L’affaire Nozière – Anne-Emmanuelle Demartini

Lien vers la brochure en pdf : L’affaire Nozière

Lien vers le texte sur Cairn

Texte de la brochure :

Attention, ce texte parle d’inceste et d’assassinat.
Il s’agit de faits réels.

En 1933, la jeune parricide Violette Nozière défraie la chronique judiciaire. La presse l’érige en criminelle emblématique de la France des années 1930, le groupe surréaliste en égérie poétique. Pour l’historien qui s’y intéresse, cette affaire judiciaire restée fameuse affiche d’emblée le visage de l’intemporel et du mythe. Que ce soit sous la plume de Guy Rosey, évoquant « le bras d’Œdipe toujours vert le long des siècles », d’André Breton, disant de Violette Nozière qu’elle est « mythologique jusqu’au bout des ongles », ou de Paul Eluard, dans le fameux décasyllabe qui clôt son poème sur « l’affreux nœud de serpent des liens du sang », en référence aux Choéphores d’Eschyle, le recueil que les surréalistes ont consacré à Violette Nozière souligne la densité symbolique de l’affaire[1]. À cet égard, la parole des artistes rejoint le discours des journalistes qui ont déroulé, d’article en article, les actes d’une tragédie familiale placée sous les auspices d’Eschyle et de Sophocle. C’est que dans cette affaire judiciaire se trouvent noués le parricide et l’inceste, soit la transgression de deux tabous fondamentaux, étroitement liés l’un à l’autre, qui fondent la filiation et le lien social, conformément aux analyses célèbres de Freud.

La conformité au schéma mythologique n’est cependant pas complète, puisque l’auteur de l’inceste est ici non pas l’auteur du parricide comme Œdipe, mais sa victime. Est ou serait, car parricide et inceste n’ont pas eu le même statut, le premier ayant été un fait constaté et le second un fait non prouvé et discuté. Pour expliquer son parricide, en effet, Violette Nozière a accusé son père de l’avoir violée, mais cette accusation n’a pas été retenue au terme de l’instruction judiciaire, et reste d’ailleurs encore attachée à ce fait divers comme un mystère non élucidé. Dans le sillage des travaux sur les affaires judiciaires qui s’installent dans le paysage historiographique, la réflexion ici menée reprend le dossier de l’affaire Nozière et elle le scrute à la lumière de la question de l’inceste[2]. Le choix de cet angle d’analyse repose sur la conviction que c’est de l’intrication du parricide et de l’inceste – qu’il ait été considéré comme réel, probable ou douteux – que l’affaire Nozière tire sa densité et son retentissement. L’objectif est d’analyser le traitement judiciaire et social dont a fait l’objet la parole accusatrice de Violette Nozière. Partant, on interroge l’affaire sous l’angle de l’évolution des sensibilités aux violences sexuelles et singulièrement à l’inceste.

Ce type de contentieux a fait récemment irruption dans l’historiographie, interpellée par la constante progression des atteintes aux mœurs dans les statistiques judiciaires depuis le XIXe siècle et par la focalisation actuelle de l’émotion publique sur les crimes associant sang et sexe. Après un article pionnier d’Anne-Marie Sohn, l’intérêt a grandi ces dernières années mais les travaux réalisés pour la période contemporaine portent encore essentiellement sur le XIXe siècle. Quant à l’importante synthèse de Georges Vigarello, scrutant l’évolution du droit et du regard médical, elle traite de la période moderne et du XIX e siècle, puis passe directement à la fin du XXe siècle. L’étude présentée ici se glisse dans cette lacune chronologique et porte attention aux années de l’entre-deux-guerres négligées par la recherche. Qu’elles n’y soient pas « les plus importantes » n’enlève rien au fait qu’elles ont leur place dans l’évolution des seuils de tolérance qui a conduit du déni face à une infraction taboue à la libération de la parole des années 1980. Pour éclairer cette place, on propose de réduire la focale en prenant pour objet une affaire judiciaire singulière[3].

*

« Si j’ai agi ainsi, vis-à-vis de mes parents, c’est que, depuis six ans, mon père abusait de moi »

Le 21 août 1933, dans un quartier populaire de Paris, Violette Nozière, âgée de 18 ans, fille unique d’un ménage ouvrier, empoisonne ses parents à leur domicile. Le père, Jean-Baptiste, mécanicien à la compagnie du Paris-Lyon-Méditerranée, décède, mais Germaine, la mère, survit au drame et son audition met les policiers sur la piste de Violette. Celle-ci n’est arrêtée que le 28 août, après une semaine d’errance où elle a multiplié les partenaires sexuels. L’instruction est confiée au juge Edmond Lanoire qui la clôt à la fin de l’année. Entre-temps, la presse a pu brosser à loisir le portrait d’un « monstre en jupon », empoisonneuse insensible et perverse qui a attenté froidement aux liens sacrés du sang. Accusée d’empoisonnement et de tentative d’empoisonnement, Violette est renvoyée devant la cour d’assises de la Seine où elle est condamnée à mort le 12 octobre 1934.

Les premiers éléments de l’enquête mettent l’accent sur la cupidité de la meurtrière – 3000 F ont été dérobés dans l’armoire de la chambre conjugale – et son désir d’indépendance. C’est que Violette menait une double vie à l’insu de ses parents ; elle séchait les cours du lycée pour traîner au café et elle était amoureuse d’un étudiant, Jean Dabin ; au sujet de celui-ci, une violente dispute a éclaté le jour du drame entre Violette et ses parents, qui venaient de découvrir, au dire de Germaine Nozière, la liaison de leur fille. Or, présentée au juge après son arrestation, Violette avoue aussitôt son crime et fait la déclaration suivante :

« Si j’ai agi ainsi, vis-à-vis de mes parents, c’est que, depuis six ans, mon père abusait de moi.

Mon père, quand j’avais douze ans, m’a d’abord embrassée sur la bouche, puis il m’a fait des attouchements avec le doigt, et enfin il m’a prise dans la chambre à coucher et en l’absence de ma mère. Ensuite, nous avons eu des relations dans une cabane du petit jardin que nous possédions près de la Porte de Charenton, à intervalles variables, mais environ une fois par semaine.

Je n’ai rien dit à ma mère parce que mon père m’avait dit qu’il me tuerait, et qu’il se tuerait aussi.

Mais ma mère ne s’est jamais doutée de rien. Je n’ai jamais parlé des relations que j’avais avec mon père, à aucun de mes amants, ni à personne. […]

Il y a déjà deux ans que j’ai commencé à détester mon père, et un an que j’ai pensé à le faire disparaître »[4].

« La monstrueuse accusation »

Sans rien renier de l’exigence d’objectivité, indispensable à la production d’un savoir, l’historien d’aujourd’hui assume dans sa recherche sur le passé un questionnement nourri de son présent. En matière de violence sexuelle, ce présent est datable du tournant des années 1980, où se met en place, de façon visible, un autre discours et un autre regard sur le crime sexuel. En 1978, le fameux procès d’Aix-en-Provence a inauguré un bouleversement dans les représentations du viol d’adulte ; en 1986, la confession d’Eva Thomas marque l’avènement de l’inceste dans le champ de la parole publique. Par-delà ces jalons, ce présent est aussi l’envahissement progressif de la conscience publique par la question des abus sexuels sur enfant, l’extrême médiatisation de ces affaires et l’attention toujours plus grande portée à la parole accusatrice des enfants (tout du moins jusqu’au « drame d’Outreau » en 2004). C’est de ce présent qu’est pétri le regard de l’historien quand celui-ci ouvre les pages de l’affaire Nozière telle que la presse a pu la raconter. Mais loin de filtrer ou de borner son regard, ce présent l’aiguise, puisqu’il conduit l’historien à saisir toute la distance qui sépare le traitement actuel des affaires d’inceste et celui dont a pu faire l’objet en son temps l’affaire Nozière. Cette distance se donne à voir, en premier lieu et avant tout, dans le tabou qui a frappé l’inceste – le terme de tabou est pris ici, non au sens premier de ce qui fait l’objet d’une interdiction, mais dans le sens général qui renvoie à une interdiction de parole.

La rhétorique du tabou se fonde sur trois actes de langage qui sont encore les visages que peut prendre la censure selon Michel Foucault : « affirmer que ça n’est pas permis, empêcher que ça soit dit, nier que ça existe ». Une « sorte de logique en chaîne », explique Foucault, lie ces trois actes : « de ce qui est interdit on ne doit pas parler jusqu’à ce qu’il soit annulé dans le réel ; ce qui est inexistant n’a droit à aucune manifestation, même dans l’ordre de la parole qui énonce son inexistence ; et ce qu’on doit taire se trouve banni du réel comme ce qui est interdit par excellence ». Sanctionné par le droit – le Code pénal de 1810 ne nomme pas l’inceste et ne le réprime donc pas explicitement –, ce triple nœud de « l’inexistant, [de] l’illicite, [et de] l’informulable » travaille les configurations langagières de la presse[5].

Remarquable, d’abord, dans la presse, est la répugnance générale, massive, à parler de l’inceste. Elle se traduit en premier lieu par la difficulté qu’éprouvent les journalistes à utiliser le terme même. Sur une quinzaine de quotidiens dépouillés, un seul, L’Humanité, l’emploie dès le premier interrogatoire de Violette. Il faut attendre le doute instillé par l’avancée troublante de l’enquête, après le deuxième interrogatoire de Violette, le 9 septembre et la perquisition au domicile des victimes le 12, pour que le mot soit parfois « lâché ». Deux journaux, L’Œuvre et Paris-Midi, utilisent immédiatement l’adjectif, évoquant l’un « le père incestueux », l’autre les « exigences incestueuses », suivis, après le deuxième interrogatoire de Violette, par Le Temps et Paris-Soir. Mais en renvoyant aux qualités de la chose, l’adjectif produit une référence plus diffuse et peut toujours être reçu comme une hyperbole ou une analogie. Reste que certains journaux, tels Le Petit JournalL’IntransigeantLe MatinLe FigaroL’Action Française, réussiront à couvrir la totalité de l’instruction sans employer une seule fois les termes d’inceste ou d’incestueux.

