Guerre généralisée au vivant et biotechnologies [3/4] – Groupe Grothendieck

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Le texte sur Lundi Matin
Les cinq textes seront réunis en brochure par le Groupe Grothendieck dans un futur proche. Le lien sera inséré ici, pour l’instant voici leur site.

Introduction : Où en est-on de la guerre ?

Les incivilités que déploie la nature pour se rappeler au souvenir de la première société qui ait jamais songé à la traiter en barbare, à la reléguer dans un lointain arrière-plan de la civilisation, ne font que s’accroître.

René Riesel, Du progrès dans la domestication, 2003.

Il serait grotesque de limiter la guerre au vivant à la seule recherche en massacre par l’armée. Cette guerre-là est circonscrite aux domaines de la tuerie de masse « un acte de violence et sans limites » (Clausewitz), et ce serait ne voir que la paille dans l’œil du voisin que de penser que la recherche civile n’y participe point. Ce que nous entrevoyons ici, c’est une lame de fond plus vaste, intégrée aux processus scientifiques, une vision maltraitante du monde et du vivant, lente et puissante où la violence se cache souvent sous de belles parures et des promesses indiscutables et indiscutés (soigner les malades, sauver la planète, lutter contre les inégalités, « guérir » de la mort, etc.). Ses applications peuvent aussi bien être la création d’armes que de médicaments ou de nouveaux procédés technoscientifiques, l’économie n’a tout simplement aucune morale et le rapport social majoritaire appelé « capitalisme » a toujours été un lien qui réifie et nous tue à petit feu.

Mais rappelez-vous : le scientifique militaire n’est jamais très loin, observant son aïeul civil avec attention afin de lui ravir une technologie ou une découverte pour améliorer une arme ou créer une nouvelle barbarie (c.f. ép. 2), nonobstant les financements plus discrets des agences militaires (ex : la DARPA ou la DGA) dans les grands chantiers en biologie (génomique, prothétique, interface humain-machine). Ce renforcement marche aussi dans l’autre sens. En effet un cercle de dépendance se forme quand les avancées en informatiques issues du complexe scientifico-militaro-industriel inondent les laboratoires civils et inventent par la même une nouvelle façon de faire de la science notamment avec les progrès en microscopie et en traitement des données à grande échelle. Mais contrairement à la biologie militaire, le but inavoué de la biologie civile n’est pas de tuer massivement mais de neutraliser le vivant pour s’en servir de substrat. La vie dans les mailles du filet de cette technoscience est réduite à des « fonctions » et des « systèmes » en somme, à ce que les scientifiques appellent du « biologique ».

Cela dénote d’une profonde mutation de cette discipline opérée tout au long des années 1940-1950 par la technologie et l’idéologie cybernétique. Le terme « biologie » ne fait plus référence à une supposée « étude des êtres vivants » mais à un domaine scientifique séparé et hyper-spécialisé d’« étude de la vie en soi ». Le néo-biologiste n’étudie plus vraiment le zôê (ζωή), c’est-à-dire les espèces vivantes en tant que « règne » ou « domaine » du vivant, c’est-à-dire la vie en partage de toutes les espèces, ce qui en fait un continuum sur Terre ; mais bien le bios (βίος), la vie nue[1], l’existence moléculaire, détachée du reste, de l’animalité, de la nature, de la vitalité, de la roche, de la terre et du soleil. Cette tendance se rapproche du concept critique de « la vie en elle-même » (« life itself ») du sociologue britannique Nikolas Rose[2] comme tendance – au départ réservée aux cercles académiques mais qui maintenant perce dans le public – à penser les êtres comme pur processus biologique, à moléculariser les corps et les existences et à promouvoir une sorte de « biocapitalisme » à base de performance, de monitoring corporel, de modification à outrance, de stockage de ses gamètes, de séquençage de son ADN, afin de préserver un biocapital individuel.

Nous remarquerons tout au long de l’épisode que ce sont avant tout les technologies qui « découvrent », inventent un « monde » avant un quelconque génie humain ; un monde renouvelé à chaque saut technologique important en biologie : monde « cellulaire », puis « moléculaire », « génétique » ou maintenant monde « bio-informatique et hybridé » encore appelé « convergence NBIC »[3]. Ces « mondes », qui ne sont en réalité que des visions du monde, dans un milieu bien réel et de plus en plus technifié, permettent aux idéologues du vivant de surinterpréter en plaquant le modèle informationnel à tout bout de champs sur une expérience incluant des cellules ou du « matériel biologique ». Nous avons affaire ici à la technoscience dans toute sa splendeur, c’est-à-dire à un domaine d’ingénierie « technico-instrumental » opérant à grande échelle et de manière dépersonnalisée et plus du tout au domaine d’acquisition de connaissances que l’on appelait « science », qui gardait une portée humaine dans le lien obligatoire entre l’étudié et l’étudiant, et qui permettait d’en savoir un peu plus justement sur ce lien qui nous reliait au monde social et naturel[4].

C’est au niveau de la conception de ces machines à « voir le vivant », conception issue en grande part des techno-structures militaires dans les domaines du nucléaire et de l’informatique naissante, que la biologie moderne acquière le statut d’une « Big Science » au même titre que la physique atomique ou que l’informatique. Utilisant les mêmes types de machines, le même langage de contact, les mêmes paradigmes fondamentaux, répondant aux mêmes exigences de rigueur technico-mathématique, comment ne pas y voir une seule et même volonté, celle de rendre la nature quantifiable pour pouvoir la traiter par des machines ?[5]

Nos études – d’une gravissime importance si nous voulons comprendre pourquoi la nature est tellement écrasée, annihilée de toutes parts aujourd’hui – nous ont amené à découvrir que l’histoire de la biologie moderne est avant tout la saga de la mortification du vivant, et celle-ci n’est rien d’autre que la partition essentielle d’une histoire plus vaste et qui la dépasse : celle de la Guerre généralisée au vivant.

Ces recherches guerrières se font selon les deux paradigmes émergeant en science dans les années 1940-1950 aux États-Unis : le « frontisme », cette idéologie – à la base territoriale – de la conquête, où il faut toujours aller de l’avant vers des « territoires vierges » pour les accaparer et les modifier (ce que certains nomment le « progressisme » même si le terme est un peu faible). Nous avons montré dans l’épisode 1 que ce « frontisme » est appliqué dans les hautes sphères de la Big Science comme un nouvel essor conquérant et scientiste sur la nature permettant, après la Seconde guerre mondiale, de nouveaux cycles de capitalisation. L’autre paradigme en vigueur dans la Big Science et son avatar de la « Big Biology » est ce « réductionnisme informationnel », c’est-à-dire un « monisme » où l’Information est vue comme étant le socle de tout et où tout lui reviendrait[6]. Nous verrons comment cette idéologie traverse facilement les domaines scientifiques de l’inerte (cybernétique, informatique, mathématique) pour s’appliquer aux domaines auscultant les êtres vivants, et plus spécifiquement à la biologie moléculaire et la génétique et comment cette vision appauvrie sert de prêt-à-penser aux biologistes[7]. Elle permet l’avènement de ce que Céline Lafontaine nomme les « cybersciences » dans les années 1970-1980 et bizarrement cela correspond au triomphe de l’ordinateur sur la paillasse du chercheur.

Cette nouvelle biologie, transforme ce qu’elle étudie, c’est une auscultatoire doublée d’une opératoire. Dans la tête de nos biologistes cybernéticiens, dont une bonne part sont issus du monde de l’ingénieur, s’il n’y a pas de différences essentielles entre une machine et un être vivant, on peut – on le doit ! – les hybrider ensemble pour les rendre au choix : plus fonctionnels, plus performants, « inter-opérables », producteurs de médicaments, voire, immortels. La conquista en biologie n’a pas de limite et nous verrons que les résultats sont horrifiants.

Ces deux idéologies mêlées de la guerre (frontisme et réductionnisme) forment une doctrine – un imaginaire, une vision et une pensée radicale – et nous verrons que celle-ci, comme dans toutes guerres, est promue par des avant-gardes poussant toujours plus loin sur des « territoires vierges » la conquête. Nous verrons aussi quelques « arrière-gardes », celles qui fortifient les bases, spéculent sur des biotechnologies maintenant routinières, homogénéisent les concepts, et mettent aux pas des hommes de main peu aventureux mais travailleurs et dociles.

Il nous semblait que la littérature critique sur le sujet euphémisait un peu facilement les procédés biotechnologiques, ceux-ci relevant à notre goût plus d’un apprentissage de sorcier devant une « tambouille » de vie que d’une réelle démarche raisonnée (et raisonnable !) sur ce qui est fait au vivant. Pour rendre la pareille nous avons donc marqué ces faits par deux concepts forts. Il sera question de « neutralisation » du vivant et de sa « monstruation » dans un double processus amenant petit à petit les êtres vivants à devenir complètement hétéronomisés, en dépendance profonde au système technicien dans leurs agissements essentiels : dans leur génération (filiation), leur naissance, leur développement, leur intégrité et leur mort. Cette neutralisation est l’avènement du monstre en chair et en os, cet « chose vivante » reconstituée à l’aide de « bio-objets » (cellules modifiées, ADN ré-encodé, biomolécules, etc) en une sorte de « pâte de vie » malléable et mécanisable. Nous donnerons une définition plus précise du « monstre » dans une petite note à la fin de l’introduction.

Car nous essayerons de comprendre en quoi cette guerre au vivant avance sur le front principal de la « qualité de la vie » c’est-à-dire qu’elle agit sur l’essence même des êtres vivants. Nous savons tous maintenant que le technocapitalisme est profondément écocidaire et génocidaire dans le sens que l’abstraction de la valorisation rentre frontalement en contradiction avec la matérialité de la vie et de son continuum sur toute la Terre. Cela provoque « perte de la biodiversité », « dérèglement climatique », « artificialisation des sols » et tueries de masse chez les espèces autant que chez l’humain.

Sans minorer ce front de la guerre au vivant – dont nous avons d’ailleurs longuement expliqué les ressorts dans l’épisode pilote et qui est par ailleurs très documenté[8] – il sera question d’autres choses ici, plus difficiles à comprendre et qui font appel à un processus essentiel du capitalisme, ce processus qu’avait très bien compris Georg Simmel[9] : à partir d’un seuil, l’accumulation quantitative produit des changements qualitatifs. L’accumulation capitaliste d’argent, de connaissances, de structures, de marchandises produit la destruction quantitative d’espèces vivantes. Cela produit aussi des changements/des destructions qualitatifs dans le vivant. Dit d’une autre manière, le technocapitalisme possède maintenant une force de transformation inouïe qui lui vient de son art du quantitatif, du radicalisme dans les grands nombres, de sa mathématique radicale et de sa production de masse : en deux mots, des noces funèbres de l’industrie et de la science, de la masse et de la puissance. Cette force modifie en profondeur les vivants et la nature pour les adapter à un ordonnancement mathématique et homogénéisant.

Nous mettons de côté pour cet épisode ce que nous appelons le « front humain », c’est-à-dire les modifications qualitatives de l’humain. La guerre au vivant étant effectivement généralisée, elle n’épargne aucune espèce, surtout pas Homo sapiens, espèce tant vitale à la machinerie technocapitaliste (exploitation, extraction, consommation). La complexité du front humain et son avancée spectaculaire depuis les années 2000 dans les domaines de la reproduction et de l’hybridation homme-machine ne peuvent être traitées ici et feront l’objet du prochain épisode.

Enfin, pour terminer, explicitons ici que notre démarche est beaucoup inspirée par celle de Céline Lafontaine. Celle-ci réalise depuis plus de dix ans une œuvre importante de théorie critique et de sociologie autour d’une critique anti-industrielle et féministe du « paradigme informationnel ». Cette démarche peut être résumée ainsi :

« Il s’agit en fait d’établir des liens entre des tendances en apparences contradictoires, ou qui semblent à tout le moins indépendantes, afin de brosser un portrait global du présent »

Céline Lafontaine, La Société postmortelle, Éd. Du Seuil, 2008. Cette démarche est inspirée de la sociologie de Nikolas Rose et de sa « cartographie du présent ».

Nous brosserons ici un portrait global de la guerre en cours dans notre série horrifique, Guerre généralisée au vivant, épisode 3. Les zombies laissent la place aux monstres de laboratoire et aux hordes de scientifreaks fabriquant le pire à venir. Quant au Moloch[10], il reste invisible bien que sa puissance sur la vie en fera bientôt le Maître du désert. Tapi dans l’ombre, il étend sa puissance sur les petits vermisseaux que nous sommes. Il ne nous fera pas de cadeau !

Petite note : qu’est-ce qu’un monstre ?

Après des jours et des nuits de labeur inimaginable, j’étais parvenu, au prix d’une intense fatigue, à découvrir le secret de la génération et de la vie. Non, bien plus ! J’étais à même de conférer la vie à de la matière inerte.

Victor Frankenstein relatant ses forfaits, in Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, traduction de Paul Couturiau.

Nous trouvons pour notre part que le terme de « bio-objet » utilisé par Céline Lafontaine dans son livre du même nom[11] est opérant pour parler des cellules et autres protéines modifiées mais est trop faible pour exprimer le vaste champ de la Guerre au vivant. Quand nous parlons du « monstre », nos références ne sont pas à chercher du côté des « ratés morphologiques » (Canguilhem) animaux ou humains : bossu, bec de lièvre, animal à deux têtes, etc, comme on en voit à toutes les époques. Nos monstres n’ont jamais existé par le passé mais leurs préfigurations se retrouvent dans la littérature moderne comme des intuitions folles et des images fugaces de ce que déjà – la logique instrumentale et la puissance technologique à l’œuvre – laissaient transparaître de leurs capacités à « monstruer ». Nos références sont à chercher du côté de la littérature fantastique, Marie Shelley, le gothique tardif et le début de la science-fiction ; Mais aussi des imaginaires cinématographiques expressionnistes (Nosferatu, le robot de Metropolis, le Golem) ; Et enfin, plus récemment, aux marchandises hollywoodiennes des années 1980-1990 (David Cronenberg et sa Mouche, le Terminator, le Predator, etc)[12].

Aussi, il sera important de qualifier un nouveau processus qu’on pourrait appeler « monstruation » où – dans une sorte de film d’horreur devenu bien réel – les expériences de laboratoire prennent vie et sortent maintenant « prendre l’air » dans les champs, les hôpitaux, et bientôt la vie quotidienne. À la limite – et cette formule nous l’aimons particulièrement – le laboratoire est maintenant co-extensif au monde entier.

Pour notre propos, un monstre a l’apparence d’un être vivant mais il lui manque des attributs-socles partagés par tout le règne vivant. Cette absence est une dévivification, un processus qui n’amène pas forcément à la mort mais à la « sous-vie » : le bio-monstre ne se rattache plus aux autres animaux et végétaux, il a été séparé du règne zoologique pour être affilié au règne technoscientifique. Sa vie mutilée se développe comme une boursouflure du laboratoire, une excroissance sensible et en souffrance, aux mains des biologistes. Prenons un exemple. Le maïs contenant le gène « Terminator » de Monsanto est un monstre parce qu’il a été modifié avec un gène qui l’empêche de se reproduire. Ses graines sont des ersatz de graine car elles sont toutes stériles[13]. Ce maïs ne peut plus potentialiser en tant qu’espèce et en tant qu’individu-plantule l’un des quatre attributs principaux du vivant qui sont : la naissance, la mort, le développement et la génération (ou filiation). Le vivant étant entier, non « fonctionnalisable » et ces quatre attributs marchant ensemble, en retirer un c’est retirer la vitalité en l’espèce ; c’est toute la vie qui s’en va ! Ce maïs est monstrueux dans le sens qu’il ne joue plus à l’espèce, il est déphasé par rapport à la vie en lui. Ce déphasage est dû à l’acquisition d’une fonctionnalité (qui est en fait une tare) dans le système technicien. Celle-ci est de devoir toujours en passer par les laboratoires de Monsanto et la valorisation économique pour pouvoir se perpétuer. Ainsi pour nous, le monstre à l’image de la « créature » de Frankenstein, vient du labo et retourne au labo, il en est dépendant, il en fait partie. Ce n’est pas une définition scientifique que nous voulons donner là, parce que les frontières sont ténues et qu’il ne sert à rien de réemployer la logique instrumentale à un champ interprétatif à la base littéraire. Cela gâcherait tout et produirait ce que nous souhaitons le moins du monde : il n’est pas question de créer de nouvelles catégories assimilables par la sociologie et récupérables par les sciences dures, encore moins de définir de nouvelles identités ou « oppressions » que les doctes universitaires militants intégreraient à leur logique « systémique »[14].

