La brochure en pdf sur le site des éditions de la dernière lettre / revue Z
La semaine du 16 au 23 septembre 2023 est une semaine internationale de soutien aux inculpé·es du 8 décembre.
De nombreuses informations sont disponibles sur les sites suivants :
Camille, Z l’a rencontrée lors d’une soirée publique de novembre au Magasin Général à Tarnac. Elle venait de Rennes pour raconter son histoire, celle des « inculpé·es du 8 décembre ». Neuf personnes arrêtées pour terrorisme sur la base d’un dossier révélant moins les faits que les fantasmes des services de renseignement.
Le 8 décembre 2020, j’ai été arrêtée à Rennes, en même temps que huit autres personnes dans toute la France. À Paris, à Toulouse, en Dordogne, dans les Côtes-d’Armor… On était plusieurs à ne pas se connaître. On a toutes et tous été acheminé·es à Paris où on a passé trois jours de garde à vue antiterroriste. À la fin, deux personnes ont été libérées. Pour les sept autres, nous avons été déféré·es devant les juges d’instruction. Là, deux personnes sont sorties sous contrôle judiciaire.
Pour moi et les quatre autres, c’est la détention provisoire qui commence. J’ai passé quatre mois et demi à la prison de Fleury-Mérogis. On est deux à être sorti·es mi-avril 2021, et ensuite il y a eu deux autres libérations mi-octobre et mi-novembre 2021. Actuellement, il reste encore une personne en détention provisoire, à l’isolement depuis le premier jour. On ne sait pas du tout quand elle pourra sortir[1].
C’est autour de cette personne que s’est monté le dossier, toutes les personnes inculpées le connaissent. C’est quelqu’un qui est parti soutenir les luttes au Rojava [voir ci-après]. Beaucoup de militant·es qui vont là-bas se font harceler par la justice française à leur retour, auditionner, saisir leur passeport… Là, la DGSI [Direction générale de la sécurité intérieure ndlr] a écrit un rapport postulant que cette personne voulait former un groupe « en vue de commettre des actions violentes sur le territoire français et européen » en se servant de techniques apprises en Syrie. Même si le rapport de la DGSI n’est basé sur aucun fait et uniquement sur des « notes blanches[2] », le parquet a décidé de se saisir de l’enquête, et la machine judiciaire s’est lancée. C’était en février 2020, dix mois avant qu’on se fasse arrêter. Cette affaire rentre dans un contexte plus global de durcissement envers les solidarités internationales. On l’a vu avec la décision historique du gouvernement d’autoriser l’extradition des Italien·nes[3], l’interdiction des manifs en soutien à la Palestine, le renforcement des contrôles aux frontières…
Donc dix mois avant notre arrestation, une enquête s’est mise en place : sonorisations de domicile, interceptions téléphoniques, filatures, géolocalisations soit par balises qui sont posées sous le véhicule, soit à partir des téléphones portables… Et au bout de ces dix mois d’enquête, pas grand-chose. Pour certain·es, des pétards expérimentaux ou des parties d’airsoft – avec des pistolets à billes, quoi. Iels appellent ça des « entraînements paramilitaires ». Nos propos ont été décontextualisés, vidés de sens, caricaturés. Dans mon cas, par exemple, je me suis mise en colère un jour où je n’ai pas pu encaisser un chèque à la banque alors que j’en avais vraiment besoin. J’ai dit : « Ça me donne envie de cramer toutes les banques. » Et voilà qui vient étayer l’idée d’un dangereux groupe qui veut s’en prendre aux institutions…
Judiciairement, notre chef d’inculpation, c’est « association de malfaiteurs terroriste en vue de commettre un ou plusieurs crimes d’atteinte aux personnes ». En gros, on est accusé·es de vouloir nous en prendre à des flics ou à des militaires. En plus de ça, après les gardes à vue s’est rajouté pour certain·es le fait de refuser de communiquer des codes de chiffrement (codes de téléphone, d’ordinateur portable…).