Comment donc dire l’inceste, sans le dire ? La répugnance que suscite la désignation langagière de l’inceste conduit les journalistes à recourir aux allusions vagues, qui qualifient l’acte innomable par les réactions qu’il suscite. Ainsi le 31 août, Le Petit Journal informe ses lecteurs que l’affaire, après avoir fait passer du mystère à l’horreur, « prend un tour qui soulève de dégoût le cœur de l’honnête homme ». Esquivant l’explicite et la concision, la plume des journalistes manie l’implicite et la figure de style : Le Petit Parisien parle de « passion coupable », formule convenue, diluant la spécificité d’un acte qui mêle les liens d’alliance et de filiation dans un discours également mobilisable pour les attentats à la pudeur voire pour tout autre attentat aux mœurs. Au mieux, la spécificité de l’acte est rendue par le lexique du contre-nature, explicite comme dans l’expression « la plus monstrueuse des passions », ou très implicite (en référence au crime de parricide lui même jugé contre-nature), dans la formule « Violette Nozière accuse son père du crime qui excuserait le sien »[6].

La périphrase, tel est l’instrument privilégié du discours médiatique sur l’inceste, conformément à une rhétorique de dilution de la référence qui touche d’ailleurs tout ce qui relève de la sexualité : la syphilis de Violette, une « maladie spécifique ». La prostitution, « un commerce odieux », etc. Dès le 30 août, la presse s’indigne de la « monstrueuse accusation » lancée par Violette dans le cabinet du juge. La formule se répand dans les journaux avec diverses variantes, l’accusation de Violette étant aussi qualifiée d’ « infâme », d’ « abominable », de « terrible » ou d’ « immonde ». Or, loin d’être de simples euphémismes, ces périphrases, chargées de signifier le scandale sans le désigner, sont fondamentalement équivoques, puisqu’au-delà de l’atténuation de l’expression, c’est la référence qui est ambiguë. Elles portent moins, en effet, sur l’acte d’inceste que sur l’acte de dire l’inceste, les adjectifs, par un jeu d’hypallage généralisé, glissant du crime à la parole sur le crime, puis à l’accusatrice du crime. Tout se passe donc comme si la monstruosité, passée de l’acte aux mots, se déplaçait, la parole sur l’inceste assumant toute entière le scandale de l’inceste lui-même. La chose interdite frappant d’interdiction les mots et les mots interdits frappant d’inexistence la chose, c’est la parole qui se retrouve au cœur de l’incrimination. Parole tellement inouïe qu’elle fait immédiatement songer, suggère L’Action Française le 30 août, à la démence, parole infâme dont on dénonce la tenue lors d’une « effarante confession », impliquant un discours construit, qui raconte et décrit. D’où l’insistance à dénoncer les « détails » donnés par Violette, « détails qui ne peuvent être relatés » explique Le Petit Parisien, détails, par conséquent, qui n’auraient jamais dû être prononcés : un « luxe de détails qui a quelque chose de révoltant », commente la presse, qui n’hésite pas à témoigner sa compassion au bon juge Lanoire, contraint d’aborder « les détails les plus délicats et les plus répugnants »[7].

Cette interdiction de dire qui gouverne l’ensemble des discours doit être replacée dans le cadre d’un puritanisme ambiant qui réprouve tout discours sur la sexualité. Car si Michel Foucault a pu repérer au cœur de nos sociétés modernes le travail d’une volonté de savoir autour du sexe, ce secret devenu l’objet d’un discours infini, si l’entre-deux-guerres connaît dans ce domaine un élargissement du cercle des locuteurs et enregistre une certaine érotisation de la société, sous l’effet d’un mouvement réel, mais encore assez puissamment contenu, de libéralisation des mœurs, la parole sur la sexualité peine à accéder à la légitimité hors des cercles savants ou militants. L’impératif de préserver les mœurs pèse sur le discours public et médiatique, qui maintient un voile pudique sur les choses de la sexualité et qui, loin de l’injonction de dire, préfère taire. « Passons… » écrit, de manière significative, L’Action Française[8].

Chez les journalistes, le devoir de chercher la vérité et d’informer bute contre le souci de la moralité publique, d’où l’élision des détails scabreux de l’affaire, pourtant susceptibles de fonder des preuves. Il y a les gravures et les chansons libertines de Jean-Baptiste Nozière. Il y a surtout le chiffon, retrouvé dans un coin de la chambre conjugale, dans lequel la père éjaculait pour ne pas engrosser sa fille, aux dires de celle-ci. La matérialité du coït, à travers les taches spermatiques, étant bien plus brutale qu’une jouissance médiatisée par l’image ou le texte, ce chiffon porte à son comble la mesure de l’obscénité et contraint en conséquence au verrouillage plus étroit du discours. Au sein même de la presse, des voix vertueuses protestent contre les ordures déversées devant l’opinion, les journalistes, le juge et les avocats étant accusés de prêter main forte à l’inculpée pour infliger au public « les honteux enseignements du linge sale des familles, au soleil étalé ». La peur s’exprime d’une contamination au contact des mots : le discours sur le sexe, qui plus est le sexe déviant, est sale et salit, de sorte que l’obscénité rejaillit sur la France entière, souillée par cette affaire. Même réticence chez les acteurs du procès pénal, un an après, quand la question du fameux chiffon est abordée. L’avocat de Violette, Me de Vésinne-Larue, interroge Germaine à ce sujet. Maladresse, commente Le Populaire : ces détails eussent dû être épargnés et il « fallait glisser plutôt que de s’appesantir[9] ». Le récit de l’incident par Le Matin est éloquent :

« On attendait la question : dès qu’elle est posée, elle soulève la réprobation générale. “Oh ! Oh ! ” profère l’auditoire unanimement scandalisé. Le Président intervient : “les jurés savent tous de quoi il s’agit : voyons, s’il en est un seul qui souhaite que nous insistions qu’il lève la main”. Les douze jurés hochent la tête avec énergie : “assez ! assez ! ” »[10].

Dans la logique nouant indicibilité et inexistence de l’inceste, la parole de Violette, aussitôt taxée de monstrueuse, l’est aussi de mensongère : il s’agit, commente-t-on immédiatement, d’un « ignoble système de défense », fourbi par une calculatrice cynique qui n’hésite pas à salir la mémoire de sa victime pour fournir au juge un mobile acceptable. À cet égard, la parole de Violette a été reçue comme celle, au fil des siècles, de tant d’autres victimes de violences sexuelles, objets d’un soupçon a priori. Les historiens des violences sexuelles ont mis en évidence ce doute immédiat qui accueille la parole des victimes et conduit à envisager d’emblée la supercherie[11].

Cette suspicion, dont le recul est un fait récent, s’adosse au début du XXe siècle à toute une réflexion savante sur la plainte et le témoignage en justice, en matière d’attentats à la pudeur notamment, et sur la psychologie des femmes et des enfants, catégories par ailleurs concernées au premier chef par ce type de contentieux. Au début du XXe siècle, s’inspirant de la critique historique formalisée par l’école méthodique et surtout des travaux de la psychologie expérimentale, juristes, psychologues, psychiatres tentent de construire scientifiquement une critique du témoignage, utilisable en justice par les magistrats. Publiée en 1924 et rééditée deux fois dans les années vingt, la thèse de François Gorphe en offre un précieux témoignage[12]. Analysant les différents éléments qui obèrent la valeur des témoignages, Gorphe identifie une catégorie de témoignages à risques – les accusations d’ordre sexuel – et une catégorie de témoins à risque : les enfants et tout particulièrement les petites filles, les femmes également, quoiqu’avec plus de prudence. Le témoignage des enfants constitue une preuve très fragile, insiste l’auteur, qui dénonce la foi aveugle qui lui est accordée en justice.

À partir des années 1880, le thème des fausses accusations fait recette dans les milieux de la médecine légale, où s’impose progressivement la notion de faux attentat à la pudeur. Le psychiatre Dupré, médecin chef de l’infirmerie du dépôt de la Préfecture de police, écrit en 1905 un texte qui fait date, où il décrit la mythomanie, tendance constitutionnelle au mensonge et à la création de fables imaginaires, qui concerne essentiellement les enfants et les femmes. Normale chez l’enfant, la mythomanie peut aussi devenir pathologique, chez l’enfant et chez l’adulte, les jeunes filles étant alors les sujets les plus touchés. L’ « hétéroaccusation génitale » chez les fillettes ou les jeunes filles qui lancent des accusations d’attentats à la pudeur et surtout de viol est l’une des formes que peut revêtir la pathologie mythomaniaque. Citant des travaux de médecine légale et des études expérimentales sur la fidélité du témoignage de jeunes âgés de 18 à 24 ans, Dupré insiste sur la gravité des cas médico-légaux générés par ces accusations calomnieuses. Dans les deux premières décennies du XXe siècle, le concept de mythomanie oriente la médecine légale vers la suspicion à l’égard des accusations de crimes sexuels.

Il s’est aussi largement diffusé hors des cercles savants, ce qui explique son utilisation massive à propos de Violette Nozière. Violette mythomane, la thématique envahit les journaux qui égrènent les multiples mensonges de la jeune fille dévoilés par l’instruction. Violette mentait à ses parents pour endormir leur surveillance ; à ses amis auprès de qui, reniant ses modestes origines, elle se vantait d’être la fille d’un ingénieur du PLM et d’une première main de la prestigieuse maison Paquin ; à ses amants occasionnels en se faisant passer pour une riche héritière du VIIIe arrondissement. En autorisant l’hypothèse mythomaniaque, ces mensonges discréditaient l’accusation de Violette, comme le confirmait l’opinion autorisée des médecins : les femmes mythomanes – et Violette est du nombre – sont terriblement dangereuses dans leurs accusations, explique le professeur Sicard de Plauzolles dans Paris-Soir du 16 septembre.