Ce mot de « monstre » parle en nous comme une catastrophe non-naturelle : l’artificialisation radicale des vivants, c’est-à-dire la mise en dépendance, en accoutumance, de quelque chose qui échappait jusqu’à il y a peu aux volontés humaines et à une définition stricte disons, « du naturel » dans la vie. Pour le monstre cela correspond une hétéronomisation totale. En effet cet être devient ainsi le jouet d’objectifs humains divers, sa « créature », son projet. C’est pour cette raison que nous faisons appel à la sous-culture cinématographique de l’horrifique et de ses « méchantes bêtes » sortant des laboratoires, comme pour redonner de la légitimité à avoir peur du monstre et à se méfier des desiderata d’une caste toute puissante qui fait tout ce qu’elle veut sans en répondre de la plèbe. Et nous tenons rigueur à ne surtout pas justement neutraliser la peur en nous mais au contraire à faire appel à notre sens commun, à nos tripes qui, quand nous regardons une image d’un chimpanzé « implanté » avec un bras artificiel ou d’une expérience de greffe d’oreille humaine sur une souris (souris de Vacanti), nous inflige un sentiment d’horreur et une envie de vomir puis nous fait dire : ils sont en train de faire de la merde ces gens-là, ils sont fous ! Oui ils sont raisonnablement fous [Note de tarage : merci la psychophobie…] ces scientifreaks qui aiment à s’allier avec d’autres agents de la classe créative : artistes chevronnés, littéraires en manque de reconnaissance, vieux intellos à lunettes, pour faire passer la pilule de leurs dingueries, de leurs dégueulasseries.

Triturer de fond en comble des processus imbriqués et inter-dépendants qui ont mis plusieurs centaines de millions d’années à se construire et à se peaufiner alors qu’au fond on y comprend toujours pas grand-chose ne relève pas d’une simple stupidité débonnaire et maladroite de quelques excentriques mais plutôt d’une croyance générale dans les milieux académiques, en la toute-puissance de la technologie face à un monde vivant qu’ils ne connaissent point. Et ce n’est pas un surcroît d’instrument et de « méthode scientifique » qui les fera redescendre sur Terre, à terre, près de la terre, des vers et des fourmis. Le scientifique est pour nous perdu, et sa « méthode » maintenant est une totale opératoire en inadéquation avec le mythe de la connaissance bienfaitrice qui encore l’auréole. Ce prophète à la gomme ne nous apprendra rien de plus sur ce qui meut réellement les êtres vivants, les derniers animaux sur cette Terre autant que les humains. La science ne nous sauvera pas[15], la vérité est ailleurs !

Alors, face à un tel changement en cours, nous ne pouvons que préconiser la peur de cet ordre instrumental et de ses thuriféraires :

« La tâche morale la plus importante aujourd’hui consiste à faire comprendre aux hommes qu’ils doivent ouvertement proclamer leur peur légitime. Mettre en garde contre la panique que nous semons est criminel. La plupart des gens ne sont pas en mesure de faire naître d’eux-mêmes cette peur qu’il est nécessaire d’avoir aujourd’hui. Nous devons par conséquent les aider. »

Günther Anders, Et si je suis pessimiste, que voulez-vous que j’y fasse ?, Éditions Allia, 2001, p 92.

Prodiguons maintenant cette aide précieuse.

1° Neutralisation du vivant
et biologie moderne (1950-1970)

Il faudra que certains aient le courage d’intervenir sur la lignée germinale sans être sûrs du résultat. De plus, et personne n’ose le dire, si nous pouvions créer des êtres humains meilleurs grâce à l’addition de gènes (provenant de plante ou d’animaux), pourquoi s’en priver ? Où est le problème ?

James Watson, « L’Homme-Dieu », Courrier International, 229-230, 20 décembre 2000, cité dans Pièces et main d’œuvre, Le Manifeste des Chimpanzés du futur contre le transhumanisme, édition Service compris, 2017, p 20.

A) La cybernétique comme matrice
de la biologie moléculaire

La biologie moléculaire est la fille de la science nucléaire. Rien que sur le plan institutionnel aux États-Unis dans les années 1950, 53 % des financements en recherche en biologie et médecine proviennent du Department of Defense et de l’Atomic Energy Commission[16]. On peut comprendre aisément l’intérêt d’un tel financement concernant à la fois les recherches en armes biologiques et l’étude des retombées radioactives sur l’organisme et l’étude de ses mutations (c.f. ép. 2).

Au sortir de la guerre, après les tueries d’Hiroshima et de Nagasaki, beaucoup de scientifiques occupant des poste[17]s au sein du complexe scientifico-militaro-industriel décident de passer de la physique à la biologie, discipline semblant inoffensive, loin de l’apocalypse nucléaire. C’est notamment la biophysique et la biologie moléculaire, conceptualisée par les cybernéticiens des conférences Macy[18], qui absorbent une bonne part des chercheurs repentis. Ceux-ci importent avec eux leurs méthodes, leur vision, voyant un possible lien entre les nouvelles machines cybernétiques et les « machines vivantes » que sont les cellules.

En effet, tous ces chercheurs sont obnubilés par la volonté de contrôler des « systèmes », notamment le « système » humain et le « système » société afin de ne pas reproduire les horreurs de la guerre. Ainsi le docte Norbert Wiener (Cybernétique et société[19]) et sa science du contrôle et de la communication fait figure de balise dans le marasme nucléariste. Sa nuova sciencia, la cybernétique, ne fait aucune différence ontologique entre un être vivant, un objet ou la société. Tous seraient des « systèmes informationnels ». Il est donc facile pour le cybernéticien de passer de la physique nucléaire ou de l’électronique à la biologie. Écoutons-en un :

« […] Lorsqu’on se sert de cette terminologie, on veut dire implicitement que les performances les plus extraordinaires des organismes vivants sont le résultat de principes cybernétiques particuliers qu’il s’agit de découvrir et de préciser. […] Les conséquences de ce postulat sont doubles : a) la spécificité des organismes vivants est rattachée à des principes d’organisation plutôt qu’à des propriétés vitales irréductibles ; b) ces principes une fois découverts, rien ne devrait empêcher de les appliquer à des automates artificiels dont les performances deviendraient alors égales à celles des organismes vivants. »

Citation d’Henri Atlan, l’un des fervents adeptes des théories cybernétiques et transhumaniste de surcroît, dans Entre le cristal et la fumée. Essai sur l’organisation du vivant. Éd du Seuil, 1979, p 24.

Parmi ces nouveaux aventuriers, il y a Francis Crick et son collègue James Dewey Watson. Ils découvrent en 1953 la structure en double hélice de l’ADN ; La même année André Lwoff pose une définition opérante pour la génétique de ce qu’est un virus ; Ce triumvirat est la première génération de ces biologistes cybernéticiens, ayant comme bagage théorique le livre de Schrödinger, What is Life ? (c.f. ép.1), véritable proposition de ce que devrait être une science biologique basée sur des principes cybernétiques.

Le tapage médiatique autour de la nouvelle religion de la double hélice, parfaite et mystique où l’image de l’escalier de la vie remplaçant la vieille Croix, permet aux deux requins de la biologie (d’après le portrait qu’en fait Chargaff, c.f. ép. 1) d’obtenir le prix Nobel en 1962.

Grâce à une instrumentation de plus en plus variée et techniquement complexe (cristallographie, microscopie à rayon X, puis à balayage, outil informatique de plus en plus performant, procédé de coloration puis de fluorescence des molécules organiques, spectromètre de masse, etc.), c’est toute une « quincaillerie » qui accompagne maintenant le biologiste sur sa paillasse. Celui-ci forme un nouveau métier, il n’est plus « découvreur », « explorateur », même pas un « chercheur » mais un vulgaire technicien, expert en protocoles et appareillages complexes, quelque fois amené il est vrai, à produire une série d’hypothèses et à les vérifier avec ses instruments. La fable de la découverte de la double hélice rend la part belle aux chercheurs alors que c’est avant tout la technique cristallographique et les techniciens qui découvrirent l’ADN, bien plus que le génie humain. Crick qui est à la base un scientifique militaire expert en magnétisme, pique des travaux techniques à Rosalind Franklin (morte en 1958 sans les honneurs)[20]et y ajoute de l’idéologie en recouvrant les faits par un imaginaire informatico-mathématique à base de « code » et « d’information » :

« […] le code génétique devient après la seconde guerre mondiale le centre métaphorique de contrôle des êtres vivants. La conception d’un code de transmission de l’information génétique n’est pas […], étrangère au contexte politico-militaire de l’époque. Le lien entre le contexte de l’après-guerre et l’importation du modèle informationnel en biologie apparaît encore plus clairement lorsqu’on se souvient que le physicien George Gamov entreprend dès 1954, le décryptage du code génétique comme s’il s’agissait d’un code ennemi […] Plusieurs historiens ont montré qu’il avait contribué à transposer la logique de contrôle militaire au cœur du vivant. »

Bio-objets, op. cit., p 251- 252.

En outre Watson et Crick, à l’instar de John von Neumann, imaginent que la conscience pourrait être détachée de la corporéité et transférée dans une machine ! En réalité les deux sbires de la double hélice sont des transhumanistes avant l’heure, et de la pire espèce : celle des eugénistes. Faisons jouer Watson & Crick dans une petite pièce théâtrale intitulée « pureté du gène au temps de la technoscience adorée » :

— Crick : « Je ne vois pas en quoi l’homme actuel serait si parfait qu’il ne faille pas chercher à l’améliorer »,

— Watson : « Nos politiques sociales se fondent sur le fait que leur intelligence [les Noirs] est la même que la nôtre, alors […] que toutes les recherches concluent que ce n’est pas vraiment le cas. »

— Crick : « Aucun enfant nouveau-né ne devrait être reconnu humain avant d’avoir passé un certain nombre de tests portant sur sa dotation génétique […]. S’il ne réussit pas ces tests, il perd son droit à la vie. »

— Watson : « une femme devrait avoir le droit d’avorter si son enfant a des gènes homosexuels ».

Baissons le rideau, nos vedettes en ont assez dit. [Attention toutes les citations sont véridiques][21].

Nous avons tendance à penser que ce n’est pas une particularité de ces deux biochimistes d’imaginer qu’il y a une brique élémentaire du vivant calquer sur la brique élémentaire de la matière, c’est-à-dire l’atome. Les scientifiques ont tendance à plaquer leur vision de la nature, vu comme « harmonieuse », sur la réalité et à fonctionner dans leur analyse, par analogie. Dans la légende moderne, la quête éperdue depuis des siècles de trouver le « principe de la vie » (qu’est-ce qui anime la matière ?) mélangeaient souvent au principe de « transmission des caractères » (comment se fait la génération ?) fut enfin résolue. En effet, une pensée moniste est à l’œuvre depuis fort longtemps chez les scientifiques, celle-ci veut qu’un principe premier, « une monade » existe et que celle-ci façonne la matière à tous les niveaux de complexité. Watson & Crick pensent avoir découvert cette monade pour le vivant, sous la forme d’une molécule. Pour eux l’unicité revenait à une seule macromolécule de forme parfaite : l’ADN en sa double hélice. Et dans le bain moléculariste de l’époque, cela a pris une légitimité incontestable. Ils étaient là au bon moment, avec un flair pour les « bons coups » (comprenez des découvertes nobélisables) et leur force de persuasion à base de discours sur « l’harmonie des formes » fit son petit effet.

Nous avons comme une intuition que tous les généticiens ont des prétentions qui, sorties de leur domaine ultra-spécifique, relèvent de l’absurdité la plus totale. Lapin fluorescent, bactérie-usine, chimère animale-homme, super-virus, viande moléculaire, etc., c’est comme si, à partir trop loin dans des expérimentations ultra-technologisées et dissécatrices sur une micro-partie d’un « modèle vivant », nos biologistes s’éloignaient de plus en plus à la fois de la réalité matérielle et du sens commun. Et, n’ayant plus rien à voir avec l’objet d’étude concret (l’humain, le rat, une bactérie, etc.) encore moins avec son environnement « zoologique » ou « social », une fois réinséré le « modèle théorique » dans la réalité concrète, cela ne marche pas ou au mieux produit des « monstres » : les clones ne se ressemblent pas, ils sont malades, vieillissent vite, ne se développent pas correctement ; les super-virus induisent des pathologies graves et ne se comportent pas comme prévu ; les cellules modifiées rentrent en suicide cellulaire ou forment des cancers, etc. Les exemples sont maintenant pléthore (on reparlera en détail de la pauvre brebis Dolly, premier clone de mammifère en 1996, euthanasiée après une vie misérable).

On a l’impression qu’en biologie peut-être plus qu’ailleurs, l’idéologie domine nettement l’observation, ou dit autrement, l’abstraction domine largement la réalité. Et cette idéologie permet de recouvrir la barbarie d’une expérience, d’une illusion de maîtrise et d’éthique. Credo quia absurdum.

Et pourquoi ? Ni par bêtise ou flagornerie des biologistes. Nous pensons que c’est l’ignorance crasse de l’objet d’étude qui est en cause : aucun scientifique ne peut expliquer globalement ce qu’est la vie et ce qu’il lui fait quand il se lance dans une manipulation génétique. L’ignorance étant insupportable – d’autant plus pour une science qui se veut maintenant « dure » – le généticien et le biologiste en général masquent leurs lacunes sur le sujet d’étude avec des couches et des couches de discours idéologiques légitimées dans les années 60-70 par toutes une tripotée de « Grands Noms » souvent nobélisés, adeptes de cybernétique et de pensée en système. Ce n’est peut-être pas volontaire, mais le fait que le biologiste et son pire avatar, le généticien, modifient des êtres vivants, sans vraiment comprendre ce qu’ils font, est un comble pour ces disciplines se disant être « rationnelles » en utilisant des méthodes « rigoureuses ».

Et nous avons l’intuition alors qu’une partie de ces penseurs du vivant, les plus extrêmes dans leurs conclusions, portent systématiquement l’eugénisme technologique comme une voie souhaitable pour les humains. Nous en avons maints exemples dans l’histoire avec ces fous de la génétique comme cet Edward O’Wilson et sa sociobiologie, Richard Dawkins et son « gène égoïste », Dean Hamer et son gène de l’homosexualité, ou encore les transhumanistes décérébrés tel Kevin Warwick qui nous traite de « chimpanzés du futur »[22]. La plupart des ingénieurs du vivant pensent que puisque la « brique du vivant », le gène, est accessible et modifiable, il est de leur devoir – il le faut – améliorer l’espèce, modifier ses tréfonds pour la rendre « parfaite »… Ou comment le mythe du progrès qui progresse toujours vers le mieux se recycle encore et encore sans trêve dans ces têtes d’ampoule. Car ce n’est plus comme alors au temps des Mengele et de la médecine nazie[23], un totalitarisme culturel qui s’impose par la force avec ses moyens grossiers. Nous avons affaire maintenant à un totalitarisme structurel qui domine l’ensemble du processus global de production, où l’humain et la nature en général doivent être assimilés finement et entièrement dans les filets du capital. À pousser des logiques abstraites et formelles aussi loin que possible (vie=gène=code=machine), la barbarie, jamais totalement disparue, refait surface. Il n’y a point besoin de folklore, de postures et de grands gestes pour tomber dans une société totalitaire, la barbarie des laboratoires de biologie se fait à l’ombre des discours et des historiens[24]. Le vivant dedans, vu comme « substrat », y sera systématiquement « purifié », même si aujourd’hui ce n’est pas vraiment pour des logiques racistes et expansionnistes mais bien structurelles, anti-sociales « d’adaptabilité » au nouvel environnement humain mécanisé et économique de production de biomarchandises.