Le fait d’être inculpé·e comme terroriste, ça crée des conditions de détention un peu particulières : on a un statut DPS, pour « détenu·e particulièrement signalé·e ». C’est-à-dire que dans ce monde où la surveillance est totale, on te place sous des mesures de surveillance encore accrues. Concrètement, cela veut dire qu’il faut deux maton·nes et un·e gradé·e pour t’ouvrir la porte à chacun de tes déplacements. Cela veut dire aussi que tu as une palpation à chaque sortie de ta cellule. On te réveille plus souvent la nuit, soi-disant pour surveiller que tu ne te fasses pas de mal à toi-même. Ça peut aller de trois ou quatre réveils par nuit à un réveil toutes les heures, suivant les maton·nes et comment iels sont luné·es. Moi, le statut DPS m’a été notifié, mais pour d’autres, ça a été plus officieux. J’ai gardé ce statut DPS jusqu’à la fin, mais je suis redescendue d’un grade, ce qui veut dire que je suis passée d’un carton rouge sur ma porte à un carton jaune (il n’y avait plus besoin que de deux matonnes pour m’ouvrir la porte, et je n’avais plus les palpations à chaque entrée ou sortie de cellule).
On a aussi eu droit à deux ou trois semaines d’isolement chacun·e à notre arrivée – sauf la personne qui est encore à l’isolement après un an. Là aussi, c’était officieux. Avec le Covid, au début de ton placement en détention, tu es mis·e au quartier « arrivant·es » pendant quinze jours, au lieu de deux jours avant la pandémie. C’est comme le reste de la prison, dans une aile différente. Donc tu n’as pas les mêmes douches ni la même cour de promenade que les autres prévenu·es, tu es dans une
autre aile de la prison, mais sinon tout est pareil. Sauf que moi, pendant cette période, je n’avais pas le droit d’être en contact avec les autres arrivantes. Elles allaient en promenade ensemble, et il y avait que moi qui étais gardée à part. Je n’étais pas emmenée en même temps que les autres aux douches. Toutes les grilles étaient verrouillées les unes après les autres sur mon passage. Ça donnait lieu à des situations ridicules : une fois, une détenue faisait le ménage dans un couloir où je passais. Et du coup, elle a été obligée de se jeter derrière une grille, le temps de mon passage. Les matonnes lui hurlaient : « Mets-toi derrière la grille, mets-toi derrière la grille ! » Après ces quinze jours-là, j’ai pu aller en promenade avec les autres.
Une autre mesure bonus qui ne fait pas partie du statut DPS, mais qu’ils peuvent décider de te mettre, c’est les fouilles intégrales au moment des parloirs : tu dois enlever chacune de tes fringues, te tourner, montrer tes pieds, etc., avant de pouvoir retourner en cellule. Comme pour l’isolement, ton chef d’inculpation n’est pas censé être un motif légitime pour t’imposer ça, alors je suis allée au tribunal administratif pour faire reconnaître ces fouilles comme illégales. Je l’ai fait parce que c’est particulièrement invivable. Et aussi parce que plus il y a de décisions de justice dans ce sens, plus ça donne de poids aux détenu·es qui réclament leurs droits dans les prisons. Mais il faut savoir que ce sont des procédures longues, dont le résultat arrive toujours trop tard. Alors peu de gens en taule se lancent là-dedans, surtout que les avocat·es, ça coûte cher.