Le concept psychiatrique de mythomanie s’associe également à la psychanalyse, qui s’est diffusée en France dans les années vingt, pour disqualifier la parole de Violette. Les thèses de Freud sont connues et discutées, et elles réussissent une percée dans les milieux de la psychiatrie. Héraut de la sexologie qui commence de se constituer en discipline autonome, Magnus Hirschfeld est acquis à la théorie freudienne dont il se fait l’écho dans la presse, où il s’exprime sur le cas Nozière. « On ne saurait se montrer trop méfiant à l’égard des déclarations ayant trait à la vie sexuelle lorsqu’elles émanent de témoins ou d’accusés très jeunes », explique-t-il. « De pareilles accusations d’ordre sexuel, ajoute-t-il, surgissent souvent de l’imagination érotico-hystérique des jeunes filles au sortir de la puberté ». Des caresses prodiguées dans l’enfance, suggère-t-il, ont pu être mal interprétées par Violette ; « souvent un fait minime de l’enfance donne lieu à des tragédies ultérieures ». « Toujours Freud, alors ? », interroge le journaliste de Détective : « Il n’est pas près de devenir inactuel », répond Hirschfeld. Un autre psychiatre, resté anonyme, qui souscrit par ailleurs à la thèse de la mythomanie, reprend encore plus explicitement la théorie œdipienne dans Paris-Soir, expliquant que Violette : « aurait été inconsciemment attirée par son père et aujourd’hui elle l’accuserait d’un acte qu’il n’a jamais commis mais qu’elle souhaitait involontairement dans le plus profond de son être ».

En somme, Violette aurait, selon l’expression du Petit Parisien, inventé un véritable « roman freudien ». Parce qu’il souligne le fantasme inconscient au détriment de la réalité du traumatisme sexuel (au fondement de la théorie de la séduction par laquelle Freud a expliqué dans un premier temps l’origine des névroses), le recours au complexe d’Œdipe – qui s’est manifestement installé dans les représentations – et partant à la psychanalyse a poussé au discrédit jeté sur les accusations de Violette. Puisant chez Freud ou chez Dupré, les médecins questionnés par les journalistes se méfient ou bien rejettent catégoriquement les accusations de la parricide[13].

« La tardive révolte d’une vertu par ailleurs fort peu intacte »[14]

La suspicion qui entoure la parole de Violette révèle toute une conception de la violence sexuelle, de son auteur et de sa victime, qui a pesé certainement davantage que les mensonges de l’adolescente.

La montée dans les statistiques des atteintes aux mœurs depuis la seconde moitié du XIXe siècle n’a pas encore détrôné la figure brutale et sanguinaire du voleur assassin, qui domine les angoisses sociales relatives au crime. Perceptible dans les propos tenus est une échelle de gravité où les crimes sexuels et même l’inceste n’occupent pas le sommet. Nombreux sont ceux, en effet, qui récusent l’idée même que l’inceste pourrait valoir à Violette des circonstances atténuantes : face au parricide, crime des crimes, placé par le code pénal au sommet de la hiérarchie criminelle, « tout le reste », s’exclame Le Figaro, « est accessoire »[15].

Il y va aussi de la figure du criminel en général et du délinquant sexuel en particulier. Toute la criminologie du XIXe siècle, hantée par la question du « type criminel », a ancré l’idée que le criminel portait sur lui les stigmates du crime ; physiquement marqué, il devait être aussi visiblement, moralement et socialement, séparé de ses semblables. Monstrueux ou au moins marginal, il était une figure d’altérité. Même tôt démenties par des affaires retentissantes – par exemple l’affaire Lacenaire, le « Don Juan de l’assassinat » – où ce sont des figures d’altérité plus ambiguës qui fascinent, ces représentations restent durablement ancrées dans l’imaginaire du crime. La figure du délinquant sexuel entre dans ce schéma d’appréciation : Georges Vigarello a retracé l’invention à la fin du XIXe siècle du violeur, rejeté aux marges sociales de la misère, de l’isolement et de l’errance. Ces représentations expliquent la difficulté à concevoir l’agression sexuelle chez l’individu banal ou exemplaire. Du coup la réputation et le profil social de Jean-Baptiste Nozière, ouvrier modèle, font barrage au soupçon de sa culpabilité. Les témoignages qui affluent des collègues et des supérieurs de Nozière, alignant la moralité sexuelle sur la conscience professionnelle et la respectabilité sociale, viennent dessiner le portrait d’un employé consciencieux, ponctuel, bien noté, et partant d’un père au-dessus de tout soupçon. De tels renseignements, confirmera le réquisitoire définitif, « rendent inadmissibles » les accusations de Violette[16].

Il y va encore d’une image des femmes en justice. Accusées ou victimes, les femmes ont peu de chances d’attendrir magistrats, jurés ou opinion, quand leur moralité, sexuellement parlant, est douteuse[17]. Dans les affaires d’attentats aux mœurs, les adultères, les jeunes filles ayant déjà perdu leur virginité et autres dévoyées ont très peu de chances d’être entendues. Or, les investigations des journalistes ainsi que l’enquête officielle ont constitué sur la sexualité de Violette un dossier épais et inquiétant. Il associe trois mots, autorisant chacun dans la presse un jeu sur le signifiant floral « violette ». Précocité : « mauvaise herbe » « grandi [e] trop vite », Violette, explique Paris-Soir, « s’adonnait à la débauche la plus vile à l’âge où l’on joue encore à la poupée ». Liberté sexuelle : « fleur vénéneuse », Violette multipliait les amants depuis l’âge de seize ans, et elle avait même contracté la syphilis. Vénalité : « fleur du trottoir », Violette avait demandé de l’argent à quelques partenaires occasionnels. Le milieu de Violette, c’étaient les bas-fonds moraux et sociaux : « marlous du Boul’Mich », « nègre joueur de banjo » rabatteur de cercle nord africain – au grand dam d’une opinion tentée par le racisme et la xénophobie – et proxénètes corses de la pègre fantasmés en filigrane[18].

L’enquête sur la transgression criminelle a donc révélé une transgression sexuelle, qui pouvait bien nourrir le mobile du parricide. L’emploi du temps de Violette au lendemain de son crime, qui était allée courir manucure, coiffeur et grands magasins, avant d’aller prendre un verre à Montparnasse, puis danser à Montmartre, accréditait l’hypothèse que le crime visait à ouvrir grande à la fille la porte des plaisirs tenue fermée par le père. Et les complaintes de broder sur le thème de l’enfant sans cœur qui empoisonne ses parents « pour aller fair’la noce »[19]. Le portrait d’une coupable du sexe était donc suffisamment chargé pour éclipser l’hypothèse d’une victime du sexe.

L’image de la dévoyée rendait particulièrement mobilisable l’image de « l’enfant pervers » attachée durablement aux jeunes victimes de violence sexuelle. Dans ces affaires, la culpabilisation de la victime est une constante : y contribuent le sentiment d’une complicité dans la faute avec l’agresseur, la conviction que l’agression l’a corrompue et surtout l’invocation du consentement. Malgré la construction progressive de la violence morale dans la loi et la jurisprudence, étudiée par Georges Vigarello, la question de la résistance de la victime ou de son consentement reste un point d’achoppement dans la recevabilité des plaintes[20]. Cette question est au cœur du jugement d’invraisemblance porté sur les accusations de Violette, fondé tout particulièrement sur la distance temporelle entre le premier viol présumé, à douze ans, et la vengeance exécutée à dix-huit ans. « Elle aurait donc accepté pendant six ans sans un mot, sans protester, les assiduités de celui qu’elle appelait mon papa. Pendant six ans, elle s’est tue, pendant six ans, pas un mot de révolte, pas un geste de dégoût. Rien », s’étonne Paris-Soir. Or en suggérant la corruption irrémédiable de l’enfant complice, ce délai rend invraisemblable le sursaut final : « pendant six ans cette perverse gamine en a précieusement conservé le secret », note Le Populaire avant de s’interroger sur la vengeance tardive : « six ans après ? et alors en somme, comprenez-moi bien, qu’elle en avait peut-être pris l’habitude ». Comment la vertu peut-elle protester quand elle n’est plus, ce dont on ne peut douter au regard de la durée d’un inceste consenti ou de la succession de liaisons sexuelles décrites par la presse comme des amours tarifées ? Impossible d’admettre, dit Police-Magazine, que Violette ait « réprouvé davantage l’inceste alors qu’elle s’était souillée dans les bras d’innombrables gigolos et “michés”, que lorsque, petite fille, elle cachait encore quelques sentiments d’innocence »[21].

On entre dans un chapitre peu étudié de l’histoire de la vertu[22] : celui des représentations de la vertu outragée. La problématique de la violence morale exercée par le détenteur de l’autorité naturelle et la spécificité de la situation incestueuse enfermant la victime dans un secret partagé buttent contre une représentation pourrait-on dire romantique qui suppose que la vertu outragée se révolte avec tout l’éclat de la vertu :

« Une fille qui veut se défendre n’agit pas comme Violette, dit encore Police-MagazineElle ne tue pas avec tant de précautions, elle est en cas de légitime défense. Elle tue dans un accès de fureur, elle n’assassine pas par derrière, elle n’empoisonne pas… et elle ne s’enfuit pas en emportant le magot ![23] ».

L’empoisonnement, que toute la tradition juridique et criminologique a construit en crime fondamentalement déloyal, impliquant préméditation, traîtrise et dissimulation, est pensé comme le contraire même de la protestation vertueuse, immédiate, brutale, éclatante[24]. À cela s’ajoute la déloyauté du vol, qui sonne comme un démenti de la vengeance vertueuse. Au procès, la prostration de l’accusée, son manque « de fougue », de « dramatique » désarçonneront les observateurs, attachés à l’image de la révolte déchirante de la vertu outragée : « C’est cette absence de fièvre, commente l’Œuvre, qui nuit à l’image qu[e la défense] aurait voulu créée d’enfant traqué par le désir »[25].