Car c’est au fond la logique du rapport social dominant, le technocapitalisme – dans l’amélioration systématique des conditions de son ordre – qui pousse à cet eugénisme, quelles que soit les cultures et les évènements. L’amélioration de l’humain, avec l’utopie de sa pureté mécanique, est un des leviers essentiels de l’économie capitaliste dans un processus que Marx appel « la domination réelle du capital »[25]. Cette domination finale est la force qui modifie de fond en comble les humains et la nature, les prédicats de l’économie, pour les adapter aux exigences de celle-ci. Le capital n’utilise plus seulement l’humain ou le vivant tels-quels par exemple en tant qu’ouvrier-machine pour la production dans ses usines. Il transforme maintenant en amont les conditions de base de la production, c’est-à-dire les conditions d’existence des producteurs et de la nature. Il a notamment la prétention à façonner et hybrider les humains et la nature dans la production industrielle. Il se produit un renversement : le capitalisme n’utilise plus l’ordre existant pour s’adapter et croître, il a passé le cap où ce sont les liens sociaux et la nature qui sont entièrement « rechapés » pour s’adapter à lui créant un nouvel ordonnancement du monde[26].

Ce sont les technosciences et particulièrement la biologie moderne qui permettent cette modification en profondeur. En ce sens, la production de savoir formant l’« intelligence générale » (« General intellect »), circulant de part en part dans les cabinets d’études, les machines, les procédés, les laboratoires, les écoles d’ingénieurs, les instituts, n’est en aucun cas superflue pour l’ordre capitaliste puisqu’une bonne part lui revient sous la forme d’une opératoire possibilisant ces moulages, remodelages, rechapages, hybridations, « ré-initialisations », destructions le cas échéant, de la nature, de nos vies et de nos communes existences. La biologie est l’outil qui permet au capital de façonner la nature à son image.

Quant à Watson et Crick, leur particularité est d’avoir assimilé les bases cybernétiques dans la biologie et d’avoir appliqué ces bases à leur molécularisme, leur vision moniste à base d’ADN. D’avoir en quelque sorte ré-idéologisé la vision de la vie, d’en avoir fourni une certaine explication adaptée au technocapitalisme : il y a des quantums d’énergie en physique, des quantums de valeur en économie avec l’argent, il y a maintenant des quantums de vie, c’est l’ADN et ses gènes ! C’est-à-dire qu’une nouvelle explication opératoire du vivant émerge une fois les outils technologiques en biologie mis en place et qu’un langage adapté à ces nouvelles technologies se fait jour, permettant toutes les théories et conjectures. Et on le répète : l’explication d’un phénomène ne signifie pas sa compréhension profonde.

En 1957 Crick pose les bases de ce qu’il appelle le « dogme central », à savoir la linéarité du processus de génération allant de l’ADN à la protéine via un phénomène quasi-mécanique fait « d’instructions », de « commandes » et « d’information ». Ce dogme cybernétique n’a jamais été remis en cause frontalement en biologie. Il a plutôt fait l’objet de multiples déclinaisons plus ou moins radicales, sans changement dans le socle épistémologique (cf. ép. 1).

La cybernétique étant bien installée en France depuis les années 1950[27], notamment en électronique et traitement du signal, il est assez aisé pour les biologistes français Francis Jacob et Jacques Monod de récupérer en 1959 le « dogme » et le verbiage informationnel en biologie moléculaire après leur découverte de « l’ARN informationnel », qu’ils baptisèrent pompeusement « ARN messager », celui-ci transportant « l’information génétique » du noyau au cytoplasme.

C’est en 1965 que les trois français Monod, Jacob et le troisième larron Lwoff reprennent véritablement le flambeau aux américains et obtiennent conjointement le prix Nobel de biologie pour leur découverte sur l’opéron lactose liée à des méthodes de clonage bactérien. En réalité ils obtiennent le Nobel non pas tant pour leurs découvertes concrètes mais selon nous pour avoir transposé à la biologie moléculaire naissante les concepts cybernéticiens et les métaphores explicatives de Wiener et ceci de manière beaucoup plus poussée que Watson et Crick[28], notamment avec la notion de régulation par « feedback ». Ils permirent à la biologie moléculaire – en pleine période scientifique techno-utopiste – d’acquérir une portée explicative universelle du vivant, une base quantitative de travail compréhensible par la grammaire cybernéticienne.

La biologie de Jacob et Monod diffère de celle de Watson et Crick parce qu’elle est beaucoup plus « systémique ». Elle tente une approche « intégrative » de la cellule dans l’organisme. Jacob et Monod arrivent à replacer le gros morceau « ADN-information » de Watson & Crick et tous les concepts de « commande », d’« enhancer », etc., au sein de l’organisme cellulaire et d’ainsi expliquer (sans réellement comprendre) les « comportements » de la cellule, voire ceux de l’être vivant entier. Bien sûr ces « comportements » moléculaires de l’organisme sont très schématiques et mécanistes. Ils sont répertoriés sous le vocable général de « phénotype ». Jacob, Monod et Lwoff ont bien mérité le Nobel, ce sont les véritables créateurs du nouveau paradigme en biologie : la biologie « intégrative » que nous qualifions volontiers de cybernétique, ce que Céline Lafontaine référence sous la catégorie de cyberscience. Et nous pouvons avoir aujourd’hui dans l’enseignement supérieur de jolis diplômes de Master en « biologie cellulaire et intégrative », sans que l’étudiant n’ait entendu une seule fois le mot cybernétique, ni qu’il ne sache qui sont les « Grands Noms » qui ont façonné sa discipline.

Au fond, nous disent ces penseurs, la seule différence entre les machines informatiques et les « machines vivantes » serait la base numérique de leur programme : base binaire pour les unes et bases quaternaires (ATGC) pour les autres, c’est aussi simple (et absurde) que cela. Et Jacob peut nous certifier que « tout organisme, procède de la traduction et de l’exécution d’un programme. »[29] OK BioGoogle on a compris !

B) Paradigme informationnel : Passage d’une métaphore à une explication scientifique

Jusqu’à preuve du contraire, il n’y a aucun article scientifique qui prouve que les molécules d’ADN sont un « pro-gramme génétique » c’est-à-dire une écriture (gramme) conditionnante (pro-) de la vie, un code de la génération des individus vivants. Ce n’est pas une question subsidiaire, ou une polémique vaine où nous tenterions de chercher la petite bête : le « code » génétique n’est pas suffisant, pas même « adéquat » pour expliquer la génération et l’hérédité[30]. Il n’est pas certain non plus qu’il soit un « code » au sens où nous l’entendons couramment, c’est-à-dire une sémantique et une grammaire avec ses règles et ses occurrences de « phrasé » de A, T, G, C, même si en première analyse et vu de loin ça y ressemble. Il n’est pas ici nécessaire de rentrer dans les questions techniques[31], Bertrand Louart en donne une image fort parlante :

« En fait, cette idée – qui n’est justifiée dans aucun article scientifique et ne repose sur aucune validation expérimentale – semble être le produit d’une généralisation abusive effectuée à partir de l’existence du code et des régulations génétiques. Or les notions de code, de régulation et de programme n’ont aucun lien nécessaire : c’est un peu comme si l’on prétendait que puisqu’une locomotive suit des rails et est équipée d’un régulateur de vitesse, elle serait « programmée » pour faire tel trajet à tel et tels horaires ! »

Bertrand Louart, « Le vivant, la machine et l’homme. Le diagnostic historique de la biologie moderne par André Pichot & ses perspectives pour la critique de la société industrielle », mai 2013, p16.

Une décennie plus tard, les biocybernéticiens (Jacob, Monod, Atlan, etc) devenus philosophes, publient des livres (qui deviendront des best-sellers en librairie) où ils explicitent leurs présupposés idéologiques. Écoutons[32]. François Jacob dans Le jeu des possibles :

« C’est seulement au cours de ce siècle qu’a disparu l’opposition entre, d’un côté, l’interprétation mécaniste donnée aux activités d’un être vivant et, de l’autre, ses propriétés et son comportement. En particulier, le paradoxe s’est résolu quand la biologie moléculaire a emprunté à la théorie de l’information le concept et le terme de programme pour désigner l’information génétique d’un organisme. Selon cette manière de voir, les chromosomes d’un œuf fécondé contiennent, inscrits dans l’ADN, les plans qui régissent le développement du futur organisme, ses activités, son comportement. »

François Jacob, Le jeu des possibles. Essai sur la diversité du vivant, Fayard, 1981, p 33-34. Dans la même veine à l’époque (mais comme explication a posteriori et en rajoutant quelques nuances pour ne pas copier le voisin) Henri Atlan, L’organisation biologique et la théorie de l’information, Hermann, 1972. Tout est dans le titre.

Remarquez bien le champ sémantique de la cybernétique avec les termes « plan », « information génétique », « propriété » accompagnés des termes « comportement » et « organisme » qu’on retrouvera dans la vague transhumaniste deux décennies plus tard. Il ne fait aucun doute d’après les travaux de sociologues tel que Lily Kay ou Céline Lafontaine, spécialistes des questions de cybernétique, que la biologie moderne est une des actrices principales de la définition du sujet cybernétique, c’est-à-dire la vision du d’un individu-ordinateur complètement intégrée comme mode d’être au monde. Nous verrons tout cela dans l’épisode 4.

Depuis les années 1990 (notamment avec le buzz de la brebis Dolly), les métaphores pour expliquer la vie sont toutes imprégnées des théories de la biologie moléculaire et de la génétique et participent – c’est même leur force principale – d’un effacement des frontières entre le vivant et le non-vivant machinique dans la mesure où le « modèle informationnel » s’applique indifféremment à toutes choses vues comme un « système » : l’ordinateur devient alors une métaphore universelle utilisée comme prêt-à-penser de façon systématique permettant de ne pas trop réfléchir. Ainsi le cerveau serait un circuit-imprimé un peu plus complexe accueillant le phénomène de la conscience ; la société, un échange d’information entre des agents appelés « citoyens » ; les codes informatiques sont appelés « réseaux de neurones » formant une « intelligence » et la planète est vue en écologie scientifique comme un vaste système thermodynamique d’échange de chaleur auto-régulé lui permettant de lutter contre son entropie par le phénomène « néguentropique » (entropie négative)[33] de la même manière qu’un thermostat, etc.

Grâce aux propagandistes/vulgarisateurs scientifiques tel qu’Axel Khan, qui ont passé le plus clair de leur temps dans des raouts scientifiques (Téléthon, Fête des sciences, etc.), la pensée machinique du monde et du vivant a déjà essaimé bien au-delà des seuls cercles scientifiques spécialisés et bien sûr sans jamais dévoiler ses vrais noms et présupposés. Écoutons M. Khan :

« La vie constitue un autre exemple de mécanisme diminuant localement l’entropie, et donc augmentant le niveau d’organisation moléculaire au sein des organismes vivants grâce à une source d’énergie qui […] est pour l’essentiel constituée par le soleil. »

Axel Khan, « Une vie qui s’éternise. Mort biologique et immortalité » in La Mort et l’immortalité. Encyclopédie des savoirs et des croyances, Bayard, 2004.

Avec ces délires cybernétiques, Axel Khan nous ferait passer pour de vulgaires panneaux photovoltaïques ! Cette vision n’est qu’une vue de l’esprit idéologisée et n’a aucune base expérimentale sérieuse. Elle donne juste une explication de ce que nous ne comprenons toujours pas dans l’émergence de la vie.

Face à tant d’imprégnation, nous pouvons que faire notre le combat de René Riesel qui, lors de son procès en 2001 pour le sabotage de plants OGM, se livre à une critique intransigeante du scientisme en biologie :

« Ce scientisme utilitariste et réducteur, qui ne croit comprendre que lorsqu’il croit dominer, ne sait rien imaginer qui soit gratuit, non brevetable, non manipulable ; il regarde avec haine tout ce qui, dans la nature, contredit encore la pauvreté de la survie industrielle. Il a expliqué aux parents que le cerveau est un ordinateur et le corps une voiture désormais livrée avec pièces de rechange ; il enseigne maintenant aux enfants que la cellule est une « machiner le génétique », et une mitochondrie une « centrale » énergétique. »

René Riesel, Aveux complets des véritables mobiles du crime commis à la CIRAD le 5 juin 1999, brochure disponible sur infokiosque.net

 

 

2° L’avènement de la bioéconomie
et des bio-objets (1970-2000)

L’une des caractéristiques principales de la bioéconomie est de capitaliser sur la plasticité intrinsèque aux processus vitaux par l’entremise d’une véritable logique d’ingénieur.

Céline Lafontaine, Le Corps-marché, La marchandisation de la vie humaine à l’ère de la bioéconomie. Seuil, 2014., p 60.

A) Les bio-objets et le système cryo-technologique

La mise au point de procédés de conservation du vivant par le froid et des techniques d’isolation de cellules vivantes sur un substrat est le début de l’extractivisme biologique comme secteur industriel, ce que nous nommons, dans un sens plus large la « biotechnologie ». La maîtrise technoscientifique de conservation de la vie par le froid est un saut technologique permettant de rendre possible les volontés capitalistes de prolongation infinie de la vie mais surtout sa conservation en tant que bio-marchandise. Elle a d’abord débuté dans l’élevage et l’agriculture industrielle avant de passer au sein Graal du capitalisme : l’ingénierie humaine. La sociologue américaine Adele E. Clarke a clairement démontré qu’au cours des années 1970-1980, les technologies d’insémination artificielle et de fécondation in vitro (FIV), descendaient en droite ligne de l’élevage industriel[34]. La leçon proverbiale : « ce que l’on fait aux animaux, tôt ou tard on le fait aux humains » est encore confirmée ici. Une preuve française de cette filiation vient du parcours du maintenant célèbre critique de la privatisation de la science, Jacques Testard. À l’origine, célèbre pour être le « père » scientifique du premier bébé éprouvette français en 1982, il commença sa carrière en tant que spécialiste de la reproduction des bovins à l’Institut national de recherche en agronomie (INRA). Céline Lafontaine dans son livre le Corps-marché, montre qu’en plus des transferts technoscientifiques, ce sont les valeurs de productivisme de l’économie et de l’industrie de l’élevage qui ont été complètement intégrées à ce qu’il faut nommé le Marché du corps féminin.

La guerre intégrée trouve de nouveaux « terrains de jeux » de plus en plus en profondeur dans l’auscultation de processus qu’elle entend maîtriser pour en faire des armes et des marchandises afin d’accroître la puissance. Le vivant humain est un enjeu colossal car outre le fait de pouvoir soigner des vies et d’ainsi vendre des médicaments, (et il est vrai que cette guerre peut apporter des nouveaux soins), la biotechnologie est la base d’une maîtrise des populations et de l’environnement via la modification de ce qui constitue leur être en profondeur (génération, filiation, développement, mort) en même temps qu’une nouvelle source de matériaux à forte valeur-ajoutée. Cette maîtrise passe par l’extraction et l’isolation d’organites vivants (cellule souche, ADN, embryon, ovocyte, sperme, etc.) ainsi que leur hybridation avec la technologie permettant leur grande conservation et l’augmentation de leur performance.

Ce vivant réifié et stocké dans les banques de sperme, les champs OGM et les laboratoires du monde entier, a un statut spécifique. Il n’est plus un être vivant à part entière, il est une matière première standardisée, clonée à volonté. Il est dévivifié et maintenu en « sous-vie » dans une infrastructure industrielle hyper-complexe sans laquelle il ne pourrait survivre. Métaphoriquement nous voyons ces zoostructures (animaleries) et ces frigos-laboratoires comme le « purgatoire » du vivant où ces monstres encagés et congelés attendent en souffrance leur mort ou pour d’autres comme ces cellules « immortalisées », une dormance pour l’éternité. Plus généralement, sur le front humain, la biotechnologie forme un véritable système Patient/Frigo/Bio-objet/Laboratoire/Ordinateur correspondant aux différentes phases : Extraction/Conservation/Manipulation/Analyse et Stockage des données. Ces monstres sont utilisés pour quatre usages principaux : 1° l’utilisation en tant que « matériel scientifique » pour des expériences, 2° l’utilisation en tant « qu’usine bio-industrielle » pour la fabrication de bio-marchandises, 3° pour le marché de la fécondation, 4° et plus récemment pour le marché de la médecine régénérative. Bien entendu, ces différents secteurs de la biotechnologie sont entremêlés.