Quand tu es en taule pour terrorisme, tous·tes les autres détenu·es le savent. Déjà, il y a le carton rouge sur la porte. Vu que c’est des détenu·es qui servent les repas ou qui font le ménage, ça saute aux yeux de tout le monde. Après, le carton rouge, ça ne veut pas forcément dire terrorisme. Mais bon, ça crée forcément de la curiosité, et avec le bla-bla des maton·nes, t’es très vite identifié·e. Les personnes avec qui tu crées des liens, c’est beaucoup une question de feeling. Mais quand tu es en détention provisoire, il y a aussi une certaine pression, parce que tout ce que tu fais ou dis peut être retenu contre toi. Donc tu te dis : « Faudrait pas trop parler aux terros, pour pas être fiché·e… » C’était une notion très importante en promenade. Si t’es trop proche de certaines personnes, en fonction de ce qu’on leur reproche, ça pourrait jouer contre toi dans ton dossier…
J’ai pas mal parlé avec une détenue qui était là dans le cadre d’une enquête de terrorisme islamiste. C’était une jeune, elle devait avoir 18 ou 19 ans. Elle était en détention provisoire depuis six mois pour avoir échangé un message avec une personne qui était fichée, un truc assez délirant. En six mois, elle n’avait été auditionnée par aucun juge d’instruction. Sa famille avait payé plusieurs milliers d’euros à un avocat qui n’était jamais venu la voir, et elle n’avait plus les moyens d’en changer. Elle était complètement isolée. Ça montre bien ce que c’est que la réalité de l’antiterrorisme : un processus qui s’entretient lui-même et qui a besoin de faire du chiffre pour légitimer son existence, pour justifier de demander toujours plus de moyens, pour déployer des lois de plus en plus répressives. Là, typiquement, je pense qu’on est là-dedans, dans des histoires où rien ne justifie le chef d’inculpation, mais qui donnent l’illusion de l’efficacité.
C’est sûr qu’on voit bien la différence quand ça touche des militant·es blanc·hes qui font valoir leurs droits, où il y a de la réaction à l’extérieur, des comités de soutien, un peu de médiatisation… D’ailleurs, les prisonnières savent bien qu’il y a un traitement raciste. Beaucoup m’ont dit : « Ah mais t’es une petite blanche toute mimi, ne t’inquiète pas, tu vas sortir vite… » L’écrasante majorité des détenues sont des personnes racisées, et malgré mon chef d’inculpation pour terrorisme, je suis sortie bien avant beaucoup de femmes qui étaient en préventive avec des chefs d’inculpation pour vol ou pour prostitution. En France, on est le deuxième pays européen derrière la Roumanie à enfermer le plus en détention provisoire[4]. C’est littéralement de la punition préventive, c’est un système horrible.
Entre décembre et avril, j’ai eu deux auditions chez le juge d’instruction, et je suis sortie mi-avril. C’est incroyable, une sortie. C’est hyper surprenant et désarçonnant. Parce que le propre de la détention provisoire, c’est que ça te plonge dans une attente insupportable. D’un coup, ton temps est suspendu. Il est toujours suspendu à quelque chose. À ta prochaine audition, à ta prochaine DML [demande de mise en liberté], à un prochain acte d’enquête… La seule parade pour limiter l’angoisse, c’est de ne pas penser à ta sortie, et d’apprendre à vivre au jour le jour. Et au bout d’un moment, tu te mets tellement dans ce truc-là que le jour où on te dit « Tu sors », t’es pas prête, t’es vraiment pas prête du tout. On vient te chercher, c’est là, maintenant. On frappe à ta porte, on te dit : « Prépare tes affaires, tu sors. » Et là, c’est la panique.
Et puis c’est con, mais ça me tenait à cœur de rendre ma cellule propre, parce que j’avais envie que la prochaine après moi n’ait pas l’impression d’arriver dans un endroit gerbant. Et je voulais aussi donner mon poste radio, des CD, deux trois autres bricoles à une voisine de cellule avec qui je m’étais liée. Mais du coup, il fallait tout préparer en quatrième vitesse. Je lui ai fait un sac de côté, et j’ai harcelé les matonnes pour qu’elles le lui donnent, mais elles m’ont dit : « Elle doit d’abord faire un mot au chef de détention. » C’est une femme qui parle roumain, qui maîtrise mal le français, à qui personne n’expliquera comment faire. Je n’ai jamais su si elle avait pu les récupérer. Évidemment il y a l’excitation de la sortie, la surexcitation même, mais tout se passe dans la brutalité et il y a là à nouveau quelque chose de l’ordre de l’arrachement. Ça crée un sentiment un peu paradoxal.
