hormonaux, tout au long du cours de l’histoire humaine, orale ou écrite.
Une fois donnée cette vue des complexités, des limitations des classifications de naissance, je n’ai aucune hésitation à dire que je suis né femme biologique. Mais cette réponse n’éclaircit en rien la confusion qui conduit des gentes à me demander « T’es un homme ou une femme ? » Le problème, c’est qu’illes tentent de comprendre l’expression de mon genre, en déterminant mon sexe, et c’est là que ça coince ! L’écrasante majorité d’entre nous a grandi avec les seuls concepts de femme et d’homme, les termes féminin et masculin sont les deux seuls outils que presque tout le monde a pour parler des complexités de l’expression du genre.
Ce dogme rose/bleu présuppose que la biologie gouverne notre destinée sociale. On nous a dit qu’être né·e femelle ou mâle va déterminer comment nous nous habillerons, comment nous marcherons, si nous préfèrerons nos cheveux coupés à ras ou bien long et ondulants, si nous serons émotionnellement épanoui·es ou réprimé·es. Selon cette manière de voir, les femmes masculines essaient de « ressembler à des hommes », et les hommes féminins essaient de « se comporter comme des femmes ».
Mais celleux d’entre nous qui transgressent ces présupposés sur le genre fracassent par là même leur inexorabilité.
Alors pourquoi est-ce que je me décris quelquefois comme une femme masculine ? Est-ce que chacun de ces deux concepts n’est pas très limitatif ? Certes. Mais mettre les deux mots bout à bout est incendiaire, fait exploser la croyance que l’expression du genre est ligotée au sexe de naissance, comme le cheval à la charrette. Voilà la contradiction sociale, qui est absente des livres d’école.
En ce moment, j’en ai marre de me décrire comme masculin. Pour une raison déjà, c’est que la masculinité est un territoire lourd à porter, qui englobe les frontières de nationalité, de race et de classe. Mais encore, c’est que les individus crament leur vie à traverser un terrain pareil.
Et ça ne m’est pas évident de décliner la matrice compliquée de mon genre comme simplement masculine. Pour moi, caractériser l’expression de soi individuelle comme simplement féminine ou masculine est comme demander aux poètes : écrivez-vous en anglais ou en espagnol ? La question laisse de côté la possibilité que la poésie soit composée en chinois ou en latin, en swahili ou en arabe. La question ne prend en compte que les langues dont on a parlé au poète. Elle ignore les mots que chaque personne qui écrit extirpe, petit à petit, de la source commune. La musique que font les mots quand ils se rencontrent pour la première fois. Le silence qui résonne dans l’étendue entre les pensées. Le vent plein de puissance de la passion et de la confiance, qui pousse le poète à écrire.
C’est pourquoi je ne soutiens pas que le genre n’est rien d’autre qu’une construction sociale – un des deux langages que nous apprenons mécaniquement depuis la nuit des temps. Pour moi, le genre est une poésie que chacun·e d’entre nous compose, à partir du langage qu’ille connaît. Lorsque je me promène à travers l’anthologie du monde, je vois des individus qui expriment leur genre dans des modes délicieusement complexes et toujours changeants, malgré la loi du pentamètre.
Alors, comment l’expression du genre peut-elle être réglementée, et réprimée par la loi ? Est-ce que ce n’est pas comme essayer de retenir dans sa main une boule de mercure ? Ce qui est vrai, c’est que l’expression de soi humaine est diverse, et emprunte souvent des voies ambiguës ou contradictoires. Et aussi que le degré d’expression de genre considéré comme « acceptable » peut dépendre de ta situation sociale, de ta classe, et aussi de si tu vis en ville ou bien à la campagne.
Ce que personne, cependant, ne peut nier, c’est que la rigidité de l’éducation au genre commence au tout début de la vie – depuis ce code rose et bleu des habits de bébés, au classement par genre des jouets et des jeux. Et celleux qui enjambent ces frontières arbitraires sont puni·es. Sévèrement. Quand la poigne de fer se resserre, ce sont des os vivants qui craquent. Personne ne sait combien de vies trans ont été perdues à cause de la violence policière, ni d’agressions dans la rue. Les vies des personnes trans sont tellement dévalorisées dans cette société que bien des meurtres ne sont même pas signalés. Et celleux d’entre nous qui avons survécu, sommes profondément marqué·es par des confrontations quotidiennes avec la haine, la discrimination et la violence.