Il y a une véritable prolifération de ces bio-objets depuis les années 1970 et la mise au point de techniques de conservation infinie de cellules eucaryotes dans un réseau technologique mondial de laboratoires avec ses flux de tube à essais et de donnée. Leur standardisation sert de « modèle scientifique » étudié à l’extrême permettant une normalisation du travail en laboratoire et la brevetabilité du vivant. L’exemple des cellules tumorales HeLa, issues du corps d’Henrietta Lacks est fort parlant :

« Développées dans le cadre de la recherche d’un vaccin contre la poliomyélite, les HeLa ont été les premières cellules humaines produites de manière industrielle. Dès le début des années 1950, un protocole de production standardisée de ces cellules a été mis au point et, l’année suivante, un procédé de congélation a été élaboré. Expédiés massivement dans des laboratoires du monde entier, ces bio-objets ont donné lieu, depuis leur création, à plus de 70 000 articles scientifiques et à 11 000 brevets. »

Bio-Objets, op. cit. p 154.[35]

Le bio-objet est l’aspect le plus difficile à penser de la guerre au vivant : ce n’est ni le mythe de Prométhée, ni la figure du zombie qui sont pertinents à activer ici, mais plutôt une sorte de cellule machinifiée, ce que Victor Frankenstein appelle « ses matériaux » dopés à l’électricité (galvanisme) comme nous pourrions dire aujourd’hui que les bio-objets sont dépendants de l’électricité des technologies cryogéniques et informatiques.

Un assemblage de ces bio-objets ou leur hybridation à un être vivant est ce que nous appelons de manière vieillotte, un « monstre » à l’image de Frankenstein qui parle avec effroi de sa « créature » ou de son « spectre démoniaque ».

B) Le génie génétique, ses monstres
et leur purgatoire

Au milieu des années 1970, le « génie génétique » voit le jour et avec lui émergent de ce que les scientifiques eux-mêmes appelleront, de manière restrictive, les « biotechnologies », c’est-à-dire les applications industrielles du génie à modifier le vivant pour en faire une marchandise.

En y regardant de plus près, ce vocable de « génie génétique » dénote le glissement du métier de biologiste et l’ingénierisation de toutes les disciplines scientifiques, dures ou molles. Ici le mot « génie » n’a pas le sens d’un trait humain ayant à voir avec l’intelligence ou les arts, mais provient du vocabulaire de la guerre, associé à l’expression « génie militaire » (1926) puis « génie civil » (1935) concernant les travaux d’ampleur sur un terrain via des machines. Ceci pour signifier que le « génie génétique » est une discipline d’ingénieur et qu’il est une mise en chantier du « terrain-vie » et de ces « briques » appelées « gènes » par un outillage technoscientifique imposant (les tractopelles et autres engins de chantier laissant la place aux microscopes à rayon X et autres super-ordinateurs). Le génie génétique est une ingénierie du vivant à l’aune de sa réduction en un « terrain moléculaire ». Céline Lafontaine parle du « versant opérationnel » des postulats cybernéticiens pour caractériser ce génie[36]. Quant à nous, nous définissons le génie génétique comme l’ensemble des techniques permettant la fabrication de marchandise appelée « bio-molécules » à partir de la « transgénèse » c’est-à-dire l’incorporation et l’expression d’ADN étranger dans une cellule hôte et d’autres méthodes de modification du génome, ou comment les nouveaux « biotechnologues », scientifiques sans morale, sapent encore une fois une barrière physique (de la phusis) : la barrière des espèces et le fait que chaque espèce a son mode de vie (son « être au monde »), son « zôê » propre et qu’il y a une intégrité, une cohérence, dans un développement particulier de chaque espèce et sous-règne. Les mammifères ne vivent pas de la même manière le monde que les poissons ou les oiseaux par exemple. Transfecter un gène codant pour une protéine fluorescente d’une méduse du pacifique (protéine GFP) sur une bactérie ou pire à un lapin[37] réifie le mollusque et le lapin, mais surtout fait d’eux, non plus des animaux mais des monstres lorsque ces modifications sont telles que ces êtres ne peuvent plus vivre sans l’assistance des laborantins. Les mots « mutation » et « mutant » nous semblent trop faible pour comprendre le changement ontologique, le changement d’être au monde ; un lapin qui rayonne de la fluorescence, est-ce vraiment un lapin ?

Qui donc comprend que ces « prototypes vivants » ne peuvent avoir d’existence pleine qu’avec leur filiation à la technoscience, leur laboratoire d’origine et les têtes d’ampoules qui les ont créés :

« Qui donc pourrait concevoir l’horreur de mon travail poursuivi en secret, pataugeant dans la profondeur humide des caveaux ou torturant un animal vivant pour tenter d’animer la matière inerte. D’y penser me donne maintenant le vertige et fait trembler mes membres. Mais, à l’époque, une impulsion irrésistible et quasi frénétique me poussait en avant. Je semblais avoir perdu le sens de tout ce qui n’était pas mon unique but. »

fait dire Marie Shelley au savant.

Qui donc comprend leurs existences ?

A l’image du docteur Frankenstein, fou de pouvoir et d’arrogance, ces scientifiques ne sont pas doués de raison, ils ont perdu toute raison sensible. Il pourrait même en exister certains, à l’esprit ingénu et pragmatique, souhaitant étudier ces lapins fluo autant au plan physiologique, comportemental, écosystémique et ainsi nous expliquer en détails, les répercussions et les avantages d’une telle modification pour ensuite en tirer une théorie générale de l’« hybridation animale » (et peut-être que ce genre de théorie est en train d’émerger, qui sait ?).

La nature est par définition ce que l’humain ne maîtrise pas, ce qui est engendré, opposé au fabriqué, au façonné, et il n’y a jamais compensation entre deux choses si totalement différentes. Le lapin fluorescent a alors subi une double peine capitale (sans mourir) :

1° En subissant cette expérience de transfection, le lapin fluorescent a été privé d’une vie de lapin, bon an mal an intégrée à un certain environnement. Il est un lapin de laboratoire pour toujours. Au même titre que d’autres lapins ayant subi des expériences de modifications génétiques leur conférant des maladies auto-immunes par exemple, sa descendance est marquée du sceau technoscientifique (pas besoin que les cellules germinales soit modifiées pour perturber la génération et les individus descendants). Quel scientifique serait capable de nous dire qu’est-ce que cela fait cellulairement parlant (mais aussi au niveau de la perception, des douleurs) d’avoir une protéine de méduse exprimée dans ses poils ? Et question annexe : qui veut tester ?

2° Ce lapin fluo est un modèle scientifique et en tant que tel il n’est plus considéré à la place qu’il occupait en tant qu’être vivant. C’est un objet de foire et d’étude (cela revient au même) car un des dogmes de la biologie moderne est de croire qu’un bouleversement très ciblé de processus biologique nous apprend des choses sur le vivant. Le lapin-fluorescent-modèle-biologique devient un outil au service de la cause technoscientifique, un cheval de Troie artificiel, une porte d’entrée du chercheur dans le monde obscur du vivant biologique. La trituration de son ADN provoquant des changements que le biologiste s’empressera d’étudier pour expliquer le fonctionnement « normal » du lapin et pourquoi pas de l’humain. Il y a bien confusion entre le modèle et la réalité. La perturbation n’est jamais imaginée du point de vue du lapin.

Ainsi dévivifiés bien qu’encore un peu vivants, complètement dé-considérés[38] en tant qu’être entier et autonome, ces monstres biotechnologiques, la plupart enfermés dans cet immense purgatoire que sont les instituts de recherche, attendent leur sort en souffrance : ils ont été privés pour l’éternité de la place qu’ils avaient en ce monde, ils ont été bannis du monde et de la vie pleine pour toujours. Pire encore, chaque acte biotechnologique implique l’ensemble d’un « zôê », d’un règne. Parce qu’en maltraitant, triturant aussi profondément des processus cellulaires communs à tous les mammifères par exemple, cela peut engendrer des répercutions communes. Par exemple la trituration de la couleur des poils du lapin, peut en appendre sur la couleur des poils des humains et ouvrir un marché de la coloration des cheveux par la levée des barrières éthiques (si on le fait au lapin et que tout va bien, pourquoi pas aux humains ?). Toi aussi devient méduse !

Plus profondément, la porosité dans le zoên fait qu’une modification peut transiter dans différentes espèces et perturber des cycles et créer de nouveaux monstres, à l’image des résistances aux antibiotiques, de la nouvelle pollution génétique ou encore des virus à gain de fonctions auxquels le SARS-CoV2 semble appartenir.

Pour le biotechnologiste, homme ayant perdu toute dignité dans sa déconsidération totale de l’animal, ces corps ne sont que des amas de cellules. En déconsidérant l’être, en en faisant des monstres, il sait qu’un jour ce sera à son tour de finir dans l’éprouvette. On le répète : ce que le technocapitaliste fait aux animaux, tôt ou tard il le fera aux humains !

C) Paul Berg et la fable du bioéthicien
au temps de la bioéconomie

Je ne suis pas le père [du génie génétique], parce que tant de gens étaient impliqués, et dans le domaine du génie génétique, ce que nous avons fait, c’est d’allumer la première étincelle, et cela a changé la façon dont tout le monde pensait. Nous avons commencé à faire de nouveaux types de combinaisons dans un tube à essai ; Nous n’avions plus besoin de compter sur les cellules pour faire toutes ces manipulations génétiques. Une fois que vous avez eu cela, le génie de tout le monde en a fait une grande chose

Paul Berg, faussement modeste. Hargittai, Candid Science II: conversations with famous biomedical scientists, Imperial College Press, 2002, “Paul Berg,” 154−181. Passage traduit par nos soins.

Le parangon de cette nouvelle espèce de biologiste sans cœur, est le biochimiste Paul Berg de l’Université de Standford, prix Nobel de chimie en 1980. Il parvient en 1973 à introduire un gène de virus de singe, le SV40 (un gène très dangereux puisqu’il provoque des cancers chez le singe) dans la fameuse bactérie vivant dans notre intestin Escherichia coli. De plus, il parvient à faire produire à celle-ci la protéine virale correspondante. En réalité dans l’expérience il y a deux mutants : l’hôte du gène et aussi un « vecteur vivant » un virus appelé « phage lambda » qui va permettre d’injecter (ce virus ressemble vraiment à une seringue) l’ADN recombiné. Nous ne rentrerons pas dans les détails, mais comme pour les vaccins codants contre le SARS-CoV2 de Pfizer et Moderna, le plus dur est de trouver des vecteurs miniaturisés permettant d’intégrer la biotechnologie dans la cellule, celle-ci ayant beaucoup de mécanismes de protection lui permettant de conserver son intégrité[39].

En tout cas l’expérience de Berg est la première expérience de génie génétique concluante[40]. Mais selon la légende – personne n’étant allé vérifier – Paul Berg ne va pas jusqu’au bout de l’expérience – cogitus interruptus –, un reste de conscience morale (de considération pour l’animal) lui traversant peut-être l’esprit ? Le mutant reste potentialisé, mais pour combien de temps ? Berg comprend à la fois qu’il détient là une technique de mort, le gène pouvant potentiellement induire de nouvelles formes de cancers chez l’humain si la bactérie « s’échappait » du labo et contaminait l’humain ; et à la fois il détient une nouvelle technologie d’empuissantement pour la technoscience et le technocapitalisme pouvant permettre de nouveaux cycles capitalistes d’ampleur et des dominations nouvelles (armes, brevets, contrôle du vivant, vecteurs de transmissions de gène, etc.). Dans un schéma assez classique de la posture du chercheur moderne, Berg va jouer à la fois les Prométhées et les Cassandres en réalisant le premier OGM et en appelant tout de suite à un moratoire sur la nouvelle discipline du génie génétique face aux risques de dissémination dans la nature et aux dérives possibles sur l’espèce humaine. Cette manipulation de l’opinion sera depuis reproduite maintes fois permettant aux scientifiques de gagner sur tous les tableaux en se faisant passer pour des défenseurs de l’éthique tout en capitalisant sur leurs nouvelles biotechnologies (prenez le sujet lancinant du moratoire sur l’I.A. voulu par Musk et consorts). On verra tout à l’heure le cas contemporain d’Emmanuelle Charpentier et de ses « ciseaux moléculaires ». Une question nous taraude : le gène de la bêtise intellectuelle est-il surexprimé chez ces Cassandres de la biologie ?

La trêve du gène voulu par Berg est respectée (peut-être parce que personne ne maîtrisait la technologie ?) et l’année 1974 ne voit aucune expérience officielle de transfection (on appelle improprement cette méthode « clonage » bien qu’elle ne touche pas les cellules germinales). Cette trêve se poursuit jusqu’à la conférence dans le célèbre centre de conférence d’Asilomar en Californie du 23 au 27 février 1975. Célèbre pour sa beauté et la flore et la faune qu’abrite cet endroit de rêve, le centre de conférences réunit pour l’occasion quelques 150 des plus grands spécialistes en biologie et biochimie. Elle sera marquée par de vifs débats et l’absence de consensus. Elle ne fera qu’entériner une bonne fois pour toutes qu’il n’y a pas à avoir de considération politique dans le domaine de la recherche : pas de moratoire sur l’utilisation des outils de recombinaison de l’ADN et seule responsabilité individuelle du chercheur face à sa recherche.

« Dans une étude portant sur l’héritage sociotechnique de cette conférence, l’historien des sciences J. Benjamin Hurlbut a montré comment la vision futuriste et les principes d’autorégulation alors adoptés par la communauté scientifique ont contribué à faire du génie génétique un vecteur central du développement économique et social tout en accordant aux chercheurs eux-mêmes l’autorité morale de pouvoir juger du bien-fondé des retombées de leurs recherches. […] Centrée uniquement sur le contrôle des risques, cette rencontre a donc contribué à légitimer le génie génétique en mettant l’accent sur ses potentialités futures. Les promesses scientifiques, économiques et médicales engendrées par les nouveaux outils de manipulation du génome ont d’ailleurs pavé la voie, au début des années 1980, à des investissements massifs de la part des pouvoirs publics américains dans la recherche et développement (R&D) en biotechnologies, posant les bases de la bioéconomie. »

Céline Lafontaine, Bio-Objets, op. cit. p. 259.

En 1978, un gène humain « codant » l’insuline est introduit dans la bactérie Escherichia coli, celle-ci, si l’on peut dire, est « re-encodée » avec succès. La production industrielle de bio-marchandise pouvait commencer.

Les juristes étant toujours à la traîne face aux rapides avancées des technologies, il fallait bien qu’à un moment ou un autre ils légitiment la marche frontiste du general intellect. C’est chose faite :

« En accordant en 1980 un droit de propriété intellectuelle sur une bactérie […] dans le procès Diamond v. Chakrabarty qui a ouvert la voie à la brevetabilité des êtres vivants. Biologiste travaillant pour General Electric, Ananda Chakrabarty avait créé en laboratoire une bactérie capable de métaboliser le pétrole accidentellement déversé lors de marées noires […] Cette « invention vivante » correspondait parfaitement aux préoccupations économiques, politiques et environnementales de l’époque, marquées par une volonté de poursuivre la croissance grâce à l’exploitation de processus biologiques conçus comme une nouvelle forme de productivité. »

Céline Lafontaine, Le corps-marché, op. cit. p. 127.