Coincée entre la logique du tabou qui enjoint au silence et la logique de la révolte de la vertu réclamant une parole dénonciatrice immédiate, la parole sur l’inceste est prise dans une double contrainte. Enferrés dans la contradiction, les contemporains reprochent à Violette de s’être tue si c’était vrai mais aussi de parler quand elle le fait. « Mais si votre histoire était vraie, Violette, pourquoi avoir caché cela à tous vos parents, et surtout à votre grand’mère maternelle, dont vous vous plaisez à répéter la grande affection qu’elle avait pour vous ! », lance l’avocat de la partie civile au cours du procès[26]. Alors même que sa parole, parce que scandaleuse, a été immédiatement rejetée puis couverte d’un voile pudique aux Assises, les journalistes reprocheront à Violette son mutisme final au procès, interprété comme un désaveu : « elle n’osa même pas crier que son père fut son amant »[27]. À l’opposé de la situation actuelle où la levée du tabou sur l’inceste va de pair avec la conscience de la difficulté à révéler une situation que peur, honte, menace et chantage ont enfermée dans le secret, les contemporains de Violette supposent le dire facile, tout en le condamnant a priori.

Focalisés sur la moralité de Violette, enquêteurs et observateurs ne sont guère sensibles à sa souffrance possible. Troubles de la sexualité et de la personnalité, mensonges sont pour eux des preuves d’immoralité, disqualifiant l’accusation d’inceste, non des conséquences ou des symptômes de l’abus sexuel. C’est qu’en matière de violence sexuelle, l’intériorité saccagée du sujet ne circonscrit pas encore le champ de la preuve : le traumatisme psychologique, qui gouverne notre regard actuel sur l’inceste, constitue un impensé. La preuve de l’inceste n’est donc pas dans l’âme mais dans le corps – mais chez Violette, habituée au commerce des hommes, inutile de chercher des traces de l’effraction physique. Ou bien à l’extérieur du sujet lui-même : témoignages oculaires ? Mais personne n’a rien vu, à commencer par Germaine, qui s’est même constituée partie civile pour défendre la mémoire de son époux. Indices matériels ? Mais le chiffon échouera à constituer une preuve expertale : le laboratoire de police scientifique de la Préfecture de police conclura à des taches de sperme, mais Germaine revendiquera l’usage du chiffon. Face à l’échec de la quête des preuves tangibles de l’inceste, l’instruction parvenue à son terme recentrera le mobile sur la vanité, le désir d’indépendance et le cupide espoir d’hériter des 165000 francs d’économies des parents, en écartant l’inceste.

« Violette aurait-elle dit la vérité ? »[28]

L’affaire Nozière ne serait-elle donc qu’un épisode de plus dans l’histoire du silence recouvrant le secret des familles ? Sans être contradictoire avec tout ce qui a été dit précédemment, l’hypothèse ici défendue est que le retentissement qu’elle a eu en son temps puise précisément dans la visibilité qu’a trouvée la question de l’inceste, inopinément projetée dans l’actualité par un parricide spectaculaire, et dans le débat que celle-ci est parvenue à nourrir.

Se pose d’abord la question difficile d’un éventuel décalage, en matière de censure, entre presse et police judiciaire, sachant que le journal a pour tâche de rapporter la parole tandis que le juge d’instruction a celle de la susciter. On se bornera à trois remarques. La première, c’est que le juge a manifestement pris en considération les accusations de Violette. Au cours du deuxième interrogatoire, voyant Violette persister dans ses accusations, il lui réclame des « précisions » et des « faits qui soient contrôlables ». Commence alors une quête patiente des preuves : témoignages – les proches de la victime, parents, voisins, collègues, ou de la coupable, amant, amis, partenaires d’occasion, sont interrogés au sujet de l’inceste. Preuves matérielles : chiffon, cahier illustré de chansons libertines, rouleau de dessins obscènes sont saisis, sur les indications de la prévenue, lors de deux perquisitions chez les Nozière. Le juge se transporte également à la porte de Charenton, à l’emplacement du jardin ouvrier, détruit depuis plusieurs années, que Nozière possédait naguère et dans la cabane duquel Violette avait dit avoir eu des relations avec son père. Aucune de ces recherches n’aboutira à établir le fait de l’inceste.

Si les propos de la prévenue ont été transcrits sur le procès-verbal dans la langue du greffier, soit un style judiciaire à la fois stéréotypé, édulcoré et décent ( « il m’a fait des attouchements », « j’ai compris toute l’horreur de ma situation »), la volonté d’établir la nature exacte de l’acte sexuel a conduit – c’est la deuxième remarque – à une attention très précise au dire, qui tranche avec la rhétorique du tabou qui gouverne la presse. En témoignent les questions posées par le juge dans les commissions rogatoires : l’audition des différents camarades de Violette qui ont reçu ses confidences en 1932 doit établir « comment elle s’est exprimée ». Violette a-t-elle employé le terme « violentée » ou « violée » quand elle s’est confiée à l’étudiant Leblanc ? L’étudiant Teissier, à qui s’est confié Leblanc, rapporte au juge qu’elle a dit à ce dernier avoir été violentée. Interrogé, Leblanc dit « violé », mais l’enquêteur lui fait remarquer que ce n’est pas le terme employé par Teissier : Leblanc rétorque que s’il a pu dire « violenté » à Teissier, il a voulu donner au mot un « sens beaucoup plus fort » pour dire qu’ « il s’agissait en réalité d’un viol »[29].

Reste – et c’est la dernière remarque – que le juge partage les mêmes représentations que ses contemporains. Au moment de recueillir l’interrogatoire définitif de l’inculpée, il réfute le mobile de l’inceste au motif qu’il lui paraît invraisemblable qu’elle ait pu ne pas en parler à sa mère « qui aurait arrêté les choses » ou ne pas fuir le domicile familial. Par ailleurs, lorsque dans l’ordonnance de transmission des pièces de la procédure au procureur général, il rend compte du dernier interrogatoire de l’inculpée, il prétend que Violette y a modifié son système de défense en expliquant avoir tué son père parce qu’il s’opposait à son mariage avec Dabin, mais il escamote manifestement une partie du propos de l’accusée, qui a aussi affirmé avoir tué son père parce que « tout en permettant que je sois la maîtresse de Jean Dabin, il voulait que je fusse aussi la sienne »[30].

La répugnance globale du corps social à aborder l’inceste et la mise à l’écart de celui-ci dans le réquisitoire définitif ne doivent pas occulter le fait que cette affaire a, bon gré mal gré, permis un débat sur le sujet. La presse l’a permis et l’a nourri. De ce point de vue, il faut prêter attention à la chronologie de la réception médiatique des accusations de Violette. Dans un premier temps, elles sont massivement rejetées par des journalistes indignés. Un seul journal fait exception : dès le 31 août, L’Œuvre, journal radical, voit dans l’inceste la seule explication plausible du drame. Mais, déclare-t-il, le jury d’assises « rejettera ‘‘la fable du père incestueux’’ par respect pour la morale », à l’unisson avec la « vox populi » qui sort déjà de la bouche des voisins et collègues de Nozière.

« Mais nous qui n’avons connu ni le père ni la fille, poursuit-il, et qui ne sommes pas tenus par cette espèce de complicité qui lie les habitants d’une même maison, d’une même rue, et leur fait oublier devant la justice tous les potins, dont en d’autres temps, ils se délectaient silencieusement, nous croyons qu’il y a, dans les déclarations de Violette, autre chose que l’esquisse d’un système de défense cohérent ».

Clairvoyant sur le fonctionnement des solidarités communautaires face à l’intrusion judiciaire et sur la collaboration active du groupe à la préservation des réputations, en milieu urbain – à l’échelle du quartier ou de l’immeuble – comme au village, le journal argue d’une position d’extériorité pour revendiquer un regard objectif capable de tisser de nouvelles cohérences, ainsi le lien de cause à effet entre inceste et désordre sexuel. « Raisonnons un peu », dit le journal, qui rappelle que jusqu’à 12 ans, Violette était une bonne petite fille ; « si Violette n’a pas menti, le geste du père n’a t-il pas eu pour conséquence de libérer ses instincts pervers ? » ; « après [l’inceste] ? Oh après, on aurait pu la surprendre avec des garçons. Qui lui avait appris le respect de soi-même, qui lui enseignait de se garder ? ».

Le deuxième temps, à la mi-septembre, est celui du doute. Les deuxième et troisième interrogatoires de Violette, le 9 et le 13, le témoignage de l’étudiant Camus (Violette lui a dit un jour « mon père oublie parfois que je suis sa fille ») et surtout les perquisitions « sensationnelles » qui suivent les interrogatoires constituent un tournant. « L’Œuvre avait raison », titre fièrement, le 14, le quotidien radical, qui évoque un « changement de front dans toute la presse parisienne » et publie à l’appui un florilège d’extraits de journaux. Frappés par les déclarations de Violette, dont on note « le ton d’ardente sincérité », « les détails d’une précision affolante », les journalistes voient leurs certitudes vaciller et parlent de « nouvelle phase », voire de « coup de théâtre ». La prudence domine : on évoque le doute qui s’insinue, on concède que l’accusation d’inceste perd son « caractère aussi invraisemblable ». Mais certains vont plus loin, comme L’Œuvre, affirmant que « le doute ne semble plus permis », ou Paris-Midi, qui déclare l’inceste démontré. Quelques périodiques, cependant, résistent à l’affleurement du doute : Le FigaroLe Matin, le magazine DétectiveL’Humanité, enfin. L’organe du parti communiste dénonce dans la thèse de l’inceste une fable ordurière exploitée par la presse bourgeoise pour salir l’ouvrier Nozière (qui par ailleurs militait à la CGTU, syndicat lié au parti communiste) et disculper la classe bourgeoise et ses rejetons (à commencer par Dabin) qui ont corrompu la fille d’un ouvrier[31].

