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Texte de la brochure :
Anticapitalisme de droite et écologie facho : la droite extrême se pique de vert. Identitaires, cathos intégristes et Nouvelle Droite surfent sur des thématiques telles que le localisme, la décroissance, l’anti-consumérisme, tout en y insufflant une bonne dose de vieilles rengaines, tendance « La terre ne ment pas ». Une lame de fond qui prend de l’ampleur.
Partout, des indices. Une belle tomate à l’ancienne, tranchée dans la largeur. Sur l’autocollant, le dessin est soigné, les couleurs un brin désuètes. Un slogan surmonte le tout : « Penser national, manger local ». Plus bas : « Action française ».
Dans les limbes d’Internet, une épicerie en ligne, « Au Bon Sens ». Du terroir, des graines, du bio et du permaculturé. Tentant. Puis, un sous-titre : « Produits sains et enracinés ». Et en fouillant, des vidéos… d’Alain Soral.
Sur un prospectus de campagne de Stéphane Ravier, sénateur et candidat Rassemblement national (RN) à la mairie de Marseille : « Une ville verte : arrêt de la construction de logements sociaux, préservation des poumons verts. » Traduction : virer les indésirables et arroser les géraniums.
La ficelle est grosse. À l’heure du réchauffement généralisé, l’extrême droite reste globalement industrialiste. Et quand elle parle de la préservation de la Terre, c’est pour la lier à des thématiques bien rances. Du local au « chacun chez soi », du terroir à la « pureté raciale ». Bref, rien de bien neuf sous le soleil noir des fachos, même si l’écofascisme a plus que jamais le vent en poupe. En mars 2019, un homme tue 51 personnes dans deux mosquées à Christchurch, Nouvelle-Zélande. Dans un texte publié en ligne avant le massacre, il écrivait : « L’environnement est détruit par la surpopulation, et nous les Européens sommes les seuls qui ne contribuons pas à la surpopulation. […] Il faut tuer les envahisseurs, tuer la surpopulation, et ainsi sauver l’environnement. »
Völkisch, paganisme & identitaires
Évidemment, ce n’est pas le discours du Rassemblement national. Jugez plutôt : « La biodiversité animale et végétale est essentielle, mais la diversité des sociétés humaines est encore plus importante à mes yeux et cette diversité est protégée par la frontière. » C’est Hervé Juvin, « l’intello écolo » du parti, qui parle sur France Inter en avril dernier, quelques semaines avant d’être élu député européen. Pour Stéphane François, universitaire spécialiste de la question, l’implication au RN de Juvin, antimondialiste et défenseur de la « Grande séparation » – titre d’un de ses ouvrages –, « a renforcé le changement opéré avec l’arrivée en nombre de cadres identitaires, sensibles au localisme et à une écologie des populations ».
Malgré tout, Stéphane François estime que « l’écologie a du mal à prendre » au sein du RN. En 2017, le programme de Marine Le Pen n’affichait pas grand-chose en la matière, hormis une mention de la notion de « circuits courts ». « Ils n’ont pas du tout rompu avec le paradigme productiviste, alors qu’il y a un vrai anticapitalisme de droite, très sincèrement pour la décroissance », explique Zoé Carle, post-doctorante qui a enquêté sur le sujet pour La Revue du Crieur[1].
L’écologie reste donc plutôt affaire de groupuscules pour l’extrême droite, ce qui n’a rien de neuf. « Dans les années 1970, reprend Stéphane François, l’écologie intéressait surtout les anciens SS français, notamment Robert Dun, proche des idéaux völkisch[2], c’est-à-dire à la fois raciste, païen et proche de la nature. Dans les années 1980 et 1990, ce fut surtout la Nouvelle Droite [autour d’Alain de Benoist] qui s’est intéressée à cette question, tournant le dos à ses positions technophiles des années 1970. Dans les années 1990, en parallèle de la Nouvelle Droite, la tendance nationaliste-révolutionnaire autour de Christian Bouchet et de Nouvelle Résistance s’est aussi penchée sur cette question, cherchant même à infiltrer des groupes écologistes français. La décennie suivante, elles ont été rejointes par les premiers groupes identitaires comme le Bloc identitaire […]. Et dans les années 2010, les catholiques traditionalistes s’y mirent également, surtout à partir de la bulle Laudato Si[3] du pape François. »
Récup’ et nouveaux venus
En matière d’écofascisme, chaque groupe a ses spécificités. Pour les identitaires de Nissa Rebela ou de la Ligue du Midi, c’est le localisme et les circuits courts. Les catholiques, mais aussi la Nouvelle Droite, insistent sur la préservation du vivant et des corps, en endossant la lutte contre la PMA et la GPA. Certains s’étendent sur l’ethno-différentialisme, idée selon laquelle chaque ethnie possède un héritage culturel propre et doit vivre séparément des autres. D’autres se concentrent sur la décroissance ou sur le rejet de la technique. Le terreau idéologique est vaste : il va d’un (supposé) souci écologique hitlérien à l’inspiration de philosophes critiques de la technique comme Martin Heidegger, membre du parti nazi, en passant même par des ethnologues très éloignés de la galaxie nationaliste comme Claude Lévi-Strauss et Robert Jaulin.
Aux trois grands courants (Nouvelle Droite, identitaires, cathos intégristes) qui ont investi les questions écologiques, Zoé Carle ajoute Égalité & Réconciliation, le petit commerce en ligne de l’antisémite Alain Soral, via notamment la figure de Nicolas Fabre, spécialiste ès circuits courts, mais aussi la revue Limite, « revue d’écologie intégrale », cofondée par entre autres Gaultier Bès et Eugénie Bastié. Ces derniers sont plutôt proches de Sens commun, think tank proche de La Manif pour tous (et des Républicains), et ils s’intéressent à des questions qui touchent à l’intégrité de la famille, à « l’écologie des humains » (procréation médicalement assistée, gestation pour autrui…). À ce tableau vert-brun, il faut encore ajouter les communautés survivalistes[4] et autres adeptes de thèses venues d’outre-Atlantique.
« Le climato-scepticisme a longtemps prévalu dans les droites, rappelle Zoé Carle, mais elles se sont approprié la question environnementale, car la catastrophe est là. » La préservation de la nature devient un faux-nez pour défendre autre chose : fermeture des frontières, contrôle du corps des femmes, malthusianisme exacerbé, éloge de la nature sous le prisme du culte de la force et de la terre. Dorénavant, « l’écologie politique est un espace de lutte, et ces acteurs, même s’ils sont très minoritaires – y compris dans leur propre champ – est viennent concurrencer la gauche sur le terrain du local ». La terre ne ment peut être pas, mais les fachos oui.
[1] « Les contre-révolutions écologiques des droites dures », Revue du Crieur, n° 8, automne 2017.
[2] Mouvement raciste et antisémite né en Allemagne à la fin du XIXe siècle, prônant une conception ethnique du peuple qui a inspiré le nazisme. Cette pensée est revendiquée par des figures de l’extrême droite française comme Pierre Vial, médiéviste et fondateur de l’association Terre et Peuple.
[3] Seconde encyclique du pape François (2015), portant sur « la sauvegarde de la maison commune ». Elle est consacrée aux questions environnementales.
[4] Lire « Survivalisme et extrême droite : une romance qui dure », CQFD n° 171 (décembre 2017).