Quelques mois plus tard le Congrès américain, avec le Bayh-Dole Act, autorisait le brevetage du vivant pour les universités et les petites entreprises sur les découvertes réalisées par des fonds publics, y compris les gènes et les autres formes de manipulation du vivant dont les lignées cellulaires. Cela a officiellement ouvert la porte à la marchandisation et avec lui « le passage à une vision néolibérale de la science, le Bayh-Dole Act constitue en quelque sorte la pierre angulaire de la bioéconomie. »[41]. La Cour Suprême des États-Unis s’est finalement prononcée en 2013 contre le brevetage de gène isolé dans la nature mais elle a réaffirmé la brevetabilité d’élément d’ADN et de construction génétique « à l’origine d’une branche puissante de l’industrie biotechnologique qui produit des protéines pour les médicaments »[42]. En gros, est autorisée la création et la vente d’ADN modifié permettant la production de bio-molécules. Ou comment les intérêts des marchés passent avant l’éthique même si la pression des citoyens commence à se faire sentir depuis une vingtaine d’années, notamment en France avec le mouvement des faucheurs volontaires ou les sabotages des anti-industriels.

Un mini scandale vient cependant perturber quelque peu la marche à la technologisation du vivant. En 1989, John Moore, guéri quelques années plus tôt d’une forme rare de leucémie, découvre que des cellules de sa rate ont été, après prélèvement, brevetées pour 15 millions de dollars et servent dans la recherche contre le cancer (lignée cellulaire MO). Moore, à la suite de multiples rebondissements judiciaires perd ses procès et n’obtient aucun droit sur les brevets détenus par la Sandoz Pharmaceutical et d’autres entreprises. C’est la confirmation du Bayhle-Dole Act, son élargissement aux grosses entreprises et par la même la confiscation des retombées du capital aux humains non reconnus comme « producteur », ni comme « propriétaire » des tissus, cellules, organes, une fois extrait de leur corps. Ce que Céline Lafontaine démontre c’est que la bioéconomie marche à couvert surtout concernant l’industrie d’extraction de cellules et d’organe et que l’absence de propriété du donneur permet de garder caché cet énorme extractivisme biologique et sa monétarisation à tous les stades de sa transformation en biotechnologie. La sociologue démontre que les dons d’organes et de corps à la médecine ou à la recherche scientifique, servent autant les intérêts des instituts publics, des banques d’organes, des bio-banques cellulaires et génétique, les statistiques de « marqueurs génétiques dans des populations », que des laboratoires privés et des entreprises transnationales. Le tout est de comprendre qu’il n’y a pas de différence profonde entre secteur public et privé à l’heure de la bioéconomie, toutes les technostructures de la biologie moderne mènent la guerre à leur niveau et l’État et ses formes transnationales comme l’U.E. sont garantes du bon développement du scientific power. L’État reste (avec la figure du militaire en arrière-plan) le financeur acharné de ces multiples plans d’extraction et de technologisation du corps humain et de la nature via la doctrine de libéralisation de l’économie et du bon citoyen, ce que Lafontaine nomme « la biocitoyenneté »[43].

La guerre avance encore en 1996. Des scientifiques écossais créent le fameux clone Dolly, le premier mammifère né sans mélange des gamètes, issue d’une cellule non germinale. Euthanasiée pour vieillissement précoce en 2003 elle fut, à l’époque de sa naissance, le symbole de la victoire de la maîtrise du vivant (cf. ep 1) ; Des porcs sont maintenant porteurs d’un gène de l’hormone de croissance bovine, ce qui améliore significativement leur gain de poids mais en contre-partie provoque des taux élevés d’ulcères gastriques, d’arthrites, de cardiomégalies (gros cœur), de dermatites et de maladies rénales ; la plupart du soja cultivés aux États-Unis a été génétiquement manipulé pour survivre à l’application de puissants herbicides mais ont des gènes altérés pouvant produire des protéines potentiellement toxiques[44]. Les vannes sont maintenant bien ouvertes, elles ne se refermeront pas sans combats[45].

 

 

3° La bio-informatique, machine de guerre contre l’intégrité (2000- 2020)

Les assembleurs moléculaires apporteront une révolution sans précédent depuis l’apparition des ribosomes, les assembleurs primitifs des cellules. Les nanotechnologies résultantes pourront aider la vie à se répandre au-delà des limites de la Terre : un évènement unique depuis que la vie s’est répandue à travers les mers et les continents. Elles pourront permettre l’émergence de l’intelligence dans les machines, une évolution sans précédent depuis qu’elle a émergé chez les primates. Et elles permettront à notre esprit de renouveler et de remodeler notre corps, un événement sans aucun équivalent.

Eric Drexler[46], Engins de création, l’avènement des nanotechnologies, Vuibert, 2005 [1986]. Cité dans PMO, Manifeste des chimpanzés du futur, op. cit. p. 283.

A) De bas en haut : la nouvelle monstruosité
de la biologie de synthèse

Retracer à grands traits quelques parcours de biologistes fervents défenseurs du vivant-machine et de la bioéconomie (en gros, la majorité des biologistes), nous permettra d’illustrer notre propos avec plus de concret, d’incarner la domination et de cerner les avancées actuelles à l’intérieur du front. Car il n’y a pas que des forces obscures et profondes à l’œuvre, il y a aussi des personnes plus responsables que d’autres : des promoteurs acharnés, des techno-utopistes optimistes et des mercenaires aventuriers de la science. Le tout baignant dans un environnement technoscientifique où les valeurs de compétition, d’illimitation, de démesure scientifique et de commercialisation des découvertes (ils appellent cela « transfert ») sont allègrement encouragées.

À la fin des années 90, après l’expansion de l’informatique, certains informaticiens se tournent vers la biologie en y amenant leur langage et leur façon de procéder en « bottom-up », de bas en haut. Frustrés du décalage entre la biologie héritée de la zoologie, encore un peu trop « sensible » à leur goût, et la vision mathématique et opératoire qu’ils ont des mécanismes complexes où c’est toujours le même paradigme qui domine : démonter, détacher, décomposer, trier, ordonner la matière pour la comprendre, ils espèrent transformer la biologie moléculaire en science de l’ingénieur, pure, stricte, mathématisable. C’est-à-dire qu’ils vont y apporter de nouveaux modèles vivants. Ces modèles seraient équivalent aux modèles mathématiques et physiques : il n’y aurait aucun saut ontologique entre le monde physico-chimique, le « monde mathématique » et le monde biologique et cela les rassure et leurs permet de plaquer directement leur vision mathématico-logique sur le vivant. En cela, ce sont les héritiers de la « seconde cybernétique » de Gregory Bateson[47] puis des biologistes cyber, les Jacob, Monod, Atlan, Joël de Rosnay, etc., ceux qu’on a nommés plus tard la « troisième cybernétique ».

Il est intéressant de comprendre – une fois faite l’équivalence entre la machine et l’être vivant – qu’un nombre important d’informaticiens et d’électroniciens de haut vol essaient d’adapter leur vision mécaniste au vivant où à certaines caractéristiques humaines, comme ce fut le cas pour Turing et von Neumann. Ceux-ci s’intéressèrent au processus d’intellection humaine et au phénomène de la conscience. C’est bizarrement une de leur passion favorite, comme si après s’être fait les mains sur des machines, ils pensaient pouvoir appliquer leurs méthodes infaillibles au zoên. Quelle arrogance ! Quelle prétention !

Tom Knight, ingénieur informaticien au MIT, est l’un des fondateurs dans les années 1970 d’ARPANET, l’ancêtre d’internet. Dans les années 2000, il s’intéresse beaucoup à la biologie, la génomique et la bio-informatique, toutes ces disciplines étant très proches de l’informatique. Il fonde un laboratoire de biologie, le Knight Lab, au sein du MIT Computer Science And Artificial Intelligence Laboratory (MIT CSAIL) et introduit le concept de composant standard biologique en créant des « Bio-briques » (BioBricks)[48]. Ces composants biologiques aux diverses fonctions pouvant être assemblés par un protocole standardisé selon une logique stricte rappelant l’imaginaire informatique et son machinisme en « hardware » (l’assemblage des briques) et software (le programme qui fait marcher le hardware) le tout converge évidement vers le NBIC (Nano, Bio, Info, Cognito).

Ce jeu de Lego biologique est une attaque profonde de la notion d’intégrité du vivant. Le processus de génération du vivant est quelque chose qui permet à un être de se maintenir (maintenir une cohésion d’ensemble) et de donner un autre être ayant les mêmes formes et les mêmes structures, c’est-à-dire que le vivant se répand en conservant son intégrité. Mais tous ce jeu de déconstruction en briques est une attaque radicale de cette intégrité, car ces ingénieurs façonnent des « objets vivants » ayant perdu cette faculté. Les conglomérats d’ADN, de cellules et de protéines, s’ils arrivent tout de même à s’assembler pour survivre dans des boîtes de Petri, il leur manque cette faculté essentielle du vivant, c’est de ce maintenir et de se conserver : il ne formeront jamais un règne, encore moins des façons d’habiter le monde se perpétuant de génération en génération. Ce sont des générations spontanées de monstres miniatures, boue moléculaires sortie des cerveaux mal refroidis de frustrés, geeks et autres refoulés. Ces blurps de vie n’ont comme seule arme que l’hybridation sans fin entre matières molles et technologies froides pour se perpétuer, en dépendance profonde des incubateurs et de la gélatine qui leur sert de « milieux de vie ».

Ce n’est pas tout. Le prétexte de la déconstruction en brique cache en réalité une profonde envie d’industrialiser le vivant permettant d’en faire des machines à produire des substances comme des médicaments ou des vitamines. En 2009 Knight fonde la start-up Ginko Bioworks[49] qui « designe » des micro-organismes pour la production industrielle. C’est une des plus grosses boîtes de biotechnologie au monde, en 2019 elle était évaluée à 4,2 milliards de dollars[50].

En lien avec la mouvance hacker et les milieux « libristes »[51], la biologie de synthèse a sa compétition, le IGEM (International Genetically Engineered Machine)[52] qui se déroule tous les ans au MIT sur le modèle des compétitions de robotique. Le but est de fabriquer en quelques jours un bio-objet ou un concept « disruptif » de bio-informatique. L’IGEM met en place une « plateforme collaborative » sous forme de librairie, le « Registre des éléments de la biologie de synthèse » (Registry of Standard Biological Parts) comprenant « 20 000 biobriques » différentes comme de l’ADN, des plasmides, des protéines, etc. C’est un peu la casse automobile, mais appliquée au « bios » sans un brin de zoologique, ou des « pièces détachées du vivant » en quelque sorte, standardisées et dûment étiquetées sont mises à disposition dans une énorme cryo-banque. Malgré leur look hipster et leur tirade de « l’open source », les promoteurs et participants de l’IGEM sont des réels partisans du vivant-machine et de la bioéconomie, la classe créative dans toute sa splendeur. Ils se regroupent en général en petites groupes disruptifs (des « laboratoires communautaires ») pouvant prendre des risques avant-gardistes promouvant un techno-utopisme sans limite et dont certaines de leurs découvertes et de leur personnel finiront dans des grosses boîtes de biotech[53]. La manne financière de ces petits groupes peut être énorme, pour un investissement quasi-nul au départ : utiliser l’argent public et les détaxes (crédits impôts recherche par exemple) pour bien former des scientifiques et fonder des start-ups permettant enrichissement personnel et par « ruissellement macronien » des bienfaits dans la société. C’est ça la logique !

« Loin d’être contradictoire avec le développement entrepreneurial, ce mouvement se veut en quelques sorte à l’avant-garde de l’innovation, car il s’oppose au modèle industriel contraignant trop normé et sécurisé, revendiquant plutôt un libre usage des biobricks et des techniques de biomodification telles que CRISPR-Cas9. »

Céline Lafontaine, Bio-objets…, op.cit., p.292

B) Quand la bioéthique libère les forces
de la biomodification

Il nous faut raconter en détail un exemple de biotechnologie actuelle par ce qu’il est caractéristique de tout ce que nous avons dit précédemment tant sur l’aspect cyber de la biologie ; le fait que la biologie est avant tout une technoscience de l’instrumentation ; sa fonction opératoire, modificatoire, plus que proprement explicative ; sa capacité à créer des monstres ; et enfin le fait qu’il n’y a plus de différence depuis l’avènement de la bioéconomie entre une recherche et une innovation.

Emmanuelle Charpentier est le profil exemplaire de la chercheuse moderne, rejeton de l’Enseignement Supérieur, avide de connaissance pour le progrès humain, toute sa vie tourne autour de paillasses d’instituts publiques de biologie. Elle commence à travailler à partir de 1995 à l’Institut Pasteur, puis passe d’institut en institut, de Vienne en Autriche à Umea en Suède en passant par New York. Elle découvre en 2011 un mécanisme de défense bactériologique contre les virus à base de « ciseau moléculaire » fait d’ARN. Elle comprend rapidement que cette enzyme pourrait avoir des débouchés prometteurs en biotechnologie, notamment pour « éditer » (encore la métaphore du code-langage) des génomes de manière rapide, précise et simplifiée (même si les deux dernières assertions ce sont révélées fausses par la suite). En 2012, avec sa collègue Jennifer Doudna, elles mettent au point la nouvelle biotechnologie CRISPR-Cas9.

« Décrétant avoir franchi une nouvelle frontière dans l’édition du génome, Doudna et Charpentier ont publié en 2014 un article prospectif dans la revue Science qui présentait les potentialités futures de leur découverte dans de nombreux secteurs, en particulier la médecine. L’ampleur des promesse portées par ces nouveaux « ciseaux » génétiques conjuguée à son caractère très accessible, tant sur le plan technique qu’économique, a entraîné le déferlement d’une ruée vers l’or biotechnologique. »

Céline Lafontaine, Bio-objets, op. cit., p 292.

Une fois la découverte effectuée, comme à l’accoutumée tous les élans désintéressés de nos chercheurs disparaissent face à la promesse de faire un tas d’argent sur du « matériel vivant ». Charpentier prit la direction d’une unité au sein de l’institut privé Max Planck Institute for Infection Biology (MPIIB) et fonde la start-up CRISPR Therapeutics en 2012, côtée au NASDAQ en 2016. La société valait 1 milliard de dollars en 2019. Elle n’est pas la seule, d’autres boîtes se sont lancées sur ce créneau porteur, notamment celle de son ex-collaboratrice Doudna, et son Editas Medecine, rejeton (spin-off) du MIT[54]. Après les espoirs déçus de la thérapie génique dans les années 90, un nouveau marché voit enfin le jour. Emblématique d’un nouveau saut technologique, la biotechnologie CRISPR-Cas9 emporte toutes les espérances du marché de la santé, à telle point qu’en 2015, des scientifiques de l’U.S. National Academy of Sciences, de l’U.S. National Academy of Medecine, de la Royal Society et de la Chinese Academy of Sciences organisent l’International Summit on Human Gene Editing (Le Sommet international d’édition du génome humain), afin de normaliser un peu l’utilisation de CRISPR-Cas9 et l’édition du génome (surtout celui de l’humain). Le discours inaugural de David Baltimore (CalTeck) entérine le fait que « l’humanité » veut utiliser cette nouvelle « capacité » :

« Aujourd’hui, nous sentons que nous sommes sur le point de pouvoir modifier l’hérédité humaine. Maintenant, nous devons faire face aux questions qui se posent. Comment, le cas échéant, voulons-nous, en tant que société, utiliser cette capacité ? C’est la question qui a motivé cette rencontre. »

Lire le texte en anglais ici : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK343651

Le pourquoi est balayé par le comment. De toute façon, ce sommet, où était conviée toute l’industrie des biotechnologies n’est pas là pour se poser des questions morales mais pour faire bonne figure : il faut rester humain sur la photo malgré l’inhumanité qui règne dans les laboratoires. Le business doit fleurir sous les hospices d’une responsabilité assumée de la « communauté scientifique internationale », le même numéro que lors de la convention d’Asilomar en 1974.