Au troisième temps, celui du jugement, alors qu’une année s’est écoulée sans apporter d’éléments nouveaux, la brèche ouverte par le doute sera globalement colmatée, les journaux, L’Œuvre comprise, se rangeant à la position de l’accusation et des jurés. Seuls deux quotidiens critiqueront le verdict. Évoquant « un grand procès manqué », Paris-Soir, le grand journal des années trente – il tire en 1933 à un million d’exemplaires – s’indigne que la bienséance ait prévalu sur la recherche de la vérité, le tribunal ayant refusé de discuter sur le fond les accusations d’inceste : « on les déclare odieuses et on les passe outre ». L’histoire du chiffon, déplore-t-il, a été « escamoté dans les règles ». Paris-Midi, également propriété de l’industriel Jean Prouvost, s’indigne de la bonne conscience des jurés qui ont « jugé sans rien savoir », avant de conclure sur un mystère resté entier : « cette enfant de vingt ans reste une énigme jusqu’au bout, un monstre sans doute, une menteuse, c’est certain, peut être aussi une victime ». Prudente, la formule maintient tout de même le doute concernant l’inceste[32].

Entre temps, cependant, un débat manifestement a eu lieu, dont la presse laisse entendre qu’il est autre chose qu’une construction médiatique. Paris-Midi évoque le camp qui s’est constitué des « violettistes », précisant que « l’expression est née ». L’affaire Nozière, explique-t-il, on « pourrait presque [l’] appeler “l’affaire” tout simplement, tant elle a déchainé, dans le public, de passion “pour ou contre” » : si elle est manifestement exagérée, cette comparaison implicite avec l’Affaire Dreyfus dit l’investissement et la division de l’opinion[33]. D’autres sources que la presse montrent en tout cas que la thèse de l’inceste a trouvé crédit dans une partie de l’opinion. À la fin de l’année 1933 paraît chez Ramlot un ouvrage intitulé L’affaire Nozière : crime ou chatiment ? Les auteurs, J. Pidault et Maurice-Ivan Sicard, y dénoncent une « version officielle du drame » : police et justice ont étouffé la vérité par peur du scandale, étant entendu qu’ « il est impossible de divulguer dans la presse cet ignoble inceste ». Cet ouvrage, cependant, n’a soulevé de polémique ni dans le milieu de la police judiciaire ni dans la presse[34].

Plus spectaculaire est l’intervention des surréalistes, sur le terrain de l’avant-garde et de l’art. Le recueil de poèmes et de dessins qu’ils font paraître dès 1er décembre 1933 est un plaidoyer en faveur de Violette Nozière et repose sur la dénonciation du tabou de l’inceste. Dénoncer le tabou, c’est faire entendre une voix que la presse a disqualifiée : la déclaration faite par Violette à Camus – « Mon père oublie quelquefois que je suis sa fille » – est reprise dans le poème d’André Breton telle quelle, mise en relief par l’utilisation des italiques et par un blanc typographique qui la précède. Les surréalistes établissent un lien de cause à effet entre l’inceste, tenu pour vrai, et la sexualité libre de la jeune fille, ainsi qu’entre l’inceste et le parricide ; le viol de la fille par son père est d’ailleurs inscrit, tel un programme, dans le nom propre, les auteurs se livrant à un jeu explicite sur le signifiant (violette/viol). C’est ainsi que violée, Violette a fui son père dans les bras d’autres hommes, instruments anonymes de sa libération, laquelle s’est accomplie dans le parricide :

« Violette rêvait de bains de lait

De belles robes de pain frais

De belles robes de sang pur[35]

Un jour il n’y aura plus de pères

Dans les jardins de la jeunesse

Il y aura des inconnus

Tous les inconnus

Les hommes pour lesquels on est toujours neuve

Et la première

Les hommes pour lesquels on échappe à soi-même

Les hommes pour lesquels on n’est la fille de personne

Violette a rêvé de défaire

A défait

L’affreux nœud de serpents des liens du sang » (Paul Eluard)

 

Quand les journalistes troublés parlent au conditionnel, manient la phrase interrogative, l’hypothèse ou la concession, les surréalistes affirment et ils écrivent à l’indicatif. La dénonciation du tabou tire une force exceptionnelle du chasse-croisé générique, selon lequel, contre le discours de presse – discours pourtant à vocation informative mais habité de la figure de rhétorique qui porte la stratégie de censure –, les surréalistes optent pour la poésie – genre habituellement dévolu aux figures de style – dans laquelle, paradoxalement, ils emploient le mot propre, littéral, et le langage le plus cru :

« Papa

Mon petit papa tu me fais mal

disait-elle

Mais le papa qui sentait le feu de sa locomotive

un peu en dessous de son nombril

violait

dans la tonnelle du jardin

au milieu des manches de pelle qui l’inspiraient » (Benjamin Péret)

Et à la crudité des mots s’ajoute la brutalité des images. L’inceste est figuré par le corps féminin nu, déformé, fondu dans le corps du père (la tête devient pénis et les seins testicules chez Victor Brauner, le corps oblique, déliquescent, se détache à peine d’une forme soutenue par des jambes recouvertes d’un pantalon d’homme dégrafé chez Marcel Jean). L’arrière-plan de l’image est occupé par un décor investi par la référence sexuelle (tableau des attributs du père – organes sexuels, moustaches, couvre-chefs, outils de jardinage – chez Victor Brauner, chiffon et armoire avec rouleau de dessins au-dessus, chez Marcel Jean). Quant au dessin de Magritte, il dit crûment l’inceste commis impunément par le père sous l’œil complice de la justice : au second plan, une jeune fille (Violette) vêtue de blanc s’abandonne sur les genoux d’un homme vêtu de noir (Nozière), assis sur une chaise, qui glisse sa main sous la jupe, tandis qu’au premier plan, un autre homme (le juge), en manteau et chapeau haut-de-forme noirs, sacoche sous le bras, leur fait face imperturbable.

La protestation des surréalistes a eu à l’époque un faible retentissement. Craignant des poursuites judiciaires, les auteurs avaient opté pour une publication à Bruxelles, aux éditions Nicolas Flamel, spécialement fondées pour l’occasion par le poète E. L. T. Mesens. Mais la force subversive de la plaquette a conduit à la saisie d’une partie de l’édition par la douane française, et la correspondance entre Paul Eluard et E. L. T. Mesens pendant l’hiver 1934 atteste d’une distribution difficile[36]. Il n’y a donc pas eu de polémique. Un seul journal, Le Petit Parisien, a fait une allusion au moment du procès : « “la belle écolière du lycée Fenelon qui élevait des chauves-souris dans son pupitre” lit-on dans une brochure répandue à l’instant par de jeunes auteurs bien prompts à retenir sans preuves l’accusation portée par Violette contre son père ». La citation choisie, qui est extraite du poème de Breton, n’invite guère au débat sur l’inceste[37].

« Monsieur le juge d’instruction… il est
malheureusement vraie, qu’il existent
des pères indignes… »

Mais il est une autre source que l’imprimé pour attester que l’hypothèse d’une meurtrière victime d’inceste a été jugée recevable. Ce sont les lettres adressées par des particuliers aux acteurs de la justice, essentiellement le juge d’instruction, qui sont conservées aux Archives de Paris, dans le dossier d’instruction, et à la Préfecture de police. Dans ce corpus de quelques 250 lettres, quinze prennent position en faveur de la thèse de l’inceste. C’est peu – d’autant que pour six lettres il s’agit uniquement d’allusions –, mais non négligeable, surtout si l’on considère que plus de la moitié du corpus total est constitué de simples lettres de dénonciation. Ni écrivains grand public ni artistes iconoclastes, les scripteurs sont ici des inconnus, gardant généralement l’anonymat, Français d’origines sociales diverses, lecteurs de la presse, désireux de donner au juge leur sentiment sur l’affaire. Ce sont surtout des femmes (dix lettres), qui s’adressent souvent au juge en tant que mère, pour lui dire que la version de Violette pourrait bien être la vraie. Elles apportent des arguments : l’humeur sombre de Violette et son mauvais état de santé depuis l’âge de douze ans pour l’une, son inconduite et l’aveuglement paternel pour une autre. Une mère de 50 ans, ancien professeur, sensible au thème de la protection de l’enfance, invoque le savoir des professionnels : elle tient d’une assistante sociale, explique-t-elle, que les incestes sont fréquents dans les ménages ouvriers et que les mères les taisent pour garder un chef de famille qui gagne l’argent du foyer. À l’appui de l’hypothèse viennent des récits de « drames de famille » : qui a connu deux bonnes, victimes des assiduités de leur père ; qui connaît une grand mère harcelée par un gendre, riche officier ministériel, adorant sa femme et ses enfants. Dans cinq cas, surtout, c’est l’expérience personnelle qui est mise en avant. Une commerçante raconte que « même chose serait arrivé » à sa fille si celle-ci ne s’en était ouverte à sa mère :

« L’affaire Nozière me tourmente, car vous avez besoin quand même de quelqu’un pour vous documenter malgré votre grande espérience, car il faut être comme moi et ma chère fille qui vivons sous cette empreinte depuis bientôt 4 ans pour connaître la personne comme le fameux Batiste Nozière qui était un saint vis à vis de tout le monde et qui par lui-même le perfide des dégoutant. »

La parole accusatrice de Violette a même libéré la voix des victimes qui, brisant le tabou, prennent la plume pour éclairer le juge en lui racontant leur vie dramatiquement brisée par l’inceste d’un père respectable. C’est « une femme du meilleur monde, très connue dans toute l’aristocratie parisienne qui vient vous supplier de croire cette pauvre petite Violette car elle a subi elle-même les mêmes outrages de son père et a eut de ce fait toute sa jeunesse gachée ». C’est « F. R. », issue d’un milieu d’ouvrier, écrivant : « Comme j’ai passé par la même chose que Violette Nozière cela me peine pour elle et je viens vous dire qu’elle pourrait bien dire la vérité ». Elle raconte ensuite un inceste à quinze ans, tenu secret par l’enfant pour ne pas détruire le couple parental et insoupconnable : « tout le monde disait de lui oh le bon homme que M. x ».