Les personnes trans sont toujours de vrai·es hors-la-loi. Voilà pourquoi j’ai la volonté, quelquefois, de réduire l’ensemble de l’expression de moi à des descriptions comme femme masculine, butch, bulldagger[7], drag-king, trav. Ces termes sont ceux d’un statut hors-la-loi. Et je lève fièrement ma tête au milieu de ce registre policier. Le terme hors-la-loi n’est pas exagéré. J’ai été jeté en cabane par les flics, parce que je portais un complet et une cravate. Est-ce que ma tenue était vraiment un crime ? Est-ce que c’est un complet « réservé aux hommes » à partir du moment où je le porte ? Dans quelle mesure – et ce du champ de coton au porte-manteau – la fibre est-elle assignée au sexe ?
Le fond du motif pour lequel je fus arrêté était aussi froid que le sol cimenté de la cellule : je suis considéré comme une femme-homme. Ce qui est une violation de l’ordre genré. Mes sœurs féminines drag-queens se trouvaient dans les cellules voisines, attrapées pour avoir porté des vêtements « de femme ». Les cellules où on nous avait jetés offraient le même décor de barreaux et de ciment. Mais quand on nous a flanqué·es dedans – les drag-kings et les drag-queens – les flics ont désigné les cellules comme le trou des bulls et le trou des folles. Les cellules ont été nommées d’après nos crimes de transgression de genre. Des articles persistent dans les lois écrites, aujourd’hui, contre le travestissement et « l’usurpation de genre ». Mais quand bien même ces lois ne sont pas rédigées, la police, les juges et les maton·nes ont reçu le pouvoir de faire subir un châtiment sans pitié pour la « différence » dans le sexe ou le genre.
Je crois que nous avons besoin d’aiguiser notre critique de comment la répression par la police, les tribunaux, les prisons, tout autant que toutes formes de racisme et de fanatisme, fait tourner la machinerie du système économique et social qui gouverne nos vies. Et si toustes celleux qui ont pu renoncer à changer ce système se remettaient ensemble pour examiner ces questions d’un point de vue social, nous arriverions à discriminer le grain des vérités du son des mensonges. Il y a des tâches historiques qui nous font signe de prendre une place et d’agir.
Et c’est maintenant qu’il le faut. Et c’est pourquoi cette communication avec toi se présente avec un élan dirigé vers le combat contre cela.
Que faudra-t’il pour mettre fin à la violence « légale » et extralégale contre les personnes trans ? Comment pouvons-nous ôter des codes les lois injustes et absurdes qui codifient l’habillement et le comportement des femmes et hommes biologiques ? Comment pouvons-nous nous débarrasser de toute forme de discrimination transphobe, ou due à l’obsession de l’orthodoxie de genre ?
Où est-ce que le mouvement pour la libération du sexe et du genre entre en relation avec les autres mouvements pour l’égalité économique et sociale ? Comment pourrions-nous atteindre le point où nous aimerons nos différences, et ne ferons pas que les tolérer ? Comment pourrons-nous démanteler les barbelés électrifiés édifiés entre nous pour nous maintenir séparé·es, apeuré·es, et opposé·es les un·es aux autres ? Comment pouvons-nous former un mouvement qui puisse entraîner un changement profond et définitif – capable de transformer la société ?
On ne pourra répondre à ces questions que lorsque nous commencerons à nous organiser ensemble, prêt·es à combattre les un·es pour les autres. Comprendre ce que l’autre fera de nous des personnes franches, soucieuses de combattre l’oppression de l’autre comme si c’était la nôtre propre.
[1] Qui restent à inventer ou à finaliser en français – dans le texte anglais, L. Feinberg donne des exemples comme « sie » ou « hir » qui peuvent peut-être se voir rendues par les amalgames comme « ellui »…
[2] Ce mot n’a pas de genre en anglais…
[3] Cancer de la peau reconnaissable par l’apparition de tâches brunes sur la peau, souvent lié au virus du VIH.
[4] Travesti·es
[5] Personnes revendiquant un mélange assumé de genres
[6] En France, où on a un goût particulier pour le bistouri (sauf pour celleux qui le demandent en connaissance de cause !), on appelle ça du doux nom d’assignation de sexe.
[7] Lesbienne très masculine, musclée, souvent racisée.