L’édition 2018 du sommet reçoit un invité de marque : He Jiankui. Ce chercheur chinois ayant créé les premiers OGM humain grâce aux ciseaux CISPR-Cas9, c’est-à-dire une nouvelle lignée humaine comme il y a plusieurs lignées de souris de laboratoire (par exemple les fameuses oncomouse). Mais c’est pour la bonne cause, c’est toujours pour la bonne cause : faire en sorte que les deux jumelles, Lulu et Nana, ne puissent pas attraper le VIH de leur géniteur, le mot « père » paraissant un peu trop fort pour caractériser le « producteur de spermatozoïde » dans cette « expérience in vivo ». D’ailleurs le scientifreak He Jiankui a été rendu « financièrement, moralement et légalement responsable de la santé et du bien-être »[55] des petites-monstres. Lafontaine nous éclaire encore sur cet acte :

« La naissance des jumelles chinoises biomodifiées par le biais de l’utilisation de CRISP-Cas9 atteste déjà de cette tendance à recourir au génie génétique pour assurer à certains individus une descendance. On assiste à l’affirmation de ce que je qualifie de « transhumanisme ordinaire » propre à la culture technoscientifique dont l’une des tendances les plus visibles et celle de vouloir mettre au monde des enfants « génétiquement correctes » […] Les frontière entre thérapie, biomodification et amélioration s’amincissent. »

Céline Lafontaine, Bio-objets… op. cit. p. 284.

Après les cris d’orfraie de la communauté scientifique jugeant que ce scientifreak y est allé un peu fort, et sa condamnation en Chine à trois ans de prison pour pratique illégale de la médecine (permettant de faire redescendre la pression internationale), He Jiankui est maintenant invité dans tous les symposiums pour expliquer sa technique. Car évidemment, il n’y a plus de morale qui vaille face au techniquement faisable. Ce que tous les scientifiques rêvaient de faire, ce chercheur l’a fait et cela permet la rupture d’une barrière morale ancestrale : celui de la filiation. Il est possible qu’un humain n’ait plus de parents mais un généticien en guise de « créateur » et un laboratoire comme lien avec l’acte qui a permis de l’engager dans le monde. L’engagement dans le monde de ces jumelles est ici ni l’amour des parents, ni une histoire de copulation bassement corporelle mais un engagement technoscientifique : « vous avez était créées pour la science, mes filles », se dit He Jiankui. Là est encore une mortification supplémentaire, une dévitalisation de la procréation, de l’engagement dans le monde et le découplement total entre les corps en friction (la sexualité[56]) et le fait d’engendrer un nouveau corps au monde (la naissance). L’existence de ces deux êtres, sous les augures de l’engagement technoscientifique, est une expérience mortifère sur l’existence : expérimenter l’existence en changeant aussi radicalement l’engagement des humains dans le monde ne peut tout bonnement que donner des monstres, ne serait-ce que parce que ces fillettes vivront toute leur vie (et ce n’est pas sûr qu’elle soit longue, notamment à cause des mutations imprévues des ciseaux moléculaires)[57] dans un purgatoire technoscientifique fait de batteries de tests, de blouses blanches, d’auscultations sous tous les angles, dans des salles néoniques avec scanners et IRM. Ces êtres-objets n’ont jamais été des fillettes, elles sont une expérimentation autonome, une voie vers la cyborgisation.

En 2020, années de remise du prix Nobel à Charpentier et Doudna, Editas medecine en partenariat avec d’autres boîtes testa pour la première fois un médicament personnalisé sur un patient. Nous ne parlerons pas de la médecine personnalisée, cela irait trop dans le détail, mais encore une fois, en ciblant un patient, la biotechnologie fait corps avec l’être et le transforme de facto en « bios », en monstre[58].

Banalisation/normalisation et inéluctabilité, c’est le progrès, il arrive et on ne peut rien y faire alors autant y aller pour de bon sinon ce sont les Chinois qui vont tout rafler. Voilà intérieurement ce que tous les barbares de la biologie se disent. Et c’est avec cette mentalité qu’ils cherchent, soignent et nous réifient.

Pour la France, une percée spectaculaire de la guerre au vivant s’est produite en 2021 avec la dernière loi de bioéthique qui valide de facto l’utilisation de CRISPR-CaS9 pour les cellules humaines. Il nous faut en dire un mot tellement celle-ci permet l’ouverture juridique et la légitimation « démocratique » de la modification du vivant (neutralisation, « monstruation », dénaturation).

Cette loi est un changement de paradigme dans l’encadrement institutionnel des opérations scientifiques. Petit à petit c’est le modèle anglo-américain de promotion étatiste intégré au capitalisme qui fait loi au lieu de l’ancienne vision morale de la loi fait d’interdictions et de réglementations punitives. Ce modèle macroniste est l’exemple bioéconomique de ce qui arrivera dans d’autres sphères législatives ces prochaines années. Aux dires du rapporteur de la loi, Jean-Louis Touraine, il faut

« […] accompagner les évolutions scientifiques en veillant à ce que leurs applications n’engendrent pas de dérives […] car l’intérêt de l’humanité vient assurément des progrès de la recherche »

Cité par le site d’Inf’OGM dans l’article : « Bioéthique et esprit de la loi : des garde-fous bien fragile », 29 juillet 2021.

« Accompagner » signifie promouvoir, et ainsi le comité de bioéthique dévoile son vrai rôle, un organe d’acceptabilité sociale, de levée des barrières juridiques et de légitimation d’une barbarie technoscientifique. Encore une fois c’est Céline Lafontaine qui cerne le mieux le rôle de ces organes de régulation du technocapitalisme comme étant « de lourds appareillages bureaucratiques servant à produire l’acceptabilité sociale de la recherche sur les cellules souches embryonnaires et, par extension, celle des bio-objets en général. »[59]. La sociologue analyse les termes « bonne pratique scientifique » et « bonne science » issus de la technocratie européenne comme discours fallacieux institutionnels pour désarmorcer toutes réflexions et permettant aux chercheurs et plus généralement à la communauté scientifique de continuer à faire la guerre en toute quiétude[60].

Sans rentrer dans les détails de cette loi de bio-acceptation, citons les grandes biotechnologies qu’elle autorise : 1° La modification des cellules embryonnaires humaines par transgénèse et édition génomique via les ciseaux moléculaire CRISP-Cas9 ; 2° La durée des recherches sur les embryons humains surnuméraires (issu de l’industrie de la PMA) passe de 7 jours à 14 jours ; 3° Possibilité de recherches bio-médicales post-implantation de l’embryon dans l’utérus des femmes, notamment le séquençage ADN ; 4° Lors d’une fécondation in vitro (FIV) le séquençage est aussi autorisé pour « sélectionner les embryons ayant les meilleures capacités de développement. », permettant de réduire les fausses couches ; 5° Sont autorisés l’implantation de cellules humaines et de gène humain dans des embryons animaux mais l’inverse n’est pas autorisé. Et des cellules et des gènes humains peuvent être transfectés à des embryons humains. Ceux-ci seront détruit ultérieurement. 6° Autorisation de modification génétique de cellules souches embryonnaires à partir des embryons surnuméraires ; 7° Réaffirmation de l’interdiction du clonage humain (c’est-à-dire interdiction de transplanter dans une mère porteuse les monstres chimériques créés grâce à cette loi). De toute façon la France est signataire de la Convention d’Oviedo interdisant les clones humains (La Chine et les États-Unis ne l’ont jamais signé).

Soit en résumé une levée générale des barrières dans les domaines les plus prometteurs du front humain de la guerre au vivant. Parmi ceux-ci, les xénotransplantations par l’utilisation d’organes et de tissus de singe et surtout de porcs OGM adaptés au système immunitaire humain sont envisagées dans les 10 ans à venir ainsi que l’utilisation généralisée des ciseaux moléculaires permettant des hybridations infinies entre les espèces. Les biotechnologies forment maintenant un maillage dense de plusieurs épaisseurs, elles se fortifient les unes les autres et enserrent la vie nue pour l’amener vers sa complète monstruation.

À quand un petit porhumain pour chaque citoyen, nourrit au grain bio dans des technofermes aseptisées ? Vous avez un cancer du foie ? Pour quelques dizaines de milliers d’euros et une année d’attente, vous aurez la possibilité d’acquérir votre nouveau foie immuno-compatible. Après maturation de l’animal-monstre génétiquement modifié, hop on « prélève » son foie ayant les mêmes caractéristiques immunologiques que le vôtre et on vous le transplante. Ni vu ni connu, c’est beau la science ! Et plus la technologie sera routinière, plus le prix unitaire d’un porhumain sera abordable pour tous les cirrhosés. Quel progrès ! Attention tout de même, il faudra vous nourrir essentiellement de glands !

C) Fusion du vivant à l’ordinateur
et guerre du séquençage

L’ADN en tant que code est maintenant une marchandise comme une autre avec ses lois commerciales, ses marchés, ses extractions et son stockage. Car selon le paradigme en vigueur de la convergence NBIC, le gène serait à la vie ce que le dollar serait à l’économie et l’atome à la matière, un quantum, une charge, une brique. Ces « briques de vie » étant composées d’un code de 4 sigles couplés en paires appelées « paires de bases » (A-T, G-C). Un « organisme vivant » ne serait qu’un assemblage spécifique de ces 4 lettres, il suffirait donc de trouver le code de chaque espèce et de biotechnologies adéquates pour fabriquer des individus d’une espèce. Eurêka ! Mais le pire de la bêtise dans tous cela, c’est qu’une fois réduit chaque espèce en « kilo de paires de bases » (kpb), il devient facile de monétariser l’ensemble, la somme des kpb pour chaque espèce vous donne un « prix ADN » unitaire par espèce.

Pour comprendre comment cela se traduit concrètement il nous faut encore une fois en passer par une figure typique de la biologie moderne : c’est l’histoire de cet aventurier de la biotech, Creg Venter, et sa cellule-ordinateur.

Craig Venter, vétéran de la guerre du Viêt-Nam, est un généticien chevronné, toujours à l’avant-garde de la science. Dans les années 1990, il dépose des brevets sur des gènes qu’il arrive à caractériser. Précurseur dans la bioéconomie, Venter déclenche un tollé dans la communauté scientifique, notamment chez notre eugéniste Watson, farouchement opposé au brevetage du vivant, (comme quoi on peut être un barbare au service du « bien commun »). Sa soif d’argent et de reconnaissance pousse Venter en 1992 à monter une fondation privée appelée TIGR, The Institute for Genome Research lui permettant de séquencer entièrement le premier organisme vivant dès 1995. Allant là où il y a de l’argent à ce faire, Venter quitte le TIGR en 1998 et fonde la start-up Celera Genomics dont l’objectif est de séquencer le premier génome humain, entrant ainsi en compétition avec le consortium public international comprenant les plus grands laboratoires de génétique du monde. Celera finira entièrement le séquençage d’un génome humain en 2007, au même moment que le consortium, et il se trouvera que le génome séquencé, c’est celui de Venter lui-même, on n’est jamais mieux servi que par soi-même ! La même année en octobre, il annonce « un pas philosophique important dans l’histoire de notre espèce » avec la création en laboratoire d’un chromosome bactérien de synthèse, « premier pas vers la possible création d’une forme de vie artificielle ». En réalité Venter et son équipe fonctionnent par réductionnisme génétique en enlevant des gènes au génome à la bactérie Mycoplasma genitalium et en insérant ce nouveau « matériel génétique » dans une bactérie « hôte » préalablement « nettoyée » de tout son génome. L’équipe de Venter regarde ensuite si la bactérie survit et comment elle se développe. Les effets d’annonce de Venter sont son fond de commerce et lui permettent de lever des fonds pour aller toujours plus loin dans la réification du vivant à des fins mercantiles. Et comme on l’a vu, une fois modifié un génome, la loi américaine autorise à le breveter.

En 2010, dans son nouveau laboratoire de la J. Craig Venter Institute (JCVI), une bactérie baptisée Mycoplasma mycoides JCVI-syn1.0, est créée en introduisant un chromosome artificiel issu d’une modélisation informatique, dans une bactérie Mycoplasma capricolum. Venter dépose un brevet pour sa bactérie et affirme en grande pompe : « C’est la première espèce autoreproductrice sur la planète dont les parents sont un ordinateur. »[61]. Bienvenue chez les cyborgs bactériens ! Outre l’imaginaire science-fictionnel de cette annonce où l’on parle des êtres vivants en « kilo de paires de bases » comme on parle des ordinateur en « kbytes », où l’on « reprogramme une cellule » et où le vivant est constitué de « biobricks », la biologie de synthèse espère créer de véritable « machine vivante » par récupération de parties détachées du vivant, sa simplification et par assemblage grâce à la modélisation informatique, puis elle souhaite introduire tout ce « matériel » dans une « cellule vierge ». Ainsi créer, ces cellules-machines, qui pourront servir les intérêts des biotechnologues pour la production de molécules à usage industriel, les militaires pour la création d’armes bactériologiques encore plus mortelles ou pour la recherche en biologie pour façonner de nouveaux modèles standardisés d’étude du vivant. Plus la méthode est informatisée et routinisée, plus le génome réduit est petit, et plus grands seront les bénéfices escomptés.

« Fortement utilitariste, le projet de créer un génome minimal en éliminant notamment l’ADN non codant, c’est-à-dire les séquences qui ne sont pas directement impliquées dans la synthèse de protéines, est indissociable de la logique de production industrielle propre à la bioéconomie. […]L’un des objectifs de la biologie de synthèse est précisément de décomplexifier le vivant en segmentant le génome de micro-organismes afin de maximiser la production de molécules économiquement rentables. Cette orientation correspond à ce que la sociologue Sara Angeli Aguiton nomme le « programme industriel », un programme axé sur la promesse de produire des biocarburants, de nouveaux médicaments et de nouvelles variétés de semences. »

Céline Lafontaine, Bio-objets, op. cit., p 285-286, citant Sara Angeli Aguiton, La Démocratie des chimères. Gouverner la biologie synthétique, Lormont, Le Bord de l’eau, 2018.

Pour nous, c’est un appauvrissement considérable doublé d’une emprise absolue du capital/pouvoir sur les tréfonds de nos vies. C’est cela la neutralisation du vivant : les êtres unicellulaires sont maintenant des « logiciels informatiques », c’est-à-dire que ces bio-objets sont définissables par le « code-source » qui les constitue, là est leur valeur, là est leur considération humaine ! Et Venter essaie de passer à des organismes pluricellulaires ! Sa méthode bottom-up, est plus complexe mais beaucoup plus radicale que le « copier-coller » CRISPR-CaS9/Charpentier comme forme de neutralisation, puisque l’appréciation se fait directement par l’informatique et l’intelligence artificielle : la monstruation y est radicale parce qu’on ne sait pas, on ne peut imaginer ce qui va sortir de l’appareil ! Le lien humain-vivant est alors complètement rompu tant dans le développé de la manipulation scientifique (et en cela la biologie de synthèse et ces routines informatiques est la plus poussée des cyberscience parce qu’aucun de nos sens n’est en lien avec le modèle) que dans la considération « zoologique » entre deux êtres vivants où l’humain envisage l’altérité (et donc soi-même) seulement comme un objet inerte, un ordinateur-biologique, l’un plus complexe que l’autre certes, mais en fin de compte comme des génomes-softwares dans des enveloppes-hardwares.

Craig Venter n’est pas le seul, une flopée de startuppers essaie de capitaliser sur l’hybridation vivant-machine. En 2007, plusieurs sociétés offraient la synthèse des séquences génétiques jusqu’à 2000 paires de bases, pour un prix d’environ 1 $ par paire de bases et d’un temps de fabrication de moins de deux semaines.

Avec une telle intrusion de l’informatique dans les êtres vivants, la question de la perte totale d’autonomie va se poser frontalement les prochaines années, pour les animaux mais aussi pour les humains. Il nous faut agir sans plus tarder.

Conclusion : combattre la monstruosité, conserver le vivant

— J’ai peut-être l’air stupide mais des êtres comme ça n’existent pas.
— Non, c’est vrai. Pas avant quarante ans…

Sarah Connor sceptique en 1984 dans Terminator.