Deux lettres particulièrement émouvantes sont de longues confessions qui narrent les gestes incestueux réitérés et disent sans détours la souffrance de la victime. Mme***, 58 ans, qui s’exprime avec une certaine aisance mais manie imparfaitement les règles de la grammaire, n’a pu contenir ses larmes en lisant les journaux. Après l’énoncé d’une généralité formulée en référence aux éléments du fait divers ( « il est malheureusement vraie, qu’il existent des pères indigne, des pères qui sont intime des voisins, de leurs chefs, de tous ceux qui les connaisse, ces hommes, ces pères ne portent une figure d’honnête homme mais c’est des monstres humains »), la lettre, comprenant 8 feuillets manuscrits, entame le récit personnel : « je vais vous citer un fait qui ne peut être nier ». Et Mme*** d’évoquer précisément les frôlements de la main, quand, à 14 ans, son père l’a rejointe dans le lit qu’elle partage avec sa sœur, les caresses extorquées dans la cuisine, quand, la mère partie faire la lessive, il s’est découvert, « exhibant tout de son sexe », les menaces, le rejet qui a suivi la révélation ( « j’étais dépeint comme une fille pervers, une menteuse » ; « personne au monde a voulue croir a ma détresse, et mon père passé après comme avant pour un brave homme »), la souffrance qui va jusqu’au désir de suicide et qui envahit toute la vie ( « j’avais honte, et j’étais en proie d’un dégoût de moi-même que j’avais l’idée de me tuer » ; « qu’elle calvaire que le mien et cela m’as poursuivie toute ma vie. Aujourd’hui j’ai 58 ans, mais ce souvenir me reste vivace comme si c’étais hier »).

Le seconde lettre, lettre fleuve, écrite maladroitement au crayon, dans un mauvais français, sur un papier brouillon transparent, est adressée par une grand mère, via le juge, à Germaine :

« Je vous prie de prendre connaissance de cette lettre que j’ai écrit à Mme Nozière quar elle et si cruelle pour son enfants que je lui fait savoir se que jai soufer et se que son anfents peu soufrir je suis complètement [mot illisible] de me rappeler ses triste souvenir et je vois tout en mal j’ai la tete très fatiguee depuis que cet enfant et arete je ne pense qu’à elle ».

Fille d’une famille paysanne de six enfants, l’auteure de la lettre raconte les caresses qu’elle a subies à l’âge de douze ans, dans le lit conjugal et en l’absence de la mère ( « j’ai santi des frotement sans abuse completement »), puis quatre ans plus tard dans le lit partagé avec le petit frère ; elle raconte la soumission silencieuse ( « o non que c’est possible de voir des choses pareille d’un père que pouvait je dire », « je n’ai rien dit je fesait comme si je dormé »). Englobant l’inceste dans une expérience plus large de l’abus d’autorité vécu par les femmes, elle poursuit en racontant comment, ensuite, devenue bonne en ville, elle a subi le harcèlement du fils de ses patrons. À la lumière de son expérience, elle analyse les accusations de Violette, faisant allusion à son silence auprès de sa mère ( « car vraiment que sa serait vrai on ne peu pas le dire ou il faut être reelement obliger de parler »), récusant l’idée, avancée lors de l’instruction, de l’invraisemblance de relations sexuelles commises dans la cabane d’un jardin ouverte à tous les regards ( « ne dite pas que ces imposible quar moi meme j’ai subi des chosse presque au yeux de sa femme à quel horreur je ne voudrait jamais y pense rien n’est imposible »). La lettre se clôt sur une invitation au pardon maternel, au nom de la souffrance de l’enfant victime :

« Malgrer se que votre enfant vous a fait soufrir si vraiment votre enfant a passé 6 anne de soufrance de tortur cet afreu pardonne la proteger la elle a assez soufer cette une malheureuse mere et grand mere qui vous en supplie ».

Ces lettres constituent de précieux témoignages sur les relations incestueuses subies par les petites filles, sur les difficultés de la révélation et les conditions qui rendent possible celle-ci. C’est un secret, présenté comme tel, que ces femmes confient au juge, conscientes de transgresser un tabou, ainsi Mme *** qui écrit : « Je vous demande pardon de ce que j’ai oser vous entretenir de ce fait, mais mon unique but est de vous démontré que ces cas là existent », avant d’ajouter un post-scriptum pour demander, en s’adressant à l’honneur du juge, que son nom ne soit pas divulgué. À une exception près[38], elles redoutent la publicité qui divulguerait à leur entourage un secret bien gardé :

« Je vous prie Monsieur de ne pas dire dou vien cette lettre quar je ne pourrai pas vivre dans ma famille s’il connaisser ma vie excuser moi si vous ne comprenait mon écriture quar je surveille que mon mari mes enfents et petits enfents ne sapersoive de rien ».

Quand le coupable est vivant, ce sont ses rétorsions qui commandent le refus de la publicité médiatique, ainsi pour la commerçante faisant état des agissements de son mari envers leur fille, qui craint d’être trahie par ses fautes d’orthographe. Il ne s’agit donc pas vraiment de tenir sur le sujet une parole publique, ces récits de vie étant motivés par le désir d’éclairer le juge par des témoignages autobiographiques qui réfutent les représentations erronées qui ont cours sur les abus sexuels : l’inceste existe, disent-ils en substance, il est pure souffrance pour les victimes, emmurées dans le silence ou discréditées dans leur plainte, et, insoupçonnable, il est commis par des hommes réputés respectables. Sans doute au désir d’être utile s’ajoute également le besoin de la révélation, comme si avec le fait divers retentissant, qui réveille le souvenir traumatique, pouvait enfin être saisie l’occasion de se délivrer d’un secret trop lourd, la première chance d’être entendue ou la seconde chance d’être crue. Comme si l’intervention dans le cadre d’une affaire judiciaire pour faire reconnaître une victime offrait, par identification, une sorte de compensation/ réparation à des abus qui n’ont jamais été reconnus, encore moins poursuivis pénalement. Mais seule la distance autorise la confidence : distance avec l’expérience personnelle médiatisée par l’expérience d’une autre victime (quitte ensuite à la partager avec elle comme pour cette paysanne qui écrit à Germaine mais demande au juge de faire lire sa lettre à Violette), distance avec la violence subie, puisque seules les femmes âgées, parfois grand mères, prennent la plume pour se confier au juge. Et peut-être aussi seuls certains actes sont-ils avouables : il n’est question ici que d’attouchements, guère d’inceste complet, manifestement impossible à dire, sinon indirectement dans la comparaison avec Violette[39].

« J’ai eu le sentiment que, pendant quelques jours, la France entière a pensé (pour s’en
indigner bien sûr) à tuer son père »

L’étude croisée de ces différentes sources autorise à penser que le système de censure liant interdit, inexistence et impossibilité, aussi pesant soit-il, recule de manière perceptible. Ce que les médecins et les acteurs judiciaires n’ignorent plus depuis assez longtemps (l’important ouvrage d’Ambroise Tardieu sur les attentats aux mœurs datant de 1857), c’est-à-dire que l’inceste existe et qu’il est plus fréquent qu’on ne le croit, se dit publiquement : des journalistes le glissent, des personnes autorisées, se réclamant de leur expérience professionnelle, avocate comme Lucile Tynaire, médecins comme le docteur Toulouse ou le docteur Locard, le déclarent dans la presse[40]. On dénonce ici ou là l’interdiction de parler de l’inceste, on la brave. Les lettres envoyées spontanément au juge montrent qu’écrire l’inceste est pensable et faisable par les victimes dans la France des années trente, même si l’heure n’est pas encore venue de la confidence publique. Dans les consciences s’esquissent des représentations nouvelles comme celles du criminel sexuel en homme ordinaire, figure qui mobilise l’imaginaire actuel où le « criminel type », bien différencié, de la criminologie a fait long feu tandis que c’est le type commun qui est devenu criminel[41]. Si la notion de traumatisme psychologique n’a pas encore de consistance, s’ébauchent des corrélations entre inceste et troubles de la sexualité (frigidité, comportement prostitutionnel). L’avocat Vésinne-Larue plaidera d’ailleurs l’inceste et évoquera la souffrance d’un sujet adolescent en perdition, gagné par le vide et le « malaise intime », adonné au sexe comme à une « expérience désespérée »[42].

Il paraît donc vraisemblable que l’affaire Nozière a eu sa part dans les mutations subtiles qui affectent les sensibilités collectives et qu’elle a fait progresser dans l’opinion la réflexion sur l’inceste, même s’il faut se méfier de la tentation, inhérente à l’approche micro-historique, d’exagérer l’impact du fait singulier pris comme objet unique d’analyse. D’ailleurs, l’affaire n’a pas eu de conséquences concrètes sur le plan judiciaire. Peut-être a-t-elle favorisé les dépôts de plainte en justice ; l’Œuvre évoque en tout cas, le 16 septembre, une recrudescence des dénonciations pour faits incestueux au Palais de justice de Paris depuis le début de l’affaire. Mais qu’elle ait pu, hors de toute procédure judiciaire, jouer un rôle de catalyseur auprès d’autres victimes parvenant grâce au fait divers à formuler l’inceste subi, est attesté par les lettres conservées dans le dossier d’instruction.