Quand je suis sortie, ma mère était là, j’ai retrouvé des potes qui m’attendaient chez moi. Dans mon cas, moi qui ne suis pas restée longtemps enfermée, c’était hallucinant de voir à quel point les mécanismes et les repères du quotidien sont vites revenus. Pourtant, j’ai quand même dû réapprendre à respirer normalement. J’avais vraiment toute la cage thoracique bloquée, parce que la taule, ça contraint vraiment physiquement. Mon corps était réduit à son plus petit souffle, à l’infiniment petit.
Mais pour autant, depuis que je suis dehors, je ne suis pas libre. L’enquête est toujours ouverte et je suis sous contrôle judiciaire. J’ai interdiction de communiquer avec les personnes mises en examen, je dois pointer au commissariat. Il y a toujours la possibilité qu’il y ait des écoutes, des perquisitions ou des filatures. Tu passes juste d’un monde où la surveillance est totale à un monde où la surveillance est là, mais tu sais plus dans quelle mesure, parce qu’elle reprend son côté invisible. Du coup, c’est encore un temps suspendu, sans durée de fin précise. Pour la détention provisoire de la personne qui est encore enfermée, ça pourrait durer au maximum un an renouvelable deux fois, donc trois ans, plus un an et demi de délais exceptionnels en plus. Ce qui fait quatre ans et demi.
Au moment où je me suis fait arrêter, je voulais commencer une formation d’ambulancière, mais c’est tombé à l’eau avec la préventive. Du coup, en septembre, j’ai commencé une formation d’aide-soignante, mais je n’y suis pas arrivée, j’étais trop épuisée, je n’avais pas l’espace pour ça. Parce que ma temporalité était encore suspendue à tout un tas d’échéances. Il a fallu se battre pour avoir accès au dossier, puis lire des milliers de pages en deux ou trois semaines pour déposer des recours avant la fin des délais légaux… C’est énormément de travail. C’est aussi difficile de se projeter dans le temps long, il y a toujours potentiellement un procès à la clé, et suivant comment ça tourne, je ne sais pas si je ferai de la détention, si j’aurai une amende, si je serai relaxée…
On s’imagine un peu trop facilement qu’à la sortie, ce n’est que la personne qui sort de prison qu’il va falloir aider. Mais en fait, c’est faux. Une arrestation comme la mienne, ça touche l’entourage, les proches. Des gens qui, pendant que j’étais en prison, ont eux aussi vécu des traumatismes et des violences. Par exemple, plusieurs de mes proches ont été auditionnés par la DGSI ces derniers mois, jusque assez récemment. Du coup, il y a plein de choses à reconstruire, de dialogues à retrouver, d’appréhensions à adoucir…
Depuis nos arrestations, plusieurs comités de soutien se sont montés. En tant que comité de soutien à des personnes inculpées, il y a plein de choses qui sont possibles et imaginables. Ça peut être des rassemblements, l’écriture d’un texte, l’organisation d’un événement de soutien genre pro-jection ou concert… Le sou-tien, ça peut prendre plein d’aspects. Financier, par exemple, parce que les procédures sont toujours hyper onéreuses, et que tout coûte cher quand tu es en prison. Mais aussi politique. Quand est-ce qu’on se bouge ? Qu’est-ce qui semble pertinent ? À quelle occasion, avec qui ? Juridique encore, pour outiller l’entourage, pour ne pas rater une échéance importante. Parce que, des fois, tu te rends compte des mois après qu’il y a eu des loupés qui ne sont pas rattrapables, et qui vont avoir des conséquences. Un comité de soutien peut aussi réunir les ressources existantes et les faire passer aux proches, comme des brochures, des infos sur comment déposer des fringues au parloir, faire parvenir de la lecture…
L’existence de comités de soutien permet de créer beaucoup plus facilement tous types de liens de solidarité. Ça peut être entre des familles, même si dans le cas de l’antiterrorisme, c’est un peu compliqué parce qu’un chef d’inculpation terroriste, ça pose un truc, c’est pas quelque chose dont tu as envie de parler à ton voisin. Beaucoup se retrouvent isolées. Il y a bien des gens qui travaillent sur la défense des libertés, comme La Quadrature du Net ou le réseau « Antiterrorisme, droits et libertés ». Mais il y a une certaine tension autour du sujet, car en ce moment des associations se font dissoudre par le gouvernement, par exemple le CCIF [Collectif contre l’islamophobie en France][5]. Après, les liens de solidarité, ça peut être aussi entre différents types d’affaires parce qu’une histoire de répression quelle qu’elle soit reste une histoire de répression, et qu’il y a toujours du commun dans les mécanismes employés. Il ne tient qu’à nous de savoir les visibiliser et les affronter ensemble.