Au même titre que les robots, dont on commence à observer quelques spécimens dans les rues[62] et les Ehpad[63], les bio-monstres sortent des films, ils arrivent ! Une prolifération qui commence à s’observer en dehors des lieux clos des laboratoires. Pour certains, comme les plantes OGMs, cela fait plus de quinze ans qu’ils poussent à l’air libre dans les champs sans que l’on soit beaucoup à s’en émouvoir. Mais le plus inquiétant arrive maintenant sur la scène de la vie[64] car outre les lapins-monstres et les souris-monstres ce sont surtout les hommes-monstres qui s’incarnent. Les jumelles OGM, les chimères humains-porc, les hybridations à tout va des ciseaux CRIPSR sont bien réels. Beaucoup d’autres « variétés » de monstres sont au seuil du monde, ils restent en potentialité dans la tête des scientifreaks, ou alors ce sont des « ébauches » pas tout à fait viables, (sans compter les militaires qui nous promettent le « soldat augmenté » pour dans quelques années ![65]). Ces monstres n’attendent qu’un surcroît de puissance technologique pour aboutir, nonobstant leur légalisation a posteriori par le bioéthicien qui cernera par la loi (c’est-à-dire rien du tout) les limites de leurs expansions contrôlées. Tous, en tout cas, nous foutent la trouille !

A) Combattre

Combattre la monstruosité faite à la nature, c’est avant tout faire en sorte que toutes ces biotechnologies et leur progéniture ne voient pas le jour. Une fois créée, leur part de vie en elles font qu’elles prolifèrent, mutent et peuvent s’hybrider dans la nature. Et hélas, dans ce capharnaüm des horreurs, il n’y a pas que des bactéries qu’il suffirait de tuer avec un peu de Javel. Des spécimens de plantes, d’insectes, de mammifères, sont maintenant « monstrués ». Il nous faut au plus vite enrayer le processus avant de se retrouver devant des dilemmes intenables et des renoncements sans lendemain.

C’est pourquoi, sur le modèle du sabotage de la CIRADE par Riesel et sa bande, le mieux et de ne pas attendre leur libération. C’est aux personnes lucides, (donc pas forcément aux chercheurs eux-mêmes), de forcer les portes où se fabriquent ces biotechnologies, de renverser béchers et fioles, de piétiner leurs plantules, de vilipender les personnes qui y travaillent et d’assumer enfin la destruction de ce qui nous détruit. Il nous faudra pour cela faire des enquêtes minutieuses pour cartographier les laboratoires et comprendre ce qui s’y fabrique. Nous nous rendrons compte qu’il n’y a pas que des laboratoires P4 bunkérisés, de nombreuses technostructures sont accessibles aux quidams.

Mais ce n’est pas tout. Le combat est aussi anthropologique. Face à la neutralisation du vivant, c’est-à-dire ce processus malin (comme il y a des tumeurs malignes) qui s’insinue de partout et qui mêle la machine informatique à ce qui vit, il nous faut tenir des positions de manière indéboulonnable : refuser, dans toutes les sphères de la vie sociale, l’assimilation conceptuelle du vivant – et de nos vies et nos corps – aux machines. Refuser aussi autant que faire se peut, que soient opérées des modifications génétiques à nous-mêmes et à nos congénères humains et animaux[66] – et cela passe par le refus des vaccins codants, de la thérapie génique, du puçage et autres injections de biomolécules codées – même s’il peut en coûter le prix de la vieillesse, de la souffrance et de la mort. Sans remettre des couches d’idéologies ou de pseudo-trouvailles scientifiques sur l’innocuité ou pas d’un produit issu des biotechnologies, les refus intransigeants seront salutaires parce qu’ils mettront sur la place publique la contradiction fondamentale du capitalisme avancé : le choix entre le vivant ou la technologie. Les personnes courageuses qui feront ces choix permettront d’ouvrir des brèches dans le consensus démocratico-progressiste et de rendre effective – d’abord dans leurs corps et ceux des animaux qu’ils chérissent – les luttes, dont on a vu avec l’épisode vaccinatoire anti-corona, qu’elles seront rendues de facto illégales d’une manière ou d’une autre (bannissement, amende, perte de travail, discrimination, prison, etc.), tellement elles brisent le vieux concordat scientiste de nos pays.

Et effectivement, il n’y a pas de puce dans le vaccin, trop simple, trop surfait comme explication. Une pensée qui rend compte que l’histoire n’est pas la somme de volontés individuelles et ‘méchantes’ de dominer le monde, mais l’empilement de forces économiques, sociales, culturelles et historiques qui toutes, sous le règne du technocapitalisme, convergent dans les mêmes rails de la guerre au vivant, permet de regarder les faits d’une autre manière et d’éviter de voir des complots de partout. On peut regarder le smartphone et le vaccin ARN d’une autre manière et les lier par ce qu’ils sont réellement, au-delà de ce qu’ils paraissent : des abstractions réelles faites de « code » et de programmes. Leurs codes implémentés (lus et réalisés) donnent des instructions au nouveau milieu humain fait de machines informatiques et de réseaux. Le véritable saut en 2020 du technocapitalisme vient du fait que maintenant le code ‘biologique’ et le ‘code informatique’ (pour les cyberscientifiques seul le langage diffère mais la grammaire est la même) sont liés, et ils le sont autant à l’extérieur avec les puces de stockage à ADN de la firme Catalog[67], qu’ils le sont à l’intérieur de nous avec le vaccin à ARN. La peur de « la-puce-dans-le-vaccin » traduit de manière imagée l’intuition populaire qu’il y a effectivement de l’informatique qui a pénétré la barrière cellulaire des humains et effectivement c’est le cas et c’est très grave[68].

C’est en cela qu’il faut comprendre que la guerre au vivant se généralise de plus en plus à toutes les espèces, à tous les territoires, à mesures que les outils et les structures technoscientifiques acquièrent une puissance de pénétration et de modification du vivant maintenant que presque toutes les barrières éthiques et législatives ont sauté grâce aux béliers couplés du progressisme et de « la vie coûte que coûte » (c’est-à-dire la peur de la mort hypostasiée).

B) Conserver

Ce refus de l’assimilation, de la mutation, il faut le coupler à des actions positives de conservation de la nature. Comme pour le refus, notre conservatisme doit être intégral, c’est-à-dire bien au-delà de ce qu’un conservateur ne pourrait assumer.

Le vivant n’est pas un substrat, le vivant n’est pas neutre, il est engagé, il ne fait que ça. La sauvegarde/conservation est une pratique dialectique de la destruction du changement qu’il faut mettre en place : dans un même mouvement conserver la nature, en nous et de partout, et en même temps détruire les constructions industrielles humaines. Ce n’est pas tant qu’il manque des naturalistes et d’ONG participant d’une sauvegarde des êtres vivants espèce par espèce au beau milieu d’une tombe qu’on appelle planète Terre. Nous pensons que le combat, pour avoir une chance de réussir, doit être bien en amont, en essayant de saper les bases même de la guerre au vivant : combattre la logique à l’œuvre, les technostructures, les postures et les agents du désastre. Dans nos luttes, il nous faut prôner ce qui fait horreur à tous les progressistes de gauche comme de droite : la destruction du bougisme, de l’aventuresque, de la croissance, du mouvement rapide et perpétuel, des envolées industrielles et prôner l’arrêt de la folie des grands nombres, de la quantité et de la masse.

Sauvegarder/conserver signifie casser la dynamique du changement perpétuel de forme qui est la consolidation de l’ordre capitaliste. Faire échoir la chaîne de valorisation en expliquant qu’il ne peut y avoir « convergence » entre vivant et machine puisque ces stances existent sur des plans différents, celui du naturel, qui est engendré et celui de l’artificiel qui est créé, artificié et que la considération que nous avons pour les animaux et la nature ne peut être identique à une production humaine, de surcroît industrielle ! Il y a donc une échelle de valeur et cela est une minima moralia.

La biologie moderne actuelle comme « systémisme » (vision) et technologie de pointe (opératoire) avec les technologies de l’information sont les deux forces principales d’augmentation du scientifc power (la capacité de la science à augmenter l’économie et faire partie intégrante de la puissance d’un pays) et de création de cycle de valorisation. Et à travers elles, c’est une vision du monde qui se matérialise. C’est donc cette vision instrumentale du monde et des vivants qu’il s’agit de débusquer et d’arrêter. Pour cela, il nous faut abandonner au plus vite la recherche scientifique, publique ou privée, TOUTES LES RECHERCHES, sans pour autant se priver des connaissances existantes et de la raison comme d’un « entendement » (Habermas) entre humain et avec le milieu de vie. Par ailleurs, nous pensons que la voie du démantèlement – prônée de plus en plus par l’aile gauche de l’écologie politique – est encore une impasse dans le sens où elle ne peut qu’aboutir à une nouvelle phase d’industrialisation comme c’est le cas pour le nucléaire en Allemagne… mais cela est un autre débat.

On l’a vu dans cet épisode, la biologie moderne, parce qu’elle redonne une définition instrumentale du vivant et des humains à l’aune du technocapitalisme florissant, est une discipline scientifique qui, plus qu’une autre, rajoute de la force dans le devenir technologique de l’histoire, il faut la combattre en priorité.

Nous n’en tenons plus. Notre tâche est avant tout ici de démasquer la barbarie de notre temps, ce saccage de la vie sous les atours respectables de la prouesse médicale, de l’avancée des connaissances ou du happening techno-arty faussement subversif. Il n’y a pas à leur laisser leur chance à ces faux-jetons d’un middle ou d’une caste, hauts scientifiques et artistes, ivres de puissance et de notoriété. Ils sont prêts à créer le pire pour de l’argent, de la reconnaissance ou la soif du pouvoir sur la nature. Leur ironie mal placée est une plaie affligeante et face à cela il nous faut tenir la rigueur du refus et du combat comme qualités premières.

COMING SOON : le Front humain

Dans le prochain et dernier épisode de la série, on parlera de la guerre contre l’humaine condition. Vous y rencontrerez des personnages barbares espérant télécharger la conscience dans l’ordinateur ; vous suivrez une histoire des idées du front humain des biotechnologies à partir de la cybernétique, de la pensée post-structuraliste, post-moderne et cyberféministe ; vous partirez explorer le désir de devenir cyborg et vous vous frotterez à la prose sur le post-humain. Au passage, vous croiserez des croyants et des hackers transhumanistes, des intellos techno-utopistes, des biologistes pro-hybridation, sans oublier quelques passages par les laboratoires militaires prêt à remplacer nos membres par des exosquelettes.

La tempête sur les corps et les dignités humaines fait rage en ce moment. Il est plus qu’urgent de lui donner un nom et un visage et d’avancer des pistes pour la combattre : c’est le front humain de la guerre généralisée au vivant. Nous sommes prêts, et vous ?

[1] Vous l’aurez peut-être remarqué, mais depuis le début de la série Guerre généralisée au vivant,, nous inversons volontairement la définition du bios et du zôên par rapport à celle qu’en propose Agamben, (Homo Sacer. I, Le pouvoir souverain et la vie nue Éd du Seuil 1997). La lecture de l’article de Laurent Dubreuil « De la vie dans la vie : sur une étrange opposition entre zôê et bios », (Labyrinthe n°22 2005) parlant de l’ambiguïté des deux termes chez les Grecs anciens nous a décidé à considérer le bios comme la vie particulière étudiable, instrumentalisable et à voir le zôên comme le règne du vivant, la vie pleine en partage sur toute la Terre, la vie non réductible.

[2] Nikolas Rose, The Politics of Life Itself, Biomedecine, Power and Subjectivity in the Twenty-First Century, Princeton University Press, 2007. Repris dans Céline Lafontaine, La Société postmortelle, Éd. du Seuil, 2008 : « La politique de la vie en elle-même s’articule autour de cinq caractéristiques principales : la molécularisation de la culture, l’optimisation individuelle, la responsabilisation des individus face à leur « patrimoine biologique », le développement d’une expertise biomédicale de plus en plus poussée et d’une bioéconomie axée sur la production de biocapital faisant des éléments vitaux des marchandises échangeables et reproductibles. » p 124.

[3] Pour « Nano, Bio, Info, Cognitio », qui seraient comme les quatre briques élémentaires à la fois du vivant et de la machine, d’où l’idée de convergence. Tout au long de cette épisode nous verrons que la technoscience essaie au maximum de réduire les choses et les êtres à des monades quantifiables et comparables. Les êtres vivants étant réduit à du « bios ».

[4] En cela la technoscience en tant que force historique est le pur produit de notre modernité où le milieu technique à recouvert d’un voile (avec ses écrans, son béton, ses routes, ses câbles), la présence de la nature, non en tant que « milieu » mais en tant que continuum entre notre intériorité et l’extériorité totale que l’on qualifie souvent de « monde ». En cela, le mot « environnement » – cet assèchement de la présence de la nature – n’est qu’un milieu en négatif par rapport au bain technologique et est une création technoscientifique pouvant par la même être auscultée et opérée par des agents technoscientifiques, des « chercheurs en écologie ». C’est maintenant qu’il convient d’utiliser le terme « système » comme échafaudage théorique matérialisé dans la technoscience. Celle-ci peut seulement acquérir des connaissances sur ce qu’elle sait déjà : elle n’est pas là pour faire en sorte que nous nous comprenions et que nous puissions trouver notre place dans le monde mais pour délier et remplacer tous contacts avec le sens par du pouvoir sur ce système qui nous échappe en permanence, elle permet donc d’acquérir de la puissance. En cela la technoscience n’est pas une philosophie comme on pourrait dire que l’art, la religion, le sont, mais bien l’idéologie finale qui en a fini avec les philosophies et la sagesse.

[5] Il est certain que le nucléaire, l’informatique et la biologie moderne ont une parenté commune dans le militarisme scientifique et les grands programmes technoscientifiques civilo-militaires, chantiers colossaux qui abreuvent de données, de dollars et de directives toute la technoscience de la seconde moitié du XXe siècle comme par exemple le Human Genome Project. (c.f. ép. 1).

[6] Pour une histoire des idées de la cybernétique à partir d’une description des conférences Macy, voir l’ouvrage du cybernéticien Jean-Pierre Dupuy, Aux origines des sciences cognitives, La Découverte,1999. Quelques passages traitent de la difficulté qu’ont les cybernéticiens à appliquer leur vision au vivant (p 138-139 notamment) et d’autres passages nous expliquent les transferts des idées des physiciens et cybernéticiens vers la biologie ainsi que de la création de la biologie moléculaire.

[7] Pour un approfondissement des visions réductionnistes machinistes appliquées au vivant, voir Bertrand Louart, Les êtres vivants ne sont pas des machines (Notes et morceaux choisis n°13), La Lenteur, 2018. Page 158, il écrit : « Des spéculations, des métaphores et des hypothèses se transforment régulièrement en théories ou modèles, que l’on considère ensuite comme des réalités bien établies (l’exemple emblématique étant la notion d’hérédité et son ultime avatar, l’idée de ‘programme génétique’) ».

[8] Par exemple, Anselm Jappe, Béton. Arme de construction massive du capitalisme, L’Échappée, 2020.

[9] Georg Simmel, Psychologie de l’argent, Éditions Allia, 2019.

[10] Dans la Bible, le culte de Moloch est lié à des sacrifices d’enfants par le feu.

[11] Céline Lafontaine, Bio-objets, les nouvelles frontières du vivant, Seuil, 2021.

[12] Pour comprendre comment l’imaginaire du monstre à travers les époques parlent avant tout du rapport de l’être humain à lui-même et à la nature, voir Philippe Breton, À l’image de l’Homme. Du Golem aux créatures virtuelles, Éd. du Seuil, 1995.

[13] Jean-Pierre Berlan, « La menace du complexe génético-industrie » le Monde diplomatique, décembre 1998.

[14] Notre démarche va à l’encontre notamment de ce que peut écrire Donna Haraway avec son « manifeste Chthulucène de Santa Cruz », ses bouffées délirantes, ses conceptualisations à outrances, son pessimisme dépolitisant (qui acte notre disparition certaine) et son techno-utopisme. Nous en ferons une critique quand nous aborderons le « front humain » dans l’épisode 4. En attendant vous pouvez le lire ici : https://laboratoryplanet.org/manifeste-chthulucene-de-santa-cruz/

[15] Très beau texte, « la science ne nous sauvera pas » de Adrien D, sur le site de l’association TECHNOlogos, lettre d’information, n°25, mais 2022, https://technologos.fr/doc/lettres_d_information/lettre_25_de_mai_2022.pdf.

[16] Lily Kay, Who Wrote Book of Life, A History of the Genetic Code, Standford University Press, 2000, p 10, repris dans Céline Lafontaine, L’Empire cybernétique. Des machines à penser à la pensée machine, Éd du Seuil, 2004, p 198.