Cette tension entre résistance foncière à l’égard de l’hypothèse de l’inceste et signes d’une sensibilité accrue à cette question fait écho à une autre tension : celle qui affecte la figure du père. L’affaire Nozière met à l’épreuve de manière décisive la figure du père. Au Père avec une majuscule, clef de voûte de la société civile, Violette a porté atteinte doublement : le parricide tue le père réel, l’accusation d’inceste le père symbolique. Au fond, toutes les interrogations convergent vers l’énigme du père : qui était ce Nozière baignant dans les vomissures et le sang ? Le bon père, qui se sacrifie pour instruire sa fille dans les classes secondaires qui ne sont pas encore gratuites, trompé dans son amour et sa confiance, expirant des mains de sa fille dénaturée ? Ou bien le père démissionnaire et défaillant ? Passée l’émotion première, le jugement populaire n’est pas tendre avec les parents Nozière, qui ont laissée vagabonder leur fille. Si l’éducation morale et la surveillance des filles incombent d’abord aux mères et que Germaine se trouve donc particulièrement visée, on considère que la responsabilité parentale se partage et que le chef de famille, détenteur légal de l’autorité, est en dernier ressort comptable de l’inconduite de ses enfants. Du coup Jean-Baptiste est lui aussi mis en cause pour avoir toléré l’inconduite notoire de sa fille. Mais comment comprendre pareil renoncement à l’exercice de l’autorité paternelle ? Dans l’ombre de la figure du père défaillant se glisse le soupçon du père dénaturé. L’avocate Lucile Tynaire insiste dans le Journal des femmes sur l’ « invraisemblable carence de l’autorité paternelle » qu’il faudrait un inceste pour expliquer : la peur de la révélation du terrible secret aurait paralysé le père au moment de sanctionner l’enfant dévoyée[43].

Père modèle, défaillant, indigne ? Vulnérabilité, faiblesse ou abus de la puissance paternelle ? De quel côté que penche le portrait, il donne à voir, fondamentalement, une dégradation de la figure du père, qui est au cœur de bien des débats et des propos alarmistes depuis le XIXe siècle. L’affaire Nozière de ce point de vue s’inscrit dans une évolution marquée par l’érosion de la figure du père, qui offre d’ailleurs sa toile de fond au mouvement d’abaissement des seuils de tolérance face à la violence sexuelle, particulièrement sensible à compter de la seconde moitié du XIXe siècle. Depuis le mitan du siècle, se sont multipliés les jalons juridiques d’une évolution qui remet en cause la toute puissance paternelle et lui oppose la protection de l’enfant. Après les lois de 1889 et 1898 sur la déchéance des pères indignes et sur la punition des violences contre les enfants, la mobilisation de l’opinion ne tarit pas. Dans les années trente, la presse exploite le thème de l’enfance maltraitée ou malheureuse, en entretenant l’émotion à coup de faits divers qui campent des figures de pères indignes, bourreaux, défaillants. Sur le devant de la scène c’est le père violent qui se tient, mais l’érosion globale de la figure du père ouvre assurément une brèche pour penser le père incestueux. En tout cas, cette érosion est suffisamment avancée au cœur des années trente pour que Jacques Lacan puisse alors évoquer avec fermeté, dans sa contribution pour L’Encyclopédie française dirigée par Lucien Febvre, « le déclin social de l’imago paternelle » et décrire la personnalité du père comme « toujours carente en quelque façon, absente, humiliée, divisée ou postiche ». En ce sens, la remarque de Georges Duhamel, sonne juste : « J’ai eu le sentiment que, pendant quelques jours, la France entière a pensé (pour s’en indigner bien sûr) à tuer son père ». Interrogé par Détective sur l’affaire, l’écrivain reprend l’idée du pouvoir contagieux du tabou développée dans Totem et tabou par Freud, reposant sur l’identité des désirs refoulés chez le criminel et chez les autres membres de la collectivité[44].

Désir de tuer le père ou culpabilité engendrée par ce désir ? En dernière analyse, le désir de sauver la figure du père menacée l’a emporté. Très tôt, Le Journal des femmes pose le principe d’une solidarité des pères pour condamner la fille, en expliquant que c’est en hommes – à une époque où l’institution du jury reste fermée aux femmes – et en pères que les jurés apprécieront le cas, avant d’évoquer les dangers que font courir aux pères les débordements des filles « affranchies[45] ». Quant aux surréalistes, ils dénoncent une cohorte masculine de journalistes, avocats, juges, mobilisée pour la défense du Père, figure qui synthétise pour eux toutes les formes de l’oppression :

« tous les pères vêtus de rouges pour condamner

ou de noir pour faire croire qu’ils défendent

tous s’acharnent sur celle qui est comme le premier

marronnier en fleurs

[…]

parce qu’ils sont les pères

ceux qui violent

à côté des mères

celles qui défendent leur mémoire » (Benjamin Péret)

Proclamant la culpabilité de la fille et l’innocence du père, le tribunal écarte les circonstances atténuantes et prononce une condamnation à mort. La presse, abusant de l’adjectif « paternel » pour qualifier magistrats ou avocats, traitant l’accusée de « gamine » ou d’ « écolière » « boudeuse » ou « vexée », s’emploie alors à ravaler l’empoisonneuse fatale au rang d’enfant punie et fait du procès judiciaire une cérémonie sociale de restauration de l’autorité des pères.

Inceste, vrai ou faux ?

Violette a-t-elle été, oui ou non, violée par son père ? À cette question, le juge d’instruction et les jurés ont répondu non, de même que le journaliste Jean-Marie Fitère ou le cinéaste Claude Chabrol qui, plus tard, ont raconté l’histoire de la parricide. Et l’historien ? Peut-il, doit-il répondre ? Il n’entre certes pas dans ses compétences de ré-instruire un dossier pénal et les multiples points restés obscurs au terme de l’instruction judiciaire, et encore débattus au procès, le restent pour lui. S’il n’est pas non plus le juré sommé de sonder son intime conviction, il n’est pas inutile néanmoins qu’il en ait une, forgée dans la confrontation entre d’une part le dossier d’instruction et le discours social tenu sur l’affaire et d’autre part les conceptions qui sont celles de son temps.

Dans l’histoire de Violette Nozière, ce qui était incompréhensible, irrecevable en 1933 ne l’est plus nécessairement aujourd’hui, de même que ce qui ne faisait pas sens alors peut paraître désormais signifiant, ainsi la confusion des générations inscrite dans l’histoire familiale, le père de Jean-Baptiste Nozière entretenant des relations sexuelles avec la femme de son autre fils. Il est possible de repérer dans la vie de Violette des éléments identifiés aujourd’hui comme des symptômes de l’inceste : réactions somatiques (Violette a multiplié les maladies depuis l’âge de douze ans), troubles de la sexualité, désinvestissement scolaire, repli et morosité, passages à l’acte à l’adolescence (Violette a tenté de se suicider en 1932), etc. Le secret longuement gardé, les premières confidences floues, la révélation tardive suivie d’une rétractation (retrait progressif de l’accusation dans les derniers interrogatoires de Violette et mutisme au procès) correspondent au « syndrome d’adaptation » décrit par R. C. Summit, par lequel l’enfant victime d’abus sexuels s’adapte à la situation incestueuse pour survivre. On pourrait encore ajouter les variations dans les déclarations des victimes d’inceste, qui sont fréquentes. Également, le rôle déclencheur, pour la révélation, que peut avoir à l’adolescence le désir de vivre le désir sexuel avec un partenaire du même âge (Violette disait s’être mise à détester son père quand elle a commencé à avoir des amants à seize ans). Les nombreux éléments de l’histoire de Violette qui sont conformes au tableau de l’abus sexuel intra-familial dressé aujourd’hui autorisent à considérer l’inceste paternel comme très vraisemblable. On peut d’ailleurs émettre l’hypothèse que le parricide a été un passage à l’acte par lequel Violette s’est libérée du secret de l’inceste dont le poids lui était d’autant plus insupportable qu’elle était amoureuse de Jean Dabin[46].

On pourra trouver cet exercice de relecture acrobatique. Il me semble, au contraire, qu’il est nécessaire. La question de la réalité ou non de l’inceste ne relève pas simplement de la curiosité anecdotique des amateurs d’affaires judiciaires célèbres – on sait d’ailleurs que c’est aussi par la petite histoire que s’engouffre la grande. Elle a bel et bien sa place dans un questionnement historique. Et même si une déontologie qui fait consensus selon laquelle l’historien n’est pas le juge inviterait à l’abstention, il me semble que l’historien se doit d’essayer de répondre à la question. Envisager la relation incestueuse entre Violette Nozière et son père comme une vérité, c’est se donner la possibilité d’orienter l’analyse non pas seulement vers les modalités de la réception de la parole accusatrice mais également vers un déni de l’inceste qui est en soi un fait historique. Identifier le déni, c’est détecter tensions, tiraillements, conflits de représentations, résistances, mouvements contradictoires à l’œuvre, tous phénomènes qui font le fonctionnement subtil de l’imaginaire social et toute la complexité de l’histoire des sensibilités.

[1] Violette Nozières, Bruxelles, Nicolas Flamel, 1933, rééd. par José PIERRE, Paris, Terrain vague, 1991.

[2] Sur l’affaire Nozière, voir Anne-Emmanuelle DEMARTINI, Agnès FONTVIEILLE, « Le crime du sexe. La justice, l’opinion publique et les surréalistes : regards croisés sur Violette Nozière », in Christine BARD, Frédéric CHAUVAUD, Michelle PERROT, Jacques-Guy PETIT (éd.)., Femmes et justice pénale (XIXe-XXe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 243-252 et « Violette Nozière ou le fait divers médiatique au miroir surréaliste », in Emmanuelle ANDRÉ, Martine BOYER-WEINMANN (éd.), Tout contre le réel. Miroir du fait divers, Paris, Le Manuscrit, 2008, p. 105-130 ; Sarah MAZA, « Violette Nozière : The wounds of class in 1930s Paris », art. non publié. Voir aussi les biographies des journalistes Jean-Marie FITÈRE, Violette Nozière, Paris, Presses de la Cité, 1975 (qui a inspiré Claude Chabrol pour son film Violette Nozière, 1978) et Véronique LESUEUR-CHALMET, Violette Nozières. La fille aux poisons, Paris, Flammarion, 2004.