Une question qu’on m’a beaucoup posée, c’est comment communiquer sur l’antiterrorisme sans créer de la peur. Parce qu’on a pas envie que ça soit trop badant, que la peur empêche les gens de se bouger. La taule, c’est effrayant certes, mais c’est aussi une réalité vécue en France massivement, par plein de gens, comment ne pas en parler ? Pour moi, c’est important de discuter d’antiterrorisme et de répression. Quand on se pose la question de comment ne pas avoir peur, c’est qu’on a déjà peur, en fait. Donc expliquer, c’est nécessaire. Le tabou, le non-dit, c’est vraiment ce qui renforce la parano. Plus on comprend, plus on est conscient·e, et moins on a peur.
BIJÎ ROJAVA![6]
À la chute de l’Empire ottoman, en 1918, le Kurdistan est partagé entre la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Le Kurdistan syrien, ou Rojava, se situe au nord de la Syrie, le long de la frontière turque et irakienne. Il compte des Kurdes (environ 60 % de la population), mais se veut aussi terre d’accueil et de solidarité pour tous·tes. Les habitant·es du Rojava sont en lutte quotidienne pour maintenir une organisation autonome, féministe et écologiste face aux forces diplomatiques et armées des pays voisins et occidentaux. L’auto-administration du Rojava est organisée en assemblées à l’échelle la plus locale possible : quartiers, communes puis cantons. L’ensemble des peuples, religions, communautés ou catégories (par exemple LGBT ou handis), même minoritaires, est représenté dans ces assemblées. De plus, une structure politique puissante et indépendante est réservée aux femmes (assemblées, planning familial) dans le but de lutter contre le patriarcat.
Cette organisation appelée « confédéralisme démocratique » est portée par le PYD (Parti de l’union démocratique) créé en 2003. Ce parti est lui-même issu du PKK (Parti des travailleurs·ses du Kurdistan). Son leader et théoricien, Abdullah Öcalan, est emprisonné en Turquie depuis 1999, son parti étant considéré comme une organisation terroriste par l’État turc, mais aussi la France. Depuis 2012, la résistance armée,constituée des Unités de protection du peuple (YPG) et des femmes (YPJ), a repris des territoires et des villes contrôlées jusque-là par Daech, parmi lesquels la ville de Kobané. Puis le système de confédéralisme démocratique a été instauré, avec l’appui de l’organisation civile Tev-Dem. En 2018, l’armée turque et des rebelles syriens envahissent une partie du territoire, dont la ville d’Afrine. L’État français prétend soutenir le Rojava quand il s’agit de lutter contre Daesh et est bien content de laisser les Kurdes s’occuper des prisonniers, notamment ceux français. Mais quand il s’agit de prendre position contre les attaques de la Turquie, alliée de l’Otan, son soutien est tout de suite beaucoup plus mesuré…
Les lois antiterroristes en France : surveillons et enfermons-les tous·tes !