[17]

[18] Notamment par le mathématicien Warren Weaver (c.f. ep. 1 note 32).

[19] Norbert Wiener, Cybernétique et société. L’usage humain de l’être humain, UGE 10/18, 1954.

[20] James Watson, La double hélice, 1968 ; éd. Robert Laffont, 2003. Brenda Maddox, Rosalind Franklin, la dark lady de l’ADN, éd. Des Femmes-Antoinette Fouque, 2012.

[21] Pour toutes ces références et bien d’autres sur ces deux prix Nobel, voir « Pas si élémentaire mon chère Watson » de Guillaume Mandicourt, sur 360°, https://360.ch/culture/4185-pas_si_elementa/

[22] « Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s’améliorer auront un sérieux handicap. Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur », Kevin Warwiick, Libération, 12 mai 2002. Pour comprendre historiquement comment l’eugénisme n’est pas particulièrement nazi mais est un des ressorts de la société industrielle, voir André Pichot, La Société pure, de Darwin à Hitler, Flammarion, 2001

[23] Dr Yves Ternon et Dr Socrate Helman, Histoire de la médecine SS ou le mythe du racisme biologique, Casterman 1969.

[24] C.f. l’épisode 2 si vous voulez entr’apercevoir quelques-unes des atrocités des biologistes modernes sur les humains.

[25] Karl Marx, Un chapitre inédit du Capital, Éditions UGE, 10/18, p 191, cité dans J. Guigou et J. Wajnsztejn, La Société capitalisée, L’Harmattan, 2014, p 48- 49 et note 71.

[26] « La caractéristique générale de la domination formelle y subsiste, à savoir la subordination directe du procès de travail sur au capital, quelle que soit la technique qui s’y exerce. Mais sur cette base va s’élever un mode de production capitaliste technologique et spécifique qui modifiera la nature réelle du travail et ses conditions réelles. Ce n’est qu’à partir de ce moment où ce mode de production entre en action que se produit la soumission réelle du travail au capital » Un Chapitre inédit, p 216.)

[27] Ronan Le Roux, Une histoire de la cybernétique en France (1948-1975), Garnier classique, 2018.

[28] En gros, selon ces auteurs, et cela sera le « dogme central » jusqu’à il y a peu, le programme génétique organise et contrôle le développement des organismes vivants comme le programme informatique commande l’ordinateur. L’hérédité est ainsi assimilée à une série d’algorithmes ordonnant l’assemblage physico-chimique du vivant.

[29] Compte-rendu du débat télé « ’Vivre et parler’ ou les multiples langages humains  » de Frédéric Gaussen, 21 février 1968 disponible sur le site du journal Le Monde.

[30] Beaucoup de philosophes des sciences ou des chercheurs en biologie remettent en cause la centralité de la molécule d’ADN comme « programme ». Il n’y a quasi plus de doute à avoir concernant sa nécessité dans la génération et l’hérédité, mais la notion de programme génétique est très marquée idéologiquement pour qu’il n’y ait pas anguille sous roche. Pour l’instant il n’y a aucune explication satisfaisante des mécanismes de l’hérédité et de la génération au niveau moléculaire ou macro-moléculaire (niveau protéique, structurale, embryologique, etc.). Le site sniadecki.wordpress.com regorge de texte sur cette thématique.

[31] Nous vous renvoyons au livre d’André Pichot, Histoire de la notion de vie (1993) pour plus de détail. Aucune preuve n’existe à l’heure actuelle établissant le fait que les molécules d’ADN seraient comme des instructions données à la cellule pour s’auto-fabriquer.

[32] Jacques Monod, le Hasard et la Nécessité, Paris, Seuil, 1970 parle des êtres vivants comme des « machines chimiques » régulées au niveau moléculaire par un « système cybernétique gouvernant et contrôlant l’activité chimique. » ; François Jacob, La logique du vivant, Paris Gallimard, 1970 : « tout invite à assimiler la logique de l’hérédité à celle d’une calculatrice. Rarement modèle imposé par une époque aura trouvé une application plus fidèle ; et André Lwoff, L’ordre biologique, Paris, Robert-Laffont, 1969. « La cellule est une usine, elle doit synthétiser tous les matériaux et en quantité et en proportion convenable. La production en excès est un gaspillage et tout gaspillage diminue les chances dans la lutte pour la survie. »

[33] C’est le physicien français Léon Brillouin, qui identifie l’information à la néguentropie, forgeant lui-même ce néologisme en 1950 à partir de l’expression negative entropy de Schrödinger. Et Brillouin dès 1959 assimile sa néguentropie à la mort : « Le principe de Carnot est un décret de mort ; il s’applique brutalement dans le monde inanimé, monde déjà mort par avance. La vie fait, pour un temps limité, échec à ce décret. Elle joue sur le fait que le décret de mort est issu sans préciser le délai d’application. » cité dans Jacques Grinevald, « Progrès et entropie, cinquante ans après » dans l’ouvrage de D. Bourg, J-M Besnier (dir.), Peut-on encore croire au progrès ?, PUF, 2000 disponible sur sniadecki.wordpress.com.

[34] Adele E. Clarke, Disciplining Reproduction : Modernity, Americain Life Sciences, and « the Problems of Sex », Berkeley, University of California Press, 1998.

[35] Notons aussi ici que le scandale de l’utilisation des cellules d’Henrietta Lacks est aussi lié à d’autres problématiques sociales : les cellules ont été prélevées sans son consentement, posant la question de la race et du genre, et après sa mort (due au cancer duquel proviennent les dites cellules), elles ont été multipliées, exploitées et vendues sans que la famille n’en soit informée. [Note de tarage]

[36] Ibidem. p 254.

[37] Le lapin fluorescent existe réellement : par exemple le lapin PVF transgénique de l’artiste Eduardo Kac exprime génétiquement cette protéine fluo. « GFP Bunny », c’est son nom, est pour l’artiste une dénonciation des biotechnologies. Pour nous, comme tout ce que font les artistes contemporains, c’est le discours sur l’œuvre et non l’oeuvre qui est « artistique », vaguement esthétisant. Quant à l’œuvre, c’est souvent l’absurdité, la négligence, qui domine et pour ce lapin il y a en plus un manque cruel de considération envers les animaux. Voir https://www.ekac.org/lapinpvf. Depuis l’émergence de la classe créative, dans les années 60 avec la société du Spectacle, nous voyons se produire des interactions souvent fructueuses en méfaits entre artistes et scientifiques. L’article complaisant de Etter V. et Le Dref G. « Art et biotechnologies : de l’observation à la création du monstre » regorge d’exemple d’artistes utilisant les biotechnologies dans leurs délires égotiques et leur soif de reconnaissance liés à leur statut social intermédiaire. Le couple artiste-scientifique est par là une forme de consanguinité intellectuelle qui n’a rien de « transgressif » ou « subversif ». Nous ne résistons pas à vous citer un exemple issu de l’article : « Les Australiens Oron Catts et Ionat Zurr semblent ainsi aller plus loin en tentant d’imaginer des perspectives utilitaristes à des possibilités de reproduction de cellules vivantes. Leur collectif nommé Tissue Culture & Art ( TC&A ) dispose du premier laboratoire de biotechnologies dédié à la production artistique au sein de l’université de Perth où ils travaillent sur l’utopie d’une production de protéines animales ’sans victimes’. Dans leur installation Disembodied Cuisine (Cuisine désincarnée), des cellules musculaires de grenouilles ont été mises en culture et se sont multipliées sur des structures polymères résorbables pour devenir de petits « steaks ». En clôture des expositions, les steaks ainsi formés sont dégustés (en présence des grenouilles toujours vivantes et en bonne santé, sur lesquelles ont été prélevées les cellules). » La guerre au vivant à beau ne pas « faire de victime » apparente quand elle se pare d’un côté fun et cool, nous trouvons que cet exemple illustre au contraire parfaitement la neutralisation du vivant, la mort de ce qui vie en nous. Ici le vivant n’est considéré que comme de la « pâte », de la « matière plastique » permettant de concrétiser, via la technologie, tous les délires de puissance de la classe créative (ici se passer de tuer des animaux tout en mangeant de la « viande » ).

[38] C’est Corine Pelluchon qui développe cette notion de « considération animale », même si globalement nous pensons que ses analyses sont plus portées par un idéalisme philosophique trop abstrait que d’une réelle pensée dialectique permettant des combats politiques. Corine Pelluchon, Les Lumières à l’âge du vivant, éd.Seuil. 2021.

[39]  Pour une analyse des vecteurs génétiques et leurs analogies avec les vecteurs des bombes nucléaires, voir notre brochure sur les vaccins codants et les vecteurs nanolipidiques : « Ouvrez grand vos membranes cellulaires. Le technocapitalisme à l’assaut de nos cellules, Août 2021.

[40] Jackson David, Symons Robert H., Berg Paul, 1972, Biochemical Method for Inserting New Genetic Information into DNA of Simian Virus 40: Circular SV40 Molecules Containing lambda Phages Genes and the Galactose Operon of Escherichia coli, Proc. Natl Acad. Sci. USA, 69, 2904 – 2909

[41] Céline Lafontaine, Bio-Objets, op. cit., P 256.

[42] Maurice Cassier, « La Cour suprême libère les gènes », le Monde, 3 juillet 2013, cité dans Céline Lafontaine, Le Corps-marché, op. cit., p 94-99.

[43] Pour tous ces développements complexes voir le chapitre 3 « L’envers du don » dans Le Corps-marché, op. cit., p 107-154.

[44] Pour les questions concernant les biotechnologies et les OGM, on vous conseille le petit livre sous la direction de Jean-Pierre Berlan, La Guerre au vivant. Organismes génétiquement modifiés & autres mystifications scientifiques, Agone Éditeur, 2001.

[45] Au tableau des horreurs biotechnologiques, il nous manque, faute de place, la « viande de synthèse » ou « agriculture cellulaire ». Nous vous renvoyons aux extraits du livre de Jocelyne Porcher, Cause animale, cause du capital, Le Bord de l’eau, 2019, notamment à partir de la page 78 : « Cell-Ag ». [Note de tarage – thèse anti-anti-spéciste, contre un véganisme vu comme moralisateur et commercialement manipulé, qui validerait « par défaut » la production de viande de laboratoire…]

[46] Eric Drexler, ingénieur formé au MIT est un des précurseurs de la biotechnologie avec son mentor Marvin Minsky. Drexler est aujourd’hui un transhumaniste patenté et a réservé son cercueil cryogénique à la société Alcor de Max Moore en vue de sa conservation en attendant le téléchargement de son esprit dans une machine. Dans cet extrait apparaît encore une fois le lien entre l’extraction terrestre et l’extraction du corps, avec tout l’imaginaire des années 70-80 en fond.

[47] Céline Lafontaine, L’Empire cybernétique, op. cit. p. 119-123.

[48] Céline Lafontaine, Bio-objets…,op. cit., p. 287-p 294

[49] Les boîtes de biotech font florès depuis les années 1990. Une des plus connue est Genentech, qui en 1979 produisit l’insuline humaine par culture de bactéries génétiquement modifiées. Nous essayons de faire ici une différence entre les entreprises pharmaceutiques classiques : Sanofi, Johnson & johnson, Roche, Pfizer, Novartis etc, dont le cœur de métier est la synthèse biochimique de médicaments et les boites de biotechnologies, souvent fondées par d’ancien chercheurs et utilisant le vivant comme micro-unité de production. Cette distinction est cependant artificielle puisque les boîtes de biotechnologie sont souvent détenue par des conglomérats pharmaceutiques (ex : Genentech appartiens à Roche) et prône la même logique d’enrichissement.

[50] Wikipedia, article en anglais « Ginko_Bioworks ». En effet la méthode de « bas en haut », une fois les techniques mises en routines, est plus facile à industrialiser car les paramètres sont réduits au minimum comparé aux biotechs « de haut en bas ».

[51] Sur le biohacking et le mouvement Do It Yourself en biologie (DIYbio), voir la thèse de sociologie de Daphne Esquivel-Sada, « Un labo à soi. L’idéologie DIYbio de démocratie des biotechnologies et la conjonction entre facultés manuelles et autonomie », Université de Montréal 2017, cité dans Bio-objet… op. cit. p 291, note 2.

[52] https://igem.mit.edu/

[53] En France citons le « Bio-HackerSpace parisien » La Paillasse, « un laboratoire communautaire pour les biotechnologies citoyennes où sont menées des actions d’amorçage et d’accélération de projets scientifiques, entrepreneuriaux et artistiques. » (https://lapaillasse.org). Pour comprendre le lien historique et philosophique entre la mouvance hacker, les technologies et les grands laboratoires américains, le tout baignant dans une culture « techno-utopiste » de « l’open source » et de la « transdisciplinarité » fort apprécier du capital, voir Fred Turner, Aux sources de l’utopie numérique. op. cit.

[54] Nous perdons toute lisibilité sur l’évolution de ces sociétés à cause de leur multiples rachats, fusions et acquisitions par des grosses boîtes de pharma (notamment Novartis).

[55]  « He Jiankui, le biophysicien à l’origine des premiers enfants génétiquement modifiés au monde a été libéré après trois ans passés dans une prison chinoise » sur https://www.genethique.org/bebes-ogm-he-jiankui-libere-de-prison/

[56] Note de tarage : tous les corps en friction ne génèrent pas de naissances, et toutes les naissances ne nécessitent pas de corps en friction… Je comprends l’idée du présupposé de la sexualité dans la naissance mais on s’éloigne de ce que je suis prêt à accepter de ce texte.

[57] « Il y a énormément de problèmes dans l’affaire des jumelles Crispr. Tous les principes éthiques établis ont été violés, mais il y a aussi un grand problème scientifique : il n’a pas contrôlé ce que Crispr faisait, et cela a créé plein de conséquences imprévues », nous dit le généticien Kiran Musunuru, dans Futura-science « bébé chinois OGM : des mutations imprévues sont apparues dans le génome », 4 décembre, 2019.

[58] Au même titre que la visée infrarouge ou les micro-composants électroniques, nous sommes en présence avec CRISPR-Cas9 d’une arme, qui comme le bâton du Dagda dans la mythologie celtique, soigne d’un côté et tue de l’autre. Cette technologie en tout cas n’est pas neutre. Nos scanners et IRM, technologies éminemment salvatrices dans nos sociétés cancéreuses permettent par exemple à Thalès de se gargariser de sauver des vies alors qu’en parallèle ces mêmes technologies équipes ses armes. La technologie est duale par essence, mais est-ce un prétexte pour la sauver ?

[59] Bio-objets… op.cit., p 158.

[60] Ces « bonnes » pratiques normatives en science sont issues de machines bureaucratiques hyper-opaques qui éditent des plaquettes dans toute l’Europe, comme par exemple le European Centre for the Validation of Alternative Method et son « Guidance on Good Cell Culture Practice ». Merci buros de donner les « bons points » mais sans façon.

[61] Nicols Wade, « Rechearchers said they created a « synthetic cell », The New York Times, 20 mai 2010.

[62] Par exemple le chien-robot policier de Boston Robotics observé dans les rues de Nantes.

[63] « Ehpad : des robots tiennent compagnie aux résidents » sur France Info, 9 Avril 2019.

[64] Note de tarage : la vie animale ?

[65] « Avis portant sur le soldat augmenté » du comité d’éthique du Ministère de la défense disponible ici : https://www.archives.defense.gouv.fr/portail/enjeux2/le-comite-d-ethique-de-la-defense.html

[66] Note de tarage : et les plantes ?

[67] « Le stockage de données dans l’ADN est une technologie en passe de révolutionner le Data Storage dans les années à venir en remplaçant les supports de stockage actuels tels que les disques durs ou même le Cloud Computing. » (https://www.lebigdata.fr/stockage-adn-tout-savoir)

[68] Nous n’avons pas arrêté de dénoncer ce saut monstrueux dans de nombreux articles et brochures notamment « Ouvrez grand vos membranes cellulaires. Le technocapitalisme à l’assaut de nos cellules, », Août 2021.