[3] Anne-Marie SOHN, « Les attentats à la pudeur sur les fillettes en France (1870-1939) et la sexualité quotidienne », Mentalités, 3, 1989 : « Violences sexuelles », p. 71-111. Sur le XIXe siècle, voir notamment Jean-Clément MARTIN, « Violences sexuelles, étude des archives, pratique de l’histoire », Annales HSS, 51-3, mai-juin 1996, p. 643-661 ; Michel C. KIENER, « Enfances et violence dans la France de 1880 à 1900 », in Paul D’HOLLANDER (éd.), Violences en Limousin à travers les siècle, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 1998, p. 197-234. ; Marie-Sylvie DUPONT-BOUCHAT, « L’enfance violentée », Société et Représentations, juin 1998, p. 153-178 ; Laurent FERRON, « La répression pénale des violences sexuelles au XIXe siècle », thèse, université d’Angers, 2000. Fabienne Giuliani prépare une thèse sur l’inceste au XIXe siècle (université Paris I). Georges VIGARELLO, Histoire du viol XVIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1998, p. 244.

[4] Archives de Paris (désormais AP), D2 U8 379, P.-V. de première comparution.

[5] Michel FOUCAULT, Histoire de la sexualité, I, Paris, Gallimard, 1976, p. 111. Jacques POUMARÈDE, « L’inceste et le droit bourgeois au XIXe siècle », in Jacques POUMARÈDE, Jean-Pierre ROYER (éd.), Droit, histoire et sexualité, Lille-Toulouse, Espace juridique, 1987, p. 213-228.

[6] Le Petit Parisien, 31/08/1933 et 11/10/1934.

[7] Le Matin, 01/09/1933, Le Petit Parisien, 18, 31/09, 03/10/1933.

[8] M. FOUCAULT, Histoire de la sexualité, op. cit. ; Sylvie CHAPERON, Les origines de la sexologie 1850- 1900, Paris, Audibert, 2007 ; Anne-Marie SOHN, Du premier baiser à l’alcôve. La sexualité des Français au quotidien 1850-1950, Paris, Aubier, 1996 (on y trouvera également des remarques intéressantes sur les mots de la sexualité) ; L’Action Française, 11/10/1934.

[9] Le Figaro, 16/09/1933, Le Populaire, 12/10/1934.

[10] Le Matin, 10/10/1934.

[11] Voir note 3.

[12] François GORPHE, La critique du témoignage, Paris, Dalloz, 1924.

[13] Elisabeth ROUDINESCO, Histoire de la psychanalyse en France, t. 1, 1885-1939, Paris, Fayard, 1994 ; Laurent MUCCHIELLI, « Le sens du crime : psychanalyse et criminologie », in L. MUCCHIELLI (éd.), Histoire de la criminologie française, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 351-409. Vu, 06/09/1933 ; Détective, 19/10/1933 ; Paris-Soir, 16/09/1933 ; Le Petit Parisien, 12/09/1933. Notons que l’abandon de la théorie de la séduction au profit de la théorie œdipienne, en 1897, n’a pas empêché Freud de continuer à affirmer l’existence et le caractère pathogène des scènes de séduction vécues par les enfants (Jean LAPLANCHE et J.-B. PONTALIS, Vocabulaire de la psychanalyse, (1967) Paris, PUF, 1994, p. 438).

[14] L’Intransigeant, 12/10/1934.

[15] Le Figaro, 13/09/1933.

[16] Sur les représentations du criminel, voir L. MUCCHIELLI, Histoire de la criminologie, op. cit. ; Marc RENNEVILLE, Le langage des crânes. Une histoire de la phrénologie, Paris, Sanofi-Synthélabo, 2000. Archives de Paris, D2 U8 380, réquisitoire définitif, 03/01/1934.

[17] Voir C. BARD, F. CHAUVAUD, M. PERROT, J.-G. PETIT (éd.)., Femmes et justice pénale, op. cit.

[18] Paris-Soir, 01/ 09 ; Le Populaire, 31/ 08 ; Paris-Soir, 01/09 ; Gringoire, 08/ 09 ; Le Figaro, 30/08 ; Le Populaire, 31/08/1933.

[19]            Bibliothèque des Littératures Policières, Paris, complainte « Le drame dans toute son horreur », Paris, M.-R. Rousseaux, 1933.

[20] Voir Anne-Claude AMBROISE-RENDU, « Abus sexuels sur enfants : du crime sans victime au crime sans coupable (XIXe-XXe) », colloque de la Society for French Historical Studies, Rutgers University, 3-5 avril 2008.

[21] Paris-Soir, 09/10/1934 ; Le Populaire, 09 et 11/10/1934 ; Police-magazine, 17/09/1933.

[22] Voir Sylvain RAPPAPORT « Images et pratiques de la vertu : les prix Montyon (1820-1852) », thèse d’histoire, université de Paris 1, 1999.

[23] Police-magazine, 17/09/1933.

[24] Sur l’empoisonnement, voir Franck COLLARD, Le crime de poison au Moyen Âge, Paris, PUF, 2003, ; Frédéric JACQUIN, Affaires de poison. Les crimes et leurs imaginaires au XVIIIe siècle, Paris, Belin, 2005 et pour la période contemporaine, Anne-Emmanuelle DEMARTINI, « La figure de l’empoisonneuse, de Marie Lafarge à Violette Nozière », Actes du colloque Figures de femmes criminelles, 7-8 mars 2008, Université Paris 1, à paraître aux Publications de la Sorbonne.

[25] L’Œuvre, 11/10/1934.

[26] Revue des grands procès contemporains, 1935, t. XLI, p. 16.

[27] Détective, 18/10/1934.

[28] Le Populaire, 10/ 09/1933.

[29] AP, D2 U8 379, interrogatoire du 09/09, commissions rogatoires du 11 et du 19/09, dépositions de témoins du 9 et 19/10/1933.

[30] AP, D2 U8 380, interrogatoire du 16/12, ordonnance du 05/01/1934.

[31] Le Petit Parisien, 12 ; Police-magazine, 17 ; Le Petit Parisien, 18 ; L’Œuvre, 10 ; Paris-Midi, 13/ 09/1933.

[32] Paris-Soir et Paris-Midi, 13/10 /1934.

[33] Paris-Midi, 16/09/1933.

[34] L’affaire Nozières : crime ou chatiment ?, Paris, Ramlot, 1933, p. 99. L’orthographe de l’époque est hésitante – Nozière avec ou sans « s » –, mais l’état-civil donne Nozière et nous le suivons.

[35] L’inceste est suggéré par la référence intertextuelle au conte de Peau d’âne. Voir Agnès Fontvieille, « La question de l’énonciation dans le poème de Paul Eluard publié dans le recueil surréaliste Violette Nozières (déc. 1933) », Le gré des langues, 15, 1999, p. 90-111.

[36] Correspondance publiée dans J. Pierre, op. cit., p. 53-80.

[37] Le Petit Parisien, 11/10/1934.

[38] « Je demande que vous laissiez paraître dans les journaux cette lettre et je supplie les femmes qui ont subi le même sort de faire ce que je fais ». Joint à une tournure un peu conventionnelle, ce désir exceptionnel de publicité peut amener à douter de la véracité du propos tenu dans la lettre.

[39] Pour les lettres citées, AP, D2 U8 380. La consultation de ces archives étant soumise à dérogation, les noms propres n’apparaissent pas ici.

[40] Le Journal des femmes, 23/10/1934, Détective, 03 et 12/10/1933.

[41] Voir M. RENNEVILLE, « La criminologie face au monstre, entre délit du corps et invisible différence », in Anna CAIOZZO, Anne-Emmanuelle DEMARTINI (éd.), Monstre et imaginaire social, Grâne, Créaphis, 2007, p. 321-330, p. 327-328.

[42] Revue des grands procès contemporains, 1935, t. XLI, p. 29.

[43] Sur les rôles parentaux, voir Anne-Marie SOHN, Chrysalides. Femmes dans la vie privée (XIXe-XXe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 1996, t. 1, et « Entre deux guerres », in Georges DUBY et Michelle PERROT (éd.), Histoire des femmes en Occident, t. V, (1992), Paris, Plon, 2002. Le Journal des femmes, 20/10/1934.

[44] Sur l’histoire des pères, voir surtout Jean DELUMEAU, Daniel ROCHE (éd.), Histoire des pères et de la paternité, Paris, Larousse, 1990. Sur la protection de l’enfance, voir en particulier Pascale QUINCY-LEFEBVRE, Familles, institutions et déviances. Une histoire de l’enfance difficile 1880-fin des années trente, Paris, Economica, 1997 ; Michel CHAUVIÈRE, Eric PIERRE, Pierre LENOËL, Protéger l’enfant. Raison juridique et pratiques socio-judiciaires XIXe-XXe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1996 ; Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », 2, 1999 : « Cent ans de répressions des violences à enfants » (en ligne). Jacques LACAN, « Le complexe, facteur concret de la psychologie familiale », in Lucien FEBVRE (éd.), L’Encyclopédie française, Paris, Société de gestion de l’encyclopédie française, t. 8, 1938, p. 840- 5-840-16., p. 840-16. Détective, 02/11/1933.

[45] Le Journal des femmes, 07/10/1933.

[46] R. C. SUMMIT, « The child sexual abuse accomodation syndrom », Child Abuse and Neglect, 7, 1983, p. 177-193 ; Marceline GABEL, Serge LEBOVICI, Philippe MAZET (éd.), Le traumatisme de l’inceste, Paris, PUF, 1995 ; M. GABEL (éd.), Les enfants victimes d’abus sexuels, Paris, PUF, 1992.