Si la Terreur désigne le régime d’exception mis en place au cours de la Révolution pendant lequel de nombreuses arrestations, exécutions sommaires, procès expéditifs et massacres ont eu lieu[7], le terme « terrorisme » recouvre dès le XIXe siècle les stratégies de contestation violente de l’État, notamment par le biais d’attentats. Ainsi, le terrorisme, doctrine créée pour renforcer l’État, son appareil répressif et judiciaire, caractérise désormais ce qui le conteste et tente de l’affaiblir.
La volonté de « terroriser les terroristes », selon les mots d’un ancien ministre de l’Intérieur, permet aux gouvernements d’introduire dans le droit un état d’exception. Ainsi, un état d’urgence est promulgué en 1955 en Algérie[8] pour tenter de maintenir la politique coloniale. En 1986, face à la série d’attentats commis par le Hezbollah en France, une loi redéfinit les actes considérés comme terroristes, étend la durée de la garde à vue et alourdit les peines. Une Cour d’assises spéciale pour les actes terroristes est également créée. En 1996, l’apparition du délit d’« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » permet de condamner des personnes suspectées de préparer des actes terroristes.
L’état d’urgence instauré après les attentats islamistes radicaux de 2015 à 2017 accroît encore la surveillance et certaines de ces mesures, depuis inscrites dans le droit commun, deviennent permanentes. Depuis 2018, le pouvoir coercitif des préfet·ètes est étendu. Ils peuvent restreindre les droits et les libertés d’un individu au nom de « raisons sérieuses de penser » que son comportement constitue une menace pour l’ordre public. Au niveau judiciaire, le parquet antiterroriste n’est que la partie émergée de l’iceberg. L’État s’est doté d’énormes moyens policiers et militaires[9], dont les fiches S qui recensent toutes les personnes suspectées de participer à des luttes ou d’être en lien avec des lieux et des personnes qui pourraient porter atteinte à la sûreté de l’État. Vingt mille personnes y seraient inscrites, dont des lycéen·nes ayant occupé leur lycée dans la mobilisation contre Parcoursup en 2018. Alors, c’est qui les terroristes ?
[1] Au moment d’envoyer la revue à imprimer, le 30 mars 2022, la dernière personne détenue, Libre Flot, est hospitalisée suite à un mois de grève de la faim. Il vient d’obtenir la levée de l’isolement.
[2] Notes basées sur des extraits de rapports de police ou de renseignement produites par l’administration. Ces notes sont non signées et non datées. Ainsi, personne n’endosse la responsabilité des affirmations portées, notamment quand elles sont fausses, comme c’est régulièrement le cas.
[3]En avril 2021, Emmanuel Macron a autorisé l’arrestation de dix militant·es de l’extrême gauche italienne des années 1970, réfugié·es en France et que l’Italie cherchait à extrader depuis. La « doctrine Mitterrand » leur apportait la protection de l’État français depuis 1985.
[4] Environ un tiers des personnes incarcérées sont en attente de leur jugement.
[5] Le CCIF est une association antiraciste créée en 2003 qui accompagnait des centaines de personnes victimes d’islamophobie chaque année. Elle a été dissoute par décret par le gouvernement le 2 décembre 2020 sans autre raison que sa qualité supposée d’« ennemie de la République » en tant qu’« officine islamiste ».
[6] Vive le Rojava !
[7] On estime à 500 000 le nombre de ses victimes.
[8] Il le sera à nouveau dans les anciennes colonies d’outre-mer dans les années 1980, puis pour mettre fin aux « émeutes des banlieues » en 2005.
[9] La police judiciaire dans la sous-direction antiterroriste (SDAT) et la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Le Schéma national d’intervention des forces de sécurité (SNI), piloté par le ministère de l’Intérieur, organise les forces de police et de gendarmerie face aux attaques terroristes. La Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) coordonne l’information et les actions à l’international.